III. UNE POLITIQUE EN QUÊTE D'AUTEUR ?
Au niveau national, la politique de sécurité sanitaire des aliments implique une pluralité d'intervenants, dont les modes de coordination diffèrent à tous les échelons, centraux et territoriaux.
Le patchwork administratif qui en découle occasionne des coûts de coordination, particulièrement regrettables dans un contexte de contraintes de moyens et d'optimisation des contrôles.
Par ailleurs, la diversité des missions confiées aux organismes chargés de la politique de sécurité sanitaire des aliments peut être propice à certaines interrogations sur le respect de ses priorités qu'illustrent certaines évolutions. En bref, les services chargés d'assurer la sécurité sanitaire des aliments offerts aux consommateurs peuvent se trouver confrontés à des injonctions contradictoires, la seule éventualité de situations de cet ordre suffisant, en dehors de toute vérification empirique, à poser problème.
Dans ces conditions, les voies d'une plus forte intégration des services compétents pour définir et mettre en oeuvre la politique de sécurité sanitaire des aliments doivent être explorées d'autant que la raréfaction des moyens oblige à en rechercher un emploi optimal.
En outre, il convient de noter une évolution vers une délégation de plus en plus poussée de certaines responsabilités sanitaires qui, pour se situer généralement en amont des préoccupations de sécurité sanitaire lui sont connexes dans un contexte où l'esprit du système de maîtrise des risques repose sur des contrôles à toutes les étapes de la chaîne alimentaire. Vos rapporteurs spéciaux, tout en reconnaissant l'utilité et la justification de ce processus, recommandent qu'il ne corresponde pas à une externalisation rampante du système de maîtrise des risques qui aboutirait à une déresponsabilisation des services administratifs aux conséquences d'autant plus critiquables qu'elle pourrait procéder d'une transgression de nos obligations européennes.
A. UN FRACTIONNEMENT DES COMPÉTENCES DONT LA COMPLEXITÉ SEMBLE DAVANTAGE LE FRUIT DE L'HISTOIRE ADMINISTRATIVE QUE D'UNE ANALYSE RAISONNÉE DES BESOINS
La responsabilité du contrôle de la sécurité sanitaire des aliments est fractionnée en France entre plusieurs administrations qui interviennent chacune sur une partie de la chaîne alimentaire et exercent des compétences propres dans la fonction de production de sécurité sanitaire des aliments.
Ce puzzle administratif semble relever d'une explication tenant à l'histoire administrative plutôt qu'il n'est justifié par des considérations fonctionnelles, qui, pour n'être pas tout à fait inexistantes, apparaissent bien secondaires.
Cette organisation pose les problèmes classiques liés aux cloisonnements entre les opérateurs d'un système.
Elle ne garantit pas l'optimisation des moyens mis en oeuvre, ce qui est particulièrement regrettable dans un contexte de raréfaction des moyens, et peut aboutir à fragiliser les infrastructures de maîtrise des risques sanitaires.
A la problématique des gaspillages de moyens à travers l'existence de doublons il faut ajouter celle, contraire, d'angles morts dans les actions mises en oeuvre pour maîtriser le risque sanitaire.
Observation : la politique de sécurité sanitaire des aliments relève de différents services administratifs à tous les niveaux territoriaux et de ses principaux éléments (conception, exécution). |
