N° 75

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2017-2018

Enregistré à la Présidence du Sénat le 8 novembre 2017

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur le régime fiscal et la rentabilité des biens immobiliers des particuliers ,

Par M. Albéric de MONTGOLFIER,

Rapporteur général,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Vincent Éblé , président ; M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Emmanuel Capus, Yvon Collin, Bernard Delcros, Mme Fabienne Keller, MM. Philippe Dominati, Charles Guené, Jean-François Husson, Georges Patient, Claude Raynal , vice-présidents ; M. Thierry Carcenac, Mme Nathalie Goulet, MM. Alain Joyandet, Marc Laménie , secrétaires ; MM. Philippe Adnot, Julien Bargeton, Arnaud Bazin, Yannick Botrel, Michel Canevet, Vincent Capo-Canellas, Philippe Dallier, Vincent Delahaye, Mme Frédérique Espagnac, MM. Rémi Féraud, Jean-Marc Gabouty, Jacques Genest, Alain Houpert, Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Bernard Lalande, Nuihau Laurey, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Sébastien Meurant, Claude Nougein, Didier Rambaud, Jean-François Rapin, Jean-Claude Requier, Pascal Savoldelli, Mmes Sophie Taillé-Polian, Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel .

Avant-Propos

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

« Je transformerai l'ISF en impôt sur la rente immobilière. J'exonérerai tout ce qui finance l'économie réelle ». Cette annonce de campagne du candidat Emmanuel Macron, qui a désormais trouvé sa traduction dans le projet de loi de finances pour 2018 1 ( * ) , laisse entendre que l'immobilier constituerait une classe d'actifs improductifs , permettant à ses détenteurs de bénéficier d'une « rente », à l'inverse des valeurs mobilières qui contribueraient à la croissance de l'économie « réelle » et devraient voir leur taxation allégée pour ce motif.

Ainsi, comme le soulignait l'économiste François Meunier dans un article paru en 2017, le recentrage de l'impôt sur la fortune (ISF) sur les seuls actifs immobiliers pourrait paraître opportun en raison de la rente dont bénéficierait tout propriétaire, dans la mesure où celui-ci « s'enrichit non de l'amélioration intrinsèque du logement, c'est-à-dire de son investissement et de son risque, mais de facteurs fortuits, d'une manne qui échappe à son effort, par exemple d'une hausse de la demande de logement ou d'un investissement urbain financé par la collectivité » 2 ( * ) .

Plus largement, les dysfonctionnements du marché immobilier et leurs effets, tant sur la croissance que sur la dynamique des inégalités de revenus et de patrimoine, font l'objet d'une attention soutenue dans le débat public depuis plusieurs années 3 ( * ) . La sensibilité du sujet se comprend aisément au regard de la place qu'occupe l'immobilier tant dans les aspirations de nombreux ménages français 4 ( * ) que dans leurs finances. Le logement constitue ainsi le poste de dépense le plus important des ménages français et les biens immobiliers forment la majeure partie de leur patrimoine . D'après l'Insee 5 ( * ) , plus de 60 % du patrimoine net des ménages, d'une valeur totale de 10 221 milliards d'euros, est constitué d'actifs non financiers qui correspondent essentiellement (pour 93 %) à des actifs immobiliers et, de façon symétrique, 63 % des ménages métropolitains possédaient un patrimoine immobilier début 2015 - ce qui fait de l'immobilier le deuxième type d'actifs le plus répandu dans le patrimoine des Français après les livrets d'épargne.

Outre son poids total, le rôle de l'immobilier dans la progression du patrimoine des ménages doit aussi être souligné : la hausse des prix de l'immobilier sur la décennie 1998-2007, bien qu'elle se soit interrompue en 2008 sous l'effet de la crise financière, a conduit à faire passer la valeur des actifs non financiers détenus en moyenne par un ménage français de 2,9 années de revenu disponible net en 1998 à 5,4 années en 2014. Au surplus, le risque d'un effet inflationniste de la dépense publique en matière de logement , en France et à l'étranger, a été souligné par de nombreux travaux économétriques 6 ( * ) , de même que les problèmes posés par la multiplication de dispositifs fiscaux dont la cohérence d'ensemble peut prêter à interrogation.

Si le thème n'a donc rien de neuf, le discours gouvernemental sur la « rente immobilière » ne s'est cependant pas accompagné, à ce jour, de travaux documentés et précis permettant d'apprécier l'ampleur de la « rente » dont bénéficieraient les propriétaires immobiliers, ni même d'en établir l'existence.

Au-delà du débat relatif à la pertinence de la réforme de l'impôt sur la fortune proposée par le Gouvernement, le présent rapport vise donc à examiner les fondements économiques et fiscaux de cette notion faussement intuitive : la rente immobilière existe-t-elle ?

S'interroger sur la notion de rente immobilière suppose tout d'abord de cerner ce qui est visé par le terme de « rente ».

