B. RÉALISATIONS ET PROJETS
1. Les jardins créoles : l'exemple de Marie-Galante
La particularité du jardin créole est de présenter un synoptique de l'ensemble des grandes migrations qu'ont connues les Antilles. Les Siboney, puis les Arawak et les Caraïbes apportèrent des plantes d'Amérique du Sud comme la dictame et le roucou. Ensuite, les peuples européens commencèrent à arriver à la fin du XV e siècle, dont les Français qui s'installèrent définitivement au XVII e siècle. Pendant la période de l'esclavage, les esclaves cultivaient des petites parcelles, où se trouvaient rassemblées une grande variété de cultures. C'était l'ancêtre du jardin créole qui se présente essentiellement comme un modèle de polyculture organisée. Par exemple, dans le jardon créole de M. Richard Chelza visité par vos rapporteurs à Marie-Galante, se trouve au milieu un arbre-fruitier qui donne des pommes-cannelles. À proximité sont plantées des salades et tout autour des sources de protéines végétales dont une multitude de légumineuses rapportées d'Afrique : les pois de bois ou pois d'Angole, les pois cannes appelés aussi niébé ou cornille, les pois boucoussou, Sainte-Catherine, savons, etc. Ces pois sont d'un excellent rendement et adaptés aux conditions climatiques de la Caraïbe. Leur culture est associée à celle de la canne à sucre qui leur sert de tuteurs. L'intérêt des pois est qu'il s'agit de plantes qui fleurissent en période de jours courts dont la culture peut donc parfaitement associée au rythme de pousse de la canne à sucre, elle-même récoltée à l'hivernage au moment où la teneur en sucre est la plus élevée, d'où une excellente gestion coordonnée des productions traditionnelles sur l'année. La variété de canne cultivée est une variété ancienne qui a besoin de moins d'eau que celle que l'on retrouve dans les grandes plantations. Elle est cultivée sans engrais et sans pesticide avec le projet de produire du jus de canne biologique, voire du rhum biologique. Dans le jardin créole visité, se trouvent enfin des melons, des aubergines et de petits concombres à cornichons. Le jardin créole est un jardin de subsistance d'où l'on peut tirer tous les aliments nécessaires à la vie humaine (glucides, lipides, protéines, vitamines et oligoéléments). Il se distingue par sa capacité à fournir une grande diversité de protéines d'origine végétale, dont le couplage traditionnel avec des céréales facilite l'assimilation par le corps humain, qui est essentielle pour son approvisionnement en acides aminés. Il permet de moins dépendre de l'élevage pour la production de protéines, ce qui signifie à la fois produire plus de protéines par surfaces mobilisées mais aussi consommer moins d'intrants (nourriture des animaux). On retrouve avec le jardin créole un bon exemple de conservation de la biodiversité faunistique (abeilles, oiseaux, chauve-souris), de recours à la permaculture (création d'humus en permanence qui permet une économie d'eau) et de croissance en synergie des plantes les unes avec les autres (protection réciproque contre les agresseurs, favorisation réciproque de pollinisation). Ce modèle de biodiversité agricole est particulièrement intéressant alors que l'agriculture mondiale doit relever conjointement le défi démographique et le défi climatique. Il va de pair avec une valorisation des productions locales et des circuits courts, avec des bénéfices en termes tant de stimulation économique que de réduction des émissions carbonées par reflux des importations et baisse subséquente des transports. C'est un paradoxe que 80 % de l'alimentation des Guadeloupéens soit importée alors qu'il existe une grande diversité de cultures qui peuvent s'épanouir sur son sol. Bien sûr, autosuffisance alimentaire et autarcie totales sont utopiques mais il demeure une marge de progression conséquente. Il convient donc de ne pas laisser perdre le savoir associé à la culture du jardin créole et d'en poursuivre la transmission. |
