C. SURMONTER LA CONTRAINTE BUDGÉTAIRE ACTUELLE GRÂCE AUX « FINANCEMENTS INNOVANTS »

1. Le débat sur l'additionalité des financements climat aux financements classiques

Un débat existe sur l'articulation de l'aide publique au développement avec les financements climat, les tenants de « l'additionalité » considérant que les montants annoncés au titre de la lutte contre le changement climatique doivent venir strictement s'additionner aux engagements pris dans le cadre de la lutte contre la pauvreté.

Comme l'a indiqué à vos rapporteurs spéciaux le ministère des affaires étrangères, la France, pour sa part, considère que « les financements climat n'ont pas vocation à se substituer à l'aide actuelle ni à lui être strictement additionnels [...] Il s'agit d'un raisonnement en termes de co-bénéfices climat des politiques et projets de développement ».

Vos rapporteurs spéciaux considèrent, certes, que les actions de lutte contre le changement climatique, notamment en matière d'adaptation, comprennent un volet relatif à la lutte contre la pauvreté ; ils estiment néanmoins que l'objectif de 100 milliards de dollars ne doit pas être atteint en augmentant la dimension « verte » de l'APD actuelle, ce qui reviendrait à « recycler » ou à « verdir » nos financements .

2. Une difficulté à surmonter grâce aux « financements innovants »

Le contexte budgétaire et économique rend la perspective d'une stricte additionalité difficile. Cette difficulté pourrait être dépassée en ayant recours aux « financements innovants » , selon l'expression consacrée, c'est-à-dire à des taxes affectées, mises en place - idéalement - au niveau international, comme l'a été la taxe sur les billets d'avions. Cette question a récemment été traitée dans le rapport de la commission Pascal Canfin - Alain Grandjean 16 ( * ) .

a) La perspective d'une taxe sur les transactions financières européenne

Vos rapporteurs spéciaux ont plaidé à plusieurs reprises pour la mise en place d'une taxe sur les transactions financières (TTF) au niveau communautaire, dont le produit soit au moins partiellement affecté à l'aide publique au développement 17 ( * ) .

Cependant, la mise en place de cette TTF est laborieuse 18 ( * ) . Le projet porté par la Commission européenne en 2011, sans doute maximaliste, n'a pas emporté l'adhésion de l'ensemble des États membres, si bien qu'il a fallu se « replier » sur une coopération renforcée. Un projet a été présenté par la Commission en 2013, mais les onze États concernés ne sont pas parvenus à trouver un accord. Une nouvelle proposition devait être adoptée avant la fin de l'année 2015, pour une entrée en vigueur en 2016. Cependant, sa mise en oeuvre a de nouveau été repoussée.

De plus, des doutes existent quant à son affectation , entre le souhait de certains de la verser au budget général de l'Union européenne et les tentations des différents pays qui la mettront en place de l'affecter à leur propre budget plutôt qu'à l'aide publique au développement, dans un contexte économique et financier européenne difficile. En 2015, la France s'est d'ailleurs limitée à affecter à l'APD environ 17 % de sa propre TTF.

Produit de la taxe sur les transactions financières (TTF) française

(en millions d'euros)

2013

2014

2015

2016

2017

Produit brut de la TTF

766

818

832

Part théorique affectée au développement

10 %

15 %

25 %

25 %

25 %

Par correspondante hors plafonnement

77

123

208

Plafond

60

100

140

160

190

Montant affecté au développement

60

100

140

160

190

Part réellement affectée au développement

8 %

12 %

17 %

Montant revenant au budget général

706

718

692

Source : documents budgétaires

Cette solution est donc intéressante mais incertaine.

b) Le financement à partir du marché carbone soumis à une remontée du cours de la tonne de CO2

Une autre source potentielle de financement pour l'aide publique au développement pourrait provenir du marché européen du carbone, le « schéma européen d'échange de quotas » (EU ETS). En effet, depuis 2013, une partie de ces quotas sont mis aux enchères ; elles ont rapporté 3,6 milliards d'euros en 2013.

