Rapport d'information n° 84 (2015-2016) de MM. Jean BIZET et Simon SUTOUR , fait au nom de la commission des affaires européennes, déposé le 15 octobre 2015
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AVANT-PROPOS
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UNE AMBITION LOUABLE
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UNE OPPORTUNITÉ RATÉE ?
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UNE AMBITION LOUABLE
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EXAMEN PAR LA COMMISSION
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PROPOSITION DE RÉSOLUTION
EUROPÉENNE
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ANNEXE
N° 84
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2015-2016
Enregistré à la Présidence du Sénat le 15 octobre 2015 |
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des affaires européennes (1) sur la proposition d' accord interinstitutionnel relatif à l' amélioration de la réglementation ,
Par MM. Jean BIZET et Simon SUTOUR,
Sénateurs.
(1) Cette commission est composée de : M. Jean Bizet, président ; MM. Michel Billout, Michel Delebarre, Jean-Paul Emorine, André Gattolin, Mme Fabienne Keller, MM. Yves Pozzo di Borgo, André Reichardt, Jean-Claude Requier, Simon Sutour, Richard Yung, vice-présidents ; Mme Colette Mélot, M Louis Nègre, Mme Patricia Schillinger, secrétaires , MM. Pascal Allizard, Éric Bocquet, Philippe Bonnecarrère, Gérard César, René Danesi, Mme Nicole Duranton, M. Christophe-André Frassa, Mmes Joëlle Garriaud-Maylam, Pascale Gruny, M. Claude Haut, Mme Gisèle Jourda, MM. Claude Kern, Jean-Yves Leconte, François Marc, Didier Marie, Michel Mercier, Robert Navarro, Georges Patient, Michel Raison, Daniel Raoul, Alain Richard, Alain Vasselle. |
AVANT-PROPOS
La Commission européenne a présenté, le 19 mai 2015, une communication et une proposition de révision de l'accord interinstitutionnel « Mieux légiférer » destinées à moderniser la procédure législative et à mieux évaluer les attentes des citoyens et des entreprises européens à l'égard de la règlementation de l'Union européenne. Cette démarche s'inscrit dans la liste des priorités établie par Jean-Claude Juncker lors de son élection à la présidence de la Commission européenne et qui prévoyait notamment la mise en avant d'une « Union du changement démocratique ». Le programme de travail pour 2015 avait pour partie traduit cette ambition dans les faits en préconisant une rationalisation de l'activité législative, axée notamment sur l'évaluation des textes en cours d'examen et le resserrement de l'action législative.
Notre commission avait salué cette double ambition en janvier 2015, en adoptant une proposition de résolution européenne sur le programme de travail. Il s'agissait d'encourager une démarche qui devait renforcer tout à la fois la lisibilité de l'action de l'Union européenne et donc l'adhésion des citoyens au projet. Nous avions remarqué avec intérêt qu'un certain nombre de nos préoccupations sur tel ou tel texte exprimées ces dernières années avaient été entendues, ces propositions législatives étant retirées.
Nous insistions également sur le renforcement de l'association des parlements nationaux à l'élaboration de la norme européenne. Le dialogue politique entre les parlements nationaux et la Commission européenne tel que conçu en 2005 puis amendé en 2008 doit lui aussi être modernisé. Une telle évolution va de pair avec la volonté de la Commission de renforcer la légitimité démocratique de l'Union européenne. La nouvelle initiative de la Commission européenne en vue d'améliorer la législation constitue, à cet égard, un véritable test. Or, il apparaît à la lecture de ses propositions que la spécificité des parlements nationaux, pourtant reconnue par les traités, est gommée par un exécutif européen, qui se voulait pourtant, à l'origine, plus politique.
UNE AMBITION LOUABLE
La Commission européenne a présenté, le 19 mai dernier, une communication intitulée « Amélioration de la réglementation pour obtenir de meilleurs résultats - Un enjeu prioritaire pour l'Union européenne ». Ce texte est assorti d'une proposition d'accord interinstitutionnel relatif à l'amélioration de la réglementation (COM (2015) 216 final). Ces documents permettent à la Commission Juncker de poursuivre un des objectifs qu'elle s'était assigné au début de son mandat, à savoir légiférer uniquement si nécessaire et quand des résultats concrets et importants peuvent être obtenus. Il convient de rappeler, à ce stade, que cette intention louable avait déjà été mise en avant par la Commission Santer entre 1995 et 1999.
UNE INITIATIVE QUI RÉFLÈTE LA NOUVELLE ORIENTATION DE LA COMMISSION EUROPÉENNE
Le programme de travail pour 2015 avait donné des indications quant au souhait de la Commission européenne de mener à bien ce travail de rationalisation. Ce texte avait permis à la Commission européenne de retirer 80 propositions législatives. Elle a, dans le même temps, continué la mise en oeuvre du programme REFIT, lancé en octobre 2013 par l'équipe précédente et destiné à évaluer l'acquis réglementaire.
La Commission a, parallèlement, sensiblement réduit son activité normative. Elle ne devrait présenter que 23 textes d'ici à la fin de l'année 2015. Ce chiffre est à comparer aux 60 initiatives qui figuraient dans le programme de travail 2013, dernière année pleine du mandat de la précédente Commission. Sur ces 23 propositions, seules 14 disposeront d'un volet législatif, les 9 restantes étant des communications ou des stratégies. Il n'est pas étonnant, dans ces conditions, que le Parlement anticipe une activité plus faible qu'auparavant. Le calendrier de travail pour 2016 prévoit 12 semaines d'activité en circonscription pour les députés européens, contre 10 en 2015.
La réorganisation du fonctionnement de la Commission européenne, souhaitée par son nouveau président en novembre 2014, s'inscrivait également dans la logique d'une rationalisation de son action. La Commission européenne apparaît, en effet, beaucoup plus politique et hiérarchisée qu'elle ne l'était auparavant. La présence de vice-présidents, dotés de directions générales dédiées et la mise en avant d'un premier vice-président, véritable numéro deux, en la personne de M. Franz Timmermans, bouleversent notamment les rapports avec l'administration en mettant en avant une logique de « filtres ». Toute proposition législative est soumise à l'examen du vice-président concerné puis du premier vice-président et du président de la Commission. L'impulsion législative déterminante ne vient plus, dans le même temps, des équipes des commissaires mais du cabinet de la présidence et de celui du premier vice-président qui coordonnent l'ensemble des travaux de la Commission.
La Commission européenne avait, en outre, annoncé en décembre 2014 la création d'un poste de conseiller spécial pour l'amélioration de la réglementation. L'objectif assigné à celui-ci est de permettre la réduction des charges administratives imputables à la norme européenne et stimuler ainsi croissance, emploi et investissements. Il devra apporter des conseils sur les moyens de réduire les formalités et d'alléger les charges administratives pour les petites et moyennes entreprises. M. Edmund Stoiber, ancien ministre-président du Land de Bavière, a été nommé à cette fonction. Il était jusqu'alors président du groupe de haut niveau sur les charges administratives. Sous sa présidence, entamée en 2007, le mandat du groupe a été prolongé à deux reprises et élargi. Il a élaboré un programme d'actions pour la réduction des charges administratives pesant sur les entreprises. Celui-ci a permis de réaliser des économies annuelles de l'ordre de 33,4 milliards d'euros, soit un allégement de 27 %, dépassant l'objectif de 25 % d'économie initialement établi.