1. Un patchwork administratif...
a) Une superposition d'intervenants publics
Schéma général de l'organisation (hors DOM et région parisienne)
Niveau |
Administrations |
Agences |
|||
Central |
Direction générale de l'alimentation
|
Direction générale de la concurrence, de la
consommation et des fraudes
|
Direction générale de la santé
|
Institut
|
Agence
|
Brigade nationale d'enquête vétérinaire et phytosanitaire |
Service national des enquêtes |
||||
Régional |
Direction régionale de l'alimentation, de l'agriculture
et des forêts
|
Direction régionale des entreprises, de la concurrence,
de la consommation, du travail et de l'emploi
|
Agences régionales
|
NP |
|
Cellule interrégionale d'épidémiologie
en région
|
|||||
Départemental |
Direction départementale (de la cohésion sociale)
et de la protection des populations
|
Délégations territoriales des ARS |
NP |
NP : non pertinent
(1) La pluralité des administrations centrales
Reprenant la présentation du rapport de Marion Guillou et de Christian Babusiaux, on observe qu'au niveau national quatre directions générales relevant de trois ministères sont compétentes pour élaborer les normes et mettre en oeuvre les contrôles de sécurité sanitaire :
- la direction générale de l'alimentation (DGAL) du ministère de l'agriculture ;
- la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) ainsi que la direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI) du pôle ministériel économie et finances ;
- la direction générale de la santé (DGS) du ministère chargé des affaires sociales.
Par ailleurs, il faut compter avec les missions attribuées aux opérateurs de l'État .
C'est ainsi que l'Institut national de veille sanitaire (InVS) 22 ( * ) poursuit une veille épidémiologique générale recouvrant notamment les pathogénèses alimentaires tandis que l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) est chargée d'assurer l'évaluation scientifique des risques liés aux productions alimentaires. On doit aussi mentionner FranceAgriMer pour diverses interventions, en particulier dans la gestion des bois et plants de vigne et des certifications.
(2) Des schémas de déploiement territorial eux aussi différents
Bien entendu, chacune des directions ministérielles est déployée sur le territoire selon des modalités variables .
L'échelon régional de la DGAL est regroupé dans les directions régionales de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (DRAAF) qui comportent un service régional de l'alimentation (SRAL) - voir infra pour ses compétences -, tandis que les agents de la DGCCRF sont réunis dans les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (les DIRECCTE) dans lesquelles le « pôle C » est responsable du pilotage des missions de la DGCCRF dans la région concernée. Par ailleurs, il existe sur le territoire 26 Agences régionales de santé (en incluant les Outre-mer) qui sont des établissements publics administratifs sous tutelle directe du ministère des affaires sociales.
Au niveau départemental , le cloisonnement semble globalement s'atténuer, mais plus ou moins selon les circonscriptions. Les services de de la DGCCRF et de la DGAL sont regroupés dans les directions départementales interministérielles que sont les directions départementales de la protection des populations (DDPP), appelées directions départementales de la cohésion sociale et de la protection des populations (DDCSPP) lorsqu'elles comportent un service de cohésion sociale. Pour autant, il n'existe pas systématiquement de service spécifiquement dédié à la sécurité alimentaire, organisation qui dépend des départements, et chaque réseau conserve le plus souvent ses moyens et ses attributions propres. En outre, les délégations territoriales des ARS demeurent séparées des autres services départementaux.
Il faut ajouter les services territoriaux de l'Ifremer et des directions départementales du territoire et de la mer (DDTM) qui exercent un rôle spécifique pour les produits de la mer et, pour les besoins des armées, les moyens du service de santé des armées, qui dispose de ses propres vétérinaires. Sans prétention à l'exhaustivité, il conviendrait sans doute de mentionner les activités de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage, qui est doté d'un budget de 120,7 millions d'euros en 2015 (dont 74 millions d'euros de fiscalité affectée et 37,1 millions de crédits versés par le ministère de l'écologie et du développement durable). Il accomplit, à côté d'autres fonctions propres à l'écosystème cynégétique, d'importantes missions de surveillance de la faune sauvage qui contribuent à la santé des animaux et des végétaux et, directement ou non, à la sécurité sanitaire des aliments.
Enfin, l'existence de services communaux d'hygiène et de santé dans certaines communes doit être prise en considération de même que la contribution généralement plus ponctuelle des services de police ou de gendarmerie.
b) Une imbrication des interventions fonctionnelles
La pluralité des structures renvoie à des découpages fonctionnels, dont le tableau ci-après donne un aperçu, qui sont susceptibles de créer des ruptures informationnelles, et des superpositions d'interventions sous-optimales.
