B. LES AUTRES LABORATOIRES PUBLICS, UNE CRISE QUI COUVE ?
Du rapport précité de la mission interministérielle sur les laboratoires publics, mais aussi du référé du Premier président de la Cour des comptes d'avril 2014 consacré au Service commun des laboratoires de la direction générale des douanes et des droits indirects et de la direction générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes, se dégageait l'image d'une force analytique publique en danger de relégation technique et économique.
Les propositions énoncées pour surmonter cette crise n'ont pas été suivies d'effets sinon dans de rares cas, comme celui que vos rapporteurs spéciaux ont pu examiner lors de leur déplacement dans les Côtes d'Armor, avec pour conséquences des évolutions ponctuelles tendant à l'attrition du réseau à l'occasion de cessation d'activités subies.
Pour que ce scénario ne dégénère pas il apparaît urgent de considérer les recommandations de reconfiguration du réseau, en s'inspirant de solutions de mutualisation comme celles mise en oeuvre en Bretagne et en prenant pleinement en compte certains éléments du contexte dans lequel il se situe.
À cet égard, un examen attentif doit être porté aux conditions de concurrence que doivent affronter les laboratoires publics mais aussi à leur vocation alors que la politique de sécurité sanitaire des aliments peut, à bon droit, devoir recourir de plus en plus au renforcement des autocontrôles des producteurs.
1. Le Service commun des laboratoires (SCL), un poids budgétaire conséquent pour une activité dont la légitimité fait l'objet de quelques critiques
a) Une activité en baisse
Le SCL est un service à compétence nationale rattaché aux directions générales de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et des douanes et des droits indirects (DGDDI).
Il fournit les moyens scientifiques de vérification nécessaires à l'exercice des missions de ces deux directions, ce qui inclut la mission d'assurer la sécurité sanitaire des aliments.
Il résulte de la fusion des deux réseaux de laboratoires de ces directions à partir du 1 er janvier 2007 et comporte une unité de direction et 11 laboratoires.
Le SCL emploie plus de 400 personnes et, en 2012, le total de ses dépenses dépassait 34 millions d'euros (34,4) contre 31,7 millions d'euros en 2008, soit un accroissement de 8,6 % .
La fusion avait pour objectif une optimisation des coûts des analyses réalisées par les deux réseaux.
Or, selon un référé du Premier président de la Cour des comptes (avril 2014), ce but n'a pas été atteint.
Le nombre d'échantillons transmis pour analyse par les deux directions a diminué (de 72 264 en 2009 à 61 829 en 2012, soir un recul de près de 15 %) même si le nombre moyen d'analyses par échantillon a, de son côté, augmenté.
b) Des coûts en hausse pour une activité d'analyse à la justification fragile
Dans le même temps, malgré une légère diminution des effectifs, les dépenses de personnel ont progressé (de 24,4 à 27,9 millions d'euros entre 2008 et 2012) de même que les coûts impliqués par une ambitieuse politique d'accréditation.
Dans son référé, le Premier président de la Cour des comptes concluait à l'absence d'optimisation consécutive à la fusion malgré les gains de productivité rendus théoriquement accessibles par le progrès technique.
Ainsi, la gestion du SCL ressort comme perfectible, moyennant davantage de maîtrise de ses coûts (il n'existe pas de comptabilité analytique de sorte que la facturation interne aux deux directions n'est pas praticable), et une meilleure souplesse de la politique des ressources humaines (chaque laboratoire a ses propres agents qu'il est difficile d'envisager de redéployer à raison d'une éventuelle rationalisation des implantations géographiques).
Surtout, le référé de la Cour des comptes pointait une logique de fonctionnement autarcique « non soutenable à moyen terme. »
En ce sens, le faible recours à l'externalisation était souligné (1,4 % des échantillons pour un montant de 300 000 euros) alors même que l'objectif 4 de l'orientation pluriannuelle 2011-2013 invitait à réfléchir à l'opportunité de déléguer à des laboratoires privés accrédités un certain nombre de tâches et à se recentrer sur des travaux répondant à des spécificités fortes.
Cette situation n'a, semble-t-il pas évolué. Selon la réponse transmise sur ce point à vos rapporteurs spéciaux, le service commun des laboratoires peut recourir, « dans des cas extrêmement limités toutefois, à des laboratoires sous-traitants extérieurs dans le domaine de la SSA .
Dans le domaine de la sécurité alimentaire, le SCL fait appel principalement à des prestataires extérieurs en ce qui concerne les analyses de dioxine et de PCB. À ces analyses de dioxines se sont rajoutées des analyses de retardateurs de flamme bromés (RFB) en 2014 et 2015 (une vingtaine d'échantillons).