Sources : DEAL de Guadeloupe -M. Henry Joseph - déplacement du groupe de travail à Marie- Galante (juillet 2015)
2. La réintroduction d'anciennes variétés de cultures (indigo et pois) en Guadeloupe
Les plantations d'indigotiers étaient très nombreuses jusqu'au XIX e siècle à Marie-Galante ; mais elles connurent un fort déclin jusqu'à leur disparition à cause de la synthèse de l'indigotine par Baeyer en 1880 et l'essor de la production synthétique par BASF en 1900. Le même problème s'était déjà posé dans le Midi de la France avec la disparition de la production de garance après la synthèse et la commercialisation de rouge d'alizarine par BASF dès 1871. Cependant, un projet de relance de la production d'indigo, piloté par le laboratoire Phytobôkaz à Gourbeyre, est en cours de réalisation en profitant de l'entrée en vigueur du règlement européen REECH qui touche les colorants de synthèse et demande un retour à des produits naturels obtenus par extraction. Si les résultats se révèlent probants, le projet pourra s'étendre avec la relance d'une production locale de coton en tirant partie du fait que l'origine première d'une variété importante de plants de coton ( Gossypium Barbadense ) se trouve dans les îles de la Caraïbe, notamment La Barbade et Marie-Galante qui partagent le même terroir. Marie-Galante connaît un autre projet de réintroduction de cultures anciennes qui concerne certaines variétés de pois. Ce projet est cofinancé par le laboratoire Phytobôkaz et Iguavie (lnterprofession guadeloupéenne de la viande et de l'élevage) avec le partenariat de la mairie de Saint-Louis de Marie-Galante qui met à disposition du foncier agricole (d'abord 5000 m 2 avec une possibilité d'extension). Trois variétés résistantes aux maladies ont été retenues pour éviter d'avoir à recourir à des traitements et des pesticides. Deux pieds peuvent donner sans épisode de sécheresse 15 kg de pois l'année donc 1 000 pieds (pour chaque variété plantée) donnent 7,5 tonnes en un an. En outre, quatre rangées sont consacrées à une plantation expérimentale d'indigo, car l'indigo et les pois poussent sur des terroirs similaires. Depuis 1995, les terrains concernés relèvent d'une exploitation cannière, avec un complément d'élevage. L'exploitation est périodiquement laissée en jachère pour ne pas utiliser de pesticides. Le projet pois-indigo intervient dans le cadre d'un processus de transformation de l'exploitation vers une polyculture organisée. La diversification se poursuit par une réduction de la surface de canne et par l'introduction du maracuja (grenadille ou fruit de la passion). Ce choix est motivé par le fait que la fécondation tant des fleurs de maracuja que des fleurs de pois est assurée par une espèce d'abeille sauvage de Guadeloupe, communément appelée les « von-vons ». En revanche, l'abeille domestique ne peut pas les féconder. On retrouve l'idée d'un projet global associant des cultures en synergie et tenant compte de la faune endémique de l'île, ce qui permet d'assurer ainsi une diversité floristique et faunistique. Dans un même mouvement, des cultures anciennes sont réintroduites et des espèces animales sauvages endémiques sont protégées. |
Sources : DEAL de Guadeloupe - Phytobôkaz - déplacement du groupe de travail à Marie-Galante (juillet 2015)
3. La protection des abeilles sauvages : le projet Terre de pollinisateurs