(1) Le niveau national
Le découpage fonctionnel au niveau national, de conception des actions, voit :
- la direction générale de la santé (DGS) chargée d'une compétence pour l'eau potable, les eaux embouteillées tandis qu'elle intervient en cas de crise sanitaire ;
- la direction générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes (DGCCRF) responsable de la surveillance des marchés, et plus particulièrement de la sécurité des denrées d'origine végétale, des règles spécifiques d'information des consommateurs, des OGM, des matériaux au contact des denrées et, conjointement avec la DGAL, des aliments pour animaux, la DGCCRF n'intervenant toutefois pas au stade de la production primaire ;
- la direction générale de l'alimentation (DGAL) agit sur l'ensemble des aspects concernant la production animale et végétale avant la récolte en exerçant une surveillance particulière des intrants et des médicaments vétérinaires. En outre, elle suit la production animale du stade de la transformation à celui de la distribution au consommateur final.
(2) Le niveau du terrain
Au niveau des territoires , les services mentionnés plus haut exercent leurs compétences de contrôle en matière de sécurité sanitaire des aliments selon l'agencement suivant :
- les SRAL supervisent les végétaux ;
- les services départementaux regroupés dans les DDPP (ou DD(CS)PP) veillent au contrôle des établissements de transformation des produits d'origine animale et des établissements de restauration et de remise directe (marchés, grandes et moyennes surfaces, restaurants...).
Les contrôles aux frontières font intervenir des administrations diversifiées.
Les contrôles spécifiques à l'importation d'animaux et de produits animaux, de végétaux et de denrées alimentaires, en provenance des pays-tiers, sont assurés par le service d'inspection vétérinaire et phytosanitaire aux frontières (SIVEP) , service à compétence nationale dépendant de la DGAL, dont la mission est d'assurer un pilotage centralisé des postes frontaliers implantés dans certains départements (aéroports et ports, principalement). Les agents sont toujours administrativement rattachés à la structure locale (DRAAF ou DDPP/DD(CS) PP).
La DGDDI exerce, de son côté, un contrôle proprement douanier 23 ( * ) qui, en général, comprend la vérification des documents d'importation et, pour les passagers individuels, le contrôle des aliments qu'ils peuvent transporter. Néanmoins, dans des cas particuliers (voir infra ), elle réalise des missions plus larges.
2. ... qui suscite plusieurs questions
À la suite de la présentation des conclusions du rapport de la mission du comité interministériel de modernisation de l'action publique (CIMAP) sur la politique de sécurité sanitaire des aliments faite le 8 décembre 2014 aux ministres chargés de l'agriculture, de la consommation et de la santé, un plan d'action conjoint a été élaboré et validé.
Il comportait un volet consacré à l'unité des actions mises en oeuvre par les services.
Les points 2 et 3 du plan appelaient à une meilleure intégration des moyens et à sécuriser et optimiser le fonctionnement collectif concernant la gestion des risques en sécurité sanitaire des aliments.
Vos rapporteurs spéciaux relèvent que les préoccupations alors considérées témoignent de la perception de la perfectibilité de l'organisation administrative, de conception et de mise en oeuvre opérationnelle, de la politique de sécurité sanitaire des aliments.
Ils observent aussi la portée limitée des orientations préconisées qui s'en sont tenues à des recommandations visant à améliorer et renforcer les modalités de coopération entre services.
Il paraît nécessaire d'envisager d'autres problèmes et évolutions.
a) Le principe de séparation des évaluateurs et des gestionnaires est peu respecté...
Il convient, d'abord, de souligner que chaque structure participant à la politique de sécurité sanitaire poursuit d'autres objectifs si bien que, même si elle peut être prépondérante, la sécurité sanitaire des aliments n'est qu'une des composantes de leurs missions.
Par exemple, les services de la DGAL sont chargés de la politique de l'alimentation qui comprend d'autres préoccupations que celles découlant du seul objectif de sécurité sanitaire.