L'évolution des coûts de sous-traitance générés par les analyses de dioxines/PCB et retardateurs de flamme bromés sur les cinq dernières années est la suivante :
(en euros)
Nombre d'échantillons |
Coût total TTC |
|
2011 |
120 |
41 830 |
2012 |
123 |
39 522 |
2013 |
160 |
35 748 |
2014 |
106 |
25 680 |
2015 |
112 |
28 752 |
On doit encore mentionner les insuffisances des capacités analytiques d'un certain nombre d'unités.
En ce sens, il faut tenir compte des résultats de l'audit de la Commission européenne en vue d'évaluer les contrôles de la mise sur le marché et de l'utilisation des produits phytopharmaceutiques (PPP).
Selon cet audit, le laboratoire du SCL de Lyon-Oullins, qui réalise les analyses de la formulation des PPP en vertu d'un programme national planifié, ne peut analyser que 90 des 323 substances actives présentes sur le marché français. Les analyses se limiteraient généralement à la teneur en substances actives. Le laboratoire ne réaliserait ni établissement de profil pour les produits ni analyse des impuretés.
Les délais d'analyse poseraient également problème . Les échantillons sont analysés dans un délai de 30 jours en accord avec la DGCCRF Le laboratoire n'est pas accrédité pour les analyses de la formulation.
Dans ce contexte, si cent quinze échantillons avaient été analysés en 2014, parmi lesquels 43 % ont été jugés non conformes, seuls 11 % de ces cas de non-conformité ont été associés à des problèmes de formulation, le reste portant sur le statut d'autorisation ou l'étiquetage du produit. Les données les plus récentes font état d'un nombre de prélèvements en légère baisse (109 échantillons) mais d'un taux de non-conformité en hausse (57 %).
Cette dernière évolution plaide pour un renforcement des capacités analytiques de ces produits, dans la logique de la recommandation plus générale, qu'il convient de considérer avec attention, d'orienter les laboratoires publics de l'État vers des contrôles moins routiniers, pour lesquels ils ne présentent pas d'avantages comparatifs manifestes.
Vos rapporteurs spéciaux s'interrogent cependant sur les termes de la conciliation des missions exercées par l'Anses en la matière et par le SCL.
Il faut, en effet, rappeler le constat d'un défaut de mutualisation des moyens du SCL avec ceux d'autres laboratoires publics, ceux de l'Anses comme ceux des laboratoires d'analyse départementaux (LDA).
Cette interrogation rejoint la proposition du rapport de la mission interministérielle d'audit de procéder à une restructuration en profondeur des capacités analytiques publiques (voir infra ).
Recommandation : mettre à niveau les capacités d'expertise du SCL dans le domaine de la sécurité sanitaire des aliments en le dégageant d'analyses de routine dans la mesure où cette réorientation permettrait de préserver, à tout le moins, les capacités d'analyse nécessaires à la maîtrise des risques sanitaires. |
2. Les laboratoires d'analyse départementaux (LDA) connaissent des situations parfois très précaires
Les services vétérinaires et leurs laboratoires ont connu une histoire organisationnelle mouvementée.
Leurs rattachements administratifs ont suivi des évolutions inverses : l'une de recentralisation, l'autre de transferts aux départements.
En effet, jusqu'à la fin des années 80, le fonctionnement et le personnel administratif des services vétérinaires étaient financés par les conseils généraux tandis que les personnels techniques l'étaient par l'État. Ils ont alors été transférés à l'État.
De leur côté, les laboratoires des services vétérinaires, indispensables à leurs missions, ont connu une évolution inverse. Ils ont été transférés aux collectivités départementales, un seul département s'opposant à ce mouvement. Ce changement de rattachement a concerné quatre-vingt-huit laboratoires pris en charge par les conseils généraux.
Ceux-ci ont souvent consenti des efforts importants pour développer ces structures dans un contexte où nulle coordination d'ensemble n'a été instaurée autour de ce qui aurait pu structurer une stratégie d'offre publique d'analyses dans un domaine où des intervenants privés avaient de leur côté développé des capacités, qui se sont amplifiées.
Dans un tel cadre, le risque se présente d'une offre sur-capacitaire et qu'une concurrence, vive et, peut-être, inégale compte tenu des charges particulières qui incombent aux laboratoires publics du fait de leur vocation, s'instaure renforçant les difficultés des acteurs les moins à même de rationaliser les coûts.
Ce risque paraît s'être concrétisé au point qu'une crise de l'offre publique d'analyses semble obliger désormais à des choix réellement stratégiques pour le maintien d'une capacité de maîtrise des risques sanitaires.
