Hervé Boulhol, économiste à l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)
(2) Des réformes paramétriques substantielles
Les années 70 et 80 sont marquées par un haut niveau de pension compte tenu de départs à la retraite plus précoces. Jusque dans les années 80, l'augmentation des taux de cotisation est l'instrument principal des réformes paramétriques. Cette mesure a été accompagnée d'erreurs majeures de politique économique avec la mise en place de systèmes de préretraites, et en France la baisse de 65 à 60 ans au début des années 1980.
Pour corriger les erreurs passées et redresser la viabilité financière dans un contexte de changements démographiques largement prévus, l'âge de la retraite a été augmenté, avec un durcissement des retraites anticipées et davantage d'incitations à contribuer (bonus/malus). Le niveau des pensions a été réduit, avec par exemple une modification des taux d'accumulation des droits et des règles d'indexation des pensions versées. Enfin, une convergence des âges de la retraite des femmes vers ceux des hommes a été organisée.
L'âge de la retraite des hommes retrouve son niveau du milieu au 20 ème siècle. Jusqu'au milieu des années 90, il baisse. Depuis, l'augmentation moyenne est de deux ans pour les hommes. Un effet de rattrapage s'observe pour les femmes. Cette évolution s'inscrit dans un contexte d'augmentation de l'espérance de vie de 6 à 7 ans à 65 ans. La prolongation de l'espérance de vie se poursuit, mais à un rythme légèrement plus faible. Selon les réformes actées aujourd'hui, nous projetons une augmentation de l'âge de la retraite moyen au cours des cinq prochaines décennies d'environ 1,5 ans dans l'OCDE et plus de 2 ans en Europe.
(3) Réformes systémiques
Au début des années 1990, les systèmes de retraite sont pour l'essentiel des systèmes publics par répartition à prestations définies. L'augmentation des taux de cotisation est devenue problématique. Une plus grande attention est donc portée sur l'impact du vieillissement et les problèmes de viabilité avec un accent placé sur la hausse de l'emploi des salariés âgés de plus de cinquante ans.
On observe alors un changement de paradigme. Des régimes à cotisations définies par capitalisation ou comptes notionnels sont mis en place en Europe du Nord, en Europe centrale, en Italie, etc. Ces systèmes évitent les problèmes de viabilité financière, lient plus étroitement les pensions aux cotisations versées et ajustent le montant aux prévisions d'espérance de vie. En contrepartie, les baisses de pension s'accentuent si les individus ne parviennent pas à travailler davantage.
(4) Les grandes tendances
(a) L'individualisation
Les grandes tendances depuis 30 ans sont l'individualisation des droits à pension avec des liens plus étroits avec les revenus sur l'ensemble de la carrière. La République tchèque, la Grèce et la Norvège ont rejoint la liste des pays pour lesquels c'est l'ensemble de la carrière qui est prise en compte. La France fait partie des cinq pays, aux côtés de Malte, de la Slovénie, de l'Espagne et de l'Autriche, à ne pas prendre en compte l'ensemble de la carrière.
(b) Les ajustements automatiques
Les ajustements automatiques prennent des formes différentes :
- liens automatiques entre âge de la retraite et espérance de vie : Bulgarie, Danemark, Finlande, Italie, Pays-Bas, Portugal et Slovaquie ;
- ajustements automatiques : régimes par capitalisation à cotisations définies via le calcul des annuités ;
- ajustements automatiques pour les régimes à comptes notionnels : Italie, Lettonie, Norvège, Pologne, Suède ;
- mécanismes similaires dans les régimes à prestations définies : Espagne et Finlande (les niveaux de pension s'ajustent automatiquement aux gains d'espérance de vie) ;
- ajustements au « taux de dépendance » ou au solde financier : Allemagne (système par points), Suède (comptes notionnels), Espagne et Portugal (prestations définies).
Les mécanismes d'ajustement automatiques peuvent porter sur tout système.
(c) La consolidation des systèmes/régime universel
La consolidation des systèmes/régimes de retraite représente une autre tendance majeure, c'est-à-dire la suppression des régimes spéciaux et la mise en oeuvre de régimes universels.
La France figure parmi les quatre pays de l'OCDE ayant un régime entièrement séparé pour les fonctionnaires, aux côtés notamment de l'Allemagne et de la Belgique. L'existence d'un tel régime n'implique pas nécessairement des écarts significatifs. Dans certains systèmes consolidés, des suppléments sont en effet prévus pour les fonctionnaires au point de créer des écarts bien plus importants entre fonctionnaires et salariés du secteur privé. C'est notamment le cas en Angleterre.
La Norvège, qui applique un système en comptes notionnels, prévoit également un supplément pour les fonctionnaires. Certains pays proposent des systèmes intégrés : en Italie, au Portugal, en Grèce et en Espagne, une réforme majeure a été menée récemment. Le Japon a fait de même en 2015.
Ces dernières décennies, les réformes ont amélioré substantiellement la viabilité financière des systèmes de retraite. Elles se traduiront en Europe par une baisse du niveau des pensions de 15 % à 25 % environ.
(5) Mise en oeuvre de réformes systémiques par points ou en comptes notionnels
La Lituanie a rejoint les pays des réformes systémiques récemment : elle met actuellement en oeuvre un système par points. La Belgique et la France pourraient être les deux prochains pays à rejoindre la liste. L'Estonie prévoit quant à elle de réformer drastiquement son système de retraite par points.
Les durées de transition sont écourtées dans les pays baltes en raison d'un contexte historique particulier. En Allemagne, la transition est relativement brève, mais ce pays partait d'un système fondé sur un lien étroit entre cotisations et prestations et prenait en compte l'ensemble de la carrière. En outre, la réforme n'a pas concerné les fonctionnaires. De manière générale, la transition vers un système universel est facilitée par un système initial peu fragmenté. Pour les pays ayant opté pour un système à comptes notionnels, la transition s'est avérée abrupte, notamment en Lettonie. Dans les autres pays, le régime précédent est maintenu pour une durée moyenne de 20 ans (Suède, Norvège) et plus de 30 ans (Pologne, Italie).
Dans les systèmes par répartition assurant la stabilité financière, la référence en matière de valorisation des salaires passés est fondée sur la croissance de la masse salariale. Les pays ayant adopté des systèmes par points ou comptes notionnels mêlent salaires, masse salariale voire PIB. Dans les systèmes à prestations définies, seuls la Belgique, la France, Malte et le Portugal indexent les pensions versées sur les prix.
Même si les systèmes par points ou comptes notionnels sont proches, les premiers présentent l'avantage de la simplicité et d'une meilleure compréhension par les individus. Leur inconvénient principal est l'absence d'ajustement automatique à l'évolution de l'espérance de vie. L'Allemagne tente de le compenser par des mécanismes de stabilisation compliqués, liés à l'évolution entre retraités et salariés. Si la France devait opter pour un système par points, il convient certes de reconnaître l'avantage de la simplicité, mais aussi de s'efforcer d'être novateur pour ajuster le montant de la pension à l'allongement de la durée de vie. Techniquement, une telle mesure est possible en s'assurant que la valeur du point dépende, pour chaque cohorte de naissance, de l'âge de la retraite individuelle et en convertissant les points en euro au moment de la retraite.