III. UN PARTENAIRE FRAGILE MAIS INCONTOURNABLE, AVEC QUI IL FAUT CLARIFIER LES AMBIGUÏTÉS POUR ÉVITER L'IMPASSE
A. UNE CLARIFICATION SOUHAITABLE DES RELATIONS AVEC L'UNION EUROPÉENNE
Avec l'accord du 18 mars 2016, l'Union européenne a répondu, dans l'urgence, à une situation de crise humanitaire.
1. Des accords politiques passés tardivement et dans l'urgence
Confrontée à la crise des réfugiés, l'Union européenne a adopté, dans l'urgence, deux accords avec la Turquie.
a) La crise des réfugiés
Depuis 2011, la Turquie réalise un effort considérable pour l'accueil des réfugiés syriens. Malgré un flux en constante augmentation, elle a progressivement amélioré les droits de ces réfugiés et la qualité de leur accueil. Pays d'une population de 75 millions d'habitants, la Turquie compte 2,7 millions de réfugiés sur son sol, dont 300 000 dans des camps, sans que cela ne cause de troubles majeurs, ce qui est particulièrement remarquable.
Le partage d'une religion, à défaut toutefois d'une langue commune, avec les réfugiés a pu contribuer à leur bon accueil, de même que le fait que la population turque soit historiquement issue du mélange de populations de diverses régions (Balkans, Caucase...).
Se pose néanmoins la question de la pérennité de cette solidarité vis-à-vis des réfugiés, et de leur insertion à long terme dans la société turque. Des tensions sur les marchés du travail et du logement se font sentir. Plus de 150 000 enfants syriens seraient nés en Turquie depuis 2011. Quelle que soit l'issue du conflit, un million de réfugiés syriens pourraient décider de s'installer à long terme en Turquie.
L'accueil des réfugiés crée davantage de tensions dans les pays de l'Union européenne, où les opinions publiques y sont réticentes. Confrontée à l'arrivée d'un million de réfugiés en 2015, l'Union européenne a pris des mesures exceptionnelles afin de soutenir les pays d'Europe du sud les plus exposés (Grèce et Italie).
D'après Frontex, 157 000 personnes ont franchi illégalement la frontière grecque depuis la Turquie entre janvier et avril 2016, dont 76 700 Syriens, 39 300 Afghans et 24 900 Irakiens. 885 000 personnes avaient franchi illégalement cette frontière en 2015.
L'Europe de Schengen face à la crise des réfugiés « Fin 2015, le HCR estimait à 1,8 million le nombre de franchissements irréguliers des frontières de l'Union européenne pour 2015 (soit dix fois plus que le nombre de franchissements irréguliers détectés en 2012 et 2013) dont 853 650 par la Grèce et 153 842 par l'Italie. Du 1er janvier au 3 mars 2016, on compte 125 819 arrivées par la Grèce et 9 086 par l'Italie. Selon l'agence Frontex, le pourcentage de personnes se déclarant syriennes aurait baissé au cours des derniers mois, passant de 56 % des migrants arrivant en Grèce sur toute l'année 2015 à 39 % en décembre. En 2015, 70 % des migrants arrivant en Grèce par la Turquie étaient des hommes isolés. Au cours des deux premiers mois de l'année 2016, 60 % des arrivants étaient des femmes et des enfants. À l'évidence, les candidats à la migration ont redouté la fermeture totale de la route des Balkans du fait des décisions unilatérales des États (en particulier la Macédoine) qui « bloquent » leurs frontières. On assiste actuellement à une tentative désespérée, et sans doute accélérée par rapport aux projets initiaux des réfugiés déjà présents sur le sol européen, de faire venir femmes et enfants. Face à cette crise migratoire, les deux mécanismes de « relocalisation » adoptés par le Conseil le 14 septembre (40 000 personnes au départ de l'Italie et de la Grèce), et le 22 septembre 2015 (120 000 personnes supplémentaires au départ de l'Italie, de la Grèce et de la Hongrie - qui a refusé le bénéfice du dispositif - soit un total de 160 000 personnes à relocaliser) ne portent donc que sur 10 à 15 % de l'ensemble des réfugiés arrivés dans l'Union en 2015. On rappellera qu'il s'agit de deux mécanismes exceptionnels et temporaires qui, en dérogation aux accords de Dublin, relocalisent 160 000 réfugiés afin qu'ils puissent faire enregistrer une demande de protection internationale dans l'État dans lequel ils ont été « relocalisés ». La France, pour sa part, s'est engagée à accueillir un total d'un peu plus de 30 000 personnes, soit 6752 au départ de l'Italie, 12 962 au départ de la Grèce, auquel s'ajouteraient environ 10 000 personnes au nom de la « réserve hongroise » ». Source : Rapport d'information n° 499 (2015-2016) de MM. Jean-Yves Leconte et André Reichardt, au nom de la commission des affaires européennes du Sénat, mars 2016. |
b) Les accords de novembre 2015 et mars 2016
L'Union européenne s'est préoccupée tardivement, et dans l'urgence, de l'afflux de réfugiés syriens en Europe, alors que ce phénomène était prévisible dès 2011.
