INTRODUCTION : QU'EST-CE-QUE LE MARCHÉ IMMOBILIER ?
Parler de « rente immobilière » suppose tout d'abord de définir les contours du marché immobilier .
En effet, celui-ci est marqué par une quadruple hétérogénéité . La réalité de la détention d'actifs immobiliers en France conduit d'emblée à nuancer un discours simplificateur consistant à assimiler l'ensemble des propriétaires à des « rentiers ».
Tout d'abord, le marché immobilier varie fortement selon la zone géographique considérée . La notion de « rente immobilière », avant même d'en examiner l'existence et d'en évaluer, le cas échéant, l'ampleur, doit donc d'abord être replacée dans son contexte géographique : quand certaines zones ont connu une envolée des prix de l'immobilier, d'autres aires voient au contraire une dégradation du marché. Il ressort d'une étude parue en 2013 et portant sur la période 1999-2006 10 ( * ) que « la carte immobilière de la France est très contrastée : les aires urbaines y apparaissent particulièrement inégales en termes de niveau de prix ». La hausse des prix intervenue dans les années 2000 n'a pas atténué les disparités régionales mais les a renforcées , en particulier dans le logement collectif : « les aires urbaines les plus chères en 1999 sont celles qui ont le plus augmenté pendant les années 2000 et les moins chères, celles qui ont le moins augmenté ». Les prix enregistrés en France à la fin de la période variaient de 1 à 5 dans le logement collectif et de 1 à 7 en matière de logement individuel. Les zones géographiques qui ont vu les prix fortement augmenter sont celles de métropoles régionales ou de villes balnéaires, tandis que les aires les moins chères correspondent principalement au nord et à l'est de la France, ou encore au centre du pays. L'évolution différenciée des prix s'explique par plusieurs facteurs, au sein desquels l'attractivité résidentielle joue un rôle important mais aussi, de façon plus qualitative, le profil des nouveaux habitants : à titre d'exemple, les retraités, en raison d'un pouvoir d'achat plus élevé, contribueraient ainsi à faire augmenter les prix de l'immobilier.
De même, en matière d'investissement locatif, la situation est contrastée d'une région à l'autre : d'après une étude parue en septembre 2015, environ un quart des régions concentrent près de 80 % de l'investissement locatif. Il s'agissait des régions Île-de-France, Aquitaine, Midi-Pyrénées, Rhône-Alpes, Provence-Alpes-Côte d'Azur, Languedoc-Roussillon - et les seize autres régions se répartissent les 20 % restants. La spécificité de la région Île-de-France est, à cet égard, manifeste : à elle seule, elle concentre plus de 20 % de l'investissement locatif en France.
Hétérogène d'un point de vue géographique, le marché immobilier l'est aussi en matière de biens proposés : au sein du patrimoine immobilier français total, dont la valeur était estimée à 9 897 milliards d'euros fin 2014 11 ( * ) , doivent être distingués trois grands ensembles : les bâtiments publics tels que les écoles ou les hôpitaux, l'immobilier résidentiel (qui représente environ 85 % du patrimoine immobilier en valeur) et l'immobilier d'entreprise 12 ( * ) . Au sein même de l'immobilier résidentiel, les dynamiques de prix et de rentabilité diffèrent selon que l'on considère le parc privé ou le logement social, le logement neuf et le logement ancien, le logement individuel (maisons) et le logement collectif.
Typologie des biens immobiliers
Source : Haut conseil de stabilité financière, note de synthèse « Analyse du marché de l'immobilier commercial », avril 2016, p. 2
Un facteur de complexité supplémentaire provient du fait que les mêmes biens peuvent être détenus à travers plusieurs types de véhicules d'investissement . En effet, outre la détention directe, il est également possible d'investir dans l'immobilier à travers la « pierre-papier », c'est-à-dire des structures d'intermédiation de la propriété immobilière comme des sociétés civiles de placement immobilier (SCPI), des organismes de placement collectif immobilier (OPCI) ou encore des sociétés d'investissement immobilier cotées (SIIC). 178 SCPI et 12 OPCI sont proposés aux particuliers en France, pour une capitalisation totale d'environ 50 milliards d'euros en 2016 13 ( * ) et une collecte nette de 9 milliards d'euros - à mettre au regard de transactions sur le marché de la détention directe à hauteur d'environ 290 milliards d'euros en 2016 14 ( * ) .