Le produit de ces enchères dépend naturellement du cours de la tonne de CO 2 . Celui-ci était descendu sous les 4 euros dans le prolongement de la crise économique de 2009, alors qu'il s'élevait à 35 euros au début de 2008. Il est aujourd'hui à peine supérieur à 7 euros la tonne .

La question fondamentale est celle de la réduction des quotas. Or, en 2013, le Parlement européen avait gelé leur montant afin de ne pas pénaliser les entreprises européennes, mais empêchant le cours du CO 2 de remonter. Cet été, la Commission européenne a présenté des propositions de refonte du marché du carbone pour l'après-2020 tandis qu'au mois de septembre a été définitivement adoptée la « réserve de stabilité », qui sera mise en oeuvre à compter de 2019, destinée à faire remonter le prix du carbone en réduisant les déséquilibres entre offre et demande de quotas. Elle devrait permettre au cours de la tonne de CO 2 de remonter autour de 30 euros en 2020 .

Pascal Canfin et Alain Grandjean estiment que les revenus du marché carbone pourrait permettre d'affecter 3,5 à 5 milliards d'euros à la lutte contre le changement climatique dans les pays en développement, en évaluant le produit total des enchères à 230 à 320 milliards d'euros, dont 25 % environ seraient donc orientés vers cet objectif.

c) L'opportunité de la COP 21 pour discuter d'une taxation du carburant des transports aériens et maritimes

Enfin, les secteurs des transports aériens et maritimes pourraient également être mis à contribution. Ils constituent d'importants contributeurs aux émissions de gaz à effet de serre en émettant à eux seuls plus de 5 % des émissions, et cette part pourrait croître dans les prochaines années.

Le secteur aérien, représenté par l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) a convenu de mettre en place un marché mondial de réglementation des émissions de gaz à effet de serre émis par le secteur, si bien que l'application de l'EU ETS aux vols en provenance et à destination de l'Europe a été reportée. Ce système sera proposé par l'OACI d'ici 2016.

S'agissant du secteur maritime, l'Organisation maritime internationale (OMI) a adopté des mesures d'efficacité énergétique. Cependant, étant donné le rythme de renouvellement de la flotte, il faudra attendre de très nombreuses années avant de constater des effets tangibles. À ce stade, le secteur maritime n'a pas de plafond d'émissions et n'est pas inclus dans un système d'échange de quotas. Il pourrait cependant être concerné par le système européen à partir de 2018.

Vos rapporteurs spéciaux considèrent que la taxation de ces deux secteurs est une piste particulièrement intéressante , dans la mesure où les transports correspondent à un « flux physique », plus difficilement délocalisable que les flux financiers taxés par la TTF. Cette imposition pourrait prendre la forme d'une taxe sur les carburants ou, concernant les navires, d'une taxe sur les activités des armateurs, afin d'éviter qu'ils se ravitailler dans des pays n'appliquant pas la taxe. Certes, la mise en place d'une telle taxe pourrait s'avérer complexe d'un point de vue juridique : concernant le secteur aérien, il serait par exemple nécessaire de modifier la convention de Chicago relative à l'aviation civile internationale ainsi que plusieurs milliers de conventions bilatérales, mais la COP 21 offre justement un cadre aux États pour évoquer un tel sujet.

Il est donc stratégique qu'une décision de principe pour la taxation des carburants de ces deux secteurs soit prise dans le cadre de la conférence de Paris.


* 16 Commission Pascal Canfin - Alain Grandjean, Mobiliser les financements pour le climat : une feuille de route pour financer une économie décarbonée , juin 2015.

* 17 Yvon Collin et Fabienne Keller, Annexe n° 4 au rapport général n° 148 (2012-2013) sur le projet de loi de finances pour 2013.

* 18 Fabienne Keller, La taxe sur les transactions financières : facile à concevoir, difficile à mettre en oeuvre , rapport d'information n° 259 (2012-2013), décembre 2012.

Page mise à jour le

Partager cette page