L'archipel guadeloupéen compte environ huit espèces d'abeilles sauvages qui sont solitaires et ne vivent pas en colonie, sauf une seule qui donne du miel, la mélipone, en voie de disparition. Depuis plusieurs années, se met en place un plan de sauvegarde, amplifié par un arrêté ministériel de 2015 de protection des abeilles sauvages, qui recoupe d'autres politiques de diversification et de résilience agricole. Avec l'aide du Cirad, depuis cinq ans, pour ne pas utiliser d'herbicides dans les bananeraies, est utilisé un couvert végétal de plantes de service ; or les plantes sélectionnées sont favorables aux abeilles sauvages, ce qui est bénéfique tant pour les producteurs de miel que pour les planteurs de bananes. À partir de 2016, sur toute la Guadeloupe, sera mis en place le projet Archipel Guadeloupe - Terre de pollinisateurs. Il est porté par l'association des apiculteurs de Guadeloupe (Apigua) et vise la création d'un observatoire des pollinisateurs, la réintégration des pollinisateurs dans les jardins créoles, l'élaboration d'un modèle d'agroforesterie pour concentrer et stimuler la diversité et l'activité des pollinisateurs, la création d'un espace de communication, assorti d'un plan et d'actions de communication orientées vers le grand public. L'idée centrale est d'obtenir, en multipliant les observateurs, des données collectées sur un grand nombre de sites et dans des environnements variés. Il devrait aussi contribuer à enrichir les connaissances sur le fonctionnement des réseaux d'interactions plantes-insectes. Au-delà du recueil de données qui intéresse les scientifiques, l'observatoire des pollinisateurs a une vocation pédagogique : sensibiliser le public à la diversité du vivant. À terme, le projet s'étendra vers la réalisation d'une banque de graines des espèces mellifères et la généralisation des haies végétales dans le paysage agricole. Il contribuera à diffuser et à valoriser les bonnes pratiques visant à préserver les pollinisateurs sauvages en différents contextes (agricole, forestier, urbain et naturel). Une boucle de rétroaction ( feedback) pédagogique est prévue pour assurer un retour d'information au public scolaire qui aura participé à ces actions. L'enjeu fondamental est de mettre en place une protection efficace des écosystèmes environnementaux ruraux et de valoriser leur biodiversité dans un contexte de développement durable et équitable. Ce projet mobilise en collaboration avec l'Apigua plusieurs partenaires : - l'Inra pour son expertise sur les systèmes agricoles ; - le Parc national de Guadeloupe pour son expertise sur les espèces et pour son territoire ; - le Lion's Club pour mobiliser le public et pour assurer la diffusion des informations ; - la DEAL, le Conseil départemental, Phytobôkaz, la chambre d'agriculture et l'association Les dimanches de la création pour leurs rôles respectifs dans la protection de l'environnement ; - le rectorat pour le volet éducatif. |
Sources : DEAL de Guadeloupe - Phytobôkaz - déplacement du groupe de travail à Marie-Galante (juillet 2015)
4. Le couplage du photovoltaïque et de l'agriculture : le projet Bardzour
Le 11 juin 2015 a été inaugurée à La Réunion la centrale photovoltaïque Bardzour, qui signifie en créole « aube naissante ». Porté par la société Akuo Energy, ce projet a été récompensé dans le cadre du concours My Positive Impact lancé par Nicolas Hulot. Il repose sur le concept d' « agrinergie », créé par le groupe Akuo Energy comme un mode de valorisation de l'économie locale grâce à l'établissement de synergies entre l'énergie solaire et l'agriculture. Il s'agit d'éviter ou de contrebalancer la perte de terrains cultivés qu'entraîne l'implantation au sol d'une centrale photovoltaïque. Akuo Energy propose, grâce à la vente de l'électricité produite, de financer des projets agricoles innovants (protection de variétés endémiques menacées, culture biologique, prise en compte de la vulnérabilité climatique,...). Plusieurs particularités singularisent Bardzour. La production de 9 MWc à partir d'énergie solaire, soit un tiers de la consommation de la commune du Port où la centrale est implantée, est couplée avec un dispositif de stockage performant (batteries lithuim-ion) permettant la réinjection différée de 9 MWh dans le réseau. Les panneaux solaires ont été déposés sur une serre agricole de 6 000 m 2 avec notamment des productions biologiques. Un arboretum est également installé aux pieds de la centrale et regroupe 48 espèces d'arbres endémiques, 18 espèces de plantes aromatiques et médicinales et 35 espèces fruitières). De même, 14 ruches ont été implantées pour produire du miel. Enfin, ce projet comporte un volet social. Situé au sein du centre de détention du Port, il offre aux détenus des possibilités de réinsertion via des formations au maraîchage et à l'apiculture. Cette vitrine contribue déjà au succès à l'international d'Akuo Energy, qui vient de signer un contrat avec l'électricien Pertamina pour la construction de 560 MW de capacités d'énergie renouvelable en Indonésie. |
