B. 20 ANS APRÈS LA RÉFORME, LES RETRAITES SUÉDOISES SONT-ELLES TOUJOURS UN MODÈLE ?

Dominique Acker, ancienne conseillère sociale à l'Ambassade de France en Suède . - La Suède a été l'un des premiers pays à développer des méthodes originales de pilotage du système de retraite. Au début des années 90, la Suède disposait de fonds de réserve solides liés au niveau de cotisations préalables, d'un taux d'activité des seniors élevé (74 % pour les 55-64 ans) et d'un cadre unifié des pensions. La réflexion a été ouverte en 1991 par une commission parlementaire. Après le vote des principes de la réforme en 1994, la réforme a été votée en 1998 et les mécanismes d'équilibre en 2001. En 2003, elle a été mise en place. Le processus a donc pris plus de dix ans. Sa mise en oeuvre est progressive, puisque seules les générations nées à partir de 1954 en connaissent le plein effet.

(1) Structure générale des retraites contributives en Suède

La structure générale des retraites contributives en Suède s'appuie sur trois piliers :

Pilier 1 : public et universel (65 % des pensions)

Le pilier public et universel est composé de deux parties. La première est la pension par répartition (86 % des cotisations). Elle est gérée par un système à cotisations définies avec un compte notionnel, dont le capital virtuel est revalorisé chaque année puis converti en pension au moment du départ en retraite. La seconde partie est la pension par capitalisation à cotisations définies (14 % des cotisations). Ce dernier laisse le choix du fond de gestion à l'assuré, ainsi que la liberté de choisir entre une pension à montant variable ou garanti.

Pilier 2 : accords collectifs/contrats complémentaires (23 % des pensions versées)

Les accords collectifs et contrats complémentaires préexistaient à la réforme. Ils sont signés dans quatre secteurs : salariés cols bleus, salariés cols blancs, employés des collectivités territoriales et fonctionnaires de l'Etat. Cette couverture complémentaire par capitalisation est importante pour les salariés dépassant le plafond du pilier 1. Elle couvre près de 90 % des salariés.

Pilier 3 : contrats privés (5 % des pensions)

Le pilier 3, facultatif, est un système de capitalisation. Les cotisations étaient déductibles de l'impôt jusqu'en 2016.

Il existe également une pension garantie, qui exprime la solidarité de l'Etat vis-à-vis de ceux qui n'ont pas suffisamment cotisé. Elle représente 7 % des pensions versées en Suède et concerne un tiers de retraités dont 82 % de femmes. Financé par l'impôt, le revenu garanti s'élève à 829 euros pour une personne seule et 739 euros pour une personne mariée. Il est accessible aux personnes ayant résidé cinq ans en Suède, mais le montant auquel les personnes peuvent prétendre est basé sur une résidence de quarante ans en Suède.

Enfin, la pension de réversion est considérée comme antiféministe, les femmes étant supposées s'assumer, travailler et générer leurs propres revenus. La pension de réversion est versée pendant un an après le décès du conjoint. Il existe une pension de survivant et la pension garantie complète les revenus d'une personne n'ayant pas travaillé.

Le dispositif est complété par une allocation logement et/ou une aide de subsistance, qui assurent un revenu décent aux retraités. La première est versée à 700 000 personnes sur une population de 10 millions d'habitants.

(2) Mécanisme de pilotage

La Suède est réputée pour le pilotage de son système. Celui-ci est assuré par plusieurs éléments :

• ratio d'équilibre

Le ratio d'équilibre est composé des recettes et réserves futures rapportées aux dépenses futures. Un ratio inférieur à 1 signale des dépenses supérieures aux recettes. S'il n'est pas respecté, les droits accumulés sont minorés pour les futurs retraités.

• coefficient de conversion

Le coefficient de conversion tient compte de l'espérance de vie calculée à 65 ans, donc de la cohorte à laquelle appartient la personne qui part en retraite. Un départ antérieur à 65 ans conduit à minorer la pension, tandis qu'un départ postérieur entraîne une majoration.

• revalorisation des pensions

La revalorisation des pensions est liée à un calcul mêlant l'évolution des salaires diminuée de 1,6 % pour tenir compte de la croissance. Elle n'est donc pas indexée sur l'évolution des revenus ou l'indice des prix.

La solidarité est compensée par l'Etat pour les droits non contributifs (congé parental, chômage, maladie,...).

(3) Suivi du dispositif et premiers résultats de la réforme

Le suivi du dispositif est assuré dans le cadre du rapport annuel de l'office des pensions et par un groupe parlementaire présidé par la Ministre des affaires sociales. Il s'inscrit dans la continuité du groupe parlementaire ayant travaillé sur la réforme et apporte un regard politique sur l'évolution technocratique du système.

Une dispersion inégalitaire est observée dans l'âge de départ en retraite : les personnes plus qualifiées partent le plus tard et maximisent leur pension. Les taux de remplacement sont en baisse. Le système s'avère défavorable aux femmes, dont l'écart de pension par rapport aux hommes atteint 30 % sous l'effet du compte notionnel et du système contributif (temps partiel, congé parental, etc.). L'automaticité du mécanisme de pension a quant à lui entraîné une baisse des pensions après la crise de 2008 de 3 % en 2010, de 4 % en 2011 et de 2,7 % en 2014.

(4) Avantages et faiblesses du système de retraite suédois

En conclusion, l'accumulation des droits présente un caractère vertueux en tant qu'encouragement au travail. La souplesse du système offre des possibilités de retraite à la carte avec des départs échelonnés entre 61 ans et 67 ans, voire 70 ans. Il présente également l'avantage d'un libre choix éclairé chaque année par une visibilité de l'état du compte de la personne (« enveloppe orange ») et d'une stabilité financière intéressante, qui conforte la répartition tout en maintenant la compétitivité du système.

Ses faiblesses résident dans l'augmentation des inégalités et dans la priorité accordée au niveau initial de la pension. Les Suédois parient ainsi que leur pension pourrait faiblir en vieillissant et les conduire à s'en remettre au système social couvrant la dépendance. Le taux de retraités pauvres atteint 8 %, notamment parmi les personnes isolées. Le caractère virtuel du compte notionnel entretient quant à lui une certaine défiance : 33 % des Suédois n'ont pas confiance dans l'avenir de leur système, d'autant plus que le dispositif de capitalisation a été mal maîtrisé.

La Suède est à présent confrontée au défi de l'augmentation de l'espérance de vie. Elle devra arbitrer entre l'allongement de la durée du travail, la hausse des cotisations ou celle du plafond. A priori, la première piste est privilégiée à ce stade avec un report de l'âge de départ en retraite à 64 ans en 2026 et 67 ans pour la pension garantie dans un pays où existe un dispositif de non-discrimination qui interdit tout licenciement avant 67 ans. La question est posée de reculer cet âge à 69 ans. Par ailleurs, l'évolution du marché du travail marqué par le développement des indépendants interroge celle du régime complémentaire. Enfin, se pose la question de l'impact sur le système social du report sur les mécanismes de solidarité des prises en charge non couvertes par le système de retraite.

Vingt ans après son adoption, la réforme du système des retraites, compte tenu de la progressivité de sa mise en place, commence seulement à produire ses pleins effets. Il apparaît ainsi clairement que la recherche de la stabilité financière et les aspects techniques ont primé sur la prise en compte des attentes des citoyens et que la réforme nécessite désormais des ajustements pour leur redonner confiance dans le système et réduire les inégalités qui se creusent. Ce qui reste cependant à souligner, c'est la solidité de l'accord qui existe au sein du groupe parlementaire de suivi pour faire évoluer le dispositif.

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