Lors du sommet UE-Turquie du 29 novembre 2015, le gouvernement turc et l'Union européenne se sont accordés sur un plan d'action commun sur les migrations, qui prévoit deux volets : d'une part, une assistance à l'accueil et à l'intégration des réfugiés en Turquie et, d'autre part, la lutte contre les filières de passeurs, le renforcement du contrôle des frontières et la réadmission.
Ce plan comporte l'annonce d'une aide financière de l'Union européenne à la Turquie, d'un montant de 3 milliards d'euros, pour une période de deux ans. Les actions financées doivent l'être de façon progressive en fonction des efforts déployés par la Turquie et de la mise en oeuvre effective du plan d'action, en s'appuyant sur un mécanisme de suivi.
Ce sommet a, par ailleurs, décidé :
• Une relance du processus d'adhésion :
au-delà de l'ouverture d'un nouveau chapitre de négociations le
14 décembre 2015 (le chapitre 17 « politique économique
et monétaire »), la Commission européenne s'est
engagée à travailler en vue de l'ouverture de nouveaux chapitres
au premier trimestre de 2016.
• Une accélération de la mise en oeuvre
de la feuille de route sur la libéralisation des visas : à cet
effet, l'accord de réadmission UE-Turquie entré en vigueur en
octobre 2014 devra être pleinement applicable dès juin 2016, de
façon à ce qu'en octobre 2016 une décision sur la
suppression de l'obligation des visas de court séjour dans l'UE puisse
éventuellement être prise. Cette levée ne sera toutefois
possible qu'une fois les critères fixés par l'UE remplis.
• Le rehaussement du dialogue entre l'UE et la
Turquie : des sommets auront lieu deux fois par an dans un format à
définir.
En conséquence de cet accord, la Turquie impose, depuis le 8 janvier 2016, des restrictions à la délivrance des visas pour les Syriens entrant dans le pays par avion ou par voie maritime. Des permis de travail sont octroyés aux réfugiés. Des efforts sont également entrepris pour la scolarisation des enfants de migrants, ainsi qu'en matière de contrôles aux frontières et de lutte contre les passeurs.
La déclaration UE-Turquie du 18 mars 2016, mise en oeuvre à compter du 20 mars 2016, organise la réadmission en Turquie de migrants arrivés en Grèce, et la réinstallation de réfugiés syriens dans l'Union européenne. Visant à casser le modèle économique de la migration, cet accord s'est, comme le précédent, accompagné d'engagements de l'UE à accélérer le processus de négociations d'adhésion et de libéralisation des visas.
La déclaration prévoit :
• Le renvoi des migrants arrivant illégalement
en Grèce depuis la Turquie, lorsqu'ils ne demandent pas l'asile ou que
leur demande d'asile a été rejetée. Pour faciliter ce
processus, des fonctionnaires turcs seront déployés dans les
îles grecques, et des fonctionnaires grecs en Turquie, avec l'aide de
l'UE.