Dans une situation de ce type, le risque existe en permanence d'arbitrages administratifs aux dépens d'un des volets de l'action, surtout si celui-ci comporte des éléments susceptibles de contrarier des objectifs plus valorisés.
Ce problème tend à se diffuser dans la mesure où des transferts de compétence vers l'agence d'évaluation nationale ont été effectués dans des domaines aussi sensibles que ceux du médicament vétérinaire ou des produits phytopharmaceutiques à l'issue desquels celle-ci n'intervient plus seulement au titre de l'évaluation sanitaire mais aussi comme gestionnaire des autorisations de mise sur le marché.
En outre , les conditions de certaines délégations de mission de surveillance sanitaire peuvent donner lieu à des interrogations sur les principes généraux de gouvernance du système.
Dans ces conditions, vos rapporteurs spéciaux rappellent les propositions énoncées par le Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux ( CGAAER) pour refonder l'organisation du système public de maîtrise sanitaire.
b) Une organisation sous-optimale propice à des pertes d'efficience
L'organisation en mille-feuilles des services crée plusieurs points de friction propices à des pertes d'efficience. En dehors de la duplication des fonctions de support et des systèmes d'information, il convient de relever :
- au niveau national, la détermination des priorités suit des logiques propres à chaque organisme administratif, chacun pouvant valoriser différemment en fonction de son portefeuille d'activités et de sa conception propre du problème ;
- au niveau plus opérationnel des territoires, la superposition de services peut faire obstacle à leur mutualisation d'autant plus souhaitable que les ressources se raréfient ;
- enfin, les découpages fonctionnels entre services ne correspondent pas nécessairement à la réalité d'établissements pouvant présenter des risques sanitaires diversifiés et qui peuvent créer des doublons ou des ruptures de la chaîne de contrôle.
(1) De nombreux points de chevauchement
Le tableau illustre l'existence de points de recoupement très nombreux à tous les niveaux de la politique de sécurité sanitaire des aliments.
Sur le terrain, le recoupement essentiel existant dans le partage des contrôles concerne le stade de la remise directe (restauration commerciale et restauration collective, commerces) pour les établissements (y compris les grandes et moyennes surfaces) qui utilisent à la fois des denrées animales et des denrées non animales.
Doivent également être mentionnés les domaines suivants : alertes sanitaires, plans de surveillance et de contrôle de la sécurité biologique et chimique des aliments, sécurité des aliments et produits d'origine végétale surveillance des OGM ainsi que de l'alimentation animale.
Les établissements de transformation non agréés qui utilisent à la fois des denrées végétales et animales sont également concernés, de même que des éléments fonctionnels de la chaîne de production alimentaire aussi sensibles que les transports de denrées.
Au total, les domaines sont plus ou moins partagés entre les services des différents ministères intervenant dans la politique de sécurité sanitaire des aliments comme le montrent les tableaux ci-dessous.
Domaines réglementaires relevant d'une autorité de contrôle unique
Autorité |
Domaine réglementaire |
DGAL |
Santé animale Santé des végétaux |
DGCCRF |
Domaines en lien avec l'information du consommateur sur la composition du produit : améliorants (additifs, arômes, enzymes), présence d'OGM, ionisation, étiquetage (allergènes) Matériaux au contact des denrées alimentaires (MCDA) |
Domaines partagés (hygiène, résidus de pesticides et contaminants)
Autorité |
Activité/produit |
DGAL |
Production primaire animale et végétale
Restauration collective |
DGCCRF |
Fabrication de denrées d'origine végétale Eaux embouteillés (après embouteillage) Denrées destinées à une alimentation particulière 26 ( * ) |
DGS |
Eaux embouteillées (jusqu'à l'embouteillage) Secteur médico-social (y/c remise directe et restauration collective) |
L'autorité compétente pour les produits d'origine mixte (animale et végétale) est la DGAL, si l'établissement est agréé ou si la partie d'origine animale est caractéristique du produit, et la DGCCRF dans le cas contraire. Enfin, le secteur de la remise directe au consommateur est partagé entre la DGAL et la DGCCRF, la coordination des interventions devant être réalisée au sein de chaque DD(CS) PP.