La commission des affaires européennes a salué, en janvier dernier, ce travail entrepris par l'exécutif européen en faveur de la lutte contre l'inflation normative et l'allègement de la charge réglementaire et adopté une proposition de résolution européenne et un avis motivé allant dans ce sens. Il s'agit de fait d'une meilleure application du principe de subsidiarité. Il convient aujourd'hui de moins légiférer et de mieux légiférer. La visibilité et la compréhension de l'action de l'Union européenne par les citoyens européens passe par une telle rationalisation 1 ( * ) .
UNE DEUXIÈME ÉTAPE EN DIRECTION DES CITOYENS ET DES ENTREPRISES
Les nouvelles propositions de la Commission européenne constituent aujourd'hui une deuxième étape. L'effort de resserrement de l'activité législative est poursuivi mais va de pair, désormais, avec une plus grande clarification des intentions de la Commission au moment du dépôt d'une proposition de texte. Cette exigence de transparence est également renforcée en ce qui concerne la procédure de discussion et d'amendement des textes et leur mise en oeuvre (actes délégués et actes d'exécution).
La Commission européenne entend avant tout répondre aux préoccupations des citoyens et des entreprises face à une législation européenne parfois peu compréhensible ou difficilement applicable. L'objectif affiché est de parvenir à adopter une législation de qualité, respectueuse des droits fondamentaux et des normes sociales et environnementales. L'ambition n'est pas donc pas d'opérer une déréglementation à outrance. L'acquis communautaire demeure, aux yeux de la Commission, un « formidable atout ». La Commission souhaite aujourd'hui qu'il puisse pleinement contribuer aux ambitions assignées à la construction européenne.
La communication répond à trois objectifs :
- ouvrir le processus d'élaboration des politiques européennes à tous les niveaux (local, régional, national, européen) et garantir que celles-ci reposent sur les meilleures données disponibles ;
- améliorer la qualité de la législation en renforçant l'évaluation de l'impact des projets et en précisant les exposés des motifs ;
- faciliter la révision des dispositifs existants.
Ces objectifs ne constituent pas en soi une réelle nouveauté, puisqu'ils sont au coeur de l'accord interinstitutionnel « Mieux légiférer », conclu entre le Parlement européen, le Conseil et la Commission européenne le 16 décembre 2003. Le dispositif, adopté dans le cadre de la stratégie de Lisbonne, visait notamment :
- à améliorer la coordination interinstitutionnelle et la transparence ;
- à intensifier le recours à l'analyse d'impact dans le processus décisionnel communautaire ;
- à adopter des méthodes de travail pour simplifier le droit européen.
C'est cet accord que la Commission européenne propose aujourd'hui de réviser.
LE RÔLE DES PARLEMENTS NATIONAUX DANS LA PROCÉDURE LÉGISLATIVE
Cette révision de l'accord « Mieux légiférer » intervient alors que le contexte institutionnel a été profondément modifié par le Traité de Lisbonne, notamment en ce qui concerne l'association des parlements nationaux à l'activité législative de l'Union européenne.
L'article 12 du Traité sur l'Union européenne (TUE) insiste ainsi sur le fait que « les parlements nationaux contribuent activement au bon fonctionnement de l'Union » :
- Les institutions de l'Union européenne sont tenues de les informer ;
- Ils disposent d'un rôle spécifique en matière de surveillance du respect des principes de subsidiarité et de proportionnalité ;
- Ils participent à l'évaluation et au contrôle politique dans le cadre de l'espace de liberté, de sécurité et de justice ;
- Ils jouent pleinement leur rôle dans la procédure de révision des Traités ;
- Ils sont informés des demandes d'adhésion ;
- Ils participent à la coopération interparlementaire entre parlements nationaux et avec le Parlement européen.
Il convient, à ce stade, d'insister sur le droit à l'information des parlements nationaux, détaillé au sein du Protocole n°1 sur le rôle des parlements nationaux dans l'Union européenne annexé au Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Les documents de consultation de la Commission (livres verts, livres blancs et communications) sont désormais transmis directement par la Commission aux parlements nationaux lors de leur publication. La Commission transmet également aux parlements nationaux le programme législatif annuel, ainsi que tout autre instrument de programmation législative ou de stratégie politique en même temps qu'elle les transmet au Parlement européen et au Conseil.
Les projets d'actes législatifs adressés au Parlement européen et au Conseil sont également transmis aux parlements nationaux. Il s'agit à la fois des propositions de la Commission, des initiatives d'un groupe d'États membres, des initiatives du Parlement européen, des demandes de la Cour de justice, des recommandations de la Banque centrale européenne et des demandes de la Banque européenne d'investissement, visant à l'adoption d'un acte législatif. Les projets d'actes législatifs émanant de la Commission sont transmis directement par celle-ci aux parlements nationaux, en même temps qu'au Parlement européen et au Conseil. Les projets d'actes législatifs émanant du Parlement européen sont adressés directement par le Parlement européen aux parlements nationaux. Les projets d'actes législatifs émanant d'un groupe d'États membres, de la Cour de justice, de la Banque centrale européenne ou de la Banque européenne d'investissement sont transmis par le Conseil aux parlements nationaux.
Par ailleurs, durant la " période de réflexion sur l'avenir de l'Union " qui s'est ouverte à la suite des référendums négatifs en France et aux Pays-Bas en 2005, le président de la Commission européenne de l'époque, José Manuel Barroso, avait pris une initiative en faveur d'un dialogue direct avec les parlements nationaux centré sur l'application des principes de subsidiarité et de proportionnalité. Depuis l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, mettant en place un mécanisme spécifique pour les questions de subsidiarité (protocole n°2 annexé au Traité), le dialogue direct avec la Commission européenne s'est recentré sur les questions concernant le contenu des documents adressés aux parlements nationaux, et a pris pour cette raison le nom de « dialogue politique » . Notre commission peut ainsi réagir, en principe dans un délai de deux mois, aux documents qui lui sont adressés par la Commission européenne, en adoptant des « avis politiques » . La Commission européenne doit normalement répondre dans les trois mois. Ce délai est cependant rarement respecté.