• Pour chaque Syrien renvoyé en Turquie au
départ des îles grecques, un autre Syrien sera
réinstallé de la Turquie vers l'UE en tenant compte des
critères de vulnérabilité des Nations unies. La
priorité sera donnée aux migrants qui ne sont pas
déjà entrés, ou n'ont pas tenté d'entrer, de
manière irrégulière sur le territoire de l'UE. Les
réinstallations seront, dans un premier temps, mises en oeuvre en
honorant les engagements pris par les États membres au sein du Conseil
le 20 juillet 2015, 18 000 places de réinstallation étant encore
disponibles à ce titre. Il sera répondu à tout nouveau
besoin de réinstallation dans la limite de 54 000 personnes
supplémentaires (soit en tout 72 000 réinstallations).
• La Turquie s'engage à prendre toutes les
mesures nécessaires pour éviter que de nouvelles routes de
migration irrégulière ne s'ouvrent au départ de son
territoire en direction de l'UE.
• Les parties s'engagent à
accélérer la concrétisation de la feuille de route sur la
libéralisation du régime des visas, «
afin que les
obligations en matière de visa pour les citoyens turcs soient
levées au plus tard à la fin du mois de juin 2016, pour autant
que tous les critères de référence soient
respectés
».
• L'UE s'engage à accélérer le
versement de la facilité de 3 milliards d'euros
précédemment mise en place, et à mobiliser ensuite 3
milliards d'euros supplémentaires, d'ici à la fin 2018.
• L'UE et la Turquie confirment leur volonté
de relancer le processus d'adhésion dont la prochaine étape
serait d'ouvrir le chapitre 33 («
Dispositions financières
et budgétaires
»).
• Enfin, l'UE et la Turquie s'engagent à
collaborer à tout effort conjoint en vue d'améliorer les
conditions humanitaires à l'intérieur de la Syrie, en particulier
dans certaines zones proches de la frontière turque.
c) Des accords qui permettent de gagner du temps
La déclaration UE-Turquie, qui est, en droit, une déclaration politique, et non un accord international 31 ( * ) , a permis une diminution sensible du nombre de personnes quittant la Turquie pour la Grèce : dans les semaines qui ont précédé la mise en oeuvre de la déclaration, près de 2 000 migrants traversaient chaque jour la mer Égée pour gagner les îles grecques, alors que le nombre moyen de franchissements irréguliers a diminué, depuis le 1 er mai 2016, pour passer à une cinquantaine par jour.
Depuis la déclaration du 18 mars 2016, et à la date du 15 juin 2016, 462 migrants irréguliers ont été réadmis de la Grèce vers la Turquie (dont 31 Syriens). Par ailleurs, 511 Syriens ont été réinstallés de la Turquie vers l'UE, soit davantage que ce que prévoit le principe « un pour un ».
Les accords UE-Turquie doivent aussi permettre d'améliorer la situation des réfugiés en Turquie, grâce à un renforcement de leur protection et à l'aide financière octroyée par l'Union européenne. S'agissant de cette facilité financière, à la date du 15 juin 2016, des contrats ont été passés pour un montant de 150 millions d'euros au titre du budget de l'UE, dont 105 millions d'euros environ ont été affectés notamment à la couverture des dépenses liées à l'alimentation, aux soins de santé, à l'hébergement et à l'accès à l'éducation. La Commission s'est engagée à conclure des contrats pour 1 milliard d'euros avant la fin de l'été, pour répondre à des besoins tant humanitaires que non humanitaires 32 ( * ) .
Lors de leurs entretiens en Turquie, vos rapporteurs ont salué la solidarité du peuple turc à l'égard des réfugiés syriens et la qualité de leur accueil, qui n'a cessé de progresser malgré l'augmentation constante des flux. Les services turcs de l'asile sont montés en puissance depuis l'adoption de la loi sur les étrangers et la protection internationale du 4 avril 2013, qui a acté le nouveau statut de la Turquie, pays d'émigration devenu terre d'accueil ou de transit. Depuis une directive d'octobre 2014, les Syriens arrivés après 2011 bénéficient d'un régime dit de « protection temporaire », qui s'apparente au statut de réfugié. Des permis de travail sont délivrés. L'accès aux soins et à la scolarisation est organisé. En outre, le régime de protection a été amendé le 7 avril 2016, afin de permettre aux Syriens réadmis sur le territoire turc au titre de la déclaration du 18 mars 2016 de bénéficier de ce régime de protection temporaire, même s'ils n'ont jamais été enregistrés auparavant.