Alimentation animale
La logique de répartition, similaire à celle de l'alimentation humaine, peut être résumée comme suit.
Autorité |
Domaine |
DGAL |
Production primaire et élevage Établissements agréés sous-produits animaux Établissements agréés ou enregistrés au titre de l'arrêté du 28/02/2000 pour la fabrication d'aliments pour animaux |
Production et distribution de matières premières et d'aliments contenant des produits d'origine animale |
|
DGCCRF |
Étiquetage et composition des aliments pour animaux Additifs OGM |
Production et distribution de matières premières et d'aliments ne contenant pas de produit d'origine animale |
Importation
La répartition est similaire à celle ci-dessus (DGAL dans le domaine animal, DGCCRF dans le domaine végétal), à l'exception du domaine des semences et de celui de l'alimentation animale, qui relèvent de la compétence exclusive de la DGAL.
Source : Profil pays. UE
(2) Sur le terrain, une intégration perfectible
Dans son rapport public thématique sur l'organisation territoriale de l'État, publié en juillet 2013, la Cour des comptes avait énoncé sur ce point des observations critiques faisant valoir un défaut d'intégration des services chargés de la politique de sécurité sanitaire des aliments déployés sur le territoire.
S'agissant de l'échelon régional , abordant les DIRECCTE, elle avait jugé que , « plutôt qu'une structure unifiée, (elles) sont la juxtaposition de missions et d'agents en trois pôles distincts, dont les constats de la Cour montrent qu'ils communiquent très peu dans la réalité », poursuivant : « en particulier , le pôle C, regroupant les agents originaires de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, dont l'inclusion dans les DIRECCTE n'était pas prévue à l'origine mais a été décidée à la toute fin des décisions sur la RéATE, demeure, totalement ou presque, autonome » .
En ce qui concerne l'échelon départemental , la Cour des comptes exposait des constats analogues. Pointant un défaut d'unité des services, même placés à l'échelon départemental dans une même direction, la Cour des comptes s'inquiétait, en outre, d'un problème de pilotage par l'administration centrale.
« Les DDCS, DDPP et DDCSPP sont, elles, confrontées à de multiples difficultés. Outre les effectifs, plus restreints, dans certaines spécialités, qu'en direction régionale, elles réunissent des agents aux métiers extrêmement différents qui n'ont guère la possibilité d'entretenir leurs compétences métiers, d'autant qu'ils sont coupés du réseau ministériel . De cultures diverses, de conditions d'emploi également disparates, utilisant des méthodes et des techniques différentes y compris dans des missions de contrôle ayant des objets apparemment proches (enquêtes visant à assurer la protection des consommateurs et la sécurité alimentaire mais aussi, contrôle à demeure dans les abattoirs), les services n'ont vraiment d'unitaires que le nom ».
« Ces fonctions, qui nécessitent une relation continue et directe avec l'échelon central, ne sont pas compatibles avec une organisation départementale déconnectée de l'organisation régionale , et qui rompt la continuité entre les échelons central, régional et départemental. La sécurité alimentaire et la protection des consommateurs ressortissent de ce type d'exigence, dont le respect n'est plus totalement garanti ».
Ces appréciations contredisent frontalement les positions ministérielles telles qu'exposées, par exemple, dans la réponse à la question de vos rapporteurs spéciaux sur la mutualisation des moyens.
Rappelant que « la création des DDPP avait pour but de rendre plus lisible l'organisation départementale de l'État en matière de prévention et de contrôle, associant la mise en oeuvre de directives nationales et régionales et une coordination de proximité, sous l'autorité du préfet (synergies et complémentarités, couverture réglementaire plus vaste, prise en compte des préoccupations locales, plan national de contrôle pluriannuel sur les produits alimentaires -PNCOPA, etc.) », la réponse du ministère fait valoir que « cet ensemble assure la cohérence de l'action de l'État en créant des liens fonctionnels forts avec l'Agence régionale de santé (ARS) pour garantir la protection des personnes (toxi-infections alimentaires collectives - TIAC, zoonoses, qualité de l'eau potable ». La réponse conclut « qu'avec des compétences techniques, scientifiques, juridiques et économiques regroupées, l'État dispose sur le plan départemental dans une même direction de l'expertise nécessaire à la protection des consommateurs ».