L'ouverture à la concurrence a soumis les structures publiques à une forte pression. Les réponses aux appels d'offres extériorisent apparemment souvent des propositions tarifaires très disparates, pouvant aller de 1 à 3 pour certaines analyses.
Ce constat devrait inciter l'Autorité de la concurrence à élucider ses justifications.
Il est possible qu'une partie de cet écart soit à mettre au compte d'une concentration de l'offre sur certains segments offrant un potentiel de chiffres d'affaires élevé dans un contexte de coûts structurellement plus faibles qui permet, une fois gagnés les marchés les plus rentables, de pratiquer une concurrence par les prix sur d'autres segments.
Mais d'autres facteurs ont sans doute joué parmi lesquels la réduction du volume d'activité en lien avec la baisse des prélèvements liée à la diminution du volume des contrôles dans un contexte où certaines capacités d'analyse des administrations de l'État sont employés pour des contrôles de routine que les laboratoires départementaux pourraient aussi bien, voire mieux, mettre en oeuvre compte tenu de leur ancrage territorial de proximité.
Des délais de réaction trop longs paraissent également avoir handicapé la compétitivité de certains laboratoires d'autant que les capacités privées ont su moderniser leurs équipements dans un contexte souhaitable de renforcement des capacités d'autocontrôle des producteurs. Ce point est évidemment crucial tant pour des raisons économiques (les dates limites de consommation étant parfois très « courtes ») que pour des raisons sanitaires (on ne peut attendre les résultats de contrôles quand les produits sont distribués).
À cet égard, vos rapporteurs spéciaux ont pu constater la qualité des équipements mis en oeuvre dans le laboratoire privé du site de Kerméné qui disposait d'un appareil à séquençage d'ADN pour l'analyse des salmonelles offrant de fortes capacités de réactivité.
La situation des laboratoires départementaux occupait une place importante dans le rapport de la mission interministérielle déjà mentionné.
Les constats dressés étaient pour le moins alarmants justifiant de la part de la mission des propositions radicales de réforme du réseau des laboratoires publics.
Principales observations du rapport de la mission interministérielle sur les laboratoires publics Les laboratoires départementaux forment un tissu surcapacitaire et déficitaire concurrencé par les laboratoires privés. Chaque département a suivi ses orientations propres sans coordination entre les collectivités concernées. L'addition des choix publics ainsi faits a engendré une « surcapacité analytique très importante », d'autant que, dans le même temps, les moyens humains et financiers affectés aux contrôles publics ont été en constante réduction (- 1 000 ETPT, soit près de 20 % des effectifs chargés de surveiller un million d'établissements) alors que la concurrence des laboratoires privés s'accentuait. Ces laboratoires relèvent de très grandes entreprises et sont non seulement en mesure de bénéficier de la clientèle captive des propres unités de leur groupe mais encore capables de soumissionner aux marchés publics de façon très compétitive, la France étant le seul pays en Europe à appliquer cette procédure aux analyses de santé. Le déficit des laboratoires atteindrait chaque année environ 50 millions d'euros, soit un quart des charges de fonctionnement. Une restructuration de grande ampleur et subie est à redouter. D'ores et déjà, une forme de restructuration serait en cours, le nombre des laboratoires ayant été ramené de quatre-vingt-huit initialement à soixante-quinze en 2012. L'enjeu social représente 3 800 emplois dont le reclassement est rendu difficile par la technicité des métiers exercés par les effectifs concernés. |
De ces inquiétudes, le Conseil avait tiré la matière de propositions (voir infra ) tendant à inclure les capacités d'expertise offertes par les laboratoires dans un ensemble réunissant les moyens opérationnels du système de maîtrise des risques sanitaires de l'alimentation où leur gestion intégrée aurait favorisé des rationalisations jugées indispensables.
En toute hypothèse, la situation du réseau des laboratoires publics qui a bénéficié d'investissements de fonds publics élevés doit être suivie avec une très grande attention.
Il réunit un pôle de compétences qu'il importe de préserver et dont l'indépendance se retrouve difficilement dans d'autres structures.
En bref, une grande partie du système de contrôle sanitaire de l'alimentation repose sur lui.
Vos rapporteurs ont eu l'occasion de visiter le Labocea situé à Ploufragan et d'avoir des échanges approfondis avec l'équipe de direction et les opérateurs du laboratoire.
Ce laboratoire a engagé une mue qui peut servir de modèle pour les inévitables restructurations que devraient entreprendre les capacités d'analyse publiques. Un regroupement a été opéré entre plusieurs laboratoires départementaux aux fins de mutualiser les moyens et d'étendre la gamme des analyses offertes.