Les ONG rencontrées ont confirmé cette qualité d'accueil, quelles que soient les difficultés ponctuelles rencontrées dans la mise en oeuvre des dispositifs. Tous les réfugiés enregistrés ont notamment accès aux soins dans les structures publiques (à proximité de leur lieu d'inscription) et peuvent obtenir des médicaments, même si la barrière de la langue et l'inertie bureaucratique sont des obstacles à surmonter.
Des zones d'ombres demeurent toutefois.
D'après certaines ONG, le nombre de réfugiés réellement présents sur le territoire turc serait plus proche de 4 à 5 millions que de 2,7 millions.
Les droits des non-Syriens sont beaucoup plus précaires que ceux des Syriens. La Turquie a stipulé une réserve géographique dans l'application de la convention de Genève de 1951, réservant le statut de réfugié aux seuls ressortissants de pays européens.
L'accord comporte des failles juridiques. Une commission de recours grecque a rendu une décision, le 17 mai 2016, considérant que la Turquie n'était pas un pays tiers sûr, ce qui pourrait remettre en cause l'architecture de l'accord. Des incertitudes demeurent quant à la bonne information des réfugiés arrivés en Grèce sur leurs droits, et la possibilité pour eux de demander asile, en faisant état des risques inhérents à leur retour en Turquie (risque de renvoi vers leur pays d'origine pour les non-Syriens).
L'accord risque d'inciter les réfugiés à emprunter des routes plus dangereuses que celles de la mer Egée, notamment entre Afrique du nord et Italie. D'après le HCR, cette route a déjà causé plus de 2100 décès pendant les cinq premiers mois de 2016. Un changement d'itinéraire des Syriens, Afghans ou Irakiens de la Méditerranée orientale vers la Méditerranée centrale est à redouter.
Enfin, la déclaration UE-Turquie présente l'inconvénient de constituer un précédent vis-à-vis d'autres pays, notamment d'Afrique du nord, qui forment également une barrière sur les routes migratoires menant vers l'Europe, sans bénéficier des contreparties qui ont été octroyées à la Turquie.
Ainsi, la déclaration UE-Turquie du 18 mars 2016 ne constitue pas, aux yeux de vos rapporteurs, une solution de long terme à la crise migratoire. Elle a répondu à l'urgence et au risque d'effondrement de l'espace Schengen. Elle a permis de gagner du temps, en attendant la réalisation de deux préalables indispensables à la résolution de la crise migratoire. D'une part, l'Union européenne doit parvenir à organiser plus durablement l'accueil des réfugiés sur son sol et à mieux contrôler ses frontières extérieures. D'autre part, le fragile processus de paix entre les parties au conflit syrien doit avancer afin de réduire les flux de personnes déplacées, et de répondre sur place à la situation humanitaire. |
2. Des relations à plusieurs facettes
a) Les négociations d'adhésion
Depuis l'ouverture des négociations d'adhésion en octobre 2005, 15 chapitres ont été ouverts à ce jour, et un seulement a été clos, sur les 35 chapitres que compte au total l'acquis communautaire.
Les négociations d'adhésion avec la Turquie n'ont pas connu d'avancée concrète entre juin 2010 et novembre 2013, la France ayant gelé les négociations sur cinq chapitres. Ces négociations ont repris, d'abord en 2013, avec l'ouverture du chapitre 22 consacré à la politique régionale. Par la suite, les négociations ont marqué le pas, compte tenu des préoccupations européennes face à l'évolution du régime turc et des mesures prises par celui-ci, en réponse aux scandales de corruption.
La Commission européenne a ainsi présenté en octobre 2014, puis en novembre 2015, deux rapports, comportant de nombreuses critiques, sur les progrès accomplis par la Turquie sur la voie de l'adhésion à l'UE. Ces rapports font état d'un ralentissement des réformes, voire de reculs dans les domaines de l'État de droit et des libertés publiques (libertés d'expression et de réunion).
