N° 426

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2017-2018

Enregistré à la Présidence du Sénat le 13 avril 2018

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la Délégation sénatoriale aux outre-mer (1) sur les actes des tables rondes « Biodiversités ultramarines : Laboratoires face au défi climatique » du 7 décembre 2017,

Par M. Michel MAGRAS,

Sénateur

(1) Cette délégation est composée de : M. Michel Magras, président ; MM. Maurice Antiste, Stéphane Artano, Mme Esther Benbassa, MM. Pierre Frogier, Jean-Louis Lagourgue, Robert Laufoaulu, Jean-François Longeot, Mme Vivette Lopez, MM. Victorin Lurel, Dominique Théophile, vice-présidents ; Mme Catherine Conconne, M. Jacques Genest, Mme Viviane Malet, M. Gérard Poadja, secrétaires ; M. Guillaume Arnell, Mme Viviane Artigalas, MM. Jean Bizet, Patrick Chaize, Mathieu Darnaud, Michel Dennemont, Mme Nassimah Dindar, M. Daniel Gremillet, Mme Jocelyne Guidez, MM. Didier Guillaume, Abdallah Hassani, Mmes Victoire Jasmin, Gisèle Jourda, MM. Antoine Karam, Nuihau Laurey, Henri Leroy, Thani Mohamed Soilihi, Georges Patient, Mme Catherine Procaccia, MM. Michel Raison, Jean-François Rapin, Claude Raynal, Charles Revet, Gilbert Roger, Jean Sol, Mme Lana Tetuanui, M. Michel Vaspart.

OUVERTURE

Michel MAGRAS, Président de la Délégation sénatoriale aux outre-mer

Mesdames et Messieurs,

Chers collègues,

Nous voici réunis aujourd'hui pour accueillir un bel ensemble d'« ambassadeurs de la biodiversité ultramarine », au premier rang desquels Monsieur Christophe Aubel, directeur général de l'Agence française pour la biodiversité (AFB).

Cher Monsieur, je vous remercie d'avoir accepté de nous accompagner dans notre démarche tendant à contribuer à accroître la visibilité de nos outre-mer en organisant un cycle de conférences sur la biodiversité ultramarine qui s'ouvre aujourd'hui.

Au cours d'une première séquence de travaux sur la biodiversité et la problématique du dérèglement climatique, en 2015 dans la perspective de la COP21, notre délégation s'était attachée à mettre en valeur les réalisations mises en oeuvre dans nos territoires ultramarins ayant pour objet d'atténuer les impacts de ces dérèglements ou proposant des solutions d'adaptation.

Deux ans plus tard, à la veille du sommet international du 12 décembre prochain qui marquera le deuxième anniversaire de l'Accord de Paris sur le climat, il nous est apparu important de manifester à nouveau notre mobilisation et l'intérêt constant que nous portons à ces questions primordiales pour la planète. En effet, les outre-mer demeurent, selon une expression désormais consacrée, les sentinelles, mais aussi les premières victimes des dérèglements climatiques. Cela confère à notre pays une place singulière dans le concert des nations, avec sa capacité de rayonnement planétaire et la responsabilité qui en est le corollaire.

Quelques chiffres pour caractériser cette singularité et les atouts de notre pays, du fait de ses outre-mer, sous toutes les latitudes et dans l'ensemble des bassins océaniques :

- 11 millions de kilomètres carrés de superficie de zone économique exclusive qui placent la France au 2 e rang mondial des puissances maritimes ;

- 55 000 kilomètres carrés de récifs et lagons, avec une barrière récifale calédonienne qui est la deuxième du monde et un exemple unique de double barrière à Mayotte ;

- une forêt guyanaise de quelque 8 millions d'hectares, et l'une des dernières forêts primaires.

Ainsi, de l'immensité verte guyanaise avec ses fleuves pénétrants, des îles subantarctiques aux îles Éparses ou encore à Clipperton, terres inhabitées, en passant par les archipels polynésiens et leur multitude d'îles hautes et d'anneaux coralliens, la Caraïbe ou les cirques montagneux de La Réunion qui propulsent leurs pitons à plus de 3 000 mètres d'altitude, la plus grande diversité d'habitats déploie une palette exceptionnelle d'espèces animales et végétales.

Il est traditionnel de considérer que 80 % de la biodiversité nationale est située dans les outre-mer et, fin 2016, le Muséum national d'histoire naturelle évaluait à plus de 182 000 le nombre d'espèces terrestres et marines recensées. Nos outre-mer constituent des « points chauds » de la biodiversité mondiale et se caractérisent par un haut niveau d'endémisme, insularité oblige ! Mais ce patrimoine vivant, tout à fait exceptionnel, est aussi marqué par une grande vulnérabilité : ainsi, la France se classe-t-elle au 8 e rang mondial des pays abritant le plus grand nombre d'espèces menacées ; cela lui confère, encore une fois, une responsabilité éminente.

