II. UNE POLITIQUE D'ATTRACTIVITÉ QUI DOIT ÊTRE RELANCÉE DANS UN CONTEXTE INTERNATIONAL TRÈS CONCURRENTIEL
A. LA FRANCE EN PERTE DE VITESSE DANS UN CONTEXTE TRÈS CONCURRENTIEL
Les objectifs du COM de Campus France sont louables, mais ils ne reflètent pas l'ampleur des défis auxquels la politique d'attractivité est confrontée, dans un marché mondial en pleine expansion .
1. Un marché mondial en pleine expansion marqué par l'attrait des pays anglophones et le dynamisme des pays émergents
4,3 millions d'étudiants sont en mobilité internationale en 2015, ce qui représente un doublement en quinze ans. La mobilité des étudiants dans le monde croît deux fois plus vite que leur nombre.
Mais, alors que la mobilité étudiante au niveau mondial a augmenté de 46 % entre 2009 et 2016, la France n'a accueilli que 13 % d'étudiants étrangers supplémentaires et perd donc des parts de marché.
Tandis que la France est passée à la quatrième place des pays d'accueil au niveau mondial , suivie de près par l'Allemagne et la Russie, elle a également reculé à la 4ème place des pays d'accueil du programme européen Erasmus , dont elle est pourtant le premier pays d'origine des étudiants.
a) L'attrait des pays anglophones
En 2014, les trois premières destinations des étudiants en mobilité internationale dans le monde sont les États-Unis (19,6%), le Royaume-Uni (10%) et l'Australie (6,2 %). La France arrive en quatrième position (5,5%).
Les États-Unis , qui ont accueilli 907 251 étudiants en 2015, accentuent leur prééminence, avec une progression de + 27,5 % en cinq ans (chiffres UNESCO), alors même que les étudiants des États-Unis sont peu mobiles, préférant les courts séjours à l'étranger (sessions d'été par exemple). D'après les données du rapport Open Doors de l'Institute of international education (IEE) 9 ( * ) , les étudiants accueillis sont majoritairement originaires d'Asie (66 %) puis du Moyen-Orient (10 %) et d'Europe (9 %). En cinq ans, le nombre d'étudiants originaires du Moyen-Orient a augmenté de 137 % mais la politique menée par le président Donald Trump pourrait, à l'avenir, modifier cette tendance.
Le Royaume-Uni consolide sa seconde position, en accueillant 428 724 étudiants étrangers en 2015, après un recul en 2013, en raison d'un durcissement des conditions d'accès pour les étudiants hors Union européenne. Les prochaines années devraient toutefois être marquées par l'impact du Brexit, dont l'effet symbolique s'est fait sentir dès la rentrée 2017, avec une diminution de 5 % du nombre de candidatures d'étudiants européens dans les universités britanniques.
L' Australie , qui accueille 294 438 étudiants étrangers en 2015, est récemment passée à la troisième place, devant la France. Ce pays, qui a mis en place une politique d'attractivité dynamique, bénéficie d'une position géographique lui permettant d'attirer de nombreux étudiants asiatiques (en provenance notamment de Chine et d'Inde).
b) Le dynamisme des pays émergents
La part relative des six États qui attirent le plus d'étudiants en mobilité internationale est passée de 55 % en 2002 à 51 % en 2014. Cette évolution traduit une concurrence croissante au niveau mondial, plusieurs pays émergents ayant développé leur système d'enseignement supérieur et intégré cette dimension à leur politique d'influence régionale, voire mondiale.
Ainsi, entre 2010 et 2015, les effectifs d'étudiants en mobilité internationale ont augmenté :
- de 179 % en Turquie (14 ème pays d'accueil avec 72 200 étudiants en 2015) ;
- de 172 % en Arabie saoudite (13 ème pays d'accueil avec 73 000 étudiants) ;
- de 75 % en Russie (6 ème , 226 400 étudiants) ;
- de 72 % en Chine (9 ème , 123 100 étudiants) ;
- de 68 % aux Émirats Arabes unis (12 ème , 73 400 étudiants) ;
- de 53 % en Ukraine (17 ème , 57 600 étudiants).