À l'issue du sommet UE-Turquie du 29 novembre 2015, sur la question migratoire, les chefs d'État et de gouvernement de l'UE se sont néanmoins engagés à redynamiser le processus de négociations. Peu après, les négociations sur le chapitre 17 (politique économique et monétaire) ont été ouvertes (décembre 2015). L'accord du 18 mars 2016 a confirmé cette orientation, prévoyant le dégel du 33 ème chapitre de négociations, relatif aux dispositions financières et budgétaires.
Vos rapporteurs estiment que les négociations d'adhésion ont permis, depuis les années 2000, la mise en oeuvre d'un certain nombre de réformes institutionnelles en Turquie, notamment l'abolition de la peine de mort et le « retour de l'armée dans les casernes », pour ne citer que les plus emblématiques. Toutefois, ce processus s'essouffle et l'évolution institutionnelle de la Turquie, ainsi que la situation des droits de l'homme, sont aujourd'hui préoccupantes. La proposition parfois émise d'un partenariat privilégié, plutôt que d'une perspective d'adhésion, serait une remise en cause du processus européen qui a démarré il y a une décennie, et qui engage tous les Etats membres. Cette remise en cause serait sans doute l'occasion d'une crise majeure dans les relations euro-turques. Comme vos rapporteurs ont pu le vérifier lors de leur déplacement en Turquie, les Turcs suivent de près l'actualité française et certaines déclarations sur la Turquie peuvent avoir des effets très négatifs sur la relation bilatérale. Étant donné l'évolution actuelle du régime turc, la question de la poursuite des négociations d'adhésion se pose. Cette question se pose aussi en Turquie puisque, le 23 juin 2016, alors que se déroulait le référendum britannique sur le « Brexit », le président turc Recep Tayyip Erdogan a évoqué la possibilité d'un référendum en Turquie sur l'opportunité de poursuivre ou non le processus d'adhésion à l'Union européenne. Du côté de l'UE, il est nécessaire de prendre en compte le fait que, si la Turquie adhérait à l'Union, elle en deviendrait l'un des pays les plus peuplés (dépassant à terme l'Allemagne) et les plus pauvres, remettant en cause les équilibres institutionnels, économiques et financiers d'une Union européenne qui est déjà aujourd'hui en crise. Le processus de rattrapage de l'acquis communautaire est donc particulièrement crucial avant d'envisager toute adhésion. Conformément à ce qui a été décidé à Copenhague par les États membres, ce rattrapage doit naturellement être évalué point par point, dans les faits et non pas seulement en théorie (par des réformes encore inappliquées) ou en tendance. En tout état de cause, le processus d'adhésion est autonome et doit être détaché de la question migratoire. En France, depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, la décision appartient au peuple puisque ce processus implique, in fine , l'organisation d'un référendum, conformément à l'article 88-5 de la Constitution (sauf motion adoptée en termes identiques par chaque assemblée à la majorité des trois cinquièmes permettant la convocation du Congrès dans les conditions prévues au troisième alinéa de l'article 89 de la Constitution). |
b) La modernisation de l'Union douanière
Les négociations sur la modernisation de l'union douanière, évoquée dans la déclaration commune UE-Turquie du 18 mars 2016, ont débuté en mai 2015. Ces négociations portent sur un élargissement du périmètre de l'union douanière, la résolution d'asymétries et de barrières non tarifaires ainsi qu'une coopération économique plus approfondie entre l'UE et la Turquie. Les négociations portent notamment sur la libéralisation des services, les échanges de biens agricoles, l'ouverture des marchés publics et l'harmonisation des législations sur les aides d'État. La Commission élabore une analyse d'impact. Une consultation publique a récemment été clôturée. Un projet de directives de négociation devrait ensuite être élaboré pour présentation au Conseil.