Sources : Akuo Energy - Les Échos, « Solaire : Akuo joue la carte de l'innovation », 11 juin 2015 - Fondation Nicolas Hulot
5. Les centres de ressources biologiques Inra-Cirad
Les outre-mer français constituent des lieux essentiels de conservation de ressources biologiques. L'Inra et le Cirad ont créé et gèrent conjointement un réseau de centres de ressources biologiques (CRB) permettant de travailler sur les ressources génétiques. Depuis le sommet de Rio en 1992, les ressources biologiques sont définies comme des matériels d'origines diverses (végétale, animale, microbienne,...) contenant des unités fonctionnelles de l'hérédité présentant une valeur potentielle ou effective. Elles sont conservées avec un ensemble d'informations associées (morphologiques, biochimiques, taxonomiques, agronomiques, juridiques,...). Les régimes de conservation varient en termes de modalités ( in situ , ex situ , dans une ferme) et de formes (plantes entières, vitroplants, de graines...). Ces centres ont pour finalité de freiner l'érosion génétique issue de la diminution - historique depuis la préhistoire mais en accélération depuis le XVIII e siècle - du nombre d'espèces cultivées et de la perte de diversité génétique au sein des variétés cultivées, seules quelques variétés performantes étant développées. Les ressources génétiques apparaissent désormais comme des enjeux stratégiques : il est essentiel de pouvoir conserver un maximum de gènes et d'allèles qui permettront de créer des variétés adaptées en fonction des contextes climatiques, énergétiques et sociaux (comportements des consommateurs) 40 ( * ) . Le réseau des CRB Cirad-Inra comprend sept centres dont la tête de pont est située en Guadeloupe au sein du CRB Plantes tropicales créé en 2010. Outre son rôle de conservation, il met du matériel végétal à la disposition des utilisateurs qui en font la demande, soit toute personne, entreprise ou organisation qui souhaite valoriser les ressources du centre à des fins économiques, pédagogiques ou scientifiques. Ce réseau permet de mettre en relation les outre-mer entre eux (Guadeloupe, Martinique, Guyane, La Réunion), avec l'Hexagone (Montpellier et Corse) et avec l'étranger (Madère). Le CRB Plantes tropicales a, par exemple, pris en charge l'introduction de 15 variétés de madères en provenance de Fidji dans le cadre du projet EVA-Transfert, une plateforme d'évaluation et de transfert d'innovation. L'objectif du programme est de « renforcer l'offre potentielle en tubercules alimentaires et en fruits à la Guadeloupe par la mise en place d'une plateforme d'innovations et d'un réseau participatif destinés à promouvoir la sélection, la multiplication et la diffusion de variétés performantes, bien adaptées aux conditions pédoclimatiques locales, et valorisables dans un cadre agricole diversifié et durable. » 41 ( * ) Le même CRB fournit des plants de manguier en Afrique (Guinée, République démocratique du Congo) pour le développement de filières. D'autres travaux portent sur l'igname, l'ananas, la canne à sucre, les agrumes et les orchidées. |
Sources : Inra-Cirad - déplacement du groupe de travail en Guadeloupe (juillet 2015)
* 40 Présentation C. Pavies (Inra) et D. Roques (Cirad) lors du déplacement du groupe de travail en Guadeloupe en juillet 2015.
* 41 Ibid. et site du Réseau d'innovation et de transfert agricole (RITA) dans les DOM : www.rita-dom.fr/actions-et-vie-du-reseau/projet-n-76.