Ces véhicules d'investissement peuvent mêler des actifs immobiliers à des valeurs mobilières (actions, obligations...) ; en outre, certains fonds ne sont pas investis dans l'immobilier « physique » mais portent sur la dette liée à des opérations immobilières - au total, comme le note le Haut Conseil de stabilité financière 15 ( * ) , « si les acteurs de l'investissement en direct constituent un ensemble relativement homogène, notamment en matière de stratégie d'investissement, le paysage des fonds immobiliers (détention indirecte) est caractérisé par une très forte diversité et une moindre visibilité quant à la détention finale effective des actifs ». La frontière entre l'immobilier et les autres types d'actifs n'est ainsi pas si étanche qu'elle pourrait le paraître en première analyse.
L'examen d'une éventuelle « rente immobilière » ne saurait donc faire l'économie d'une définition du type de biens et des modes de détention visés, dans la mesure où un immeuble de bureaux en Île-de-France, un pavillon dans la banlieue d'une ville de province détenu par un propriétaire occupant et des parts de SCPI ne présentent pas les mêmes contraintes de gestion.
Parler de « rente immobilière » suppose également de définir qui sont les « rentiers » : de ce point de vue, le marché immobilier voit intervenir une pluralité d'acteurs dont les horizons et les stratégies d'investissement diffèrent largement. Il faut en particulier distinguer entre les personnes physiques et les investisseurs dits « institutionnels » , qui correspondent principalement à des compagnies d'assurance, de mutuelle et de prévoyance.
Du côté des particuliers, 63 % des ménages métropolitains possédaient un logement début 2015 mais seuls 18 % d'entre eux détenaient un autre logement que leur résidence principale - qu'il s'agisse d'une résidence secondaire, d'un logement vacant, loué ou mis à disposition gratuitement. Ce taux n'a pas beaucoup varié depuis la fin des années 1990 16 ( * ) . La majorité des propriétaires immobiliers est donc constituée de propriétaires occupants - aussi dans bien des cas, contrairement à ce que le terme de « rente » semble impliquer, le bénéfice tiré de l'investissement immobilier - quand il existe - correspond, sous certaines conditions, à une moindre dépense (en l'absence de paiement d'un loyer) et non à la perception d'un revenu par le biais d'une mise en location.
Les investisseurs institutionnels, pour leur part, se sont retirés du marché résidentiel dans les années 1990 (phénomène de « vente à la découpe ») pour se concentrer sur l'immobilier commercial dont la gestion, qui jouit d'un cadre juridique plus souple que celui de l'immobilier résidentiel 17 ( * ) , peut plus facilement faire l'objet d'économies d'échelle. Comme le note l'Institut de l'épargne immobilière et foncière, « alors que l'immobilier résidentiel voit augmenter son nombre de propriétaires occupants, la tendance est [...] inverse sur le marché de l'immobilier d'entreprise. Ce dernier est essentiellement un marché de locataires (utilisateurs) et de propriétaires non occupants (investisseurs) » 18 ( * ) .
Schéma simplifié du marché de l'investissement immobilier
Source : Haut conseil de stabilité financière, note de synthèse « Analyse du marché de l'immobilier commercial », avril 2016, p. 3
Le présent rapport sera principalement centré sur l'immobilier détenu par les ménages , en raison à la fois de la part prépondérante de ce segment du marché immobilier et, d'un point de vue plus qualitatif, du fait que la notion de « rente immobilière », qui a émergé dans le débat public dans le cadre du débat sur la réforme de l'impôt sur la fortune (ISF), paraît viser davantage les personnes physiques que les investisseurs institutionnels.
I. L'IMMOBILIER NE PRÉSENTE PAS UNE RENTABILITÉ AVANT IMPÔTS ANORMALEMENT ÉLEVÉE
A. SUR LONGUE PÉRIODE, L'IMMOBILIER PRÉSENTE DES NIVEAUX DE RENTABILITÉ ET DE VOLATILITÉ INTERMÉDIAIRES ENTRE LES ACTIONS ET LES OBLIGATIONS, UNE FOIS LES CHARGES PESANT SUR LES PROPRIÉTAIRES PRISES EN COMPTE
Du point de vue de l'investisseur, l'existence d'une rente immobilière devrait en principe se traduire par une rentabilité avant impôts anormalement élevée , par comparaison aux principales classes d'actifs concurrentes (actions, obligations et placements monétaires).
Comme pour tout placement, la rentabilité de l'immobilier, qui correspond aux gains tirés de ce placement, rapportés au prix de l'actif, provient de deux sources :
- d'une part, le gain en capital lié à l'appréciation du prix du bien ;
- d'autre part, le rendement procuré par le bien, qui correspond pour l'investisseur au loyer annuel net de charges.