Sous réserve que l'analyse d'impact en confirme le bénéfice mutuel, cette modernisation de l'Union douanière est souhaitable et doit être poursuivie, afin de renforcer les relations économiques entre l'Union européenne et la Turquie. |
c) Les visas
L'Union européenne a lancé le 16 décembre 2013 le dialogue sur la libéralisation du régime des visas avec la Turquie, parallèlement à la signature d'un accord de réadmission entre l'UE et la Turquie. Ce dialogue repose sur une feuille de route, fixant les conditions que la Turquie doit remplir pour que le Parlement européen et le Conseil soient en mesure de l'inscrire sur la liste des pays dont les ressortissants sont exemptés de l'obligation de visa de court-séjour, ce qui permettrait aux citoyens turcs titulaires d'un passeport biométrique, répondant aux normes de l'UE, de se rendre sans visa dans l'espace Schengen pour des séjours de 90 jours maximum sur une période de 180 jours. Près de 60 pays dans le monde bénéficient déjà du régime d'exemption de visa pour les voyages de leurs ressortissants à destination de l'UE.
Les critères que la Turquie doit remplir pour parvenir à cette libéralisation des visas sont au nombre de 72, d'ordre politique et technique. Ces critères se répartissent en cinq groupes thématiques : la sécurité des documents ; la gestion des migrations ; l'ordre public et la sécurité ; les droits fondamentaux et la réadmission des migrants irréguliers.
D'après la Commission européenne 33 ( * ) : « Au cours des derniers mois, les autorités turques ont encore intensifié leurs efforts pour remplir les conditions fixées dans le cadre du dialogue sur la libéralisation du régime des visas, notamment en ouvrant le marché du travail aux réfugiés non syriens et en permettant l'accès non discriminatoire et sans obligation de visa au territoire turc pour les ressortissants des 28 Etats membres de l'UE . ». A la date du 4 mai 2016, cinq des 72 critères n'étaient pas encore remplis par la Turquie, et deux autres ne devaient pas l'être avant la fin de l'année 2016.
La Commission invitait donc les autorités turques à prendre en urgence les mesures suivantes :
- adopter les mesures de prévention de la corruption prévues par la feuille de route ;
- mettre la législation relative à la protection des données à caractère personnel en conformité avec les normes de l'Union ;
- conclure un accord de coopération opérationnelle avec Europol ;
- proposer à tous les Etats membres de l'UE une coopération judiciaire effective en matière pénale ;
- réviser la législation et les pratiques relatives au terrorisme dans le respect des normes européennes, notamment en alignant plus étroitement la définition du terrorisme sur ces normes, afin de restreindre la portée de cette définition, ainsi qu'en introduisant un critère de proportionnalité.
Par ailleurs, deux critères nécessitent un délai de mise en oeuvre plus long que celui prescrit :
- le perfectionnement des passeports biométriques existants afin d'y inclure des éléments de sécurité conformes aux normes de l'UE (des dispositions provisoires doivent régler cette question jusqu'à l'automne) ;
- la mise en oeuvre complète des dispositions de l'accord de réadmission UE-Turquie, y compris celles liées à la réadmission de ressortissants de pays tiers (qui doivent entrer en vigueur le 1 er juin 2016).
Le rapport de la Commission apporte, par ailleurs, la précision suivante : « La libéralisation du régime des visas n'est pas une voie à sens unique mais doit être assortie de conditions et il est toujours possible d'y mettre fin si les conditions ne sont pas remplies. Le règlement sur les visas contient d'ailleurs déjà un mécanisme de suspension permettant à l'Union de réinstaurer à titre provisoire l'obligation de visa à l'égard des ressortissants d'un pays tiers en cas d'accroissement substantiel et soudain de la migration irrégulière en provenance de ce pays ». La Commission ajoute qu'elle envisage, étant donné le contexte migratoire actuel, de proposer un renforcement de ce mécanisme de suspension : élargissement des motifs de suspension possibles, accélération de la procédure et réduction des périodes de référence et délais, possibilité pour la Commission de déclencher la mise en oeuvre du mécanisme de sa propre initiative.