Le ministère mentionne encore la mutualisation des fonctions dites « de support » :
« Concernant les fonctions supports, les services sont majoritairement mutualisés (ex : service juridique, responsable qualité, communication, etc.). Les directeurs de DDPP ont pour la plupart opté pour cette organisation permettant d'harmoniser les fonctionnements, de rationaliser la mobilisation des agents et d'apporter des réponses pragmatiques et cohérentes aux sollicitations des agents et des citoyens ».
Seuls des audits approfondis concernant l'ensemble des unités départementales porteuses des moyens de la politique de sécurité sanitaire permettraient de vérifier les informations fournies par le ministère.
Néanmoins, que chaque ministère déploie ses propres priorités d'action et conserve une autorité propre et séparée sur ses agents paraît plus proche de la réalité que l'image d'une intégration des services.
Comment du reste penser que la division fonctionnelle des missions, revendiquée par chaque ministère, puisse ne pas se prolonger dans la réalité territoriale des réseaux, dont le formatage (niveau des effectifs, qualifications des personnels, statuts, rémunérations...) dépend des différentes administrations centrales et s'inscrit dans les logiques idiosyncrasiques de leurs plans de charges respectifs ?
(3) Une multitude de process de coordination entre administrations
Problématique au regard des objectifs de mutualisation des moyens , le fractionnement des intervenants pose également problème du point de vue de la coordination des actions d'un système de surveillance dont la qualité dépend de l'unité de son pilotage, de sa complétude et de la fluidité des informations sur lesquelles il repose.
Les différentes administrations centrales compétentes au titre de la sécurité sanitaire des aliments (DGAL, DGCCRF, DGS et Service de santé des armées) se consultent régulièrement pour la préparation de la réglementation nationale ou européenne , la participation aux travaux internationaux (type CODEX), etc. Le Secrétariat général aux affaires européennes (SGAE) assure la validation finale des positions françaises portées auprès des instances européennes et encourage les concertations préalables.
En ce qui concerne les missions de contrôle sur le territoire national, les autorités françaises établissent un « Plan national de contrôles pluriannuel » (PNCOPA) qui présente l'organisation générale et la répartition des contrôles en France.
La coordination des activités de contrôle s'appuie également, outre sur des réunions hebdomadaires de suivi, sur des protocoles de coopération .
En matière de sécurité sanitaire des aliments, la coordination des activités de pilotage des contrôles fait l'objet d'un protocole établi entre la DGAL, la DGCCRF et la DGS.
La coordination en matière d'alertes sanitaires s'appuie sur un « protocole d'information, de coordination et de gestion des alertes sanitaires d'origine alimentaire entre les administrations concernées, DGAl, DGS, DGCCRF », actualisé le 5 novembre 2013, qui semble fonctionner correctement, dans la mesure où des chefs de file sont désignés selon les situations de crise qui se présentent.
La programmation des plans de surveillance et de contrôle fait également l'objet d'échanges et d'une coordination entre les services.
Un protocole de coopération en vue de la validation des guides de bonnes pratiques d'hygiène et d'application des principes de l'HACCP, élaborés par les professionnels, a également été établi entre la DGAL, la DGCCRF et la DGS.
Dans le cas particulier de l'importation, des protocoles sont établis respectivement entre la DGAL et la DGDDI et entre la DGCCRF et la DGDDI.
Quelle que soit l'efficacité de ces processus de coordination, ils sont lourds en coûts de coordination et ne peuvent éliminer en soi les hiatus qui peuvent exister entre services, dont témoignent, par exemple, la diversité des schémas d'emplois arrêtés par les ministères compétents (voir ci-dessous).
c) Quel bon niveau de mise en oeuvre de la politique de sécurité sanitaire des aliments ?