Avis motivés transmis par la commission des affaires européennes du Sénat à la Commission européenne depuis 2012
Sujet |
Date de l'avis politique |
Date de transmission de la réponse |
Services en escale |
12 janvier 2012 |
30 avril 2013 |
Médicaments |
10 avril 2012 |
6 novembre 2012 |
Virus Schmallenberg |
6 décembre 2012 |
7 mai 2013 |
Roms |
10 décembre 2012 |
31 mai 2013 |
Capitales culturelles |
29 novembre 2012 |
14 mai 2013 |
Stratégie numérique |
31 mai 2013 |
19 septembre 2013 |
Euribor |
7 juin 2013 |
27 novembre 2013 |
Emploi des jeunes |
11 juillet 2013 |
7 février 2014 |
Indices |
28 novembre 2013 |
7 février 2014 |
Actes délégués |
29 janvier 2014 |
27 mars 2014 |
Déchets |
5 novembre 2014 |
22 mai 2015 |
Médicaments vétérinaires |
23 novembre 2014 |
18 mai 2015 |
Plan d'investissement pour l'Europe |
27 novembre 2014 |
18 mai 2015 |
Programme de travail pour 2015 |
9 février 2015 |
- |
Union des marchés de capitaux |
16 juillet 2015 |
- |
Les parlements nationaux apparaissent donc relativement associés à l'évolution de la législation européenne. Reste à savoir si la Commission européenne entend désormais aller plus loin et passer du stade de l'information à la participation et renforcer un dialogue politique qui n'apparaît pas totalement satisfaisant. L'ambition politique affichée depuis sa mise en place, sa disponibilité à leur égard, son souhait régulièrement réaffirmé de renforcer le contrôle démocratique, notamment en ce qui concerne la zone euro, pourraient laisser penser qu'elle y semble prête.
UNE OPPORTUNITÉ RATÉE ?
Au regard de leur rôle particulier dans le processus législatif et compte tenu de l'objectif affiché par la Commission de renforcer aujourd'hui la coordination interinstitutionnelle et la transparence, il apparaît légitime que toute modernisation de la procédure législative passe par une meilleure prise en compte des parlements nationaux, qui ne sauraient être assimilés à des « parties prenantes » plus classiques comme les partenaires sociaux et les organisation non-gouvernementales.
Or, force est de constater que si la Commission préconise de vraies avancées en matière de consultation et de transparence d'une manière générale, aucune mesure spécifique n'est envisagée pour les parlements nationaux.
MIEUX LÉGIFÉRER OU PLUS ANALYSER ?
La proposition de révision de l'accord interinstitutionnel porte essentiellement sur l'utilisation des analyses d'impact. Le recours à ce document est, en effet, étendu à tous les niveaux de l'élaboration de la norme communautaire.
Afin de renforcer leur valeur, toute analyse d'impact devrait être analysée par un comité d'examen de la réglementation. Celui-ci est appelé à succéder au comité d'analyse d'impact mis en place en 2006. Présidé par le secrétaire général adjoint de la Commission, chargé de l'amélioration de la réglementation, et composé de six membres, tous directeurs généraux, il ne disposait jusqu'alors que d'un rôle consultatif. Chacun de ses membres n'exerçait d'ailleurs sa fonction qu'à temps partiel.
Le nouveau dispositif sera composé d'un président et de six membres, employés à temps plein et libres de toute responsabilité politique au sein de la Commission européenne. Trois membres devraient d'ailleurs être recrutés en dehors des institutions européennes. Leur mandat sera de trois ans. Ce comité devra évaluer la qualité de l'analyse d'impact. La Commission devra également justifier devant lui, le cas échéant, son souhait de ne pas recourir à des analyses d'impact. Cette transformation du comité d'examen avait déjà été annoncée en décembre 2014. Les opérations de recrutement pour ce nouveau comité ont débuté en juin 2015.
Parallèlement, un accent particulier devrait être porté, au moment de l'élaboration des textes, sur les conséquences des projets de texte relatifs aux petites et moyennes entreprises. La Commission entend désormais appliquer de manière plus approfondie le principe « Think small first », afin de tenir compte des intérêts des PME et envisager, le cas échéant, des dispositifs allégés pour elles.
Les analyses d'impact ne concernent plus, par ailleurs, seulement la Commission. Les co-législateurs - Parlement européen et Conseil - seront tenus de procéder à une analyse d'impact de toute modification substantielle de la proposition initiale. Le Conseil n'a, jusqu'à lors, jamais entrepris, une telle démarche alors que le Parlement européen s'est doté d'une structure adaptée en 2012. La Commission constate néanmoins que, si elle a publié entre 2007 et 2014 plus de 700 analyses d'impact, le Parlement européen n'en a produit qu'une vingtaine. La Commission européenne souhaite qu'un groupe d'experts techniques ad hoc et indépendants puisse être ainsi mis en place à sa demande ou à celle du Parlement ou du Conseil. On peut toutefois s'interroger sur la limite au droit d'amendement que peut constituer une évaluation systématique. Le recours à un groupe d'experts ne fragilise-t-il pas, par ailleurs, le caractère démocratique et transparent de la prise de décision ? Le risque d'un allongement de la procédure législative ne peut être complètement écarté.
Enfin, la proposition d'accord interinstitutionnel promeut une évaluation ex post de la législation existante, ce qui induit que les co-législateurs mettent en place des exigences en matière de suivi, d'évaluation et d'information dans les textes qu'ils vont adopter . La Commission européenne souhaite, dans le même temps, que les institutions s'engagent systématiquement à utiliser les clauses de révision et d'extinction.
La transposition au sein des États membres de la législation européenne devrait également faire l'objet d'une étude d'impact. Toute mesure supplémentaire ou tout ajout du ressort du législateur national devrait être motivé et son impact évalué. L'idée affichée par la Commission est de distinguer le niveau européen et sa traduction nationale. Elle entend ainsi mettre en avant d'éventuels phénomènes de surtransposition ( goldplating ). Les mesures de transposition ne sont notifiées à la Commission que depuis 2011. Elles doivent expliquer le lien entre les éléments d'une directive et les parties correspondantes des instruments nationaux de transposition. Si le Parlement européen est favorable à la proposition de la Commission, les États membres y sont hostiles, estimant qu'une telle mesure reviendrait à limiter le droit des parlements nationaux à exercer leur pouvoir législatif. Il y a, par ailleurs, lieu de s'interroger sur la base juridique de cette mesure tant un accord interinstitutionnel ne saurait déterminer comment les États, et en particulier les parlements nationaux, doivent transposer une directive. L'article 288 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne précise, en outre, que la directive lie les États membres quant au résultat à atteindre mais laisse aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens. La forme même de directive pourrait donc être affectée par un tel encadrement, en contradiction avec les dispositions du Traité. Enfin, une telle option n'est pas sans poser des problèmes au regard de la subsidiarité et de la proportionnalité.
MIEUX LÉGIFÉRER OU MIEUX CONSULTER ?