A la suite de la publication du rapport de la Commission européenne du 4 mai 2016, et du débat qui s'est déroulé au Parlement européen quelques jours plus tard, le président Erdogan a repoussé l'échéance de la libéralisation des visas à l'automne, tout en indiquant qu'il ne ferait aucune concession concernant les lois antiterroristes. Or ces lois peuvent permettre au régime de contrôler l'opposition et la presse, comme lors du procès des journalistes Can Dündar et Erdem Gül, poursuivis pour « assistance à une organisation terroriste », ou des mesures susceptibles de conduire à la levée de l'immunité parlementaire de cinquante députés du parti pro-kurde HDP, dont plusieurs sont accusés de « propagande terroriste ». Les déclarations du président Erdogan, indiquant qu'il ne ferait aucune concession sur ces questions, ne peuvent que jeter une ombre sur le processus de libéralisation des visas. De même que pour les négociations d'adhésion, la libéralisation des visas constitue un processus autonome, répondant à sa logique propre, et qui ne saurait faire l'objet d'aucun marchandage. Sans dramatiser l'enjeu, dans la mesure où environ 15 % des citoyens turcs seulement disposent à ce jour d'un passeport, le respect de l'ensemble des 72 critères techniques et politiques de la libéralisation est une nécessité. Là encore, les réformes doivent être effectives, afin que les critères soient remplis dans les faits et pas seulement en tendance, étant donné l'extrême sensibilité de l'opinion européenne à ces questions. En tout état de cause, le renforcement des mécanismes de suspension, tel qu'envisagé par la Commission européenne, est souhaitable, étant donné le contexte migratoire actuel. |
d) Chypre
Divisée depuis l'opération qui a permis à l'armée turque d'occuper un tiers de l'île en 1974, Chypre a néanmoins adhéré à l'Union européenne le 1er mai 2004. Seule la Turquie a reconnu l'indépendance de la République turque de Chypre du nord (RTCN). En 2004, le plan du Secrétaire général de l'ONU Kofi Annan a échoué à réunifier l'île, les Chypriotes grecs l'ayant rejeté par référendum à 75 %. Ce plan prévoyait la réunification de l'île en une fédération composée de deux États égaux, conformément aux résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies soulignant la nécessité de parvenir à un «règlement global fondé sur une fédération bicommunautaire et bizonale et sur l'égalité politique » . L'ONU est, par ailleurs, présente à Chypre par le biais de l'UNFICYP (Force des Nations unies chargée du maintien de la paix à Chypre) déployée en 1964 et renforcée en 1974.
En avril 2015, un nouveau président a été élu en RTCN (Mustafa Akinci), favorable au rapprochement avec la partie sud de l'île. Les élections de mai 2016 à Chypre ont, par ailleurs, confirmé le parti du président en place (Nikos Anastasiadis), favorable à la réunification de l'île. Dans ce contexte politique favorable, les négociations entre les deux parties ont repris. Elles se heurtent toutefois aux mêmes obstacles que le plan Annan. Se pose, d'une part, la question des compensations à accorder aux réfugiés grecs expropriés, 160 000 Chypriotes ayant fui au moment de l'invasion turque. La recherche d'une solution passe, d'autre part, par la résolution du problème des « garanties » : la partie turque de l'île souhaiterait que l'accord soit garanti par la Turquie tandis que le gouvernement chypriote préfèrerait une garantie plus large de l'ONU ou de l'UE. La détérioration des relations turco-russes soulève également des difficultés, Chypre étant proche de la Russie d'un point de vue tant stratégique qu'économique.
Le contexte politique est actuellement favorable à un règlement de la question chypriote, dans laquelle l'Union européenne est en première ligne, depuis l'adhésion de Chypre à l'UE le 1 er mai 2004. Des négociations sont en cours entre les parties nord et sud de l'île. Il serait regrettable de ne pas profiter de cette dynamique pour résoudre une situation de division territoriale unique en Europe. Il convient de soutenir autant que possible ce processus, concernant les deux points les plus sensibles de la négociation entre les parties : les compensations des expropriations d'une part, et les garanties à apporter à l'accord d'autre part. |
* 31 Avis du service juridique du Parlement européen, présenté au Parlement européen le 9 mai 2016.
* 32 Deuxième rapport de la Commission européenne sur la déclaration UE-Turquie (15 juin 2016).
* 33 Troisième rapport sur les progrès accomplis par la Turquie dans la mise en oeuvre des exigences de la feuille de route sur la libéralisation du régime des visas (4 mai 2016).