Pour déterminer si l'investissement immobilier présente une rentabilité « anormale » pour les bailleurs, il est toutefois nécessaire de comparer cette dernière au niveau de risque induit par ce type de placement.
En effet, d'après la théorie financière, il existe une relation très étroite entre le niveau de rentabilité et le risque pris : la rentabilité plus élevée offerte par certains placements doit en principe trouver sa contrepartie directe dans l'acceptation par l'investisseur d'un plus haut degré d'incertitude quant à la réalisation du gain.
Si les actions présentent ainsi historiquement un niveau de rentabilité plus élevé que les autres classes d'actifs 19 ( * ) , ce dernier n'est pas considéré comme « anormal » car il est associé à une volatilité plus importante . Comme le rappelle l'Autorité des marchés financiers (AMF), « l'investissement en actions implique d'accepter de prendre un risque de perte en capital parfois élevé » 20 ( * ) , compte tenu des fortes variations des performances de ce placement à court et moyen termes. À titre d'exemple, les investisseurs qui sont entrés sur le marché des actions en 2000 ont dû patienter jusqu'en 2013 pour récupérer leur mise initiale 21 ( * ) .
S'agissant du placement en logement , la mesure de la rentabilité est particulièrement complexe et doit en particulier prendre en compte les frais de transaction 22 ( * ) , le taux de vacance ainsi que le poids des charges 23 ( * ) pesant sur les propriétaires, qui grèvent le rendement et faussent les comparaisons avec les autres classes d'actifs. À titre d'illustration, il est considéré que les charges représentent ainsi entre 25 % 24 ( * ) et 37 % 25 ( * ) des loyers selon les études.
Une fois ces spécificités prises en compte, l'investissement en logement présente sur longue période des niveaux de rentabilité et de volatilité cohérents , en contradiction avec la thèse d'une « rente immobilière ». Ainsi, les niveaux de rentabilité et de volatilité tendanciels reconstitués par Jacques Friggit à partir de données couvrant la période 1840-2015 et publiés par le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) situent le logement locatif à un niveau intermédiaire entre les actions et les obligations .
Rentabilité et volatilité des principales classes d'actifs sur longue période
Note méthodologique : pour le logement locatif, la rentabilité réelle annuelle avant impôts (4,6 %) correspond à la somme du rendement en capital (1,3 %) et du rendement locatif net (3,3 %), hors effet de levier. Le rendement locatif net correspond au rendement locatif brut (6 %) diminué des charges (37 % des loyers, y compris grosses réparations) mais aussi de l'amortissement sur vingt ans des frais d'achat, afin de limiter les biais de comparaison avec les autres classes d'actifs. La rentabilité « avant impôts » doit donc être entendue comme la rentabilité avant impôts sur les plus-values et les loyers, intérêts ou dividendes.
Source : commission des finances du Sénat (d'après : Jacques Friggit, « Le prix de l'immobilier d'habitation sur le long terme », Conseil général de l'environnement et du développement durable, 2017)
Ces résultats sont corroborés par d'autres études françaises 26 ( * ) , y compris sur des périodes plus récentes 27 ( * ) , dès lors que l'horizon temporel retenu est suffisamment long.
Il doit être souligné que lorsque l'investissement est effectué avec « effet de levier » 28 ( * ) , c'est-à-dire lorsque l'achat du logement est financé en partie par l'emprunt, tant la rentabilité que la volatilité du placement immobilier se rapprochent des actions 29 ( * ) .
En France, les foncières cotées, qui utilisent l'effet de levier du crédit pour financer leurs achats, ont ainsi enregistré des niveaux de volatilité et de performance comparables aux actions au cours des quarante dernières années 30 ( * ) . Ce phénomène semble également se vérifier au niveau macroéconomique : une récente étude sur le risque et la rentabilité du patrimoine des ménages suédois rappelle par exemple que si les ménages les plus aisés obtiennent des rendements plus élevés sur leur patrimoine brut que la « classe moyenne », leur patrimoine étant composé dans une large mesure d'actifs plus risqués et donc plus rémunérateurs (actions et private equity principalement), la « classe moyenne » bénéficie d'un rendement comparable sur son patrimoine net, du fait de la détention de biens immobiliers financés par l'emprunt 31 ( * ) .
* 10 « La flambée immobilière dans les villes françaises, une question d'attractivité ? », Hervé Alexandre et Claire Juillard - L'Observateur de l'immobilier (ODI) n° 84 - janvier 2013.