UNE CONSULTATION EN AMONT ET EN AVAL
La communication de la Commission européenne insiste à de multiples reprises sur la notion de consultation des « parties intéressées ». Elle entend « faire preuve d'une plus grande transparence et s'ouvrir davantage à la participation ». Des règles minimales ont déjà été élaborées en ce sens en 2002 et complétées en 2012 et 2014, les parties intéressées devant pouvoir exprimer leur point de vue sur les textes tout au long du processus législatif. Depuis le 1 er janvier 2012, la Commission européenne accorde aux citoyens, aux entreprises et aux organisations non gouvernementales un délai minimal de 12 semaines pour présenter des observations sur des plans relatifs à de nouvelles politiques et législations, contre 8 semaines auparavant.
Le processus demeure, de l'avis de nombreux observateurs, encore perfectible. La consultation (livre vert) sur l'Union des marchés de capitaux, ouverte en février 2015, est assez révélatrice de ces dysfonctionnements. Comme l'a rappelé notre collègue André Gattolin lors de la réunion de notre commission du 16 juillet 2015, la procédure peine à être véritablement représentative. La consultation a, en effet, « donné lieu à 474 réponses dont près de 82 % émanent des compagnies des secteurs bancaire et assurantiel, parmi lesquelles on trouve un grand nombre de sociétés de hedge funds et d'investissement. La part des réponses qui revient aux institutions nationales avoisine les 12,5 % et celles émanant de personnes individuelles 5,6 % des réponses. Ce sont ainsi toujours les organes directement concernés par une telle réglementation qui répondent massivement. La provenance par pays des réponses est également éclairante : avec 22 % des réponses, le Royaume-Uni, dont le commissaire en charge du dossier est d'ailleurs un ressortissant, est à la première place, suivi, à hauteur de 17 %, par la Belgique. La France et l'Allemagne se trouvent loin derrière, avec environ 13 % des réponses. La Commission et les directions générales, qui organisent ce type de consultation, en tirent par la suite des recommandations dans le livre vert qui sont extrêmement favorables à la majorité des réponses apportées » .
La principale nouveauté de la nouvelle communication de la Commission européenne consiste finalement en la publication de feuilles de route et d'analyses d'impact initiales dès le lancement d'une nouvelle initiative. Ces mesures rejoignent celles annoncées en 2014. La communication du 18 juin 2014 « Programme pour une réglementation affûtée et performante : situation actuelle et perspectives» prévoyait déjà de telles consultations. La Commission européenne s'était engagée à diffuser, en interne, des orientations pour conseiller et soutenir ses agents chargés de procéder à des consultations des « parties prenantes » en vue d'en améliorer la qualité. Elle entendait également poursuivre ses efforts en vue d'étendre la portée de ces consultations en améliorant l'accessibilité linguistique. La Commission souhaitait également renforcer le recours aux consultations dans les évaluations et les bilans de qualité. La Commission européenne entend désormais prendre des mesures pour améliorer les retours d'informations. Les réponses individuelles reçues de parties prenantes devraient normalement être publiées dans les 15 jours ouvrables suivant la clôture de la consultation et un rapport de synthèse publié au plus tard lors de l'adoption de la proposition par la Commission.
Une fois le texte adopté par la Commission européenne, les citoyens ou parties intéressées disposeront d'un délai de huit semaines pour fournir des informations en retour. Celles-ci seront alors transmises par la Commission européenne au Parlement européen et au Conseil.
L'ABSENCE DE RENFORCEMENT DU DIALOGUE POLITIQUE AVEC LES PARLEMENTS NATIONAUX
Si elle insiste sur le principe même de consultation, la communication de la Commission européenne du 19 mai dernier ne comporte pas d'avancée significative en ce qui concerne le dialogue politique entre elle et les parlements nationaux. Ceux-ci ne sont envisagés que comme de simples parties intéressées.
Le texte n'aborde explicitement leur rôle qu'à l'occasion d'un rappel de la procédure d'examen des textes au titre du respect du principe de subsidiarité. Elle ne prévoit en aucun cas de démarche spécifique permettant aux parlements nationaux de contribuer positivement à l'activité législative européenne. Les parlements peuvent participer aux consultations sur un texte comme toute autre partie prenante. Ces consultations dureront huit semaines à compter de la publication de la proposition de la Commission, soit la durée retenue pour l'examen au titre de la subsidiarité. Une telle appréciation tend à cantonner les parlements nationaux à un rôle d'opposant perpétuel, via le contrôle de subsidiarité et la procédure de « carton jaune ».
Il convient pourtant de faire émerger un droit d'initiative ou « carton vert », qui confère aux parlements nationaux la possibilité de proposer des actions à mener par l'Union européenne ou d'amender la législation existante.
Le droit d'initiative est, pour l'heure, limité dans les traités à l'Initiative citoyenne européenne (ICE), manifestation du droit de pétition, introduite par le Traité de Lisbonne (2008) mais complexe à mettre en oeuvre. L'initiative doit, en effet, être soutenue par un million de citoyens issus d'au moins sept États membres de l'Union européenne, un nombre minimum de citoyens étant requis au sein de chaque État membre. Une fois déposée, la Commission dispose d'un délai de trois mois pour répondre aux pétitionnaires et proposer, si elle le souhaite, une action. Le refus de donner suite à cette pétition doit être justifié. Seules trois ICE, remplissant toutes les conditions de recevabilité, ont été jusqu'à aujourd'hui présentées à la Commission européenne : la première concernant la vivisection, la deuxième visant les droits de l'embryon humain et la dernière portant sur l'accès à l'eau. Ces propositions, qui relevaient plus de l'incantation que de la proposition législative, ont donné lieu, chacune, à une communication de la Commission européenne aux termes desquelles, elle n'a pas donné suite. L'ICE ne permet donc pas réellement de rapprocher l'Union européenne du citoyen et de relayer précisément ses aspirations.
Le « carton vert » apparaît donc, dans ce contexte, indispensable. Il n'est d'ailleurs pas anodin que le parlement britannique se montre extrêmement favorable à sa mise en oeuvre à l'heure où le Royaume-Uni s'interroge sur l'amélioration du fonctionnement de l'Union européenne. Des échanges ont, plus largement, lieu en ce sens au sein de la COSAC. Six chambres ( Vouli ton Antiprosopon chypriote, Folketing danois, Camera dei deputati italienne, Seimas lituanien, Tweede Kamer néerlandaise et Senát tchèque) ont également déjà adopté une position en faveur de ce dispositif. Notre commission avait également exprimé dans la proposition de résolution européenne sur le programme de travail 2015 qu'il convenait de « mettre en oeuvre un droit d'initiative des parlements nationaux leur permettant de contribuer positivement à l'élaboration du programme de travail de la Commission européenne ». Cette proposition est devenue résolution du Sénat le 10 mars dernier 2 ( * ) .
Le carton vert doit permettre :
- de proposer de nouveaux textes ;
- d'amender la législation existante ;
- d'abroger des textes obsolètes ;
- de réviser des actes délégués ou d'exécution.