La très forte augmentation du nombre d'étudiants en mobilité en Turquie traduit une augmentation des effectifs en provenance d'Asie centrale et du Moyen-Orient. Quant à l' Arabie saoudite , sa très forte progression s'explique non seulement par le développement des études supérieures dans ce pays mais aussi par le développement de bourses d'études islamiques.
La Russie mène également une politique d'attractivité régionale, auprès des pays de la Communauté des États indépendants (CEI), de même que l' Ukraine , qui attire également des étudiants indiens et africains.
c) Un exemple : la réorientation de la mobilité des étudiants africains
Si la France reste la destination privilégiée par les étudiants africains, la diversification de la mobilité étudiante y est rapide, y compris dans les pays francophones.
Ainsi :
« Si l'Europe reste la priorité (49 %), elle perd du terrain au profit de la mobilité intracontinentale (21 %) en particulier vers l'Afrique du sud, le Ghana, la Tunisie ou le Maroc. Le Moyen-Orient, particulièrement l'Arabie saoudite et les Émirats Arabes Unis, a récemment renforcé son attractivité en développant une offre spécifique de bourses d'études islamiques. La Turquie, l'Ukraine et l'Inde font également une forte percée sur les pays subsahariens. La Chine qui ne publie pas ses chiffres est probablement en nette progression » 10 ( * ) .
Avec 458 300 étudiants en mobilité internationale, l'Afrique représente environ un étudiant mobile sur dix dans le monde. Un étudiant mobile sur deux y est francophone , mais les étudiants africains s'orientent d'abord vers les pays de langue anglaise (à 42 %), puis vers les pays de langue française (à 34 %). 18 % des étudiants francophones optent pour des pays anglophones, tandis que 11 % des étudiants anglophones optent pour des pays francophones.
Variation du nombre d'étudiants africains en mobilité d'études diplômantes
Source : « La mobilité internationale des étudiants africains », Les notes de Campus France, Hors-série n° 16, septembre 2017.
2. Des moyens considérables déployés à l'étranger pour attirer les étudiants internationaux
Des moyens importants sont déployés à l'étranger pour attirer des étudiants, que ce soit dans le cadre de politiques de communication de grande envergure, ou par la distribution de bourses incitatives.
a) L'exemple allemand
L'Allemagne met en oeuvre depuis 2013 une stratégie spécifique d'internationalisation de son enseignement supérieur. Accueillant 4,9 % des étudiants en mobilité internationale dans le monde, l'Allemagne est le sixième pays d'accueil au niveau mondial. Bien qu'elle ait perdu son cinquième rang au profit de la Russie, elle demeure très compétitive, notamment grâce à une forte mobilité sortante, qui favorise la mobilité entrante, et grâce à une politique de bourses dynamique.
L'organisme allemand en charge de la mobilité étudiante, le Deutscher Akademischer Austauschdienst (DAAD) consacre 191 M€ à la mobilité entrante, soit trois fois plus que le budget des bourses de mobilité françaises (65 M€ en 2018) .
Le montant du budget du DAAD est en expansion (471 M€ en 2015, 500 M€ en 2016). Son financement est assuré par plusieurs ministères : le ministère fédéral des Affaires étrangères allemand (37 %), le ministère fédéral de l'éducation et de la recherche (25 %) et le ministère fédéral de la coopération économique et du développement (10 %). Les autres sources de financement sont constituées de fonds de l'Union Européenne (fonds Erasmus, 21 %) et de fonds privés (7 %). Les 16 États fédérés (Länder) contribuent aux frais universitaires des boursiers étrangers.
Plusieurs différences avec Campus France contribuent à expliquer l'écart des montants administrés par les deux structures :
- Le DAAD gère les bourses Erasmus, tandis qu'elles sont en France sous la responsabilité du GIP « Erasmus + Éducation Formation » ;
- le DAAD accompagne tout à la fois les mobilités entrantes et sortantes. Sur son budget, le DAAD consacre près de 191 millions d'euros à la mobilité entrante (bourses d'études, bourses scientifiques et autres aides à la mobilité), soit trois fois plus que les montants fléchés dans les budgets publics français pour les mobilités entrantes 11 ( * ) ;
- le DAAD porte au plan budgétaire son réseau de représentations à l'étranger (71 bureaux et centres d'information), tandis que Campus France accompagne les services dédiés (espaces Campus France) dépendant du MEAE.