* 11 Le marché immobilier français , Institut de l'épargne immobilière et foncière, 2016-2017, p. 14.
* 12 L'immobilier d'entreprise regroupe l'ensemble des bâtiments destinés à héberger l'activité des entreprises et se décompose en trois grandes classes d'actifs classiques : outre les bureaux, l'immobilier d'entreprise comprend également les locaux d'activités (entrepôts, plateformes logistiques...) et les locaux commerciaux (commerces en pied d'immeuble, centres commerciaux). Par ailleurs, d'après l'Institut de l'épargne immobilière et foncière ( Le marché immobilier français , 2016-2017, p. 21), une nouvelle classe d'actifs s'est développée plus récemment au sein des portefeuilles des investisseurs : il s'agit de l'immobilier de service, qui correspond par exemple à des hôtels, des cliniques, des maisons de retraite... D'après le Haut conseil de stabilité financière (Haut conseil de stabilité financière, note de synthèse « Analyse du marché de l'immobilier commercial », avril 2016, p. 2), 29 milliards d'euros ont été investis en immobilier commercial en 2014, ce qui fait de la France le troisième marché européen derrière le Royaume-Uni et l'Allemagne.
* 13 Association française des sociétés de placement immobilier, communiqué de presse du 6 mars 2017, « Les SCP et OPCI ?grand public? en 2016 : nouvelle collecte record ».
* 14 « Prix de l'immobilier d'habitation sur le long terme », Jacques Friggit, Conseil général de l'environnement et du développement durable, actualisé le 25 septembre 2017.
* 15 Haut conseil de stabilité financière, note de synthèse « Analyse du marché de l'immobilier commercial », avril 2016, p. 2.
* 16 Les revenus et le patrimoine des ménages, édition 2016 - Insee référence, p. 142.
* 17 « Le retour des institutionnels dans le résidentiel », Nicolas Tarnaud - L'Observateur de l'immobilier (ODI) , n° 90 - juin 2015, p. 48.
* 18 Le marché immobilier français , Institut de l'épargne immobilière et foncière, 2016-2017, p. 22.
* 19 Jeremy Siegel, Investir sur les actions à long terme , Valor , 2017.
* 20 Autorité des marchés financiers, « Rendement et risque des placements en bourse », p. 1.
* 21 Mathieu Bouville, « Long-term stock investments should last three decades », mars 2016, p. 4.
* 22 Les frais de transaction sur l'immobilier représentent entre 5 et 10 % du prix d'achat selon les pays, contre 1 % ou moins pour les actions. Cf. Jean-François de Laulanie, Les placements de l'épargne à long terme, Economica , 2016, p. 37.
* 23 En effet, les dividendes des actions ont déjà supporté les frais d'amortissement et d'entretien des sociétés, contrairement aux loyers. Cf. Jean-François de Laulanie, Les placements de l'épargne à long terme, précité, p. 67.
* 24 Institut de l'Épargne Immobilière et Foncière, « Les placements sur longue période - 40 ans de performances comparées (1975-2015) », mai 2016.
* 25 Jacques Friggit, « Long Term (1800-2005) Investment in Gold, Bonds, Stocks and Housing in France - with Insights into the USA and the UK : a Few Regularities » , CGEDD, 2007, p. 22.
* 26 Cf. Jean-François de Laulanie, Les placements de l'épargne à long terme, précité, p. 68.
* 27 Voir par exemple : Institut de l'Épargne Immobilière et Foncière, « Les placements sur longue période - 40 ans de performances comparées (1975-2015) », précitée ; Autorité des marchés financiers, « La rentabilité historique des placements en France », La lettre de l'observatoire de l'épargne, numéro 6, décembre 2013.
* 28 L'effet de levier augmente la rentabilité financière du placement lorsque le taux de l'emprunt est inférieur à sa rentabilité économique mais augmente les pertes dans le cas contraire.
* 29 Jacques Friggit, « Long Term (1800-2005) Investment in Gold, Bonds, Stocks and Housing in France - with Insights into the USA and the UK : a Few Regularities » , précité, 2007.
* 30 Institut de l'Épargne Immobilière et Foncière, « Les placements sur longue période - 40 ans de performances comparées (1975-2015) », précitée.
* 31 Laurent Bach, Laurent-Emmanuel Calvet et Paolo Sodini, « Rich Pickings? Risk, Return, and Skill in the Portfolios of the Wealthy », Swedish House of Finance Research Paper, n° 16-03, 2017.