Au sens strict, la rente désigne un « revenu périodique, généralement annuel, à l'exception de celui du travail » 7 ( * ) . Sous cet angle, les revenus tirés de la propriété immobilière par des particuliers dont ce n'est pas le métier pourraient donc être qualifiés de « rente » - et pourtant, il paraîtrait pour le moins hasardeux d'affirmer que l'intégralité des ménages français bénéficiant de revenus locatifs sont des « rentiers ».

La notion de « rente immobilière » doit en réalité être comprise de façon plus étroite et renvoie à celle de surprofit : la rente correspond, dans la théorie économique, à une situation dans laquelle le prix d'une marchandise est fixé à un niveau supérieur à celui qui résulterait d'une concurrence pure et parfaite sur le marché considéré 8 ( * ) , en raison d'une situation monopolistique ou quasi-monopolistique qui peut découler de la structure juridique du marché (par exemple dans le cas où une seule entreprise dispose de l'agrément de l'État pour produire un bien donné) ou de la rareté « naturelle » de certains facteurs de production. La théorie de la rente différentielle , généralement associée à David Ricardo (1772-1823) 9 ( * ) , a ainsi d'abord été formulée à propos des terres agricoles : l'école classique postulait que leur relative rareté - en particulier dans le cadre d'une économie fermée - et leur inégale qualité, certains champs étant plus fertiles que d'autres, conduisaient à ce que les propriétaires des terres les plus fécondes bénéficient d'une « rente », c'est-à-dire d'un profit supérieur à celui qu'ils auraient dû percevoir si le jeu de l'offre et de la demande n'avait pas été perturbé par la rareté et l'inégale qualité des facteurs de production.

L'offre de biens immobiliers peut paraître, elle aussi, marquée par des caractéristiques similaires aux terres agricoles étudiées par Ricardo : en raison de contraintes de place, l'offre de logement est limitée et certains actifs immobiliers, du seul fait de leur emplacement, vont valoir davantage que d'autres et permettre à leurs propriétaires d'en tirer un profit plus important - en d'autres termes, de bénéficier d'une « rente de rareté ».

Apprécier l'existence d'une « rente immobilière » suppose de répondre à quatre questions . Il faut d'abord mesurer si la rentabilité avant impôts de l'immobilier est, ou non, trop importante par rapport à d'autres types d'actifs, en particulier au regard du risque pris par l'investisseur. Il s'agit également d'examiner l'effet de la fiscalité sur le rendement de l'investissement immobilier, afin d'établir si le système socio-fiscal concourt à améliorer « artificiellement » le rendement d'un investissement immobilier. La notion de « rente » repose également, dans le débat public, sur l'idée d'une moindre contribution de l'immobilier à la croissance de l'économie - par opposition à des valeurs mobilières qui seraient plus « productives ». Enfin, sera discuté l'effet de la propriété immobilière sur les inégalités de revenu et de patrimoine.


* 1 Article 12 du projet de loi de finances pour 2018.

* 2 Article intitulé « Rente immobilière : les leçons de Ricardo » de François Meunier paru dans les Échos le 23 août 2017.

* 3 Dans Le Capital au XXI° siècle, Thomas Piketty défend la thèse d'une dynamique d'accumulation et de répartition des patrimoines « poussant vers la divergence, ou tout du moins vers un niveau d'inégalité extrêmement élevé ».

* 4 D'après une enquête du Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (Crédoc), 77 % des ménages français déclarent qu'être propriétaire de son habitation est la situation idéale en matière de logement (« Propriétaires, locataires, une nouvelle ligne de fracture sociale », Mélanie Babès, Régis Bigot et Sandra Hoibian, mars 2012).

* 5 Les revenus et le patrimoine des ménages, édition 2016 - Insee référence, p. 140.

* 6 Pour une synthèse, voir notamment « L'impact des aides au logement sur le secteur locatif privé », Insee Analyses n° 19, novembre 2014.

* 7 Trésor de la langue française informatisé (dictionnaire en ligne), CNRS.

* 8 En théorie économique classique (v. par exemple Éléments d'économie pure, L. Walras, 1874), un marché connaît une situation de concurrence dite « pure et parfaite » lorsque plusieurs conditions très particulières (et peu réalistes) sont remplies : atomicité des agents (grand nombre d'agents dont aucun ne dispose de plus de pouvoir qu'un autre), homogénéité des marchandises, fluidité du marché (aucune barrière à l'entrée et à la sortie), libre circulation des facteurs de production (qui sont disponibles en quantité illimitée) et transparence de l'information. Une rente peut naître dès lors que l'une de ces conditions n'est pas remplie : par exemple, la différenciation des marchandises permet à certains producteurs de faire plus de profit que d'autres.

* 9 Mais dont certains éléments avaient déjà été explorés par James Anderson, puis par Edward West et Thomas Robert Malthus.

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