L'Agence française pour la biodiversité, instance fédératrice, de coordination, d'accompagnement, d'impulsion et d'animation, est une pièce maîtresse des stratégies à déployer pour la sauvegarde et la valorisation de cette magnifique biodiversité.

Créée par la loi du 8 août 2016 et mise en place le 19 janvier 2017 avec la première réunion de son conseil d'administration, l'agence n'a pas encore soufflé sa première bougie. Et pourtant, forte de l'héritage des structures qui l'ont précédée et qui ont fusionné en elle, ainsi que de sa transversalité qui en fait un interlocuteur incontournable, mais aussi du dynamisme et de la détermination de ses membres et de ses personnels, l'agence s'impose d'emblée comme gardienne d'un patrimoine naturel inestimable ! Comme le soulignait fort justement notre collègue Jérôme Bignon, qui fut rapporteur au Sénat de la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages et qui représente le Sénat au conseil d'administration de l'agence, « cette grande agence donne l'opportunité de gérer la biodiversité de manière plus transversale, et de mieux prendre en compte le lien terre-mer ».

Je me réjouis donc du partenariat que notre délégation scelle aujourd'hui avec elle, par cette matinée qui est un prélude à un cycle triennal de colloques, avec une déclinaison par grand bassin océanique. Cette action événementielle - et, Mesdames et Messieurs, nous aurons soin de vous convier à y participer - nous permettra de suivre la mise en oeuvre du deuxième Plan national d'action contre le changement climatique qui intègre la poursuite de solutions fondées sur la nature. Comme l'a encore plaidé l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) en novembre dernier à Bonn lors de la COP23, ces solutions fondées sur la nature, qui s'incarnent dans des actions de protection, de restauration et de gestion durable des écosystèmes, tiennent un rôle central dans les stratégies de lutte et d'adaptation au changement climatique. Une étude américaine publiée fin octobre dans la revue de l'Académie des sciences des États-Unis estime ainsi que les solutions naturelles pourraient contribuer pour plus du tiers à l'atténuation climatique nécessaire d'ici à 2030 pour stabiliser le réchauffement au-dessous de 2°C.

Nous avons donc choisi aujourd'hui de centrer les tables rondes sur ce type de solutions. La première montrera combien les évolutions climatiques peuvent constituer une menace pour la biodiversité ; puis la seconde table ronde mettra en lumière un ensemble de projets et de réalisations permettant d'évaluer les impacts et de dessiner des réponses adaptées. Parmi les témoins, nous aurons le plaisir d'accueillir plusieurs lauréats de l'appel à projets « recherche » 2015 du ministère des outre-mer. Je rappelle que 14 projets ont été sélectionnés pour l'ensemble des territoires ultramarins pour un montant de subventions de 300 000 euros, couvrant des sujets très divers, au plus près des territoires.

Mais avant d'aborder la première table ronde, j'invite Monsieur Christophe Aubel, directeur général de l'Agence française pour la biodiversité, à apporter son éclairage sur notre manifestation d'aujourd'hui et le programme d'action de l'agence.

Christophe AUBEL, Directeur général de l'Agence française pour la biodiversité

Monsieur le président,

Mesdames les sénatrices,

Messieurs les sénateurs,

Mesdames et Messieurs,

Je vous dis mon plaisir d'être présent ici pour représenter l'Agence française pour la biodiversité aux côtés de la délégation sénatoriale aux outre-mer pour ouvrir cette première conférence d'un cycle auquel nous sommes très heureux de participer. Un des grands défis de l'Agence française pour la biodiversité est de faire entrer la biodiversité au coeur des débats de société, des actions de chacun et donc de la vie de chacun d'entre nous. Nos vies en dépendent largement. Relever ce défi implique nécessairement les outre-mer. Du polaire au tropical, des fonds marins à la forêt boréale, des fonds marins des océans à la montagne, la richesse de la biodiversité ultramarine est juste une évidence, avec des hotspots mondiaux, des espèces endémiques, des écosystèmes rares. Je vous invite pour découvrir cela à visiter l'exposition « Escales outre-mer, la France grandeur nature » actuellement au ministère des Outre-mer, qui expose ces richesses par territoire.

Mais il ne suffit pas de souligner la richesse de la biodiversité ultramarine. Il faut avant tout la préserver. La biodiversité dépend d'une préservation dynamique et active, car elle est en danger et subit des pressions. Il faut sans attendre engager des actions de restauration.

