C. QUE RETENIR DE LA RÉFORME ITALIENNE ?
Michel Martone, ancien vice-ministre italien du travail et de la sécurité sociale . - L'histoire de l'Italie, semblable à la France, commence avec le mutualisme, c'est-à-dire un système privé et corporatiste. A la différence de la France, l'Italie a connu des réformes systémiques d'ampleur menées dans une période où l'espérance de vie était faible ou sous le régime de Mussolini. Ce dernier a étatisé le système et créé deux instituts chargés de gérer l'Etat providence en Italie en 1933 dont l'Institut national de protection sociale (INPS). Il existait déjà un lien fort entre nécessité du bilan et épargne providentielle. Pendant quarante ans, l'Italie n'a plus mené de réformes systémiques, mais une cinquantaine de petites réformes. Parmi ces dernières, quatre peuvent être citées ici.
Après celle de Mussolini, la réforme Brudolini en 1969 a introduit le système rétributif consistant à calculer la retraite sur les deux dernières années de rémunération des travailleurs. A l'origine, il était soutenable en raison de la faiblesse de l'espérance de vie (69 ans), du nombre d'enfants par femme (trois enfants en moyenne par famille), de la centralisation du système qui facilitait sa gestion et du taux de remplacement (45 %). Ce dernier a progressivement été porté à 60 %, 70 % puis 80 %. Dans les années 70, le problème de chômage dans le secteur public a conduit à accorder un départ en retraite après vingt années de travail à 43 ans. Parallèlement, de nombreuses lois ont été votées jusqu'à créer la troisième dette publique du monde. Si elles ont assuré la paix sociale, elles ont déséquilibré le système dans un contexte d'affaiblissement du taux de natalité et d'augmentation de l'espérance de vie.
En 1993, ces problèmes sont devenus évidents dans le cadre de l'Union européenne. Ils ont justifié la troisième réforme systémique, à savoir la réforme Dini. Elle a modifié le système en profondeur et acté le passage à un système contributif difficile à gérer, mais à comptes notionnels. Pour la mener à bien et assurer la paix sociale, le gouvernement a choisi la méthode de la concertation. Il en est résulté un traitement différant selon le nombre d'années travaillées au moment de la réforme : les Italiens qui avaient déjà travaillé 18 ans ont conservé le système rétributif avec un taux de remplacement de 80 %, ceux qui avaient commencé à travailler sans atteindre ce seuil passaient sous un système mixte, à la fois rétributif et contributif avec un taux de remplacement de 65 %, tandis que ceux qui n'étaient pas encore sur le marché du travail dépendaient d'un système contributif avec un taux de remplacement de 50 %. Cette réforme est marquée par un égoïsme générationnel qui protège les travailleurs en activité et reporte les conséquences les plus dures sur les générations suivantes.
Ce système s'est maintenu une dizaine d'années. Il a été suivi de plusieurs petites réformes qui ont tenté d'intervenir sur l'âge de départ en retraite. Le processus n'étant pas mené à son terme, l'Italie a perdu dix ans pendant lesquels elle aurait pu mener une réforme équitable. Le contenu de la réforme n'a par exemple pas été étendu aux professionnels libéraux dotés de leur propre système. En 2008, la crise financière a placé au centre du débat public les problèmes liés à la dette du pays. Une réforme du système de retraite s'est donc imposée, la réforme Fornero de 2011. Elle a dû être menée en deux semaines et s'apparente à un « blitz » avec l'exigence d'assurer l'équilibre des comptes de l'Etat. Le but était de rassurer les marchés financiers et de protéger l'épargne des citoyens.
Cette quatrième réforme systémique se fonde sur quatre piliers, dont l'extension du système contributif, considéré comme le plus équitable et généraliste, l'équité générationnelle, qui a conduit à augmenter de cinq ans l'âge du départ en retraite des femmes nées en 1952, et l'indexation de l'âge du départ en retraite sur l'espérance de vie. Pour la première fois, la réforme n'a pas reporté l'effort sur les générations suivantes, mais sur celles qui allaient bénéficier du versement des pensions. L'enjeu était d'assurer le paiement des retraites et les retraités sont les personnes qui y ont le plus d'intérêt.
Pour conclure, la réforme des retraites est celle du pacte social qui lie un peuple. Il n'existe pas une méthode à suivre. L'enjeu est de prendre toutes les mesures nécessaires pour préparer le système aux difficultés et réintroduire de l'équité. En Italie, le système de retraite préserve la qualité de vie de chacun. L'équité ne signifie pas accorder davantage à ceux qui détiennent un poids politique ou une capacité de frappe plus forte. Pour l'assurer, le système contributif à comptes notionnels semble le plus adapté. Il est justifiable dans les différentes catégories et se préoccupe des plus faibles. Une réforme des retraites est aussi l'occasion de reconnaître le rôle des femmes dans la famille, à travers l'instauration d'une contribution spéciale, pour prévenir le report sur les retraites des injustices constatées dans le monde du travail.
En un mot, les réformes des retraites peuvent être menées de deux façons : dans le calme lorsque la période est favorable ou sous forme de blitz en période de crise. Je vous souhaite de pouvoir la mener dans le calme.