La division territoriale du travail en fonction des produits (régional pour les végétaux, départemental pour les denrées animales) semble s'accompagner d'une hiérarchie dans l'intensité de la surveillance qui ne place pas l'échelon régional au meilleur rang.
D'autres paramètres (voir ci-dessous) peuvent expliquer cette situation mais l'argument de proximité mérite d'être pris en compte .
Il ne faut pas lui conférer une portée excessive et, en particulier, le choix de rapprocher les moyens de maîtrise du terrain ne doit pas aboutir à des cloisonnements territoriaux, qui en sont trop souvent un des prolongements. La complexification de la chaîne alimentaire fait que celle-ci ne s'arrête pas aux contours des circonscriptions administratives.
Ceci plaide pour la mise en place de systèmes d'information transverses et de procédures de décloisonnement territorial des opérations.
En outre, pour offrir un échelon de proximité utile, le niveau départemental doit réunir une condition d'accessibilité des services, qui se serait quelque peu perdue à l'occasion de la réforme de l'administration territoriale de l'État, et vérifier que les capacités de pilotage du préfet de département soient réelles. Or, ce rôle qu'il faut renforcer semble se heurter à un manque d'emprise sur les moyens de son expression du fait de la pyramide de la déconcentration administrative et de certaines idiosyncrasies administratives souvent évoquées.
Cependant, dans les faits, les programmes de contrôle laissent une très faible place à la détermination territoriale des choix d'actions.
Outre que les moyens sont en réalité de plus en plus fléchés à partir des obligations de contrôle portées par l'UE et par des enjeux objectifs (voir ci-dessous la partie du rapport consacrée aux effectifs), les systèmes de cotation d'établissements ôtent aux échelons locaux leurs dernières (petites) marges de manoeuvre pour tenir compte de réalités locales qu'ils sont réputés mieux connaître que quiconque.
En bref, tant que les ressources des contrôles « localisables » demeureront au niveau étique qui est le leur, l'argument de proximité pour conserver naturellement une portée pratique restera tout à fait virtuel s'agissant de la programmation stratégique des contrôles.
3. L'intérêt d'une réflexion sur l'organisation systémique de la surveillance de la qualité sanitaire de l'alimentation
Vos rapporteurs spéciaux préconisent une meilleure intégration de la gestion des moyens consacrés à la politique de sécurité sanitaire des aliments.
Dans la situation actuelle, il importe de renforcer l'interopérabilité des systèmes d'information , qui, selon les observations du ministère de l'agriculture mais aussi de certaines missions d'inspection, demeure insuffisante, et de veiller à une circulation fluide des données d'intérêt. À cet égard, il est regrettable que les informations détenues par les services du ministère de l'écologie sur les installations classées et la qualité des sols ne soient pas systématiquement prises en compte, constat qu'avait pu réaliser le rapport de Marion Guillou et Christian Babusiaux. Vos rapporteurs spéciaux peuvent ajouter qu'il conviendrait d'intégrer aux systèmes d'information utilisés par les ministères (SIGAL, pour la DGAL, et SORA, pour la DGCCRF), les constats pertinents des services municipaux d'hygiène et de l'inspection du travail.
Recommandation : compléter et rendre interopérables les systèmes d'information ministériels en y intégrant les éléments pertinents relevés par l'ensemble des services administratifs (ministère de l'environnement, inspection du travail, services municipaux d'hygiène...). |
Mais, plusieurs voies, plus organiques, devraient être explorées.
Il pourrait s'agir a minima de profiter du processus d'unification des statuts des agents exerçant dans les échelons déconcentrés de l'État pour élaborer un budget opérationnel de programme unifiant les moyens déployés à ces niveaux.
Vos rapporteurs spéciaux recommandent que la politique de sécurité sanitaire des aliments fasse, à tout le moins (voir infra ) , l'objet d' un budget opérationnel de programme (BOP) regroupant, au minimum, les moyens des services déconcentrés.