Il ne paraît pas utile de fixer un seuil minimal de chambres pour proposer un carton vert, contrairement à la procédure retenue pour la subsidiarité. Le « carton orange » n'est recevable que si un tiers de parlements nationaux ont émis un avis motivé en ce sens (un quart pour propositions législatives dans le domaine de la coopération judiciaire en matière pénale). Le « carton vert » doit faire l'objet d'une procédure faisant preuve de souplesse et conservant un caractère informel à l'image de ce qui se pratique actuellement dans le cadre du dialogue politique.
Un délai de participation au dialogue politique renforcé devrait néanmoins être introduit. La détermination de ce délai devrait être laissée à la discrétion de la chambre à l'origine du projet, qui informerait ensuite ses homologues. Il devrait néanmoins être compris entre 16 semaines et 6 mois.
Les amendements au projet initial devraient être apportés avant la transmission du carton vert à la Commission européenne. Leur recevabilité serait laissée à la discrétion de la chambre à l'origine de l'initiative. Les autres chambres disposeraient de toute latitude pour se retirer, à tout moment, de la procédure.
À l'initiative de la chambre des Lords britannique, un carton vert visant l'action européenne en matière de lutte contre le gaspillage alimentaire est aujourd'hui envisagé à titre expérimental.
LA TRANSPARENCE AFFICHÉE EN QUESTION : LE CAS DES COMPÉTENCES D'EXÉCUTION ET DES TRILOGUES
VERS UN MEILLEUR ENCADREMENT DES ACTES DÉLÉGUÉS ?
La communication de la Commission européenne comme la proposition de révision de l'accord interinstitutionnel s'attardent sur la question de la compétence d'exécution qui lui est attribuée à l'article 17 du traité sur l'Union européenne. Les articles 290 et 291 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne prévoient que cette délégation de compétence se traduise par deux types d'actes : les actes délégués et les actes d'exécution. Les actes délégués complètent ou modifient certains éléments non essentiels d'un acte législatif. Ils sont adoptés sous le contrôle du législateur qui peut révoquer sa délégation à tout moment. Le délai d'objection du Parlement européen et du Conseil à tout acte délégué adopté est en principe d'au moins deux mois, le délai étant prorogeable de deux mois à l'initiative d'une des institutions. Les actes d'exécution fixent, quant à eux, les modalités de mise en oeuvre des actes législatifs.
La commission des affaires européennes du Sénat a adopté, le 21 janvier 2014, un avis politique sur la question du recours systématique aux actes délégués, regrettant l'absence d'encadrement de cette pratique et le fait que les parlements nationaux ne puissent exercer de contrôle sur leur adoption, notamment en matière de subsidiarité 3 ( * ) . L'avis politique insistait sur l'opacité entourant la sélection des experts au sein des comités chargés d'assister la Commission européenne en vue de préparer lesdits actes. Ces comités ne sont plus composés de représentants des États membres, ce qui fragilise le contrôle des dispositifs adoptés. Il concluait sur la nécessité de préciser le plus possible les règlements afin de limiter le recours aux actes délégués et la nécessité, pour la Commission européenne, de sélectionner des experts des États membres au sein des comités qui l'assistent.
Le Parlement européen avait également émis un certain nombre de critiques sur les conditions d'exercice de la compétence d'exécution par la Commission européenne. Il a ainsi adopté, le 25 février 2014, une résolution sur les suites à donner à la délégation de pouvoirs législatifs et au contrôle par les États membres de l'exercice des compétences d'exécution par la Commission. Ce texte soulignait également le recours abusif à de tels actes et insistait sur une meilleure association des États membres et du Parlement européen à leur élaboration.
Les réserves exprimées sur le manque de transparence autour de ce type d'acte semblent avoir été pour partie entendues par la Commission européenne. Il convient à ce titre de relever que l'équipe précédente n'avait pas estimé que les observations dont nous avions fait état méritaient une réflexion sur une éventuelle réforme des procédures (cf. annexe page 28).
Aux termes de la proposition de révision de l'accord interinstitutionnel, les projets d'actes délégués pourront désormais donner lieu à des consultations publiques. Les projets seront accessibles durant quatre semaines via le site internet de la Commission européenne. Les experts des États membres seront consultés dans le même temps, la nomination de ceux-ci restant à la discrétion des gouvernements. Des consultations avec les parties intéressées peuvent également avoir lieu. La modification substantielle d'un projet d'acte délégué après consultation doit donner lieu à un nouvel avis des experts. Un représentant du Parlement européen pourra être associé aux réunions d'experts, à la demande du Parlement européen. La Commission européenne reprend en cela les propositions de la résolution du Parlement européen citée plus haut. Certaines commissions parlementaires s'y associent déjà, à l'image de la commission PECH. Des analyses d'impact pourraient, le cas échéant, être produites sur les actes d'exécution susceptibles d'avoir des effets importants.
Ces propositions vont dans le bon sens, même si, là encore, le manque d'association des parlements nationaux est criant. L'opportunité d'un contrôle de ses actes au titre du principe de subsidiarité n'est pas abordée. Les actes délégués ou d'exécution demeurent pourtant des compléments des actes législatifs qui, eux, sont soumis à ce contrôle. Celui-ci n'est donc in fine que partiel alors même que la Commission européenne insiste sur son rôle lorsqu'elle aborde la consultation sur les projets d'actes législatifs. Aucune mesure n'est, par ailleurs, annoncée en ce qui concerne une plus grande précision des textes législatifs européens en vue de limiter le recours aux actes délégués et d'exécution.
L'ABSENCE DE DISPOSITION ENCADRANT LES TRILOGUES
Si la Commission européenne entend afficher une plus grande transparence concernant l'élaboration de la législation, celle-ci semble s'arrêter là où débute la phase de négociation entre les institutions pour faire émerger un compromis dès l'issue de la première lecture : les trilogues. Ceux-ci réunissent Commission européenne, Parlement européen et Conseil. 1 500 réunions du trilogue ont eu lieu au cours des cinq dernières années. 80 % des textes ont été adoptés sur cette période à l'issue d'un trilogue, les Traités prévoyant trois lectures dans la procédure législative ordinaire. Il convient d'insister sur le fait que le trilogue n'est pas défini précisément par les Traités. Cette procédure reste opaque comme en témoignent l'absence de publication de l'ordre du jour des trilogues ou de comptes rendus publics des négociations. Il convient de s'interroger également sur la composition de ces trilogues, où la présence d'experts de la Commission ou du Conseil peut fragiliser la position du Parlement européen. La proposition d'accord interinstitutionnel ne propose aucune avancée dans ce domaine. Cette question n'est pas sans conséquences pour les parlements nationaux qui ne disposent d'aucun éclairage sur les observations qu'ils ont pu transmettre sur des textes via leurs gouvernements ou dans le cadre du dialogue politique avec la Commission européenne.
