RETRAIT DE TEXTES ET ABROGATION DE NORMES : QUELLES MARGES DE MANoeUVRE POUR LES LÉGISLATEURS ?

LE PROGRAMME REFIT

Le programme REFIT, acronyme anglais pour « r églementation affûtée », a été lancé en octobre 2013 et vise à évaluer l'acquis réglementaire et adopter, le cas échéant, les mesures correctives nécessaires. Celles-ci peuvent prendre la forme d'abrogations, de modifications ou de bilan de qualité. Il s'agit de répondre à l'objectif louable d'allègement de la charge règlementaire et de lutte contre la « bureaucratie inutile » que la Commission européenne s'est assigné. Cette révision s'effectue néanmoins à l'aune de trois principes selon la Commission européenne :

- le maintien d'un niveau élevé de protection sociale et de protection de la santé et de l'environnement ;

- la préservation de la liberté de choix des consommateurs ;

- la contribution de ces textes aux objectifs fixés en matière de croissance et d'emploi.

200 mesures ont été recensées dans le cadre de ce programme depuis son lancement. Un tableau de bord a ainsi été publié en juin 2014. L'annexe III du programme de travail pour 2015 détaille les 79 mesures qui devaient être adoptées d'ici la fin 2015.

Remis en question par le président de la Commission européenne en décembre 2014, il fait l'objet de plusieurs propositions de réforme au sein de la communication du 19 mai dernier. La Commission souhaite notamment se servir de ce dispositif pour mener à bien des travaux d'évaluation. Un bilan de qualité de la législation alimentaire générale devrait ainsi être lancé dans ce cadre. La Commission entend également poursuivre l'évaluation des normes européennes relatives aux conditions de travail et de santé, ainsi que sur les produits chimiques. Le nouveau comité d'examen de la réglementation sera, dans le même temps, chargé de grandes analyses rétrospectives et d'un « bilan de santé » des politiques mises en oeuvre.

L'allègement des charges administratives passera par un réexamen, avec les États membres, des conditions de mise en oeuvre de la réglementation européenne. La Commission entend également continuer à veiller à ce que la transposition s'effectue de la façon la plus précise possible. Une révision des obligations en matière d'information devrait, par ailleurs, être lancée et une base de données sur les exigences en matière d'étiquetage des denrées alimentaires mise en place.

Le volet financier n'est pas non plus négligé, la Commission européenne entendant simplifier le mode de financement européen des projets nationaux.

Ces axes de travail devraient être approfondis dans le cadre d'une nouvelle plateforme REFIT, destinée à mieux prendre en compte les besoins et les intérêts des petites et moyennes entreprises. Un pôle des gouvernements, composé de 28 experts de haut niveau désignés par chaque État membre, des représentants du Comité économique et social européen et du Comité des régions, et un pôle des « parties prenantes », réunissant jusqu'à 20 experts nommés par la Commission européenne et provenant de la société civile seront ainsi associés pour évaluer la législation existante. Chacun des pôles devrait se réunir à intervalles réguliers, une réunion conjointe étant prévue une fois par an.

L'ABSENCE DE PRÉCISION SUR LE DROIT DE RETRAIT

La présentation du programme de travail de la Commission européenne pour 2015 avait été marquée par l'annonce du retrait de plusieurs propositions législatives en cours d'examen. L'exécutif européen avait ainsi indiqué son souhait de retirer 80 propositions législatives sur les 452 en instance d'examen par les institutions européennes fin 2014. La Commission européenne mettait en avant un principe de « discontinuité politique ». La Commission s'était alors fondée sur l'article 39 de l'accord-cadre d'octobre 2010 avec le Parlement européen qui autorise un réexamen de toutes les propositions pendantes en début de législature. L'ampleur du nombre de retraits a pu surprendre, puisque la pratique habituelle portait sur 30 à 40 textes retirés chaque année. Sur les 80 textes abandonnés par la Commission européenne, 58 étaient néanmoins devenus obsolètes en raison d'un changement de contexte ou de l'adoption d'autres normes.

Ces retraits ont cristallisé l'opposition de plusieurs groupes politiques au sein du Parlement européen, prompts à dénoncer un manque de concertation avec la Commission européenne, malgré l'accord interinstitutionnel. Les critiques du Parlement européen se sont notamment portées sur la directive « paquet déchets » (COM (2014) 397) présentée en juillet 2014 et l'élaboration d'un nouveau texte d'ici à la fin 2015 4 ( * ) . Le gouvernement français avait également cosigné une lettre appelant au maintien de ce texte, en insistant notamment sur la priorité qui devait être accordée à l'économie circulaire.

Le rapport de la commission des affaires juridiques du Parlement européen sur le programme pour une réglementation affûtée et performante (REFIT), adopté le 29 juin dernier, et les avis des autres commissions qui lui sont annexés, relaient cette contestation 5 ( * ) et insistent sur la nécessité de mettre en place des lignes directrices encadrant le retrait des propositions législatives en cours d'examen. Le Parlement européen souhaite notamment qu'en cas de retrait, la Commission européenne le consulte en premier lieu, en particulier après la première lecture, et prenne dûment en compte son avis 6 ( * ) .