Le modèle allemand de gestion de la mobilité étudiante est donc plus intégré que le modèle français .
b) La diversification de l'offre
L'enseignement supérieur est aussi marqué, au niveau mondial, par une diversification des modalités d'internationalisation : apparition d'une offre éducative en ligne, les MOOC ( massive open online course s) et par l'exportation des formations et des établissements (formations supérieures délocalisées ou offshore ). Par ailleurs, certains pays ont choisi de développer fortement leur offre d'enseignement supérieur en anglais, afin d'attirer davantage d'étudiants. C'est le cas des Pays-Bas (11ème rang), où le nombre d'étudiants en mobilité internationale a augmenté de 208 % entre 2010 et 2015 .
En 2015, le rapport du comité pour la stratégie nationale de l'enseignement supérieur (STRANES) a proposé un développement des cursus en langue anglaise en France , dans les termes suivants : « Développer une offre de formation internationalisée conduit à envisager de développer les cursus en langue anglaise. L'objectif n'est pas d'être présent sur un marché international purement anglophone, mais de promouvoir la culture et la langue françaises, notamment en articulant formations en anglais et enseignement de français langue étrangère (FLE) et en favorisant une réelle rencontre interculturelle. » 12 ( * )
C'est l'esprit de la loi n° 2013-660 du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche qui a élargi, tout en l'encadrant, la possibilité pour les établissements d'enseignements supérieur de proposer des formations dans une langue autre que le français.
Article L121-3 du code de l'éducation (modifié par l'article 2 de la loi n°2013-660 du 22 juillet 2013) I.-La maîtrise de la langue française et la connaissance de deux autres langues font partie des objectifs fondamentaux de l'enseignement. II.-La langue de l'enseignement, des examens et concours, ainsi que des thèses et mémoires dans les établissements publics et privés d'enseignement est le français. Des exceptions peuvent être justifiées : 1° Par les nécessités de l'enseignement des langues et cultures régionales ou étrangères ; 2° Lorsque les enseignants sont des professeurs associés ou invités étrangers ; 3° Par des nécessités pédagogiques, lorsque les enseignements sont dispensés dans le cadre d'un accord avec une institution étrangère ou internationale tel que prévu à l'article L. 123-7 ou dans le cadre d'un programme européen ; 4° Par le développement de cursus et diplômes transfrontaliers multilingues. Dans ces hypothèses, les formations d'enseignement supérieur ne peuvent être que partiellement proposées en langue étrangère et à la condition que l'accréditation concernant ces formations fixe la proportion des enseignements à dispenser en français. Le ministre chargé de l'usage de la langue française en France est immédiatement informé des exceptions accordées, de leur délai et de la raison de ces dérogations. Les étudiants étrangers bénéficiant de formations en langue étrangère suivent un enseignement de langue française lorsqu'ils ne justifient pas d'une connaissance suffisante de cette dernière. Leur niveau de maîtrise suffisante de la langue française est évalué pour l'obtention du diplôme. Les enseignements proposés permettent aux étudiants francophones d'acquérir la maîtrise de la langue d'enseignement dans laquelle ces cours sont dispensés. Les écoles étrangères ou spécialement ouvertes pour accueillir des élèves de nationalité étrangère, ainsi que les établissements dispensant un enseignement à caractère international, ne sont pas soumis à l'obligation prévue au premier alinéa. |
* 9 « Les États-Unis et la mobilité étudiante internationale », Les notes de Campus France n°53 (mai 2017).
* 10 « La mobilité internationale des étudiants africains », Les notes de Campus France, Hors-série n° 16, septembre 2017.
* 11 Source : réponses au questionnaire de vos rapporteurs sur le PLF 2018.
* 12 « Pour une société apprenante - propositions pour une stratégie nationale de l'enseignement supérieur (STRANES) », par Sophie Béjean, présidente du comité pour la STRANES, et Bertrand Monthubert, rapporteur général (septembre 2015).