Il convient désormais d'attendre les résultats d'une enquête du Médiateur européen, ouverte le 28 mai dernier, sur cette question. Il a ainsi été demandé aux trois institutions des informations sur leurs politiques de divulgation des documents des trilogues, y compris des détails des réunions, des documents concernant des trilogues en cours, des comptes rendus ou des notes élaborés après de telles réunions, ainsi que des listes de participants. Une réponse était attendue d'ici au 30 septembre 2015. Afin de disposer d'une appréciation globale des documents échangés pendant les négociations en trilogue, le Médiateur devait examiner plus spécifiquement deux dossiers, ayant fait l'objet de trilogues : le règlement sur les essais cliniques et la directive sur le crédit hypothécaire.
RETRAIT DE TEXTES ET ABROGATION DE NORMES : QUELLES MARGES DE MANoeUVRE POUR LES LÉGISLATEURS ?
LE PROGRAMME REFIT
Le programme REFIT, acronyme anglais pour « r églementation affûtée », a été lancé en octobre 2013 et vise à évaluer l'acquis réglementaire et adopter, le cas échéant, les mesures correctives nécessaires. Celles-ci peuvent prendre la forme d'abrogations, de modifications ou de bilan de qualité. Il s'agit de répondre à l'objectif louable d'allègement de la charge règlementaire et de lutte contre la « bureaucratie inutile » que la Commission européenne s'est assigné. Cette révision s'effectue néanmoins à l'aune de trois principes selon la Commission européenne :
- le maintien d'un niveau élevé de protection sociale et de protection de la santé et de l'environnement ;
- la préservation de la liberté de choix des consommateurs ;
- la contribution de ces textes aux objectifs fixés en matière de croissance et d'emploi.
200 mesures ont été recensées dans le cadre de ce programme depuis son lancement. Un tableau de bord a ainsi été publié en juin 2014. L'annexe III du programme de travail pour 2015 détaille les 79 mesures qui devaient être adoptées d'ici la fin 2015.
Remis en question par le président de la Commission européenne en décembre 2014, il fait l'objet de plusieurs propositions de réforme au sein de la communication du 19 mai dernier. La Commission souhaite notamment se servir de ce dispositif pour mener à bien des travaux d'évaluation. Un bilan de qualité de la législation alimentaire générale devrait ainsi être lancé dans ce cadre. La Commission entend également poursuivre l'évaluation des normes européennes relatives aux conditions de travail et de santé, ainsi que sur les produits chimiques. Le nouveau comité d'examen de la réglementation sera, dans le même temps, chargé de grandes analyses rétrospectives et d'un « bilan de santé » des politiques mises en oeuvre.
L'allègement des charges administratives passera par un réexamen, avec les États membres, des conditions de mise en oeuvre de la réglementation européenne. La Commission entend également continuer à veiller à ce que la transposition s'effectue de la façon la plus précise possible. Une révision des obligations en matière d'information devrait, par ailleurs, être lancée et une base de données sur les exigences en matière d'étiquetage des denrées alimentaires mise en place.
Le volet financier n'est pas non plus négligé, la Commission européenne entendant simplifier le mode de financement européen des projets nationaux.
Ces axes de travail devraient être approfondis dans le cadre d'une nouvelle plateforme REFIT, destinée à mieux prendre en compte les besoins et les intérêts des petites et moyennes entreprises. Un pôle des gouvernements, composé de 28 experts de haut niveau désignés par chaque État membre, des représentants du Comité économique et social européen et du Comité des régions, et un pôle des « parties prenantes », réunissant jusqu'à 20 experts nommés par la Commission européenne et provenant de la société civile seront ainsi associés pour évaluer la législation existante. Chacun des pôles devrait se réunir à intervalles réguliers, une réunion conjointe étant prévue une fois par an.
L'ABSENCE DE PRÉCISION SUR LE DROIT DE RETRAIT
La présentation du programme de travail de la Commission européenne pour 2015 avait été marquée par l'annonce du retrait de plusieurs propositions législatives en cours d'examen. L'exécutif européen avait ainsi indiqué son souhait de retirer 80 propositions législatives sur les 452 en instance d'examen par les institutions européennes fin 2014. La Commission européenne mettait en avant un principe de « discontinuité politique ». La Commission s'était alors fondée sur l'article 39 de l'accord-cadre d'octobre 2010 avec le Parlement européen qui autorise un réexamen de toutes les propositions pendantes en début de législature. L'ampleur du nombre de retraits a pu surprendre, puisque la pratique habituelle portait sur 30 à 40 textes retirés chaque année. Sur les 80 textes abandonnés par la Commission européenne, 58 étaient néanmoins devenus obsolètes en raison d'un changement de contexte ou de l'adoption d'autres normes.
Ces retraits ont cristallisé l'opposition de plusieurs groupes politiques au sein du Parlement européen, prompts à dénoncer un manque de concertation avec la Commission européenne, malgré l'accord interinstitutionnel. Les critiques du Parlement européen se sont notamment portées sur la directive « paquet déchets » (COM (2014) 397) présentée en juillet 2014 et l'élaboration d'un nouveau texte d'ici à la fin 2015 4 ( * ) . Le gouvernement français avait également cosigné une lettre appelant au maintien de ce texte, en insistant notamment sur la priorité qui devait être accordée à l'économie circulaire.
Le rapport de la commission des affaires juridiques du Parlement européen sur le programme pour une réglementation affûtée et performante (REFIT), adopté le 29 juin dernier, et les avis des autres commissions qui lui sont annexés, relaient cette contestation 5 ( * ) et insistent sur la nécessité de mettre en place des lignes directrices encadrant le retrait des propositions législatives en cours d'examen. Le Parlement européen souhaite notamment qu'en cas de retrait, la Commission européenne le consulte en premier lieu, en particulier après la première lecture, et prenne dûment en compte son avis 6 ( * ) .
Ce principe n'est pas intégré au sein de la communication du 19 mai 2015 ni dans la proposition d'accord interinstitutionnel qui lui est jointe. La Cour de justice de l'Union européenne a, cependant, établi, entretemps, des règles encadrant le droit au retrait.
Les conditions d'exercice de ce droit de retrait ont été, en effet, contestées par le Conseil devant la Cour de justice de l'Union européenne, plus d'un an avant la présentation du programme de travail pour 2015. Le recours du Conseil visait la décision de retrait de la Commission du 8 mai 2013 d'une proposition de règlement établissant les dispositions générales relatives à l'assistance macrofinancière aux pays tiers. Ce retrait est intervenu au cours de la première lecture de la procédure législative ordinaire, avant que le Conseil n'ait formellement adopté sa position sur ladite proposition. La Commission européenne avait estimé que les premières négociations modifiaient l'équilibre initial du texte. L'avocat général a, le 18 décembre 2014, rappelé que les traités ne prévoyaient expressément ni l'existence d'un pouvoir de retrait d'une proposition législative de la Commission ni, à plus forte raison encore, ses modalités d'exercice. Il rappelait néanmoins que selon une tradition bien établie, la Commission procède à des retraits individuels ou groupés à titre de « nettoyage administratif ». L'avocat général insistait sur le fait que le pouvoir de retrait découle du rôle qui est confié à la Commission dans le cadre du processus législatif et se fonde donc sur les articles 17 du Traité sur l'Union européenne et 293, paragraphe 2, du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. L'exercice du pouvoir de retrait est envisagé comme une manifestation ultime du monopole d'initiative législative de la Commission, exprimant ainsi son rôle de gardienne de l'intérêt de l'Union. Ce pouvoir de retrait restait par ailleurs limité dans le temps : l'article 293 du TFUE précise en effet que, tant que le Conseil n'a pas statué, la Commission peut modifier sa proposition tout au long des procédures conduisant à l'adoption d'un acte de l'Union. Il ne s'agit pas aux yeux de l'avocat général d'une manoeuvre permettant à la Commission européenne de s'ériger en co-législateur.