Ce principe n'est pas intégré au sein de la communication du 19 mai 2015 ni dans la proposition d'accord interinstitutionnel qui lui est jointe. La Cour de justice de l'Union européenne a, cependant, établi, entretemps, des règles encadrant le droit au retrait.

Les conditions d'exercice de ce droit de retrait ont été, en effet, contestées par le Conseil devant la Cour de justice de l'Union européenne, plus d'un an avant la présentation du programme de travail pour 2015. Le recours du Conseil visait la décision de retrait de la Commission du 8 mai 2013 d'une proposition de règlement établissant les dispositions générales relatives à l'assistance macrofinancière aux pays tiers. Ce retrait est intervenu au cours de la première lecture de la procédure législative ordinaire, avant que le Conseil n'ait formellement adopté sa position sur ladite proposition. La Commission européenne avait estimé que les premières négociations modifiaient l'équilibre initial du texte. L'avocat général a, le 18 décembre 2014, rappelé que les traités ne prévoyaient expressément ni l'existence d'un pouvoir de retrait d'une proposition législative de la Commission ni, à plus forte raison encore, ses modalités d'exercice. Il rappelait néanmoins que selon une tradition bien établie, la Commission procède à des retraits individuels ou groupés à titre de « nettoyage administratif ». L'avocat général insistait sur le fait que le pouvoir de retrait découle du rôle qui est confié à la Commission dans le cadre du processus législatif et se fonde donc sur les articles 17 du Traité sur l'Union européenne et 293, paragraphe 2, du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. L'exercice du pouvoir de retrait est envisagé comme une manifestation ultime du monopole d'initiative législative de la Commission, exprimant ainsi son rôle de gardienne de l'intérêt de l'Union. Ce pouvoir de retrait restait par ailleurs limité dans le temps : l'article 293 du TFUE précise en effet que, tant que le Conseil n'a pas statué, la Commission peut modifier sa proposition tout au long des procédures conduisant à l'adoption d'un acte de l'Union. Il ne s'agit pas aux yeux de l'avocat général d'une manoeuvre permettant à la Commission européenne de s'ériger en co-législateur.

L'arrêt rendu le 14 avril 2015 suit en partie ces observations 7 ( * ) . Il assortit, en effet, le droit de suppression de la Commission européenne de deux conditions :

- Les motifs justifiant ce retrait doivent être suffisamment expliqués aux organes législatifs et étayés, en cas de contestation, par des éléments convaincants (article 296 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne) ;

- Si la Commission décide de supprimer un projet de texte parce que les institutions cherchent à l'amender, ce retrait doit être effectué dans un esprit de coopération sincère avec le Parlement européen et le Conseil et dans le respect des intérêts de ces institutions (article 13 du Traité sur l'Union européenne).

Aux yeux de la Cour, le rôle de la Commission ne saurait se limiter à présenter une proposition et à chercher, ensuite, à rapprocher les positions du Parlement et du Conseil. La Commission a, aussi longtemps que le législateur n'a pas statué, la possibilité de modifier sa proposition ou la retirer. Elle peut également, selon le juge, décidé du retrait d'un texte si la proposition originelle est manifestement dénaturée par un amendement du Parlement européen ou du Conseil. Cet amendement doit faire obstacle à la réalisation des objectifs initiaux, privant ainsi la proposition de sa raison d'être. Dans le cas d'espèce, la Cour estime que la Commission a essayé de trouver une solution de compromis, qui n'a pu aboutir. La Commission n'a donc pas violé le principe de coopération loyale. Elle insiste sur ce point car, selon elle, le droit d'initiative et donc de retrait ne sauraient constituer les éléments d'un droit de véto sur le processus législatif. Le droit de retrait qu'elle reconnaît peut, par ailleurs, être contesté devant elle. À l'aune de l'arrêt de la Cour, il convient d'insister sur le fait que le retrait ne saurait être, en tout état de cause, motivé par le seul changement de Commission, qui déjugerait ensuite les travaux de la précédente équipe.

La proposition d'accord interinstitutionnel gagnerait à être enrichie par une référence à cette jurisprudence. Celle-ci permettrait de clarifier le rôle de chacun.


* 4 Si elle avait salué les ambitions du dispositif, la commission des affaires européennes avait néanmoins adopté, en novembre 2014, une proposition de résolution européenne soulignant les conséquences financières de ce dispositif pour les collectivités locales, et en particulier les communes, et l'inadéquation des objectifs affichés avec la réalité industrielle de la filière compostage. Ce texte est devenu résolution du Sénat le 9 décembre 2014 (n°29 - 2014-2015).

* 5 Le Parlement européen n'a pas pu pour autant trouver un accord, le 15 janvier 2015, sur une résolution commune portant sur l'ensemble du programme de travail et dénonçant les retraits. Chaque groupe politique a mis en avant ses orientations propres et aucune synthèse n'a pu être dégagée.

* 6 Rapport de Mme Sylvia-Yvonne Kaufman, au nom de la commission des affaires juridiques, sur Le programme pour une réglementation affûtée et performante (REFIT): situation actuelle et perspectives (2014/2150(INI)).

* 7 CJUE, Conseil de l'Union européenne contre Commission (affaire 409/13), 14 avril 2015.

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