L'Agence française pour la biodiversité a la mission de s'en saisir, selon deux principes. La préservation de la biodiversité n'est pas une mise sous cloche. Il faut agir par la conciliation des usages et des activités avec la biodiversité. Il faut donc faire de la biodiversité un atout pour ces territoires. « Préservation » rime avec « valorisation » et « biodiversité » rime avec « développement soutenable », car il n'est pas de développement soutenable sans le socle du vivant. Le second principe est d'être « coeur de réseau ». Une « tête de réseau » signifierait que nous sommes hégémoniques et que nous voulons diriger les choses. Non nous voulons être au coeur des acteurs pour les accompagner. En effet, si une agence française de 1 300 personnes peut agir par elle-même - nous sommes présents dans sept des territoires ultramarins -, face à l'érosion de la biodiversité, et pour saisir les opportunités représentées par la biodiversité, la mobilisation des acteurs prime. Nous agirons donc en partenariat avec les territoires et en priorité avec les collectivités. Pour cela, Jean-Jacques Pourteau, le délégué outre-mer de l'agence met en place notre politique en ce domaine. Il a déjà engagé le dialogue partenarial avec chacune des collectivités territoriales. L'agence est déjà intervenue, sur la base des actions des quatre établissements qui l'ont intégré (par exemple celles de l'agence des aires marines, ou de l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (ONEMA), dont la solidarité interbassins permet le financement à hauteur de 30 millions d'euros par an de projets de territoires) et nous avons déjà mis en place un certain nombre d'actions :

- le programme Remoa, recensement des mammifères marins et de la mégafaune pélagique par observation aérienne dans les Caraïbes ; cet inventaire engage également un partenariat inédit avec les pays voisins ;

- le déploiement des aires marines éducatives, né aux Marquises, qui permet à des élèves de gérer collectivement un espace maritime ; depuis la rentrée 2017, 13 écoles des outre-mer se sont engagées dans ce cadre, co-piloté avec le ministère de l'écologie, des outre-mer et le ministère de l'éducation nationale ;

- le lancement d'un plan de développement des atlas de la biodiversité communale, qui permet aux collectivités de préserver et de valoriser leur patrimoine naturel en intégrant les enjeux et les opportunités de la biodiversité dans leurs actions et stratégies (documents d'urbanisme, gestion des espaces, actions de sensibilisation) : cet appel à projets a rencontré un grand succès et des communes d'outre-mer feront partie des lauréats ;

- la contribution exceptionnelle au plan interministériel de solidarité avec les Caraïbes à hauteur de 4 millions d'euros sur des programmes d'assainissement, de restauration et de gestion d'espaces naturels et de reconquête des milieux affectés ;

- le lancement d'un appel à projets « reconquête de la biodiversité » à destination exclusive des territoires ultramarins à hauteur de 4 millions d'euros ouvert aux acteurs associatifs, socioéconomiques et institutionnels de l'ensemble des outre-mer, hors les services de l'État ;

- un renforcement du partenariat avec les Terres Australes et Antarctiques Françaises ;

- enfin nous dialoguons avec toutes les collectivités pour établir des partenariats, une convention a été actée avec le Département de Mayotte, une autre convention est en cours de finalisation avec Saint-Pierre-et-Miquelon mais aussi Wallis-et-Futuna.

Les outre-mer sont par ailleurs présents dans notre conseil d'administration, et représentés au sein de notre conseil scientifique. Nous mettrons en place au premier trimestre un comité d'orientation ultramarin - une instance d'avis et de conseil placée auprès du conseil d'administration, dans lequel toutes les collectivités territoriales d'outre-mer seront représentées, ainsi que des experts et parties prenantes.

Pour terminer, un mot du sujet de la conférence : les liens entre climat et biodiversité sont évidents, car les dérèglements climatiques ont des répercussions sur la biodiversité. Et on sait le rôle majeur des océans comme puits de carbone. Mais la nature peut aussi nous apporter des solutions en matière d'adaptation. Je forme donc le voeu que les politiques climatiques et de biodiversité soient liées. Nous devons en effet agir en cohérence dans ces deux domaines, pour être efficaces dans un domaine comme dans l'autre. Méfions-nous des solutions qui seraient néfastes à des enjeux de biodiversité pour répondre à des enjeux climatiques.

Je vous souhaite de beaux travaux. L'AFB est à vos côtés aujourd'hui et le sera à l'avenir. Nous essaierons d'être à la hauteur du défi que vous nous avez lancé, Monsieur le président, en nous accordant votre confiance.

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