L'arrêt rendu le 14 avril 2015 suit en partie ces observations 7 ( * ) . Il assortit, en effet, le droit de suppression de la Commission européenne de deux conditions :
- Les motifs justifiant ce retrait doivent être suffisamment expliqués aux organes législatifs et étayés, en cas de contestation, par des éléments convaincants (article 296 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne) ;
- Si la Commission décide de supprimer un projet de texte parce que les institutions cherchent à l'amender, ce retrait doit être effectué dans un esprit de coopération sincère avec le Parlement européen et le Conseil et dans le respect des intérêts de ces institutions (article 13 du Traité sur l'Union européenne).
Aux yeux de la Cour, le rôle de la Commission ne saurait se limiter à présenter une proposition et à chercher, ensuite, à rapprocher les positions du Parlement et du Conseil. La Commission a, aussi longtemps que le législateur n'a pas statué, la possibilité de modifier sa proposition ou la retirer. Elle peut également, selon le juge, décidé du retrait d'un texte si la proposition originelle est manifestement dénaturée par un amendement du Parlement européen ou du Conseil. Cet amendement doit faire obstacle à la réalisation des objectifs initiaux, privant ainsi la proposition de sa raison d'être. Dans le cas d'espèce, la Cour estime que la Commission a essayé de trouver une solution de compromis, qui n'a pu aboutir. La Commission n'a donc pas violé le principe de coopération loyale. Elle insiste sur ce point car, selon elle, le droit d'initiative et donc de retrait ne sauraient constituer les éléments d'un droit de véto sur le processus législatif. Le droit de retrait qu'elle reconnaît peut, par ailleurs, être contesté devant elle. À l'aune de l'arrêt de la Cour, il convient d'insister sur le fait que le retrait ne saurait être, en tout état de cause, motivé par le seul changement de Commission, qui déjugerait ensuite les travaux de la précédente équipe.
La proposition d'accord interinstitutionnel gagnerait à être enrichie par une référence à cette jurisprudence. Celle-ci permettrait de clarifier le rôle de chacun.
EXAMEN PAR LA COMMISSION
La commission des affaires européennes s'est réunie le jeudi 15 octobre 2015 pour l'examen du présent rapport. À l'issue de la présentation faite par MM. Jean Bizet et Simon Sutour, le débat suivant s'est engagé :
M. Jean Bizet , président . -Ce rapport est technique mais fondamental. Vous pouvez relayer ces informations dans vos départements. L'accent mis sur les PME et la nomination d'Edmund Stoiber, ancien Ministre-Président de la Bavière, comme président du groupe de haut niveau sur les charges administratives vont dans le bon sens, car ils généreront les économies que réclament les industriels. Mais cela prendra du temps.
M. André Gattolin . - Je félicite nos deux rapporteurs pour cette initiative. Dans le point 12, vous proposez que le Sénat « juge positivement le projet de la Commission européenne de rendre plus transparente la procédure entourant l'adoption d'actes au titre de ses compétences d'exécution ». Je m'interroge sur l'étendue de cette transparence. Selon le Conseil d'État, les multiples conventions ratifiées à la sauvette en commission et en séance ont une forte incidence jurisprudentielle sur le droit national. On peut alors s'interroger sur l'impact de l'accord commercial entre le Canada et l'Union européenne (CETA) et du traité transatlantique (TTIP), et demain sur les négociations avec la Chine - notamment si elle acquiert le statut d'économie marchande à l'Organisation mondiale du commerce. La Commission européenne peut-elle négocier dans une telle opacité ? On ne sait jamais si ces accords sont simples ou mixtes. Les négociations de grands traités doivent être plus transparentes, afin que la Commission n'outrepasse pas son mandat et qu'il n'y ait aucun accord mixte sans accord des États-membres. Les mandats et les marges de négociation doivent être plus limités afin d'éviter des rapports de forces discutables.
La Commission souhaite réaliser des études d'impact sur les transpositions nationales, mais il faudrait déjà qu'elle réalise des études d'impact nationales ! Je l'ai demandé pour le TTIP à Mme Malmström. Le TTIP ne donne que des évolutions globales de croissance et d'emploi. Comment rendre des comptes si en amont nous n'avons aucune visibilité sur son impact préalable dans chaque pays ? C'est un peu pervers.
La Commission souhaite améliorer les processus de consultation. On marche sur la tête : il n'y a aucune méthodologie des consultations en ligne, qui sont tantôt ciblées, tantôt non. Je dois être un des rares parlementaires à y participer, or ma réponse est noyée dans le flot. La représentativité doit être proche de zéro. Ainsi, sur le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États (ISDS), un million de participants ont répondu ; et la Commission écrit un rapport de 170 pages pour dire que l'échantillon n'était pas représentatif ! Pour la consultation de la feuille de route sur l'Arctique, il y a eu 72 réponses dont 12 extra-européennes, et la Commission en tire des enseignements en éditant des graphiques ! Qui plus est, la consultation n'est souvent pas fondée sur des recommandations du Parlement ou du Conseil. Le plus souvent, c'est une Direction qui donne sa propre orientation, sélectionne les questions et les réponses qu'elle souhaite. Dans le cas de l'Arctique, elle n'a pas tenu compte des neuf textes qui avaient été avalisés par le Parlement européen et la Commission ! Je constate également que l'Eurobaromètre est utilisé de plus en plus rarement et de façon assez délétère. Il faudrait davantage de surveillance.
M. Alain Delcamp, ancien secrétaire général de la Présidence du Sénat, avait dénoncé dans un rapport cette architecture baroque et plaidé pour que le trilogue devienne un quadrilogue intégrant les parlements nationaux. C'est une piste à suivre. Nous devons mieux nous coordonner avec le Parlement européen, notamment en ce qui concerne le carton vert.
M. Jean Bizet , président . - Les députés européens sont un peu crispés sur ce point...
M. André Gattolin . - Il serait tactiquement intéressant de les associer à ces initiatives parlementaires, pour ne pas déshabiller totalement le Parlement européen.