Recommandation : regrouper les moyens de la politique publique de sécurité sanitaire des aliments dans un budget opérationnel de programme unifié, au moins pour les crédits des services déconcentrés. |
Par ailleurs, dans une version minimale des actions d'amélioration de la lisibilité budgétaire, un « jaune budgétaire » devrait être consacré à une politique dont les composantes interministérielles et les implications budgétaires en dépenses et en recettes, nationales mais aussi européennes, appellent naturellement une synthèse qui aujourd'hui fait défaut.
Recommandation : élaborer un jaune budgétaire permettant de regrouper les informations budgétaires, en dépenses et en recettes, aujourd'hui dispersées au risque d'un défaut de lisibilité. |
Une seconde voie, plus radicale, avait été explorée à l'occasion de la préparation de la loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt. Ce scénario avait également été envisagé dans le cadre du comité interministériel de modernisation de l'action publique (CIMAP) consacré à la politique de sécurité sanitaire des aliments.
Le CGAAER avait élaboré une proposition de réforme globale de l'organisation administrative de la politique de sécurité sanitaire des aliments, où la création d'un établissement public regroupant les moyens opérationnels du contrôle de la sécurité sanitaire des aliments avait pour raison d'être d'apporter plus de cohérence et de visibilité à l'action publique conduite en ce domaine mais aussi de « rationaliser » les capacités.
Selon le CGAAER, cet établissement public, dont le conseil d'administration serait composé des parties prenantes regrouperait notamment les cadres et agents techniques et administratifs relevant du programme 206 en fonction dans les services déconcentrés, des cadres et agents techniques et administratifs en fonction dans les laboratoires d'analyse départementaux, des cadres et agents d'analyse en fonction dans les laboratoires de référence actuellement rattachés à l'Anses.
Ses ressources comprendraient l'affectation des redevances créées en application de la législation communautaire dans son domaine de compétence, une dotation de l'État correspondant aux moyens du programme 206 augmentés de ceux des autres programmes budgétaires affectés à la sécurité sanitaire des aliments diminués du produit des redevances, de la subvention de l'État à l'Anses au titre du fonctionnement des laboratoires de référence, de subventions des départements (qui seraient appelées à se réduire à mesure de la rationalisation ordonnée du réseau des laboratoires) et de redevances pour services rendus payés par les professionnels.
Il devrait faire réaliser dans ses laboratoires la totalité des analyses correspondant à ses missions.
L'instauration d'un établissement spécialisé regroupant les forces du contrôle sanitaire renforcerait la confiance et la visibilité de l'action publique.
Si certains des aspects du projet du CGAAER apparaissent discutables d'un point de vue administratif ou technique (ainsi du périmètre de l'établissement ou des recommandations relatives au monopole des examens de laboratoire), il est peu douteux que la création d'un établissement public doté de ressources propres pourrait contribuer à sanctuariser les moyens de la politique de sécurité sanitaire des aliments tout en clarifiant son expression.
Recommandation : soumettre à une étude de préfiguration la réunion des moyens de la politique de sécurité sanitaire des aliments dans une agence publique. |
* 22 Intégré dans Santé Publique France, établissement créé par le décret 2016-523 du 27 avril 2016 qui a fusionné l'InVS, l'Inpes et l'EPRUS.
* 23 Le contrôle sanitaire est systématiquement effectué avant le contrôle douanier.
* 24 Viandes, oeufs, lait, produits de la pêche, coquillages, miel, autres produits d'origine animale (gélatine, collagène, graisses, boyaux...) et denrées fabriquées avec ces produits.
* 25 En application du règlement (CE) n° 853/2004 fixant des règles spécifiques d'hygiène applicables aux denrées alimentaires d'origine animale.
* 26 Directive n° 2009/39/CE : il s'agit des aliments pour nourrissons et enfants en bas âge, des produits de régime ou pour sportifs, ainsi que ceux destinés à des personnes atteintes d'une condition médicale particulière (intolérance, problèmes d'assimilation...).