M. Jean Bizet , président . - Nous avons fait oeuvre de coproduction législative dans le dossier agricole avec le député européen Michel Dantin ; nous pourrions davantage travailler dans cet esprit, afin d'éviter les crispations de part et d'autre.
M. Jean-Paul Emorine . - On peut légitimement demander que les parlements nationaux aient plus de poids. Mais nous n'aurons les études d'impact du TTIP qu'a posteriori. Nos informations proviennent des organisations professionnelles. À propos de l'impact des différentes normes adoptées sur une politique donnée, Michel Dantin nous avait transmis les conclusions du Conseil économique et social européen sur les adaptations de la PAC. Elles sont si nombreuses que la PAC en perd son caractère commun.
M. Jean Bizet , président. - Oui, elle se détricote.
M. Jean-Paul Emorine . - La France a fait du recouplage pour faire plaisir à ses agriculteurs - que je connais bien -, mais ce n'est pas vraiment l'esprit de la PAC qui doit reposer sur des bases communes. Il faut trouver une ligne d'équilibre avec les institutions européennes. Oui à des initiatives, mais des études d'impact doivent être réalisées en amont.
M. Jean Bizet , président . - En commission du développement durable, j'ai dénoncé hier une approche de moins en moins communautaire et source de distorsions lors d'un débat sur l'importation de biotechnologies vertes. Attention à ne pas renationaliser des politiques qui ont été des ciments de la construction européenne.
M. Jean-Paul Emorine . - Absolument. La PAC date de 1958.
M. André Gattolin . - Le point 12 de la proposition de résolution aurait pu être formulé plus fermement : il y a des marges de progrès sur la transparence, notamment quand la Commission négocie seule des traités.
M. Simon Sutour . - C'est vrai, mais ce texte constitue déjà une avancée, et nous faisons un peu pression. Vous avez raison sur le fond.
M. Jean Bizet , président . - Il faudra juger à long terme.
M. Simon Sutour . - La Commission Juncker fait progresser les textes, notamment celui sur la protection des données, qui devrait enfin aboutir.
M. Jean Bizet , président . - Nous avons d'ailleurs demandé à Simon Sutour d'avancer sur son rapport car nous recevrons le 25 novembre le commissaire européen chargé du marché numérique unique, M. Andrus Ansip.
À l'issue du débat, la commission des affaires européennes a adopté, à l'unanimité, la proposition de résolution européenne suivante, ainsi qu'un avis politique qui en reprend les termes et qui sera transmis à la Commission européenne.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE
Le Sénat,
Vu l'article 88-4 de la Constitution,
Vu l'article 12 du Traité sur l'Union européenne (TUE),
Vu les articles 288, 290 et 291 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE),
Vu le protocole n°1 sur le rôle des parlements nationaux dans l'Union européenne, annexé au traité sur le fonctionnement de l'Union européenne,
Vu la communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil : Proposition d'accord interinstitutionnel relatif à l'amélioration de la règlementation (COM (2015) 216 final),
Vu la communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions : Améliorer la réglementation pour obtenir des meilleurs résultats - un enjeu prioritaire pour l'Union européenne (COM (2015) 215 final),
Salue la volonté de la Commission européenne de mieux associer les citoyens européens à l'élaboration de la législation de l'Union européenne ;
Reconnaît l'intérêt d'une évaluation systématique de la législation existante et sa refonte dans le cadre du programme REFIT ;
Partage les objectifs de transparence poursuivis par la Commission européenne ;
Appuie l'ambition de la Commission européenne de mieux analyser l'impact des projets d'actes législatifs européens ;
Juge positivement le projet de la Commission européenne de rendre plus transparente la procédure entourant l'adoption d'actes au titre de ses compétences d'exécution ;
Regrette toutefois vivement que les propositions de la Commission européenne ne reconnaissent pas la spécificité du rôle des parlements nationaux et n'abordent pas la question du renforcement du dialogue politique avec eux ;
Rappelle qu'aux termes de l'article 12 du Traité sur l'Union européenne, les parlements nationaux contribuent activement au bon fonctionnement de l'Union ;
Estime en conséquence que les parlements nationaux doivent jouer un rôle actif dans l'élaboration de la législation européenne ;
Rappelle que les parlements nationaux ne peuvent exercer leur contrôle de subsidiarité sur les actes délégués et regrette que le recours à ce type d'acte ne soit pas appelé à être limité ;
Conteste le recours systématique aux analyses d'impact lors de la transposition des directives ;
Souligne qu'une telle démarche pourrait contredire les termes de l'article 288 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne définissant la directive ;
Fait valoir qu'elle pourrait porter atteinte aux principes de subsidiarité et de proportionnalité ;
Déplore qu'aucune proposition n'ait été faite afin de mieux encadrer la pratique des trilogues et souhaite que des mesures soient adoptées en vue de faciliter la publicité de leurs travaux ;
Demande à la Commission européenne d'appuyer les travaux de plusieurs parlements nationaux en vue de renforcer le dialogue politique et faire émerger un « carton vert » ou droit d'initiative, permettant à plusieurs chambres de proposer de nouveaux textes, des amendements, l'abrogation de normes existantes ou la révision d'actes délégués ou d'exécution ;
Estime que la proposition d'accord interinstitutionnel devrait reprendre la jurisprudence récente de la Cour de justice de l'Union européenne pour définir les conditions du droit de retrait par la Commission européenne des propositions législatives européennes ;
Invite le gouvernement à soutenir ces orientations et à les faire valoir dans les négociations en cours.
ANNEXE
* 1 Résolution européenne sur le Programme de travail de la Commission européenne (COM (2014) 910) n°71 (2014-2015)
* 2 Résolution européenne sur le Programme de travail de la Commission européenne (COM (2014) 910) n°71 (2014-2015)
* 3 Rapport de M. Simon SUTOUR, au nom de la commission des affaires européennes : "La place des actes délégués dans la législation européenne" n° 322 (2013-2014), 29 janvier 2014
* 4 Si elle avait salué les ambitions du dispositif, la commission des affaires européennes avait néanmoins adopté, en novembre 2014, une proposition de résolution européenne soulignant les conséquences financières de ce dispositif pour les collectivités locales, et en particulier les communes, et l'inadéquation des objectifs affichés avec la réalité industrielle de la filière compostage. Ce texte est devenu résolution du Sénat le 9 décembre 2014 (n°29 - 2014-2015).
* 5 Le Parlement européen n'a pas pu pour autant trouver un accord, le 15 janvier 2015, sur une résolution commune portant sur l'ensemble du programme de travail et dénonçant les retraits. Chaque groupe politique a mis en avant ses orientations propres et aucune synthèse n'a pu être dégagée.
* 6 Rapport de Mme Sylvia-Yvonne Kaufman, au nom de la commission des affaires juridiques, sur Le programme pour une réglementation affûtée et performante (REFIT): situation actuelle et perspectives (2014/2150(INI)).
* 7 CJUE, Conseil de l'Union européenne contre Commission (affaire 409/13), 14 avril 2015.