B. LA MISE EN PLACE D'UNE VÉRITABLE STRATÉGIE ÉCONOMIQUE

La reprise économique entraperçue en 2014 s'est évanouie en raison de l'incertitude entourant la situation financière de l'État mais aussi de l'absence de stratégie économique de la part du gouvernement. La recherche urgente de liquidités et la priorité accordée aux négociations occultent tout débat sur les priorités économiques du pays et donc sur les moyens d'assurer sa solvabilité.

Les difficultés sont exacerbées par l'absence de réformes structurelles d'envergure, qui contribue à fragiliser la confiance des investisseurs et donc toute perspective de relance. Les difficultés rencontrées par les entreprises conduisent celles-ci à ne plus pouvoir rémunérer leurs salariés, ceux-ci ne restant que pour pouvoir bénéficier d'une protection sociale. Plus d'un tiers des salariés seraient concernés par une telle situation. Les retards de paiement de salaire atteignent en moyenne cinq mois. La Grèce semble en fait entrée dans un cycle dépressif, faute de prévisibilité et de garanties pour les investissements

Secteur moteur de l'activité grecque, le tourisme est lui aussi fragilisé par le climat actuel. Si les premiers résultats étaient, fin mai 2015, une fois et demie supérieurs à ceux enregistrés l'an passé, le nombre de réservations pour l'été semble, quant à lui, en baisse. La mauvaise image du pays en Allemagne contribue notamment à cette diminution. Les incertitudes entourant le taux de TVA pour l'an prochain assombrit les perspectives pour 2016.

1. Créer les conditions d'une véritable relance de l'activité en ciblant les secteurs clés

La plupart des observateurs relèvent une absence d'investissements depuis décembre 2014, faute de lisibilité sur l'action à moyen terme du gouvernement, comme en témoignent ses hésitations sur la poursuite des privatisations. Le gouvernement marque une certaine réticence à contribuer au financement de projets privés, à l'instar des autoroutes.

L'investissement dans les secteurs stratégiques pour la croissance, à l'image du tourisme ou de l'agriculture (les olives grecques sont transformées en huile en Italie), apparaît pourtant primordial. Le cas du tourisme est assez révélateur. Si 24 millions de personnes visitent le pays chaque année, la Grèce ne dispose d'aucune école hôtelière. Par ailleurs, ses infrastructures de luxe restent en nombre limité. L'aéroport d'Athènes ne dispose, quant à lui, que d'une seule piste. La capitale grecque ne dispose pas par ailleurs de capacités d'accueil pour les croisières et ne s'est toujours pas dotée d'un palais des congrès. Les investissements dans ces domaines ont largement contribué au développement de villes comme Istanbul ou Barcelone. La capitale turque dépasse aujourd'hui son homologue grecque en termes de fréquentation, alors qu'elle était au même niveau en 2003.

La privatisation des aéroports, lancée par le gouvernement précédent et validée par l'actuel peut, à ce titre, constituer une opportunité de développement indéniable en vue d'attirer plus de touristes. Il n'en demeure pas moins que des projets d'ampleur nécessitent le cofinancement de l'État, qu'il s'agisse de la ligne 4 du métro athénien, du tunnel autoroutier de Salamine ou de la modernisation de l'aéroport d'Heraklion. Les appels d'offres les concernant sont bloqués depuis janvier dernier, les dates de remise d'offre étant révisées tous les trois mois. Le projet d'extension du port de Pirée a, quant à lui, dû être abandonné, faute de liquidités.

2. Construire un État efficace doté de véritables pouvoirs

La poursuite et l'accélération de la réforme de l'État doit également faire figure de priorité. Celui-ci doit tout à la fois être dépolitisé et doté d'un véritable pouvoir de sanction dans le domaine fiscal. Il s'agit de rétablir la confiance des citoyens grecs et des opérateurs économiques dans les institutions grecques.

a) La lutte contre l'évasion fiscale

La question de l'efficacité de la collecte de l'impôt demeure centrale, cinq ans après la signature du premier mémorandum d'accord. Le problème fiscal grec ne saurait, en effet, se limiter à la question de la TVA dans les îles. La mise en place d'un système adapté constituerait, à n'en pas douter, une véritable rupture avec la tradition d'un État faible dans ce domaine, incapable d'exercer le moindre pouvoir de coercition. Il contribuerait également à permettre à la Grèce de dépasser des pratiques clientélistes et une culture de l'impayé. Les recettes fiscales sont d'ailleurs en baisse depuis le mois de décembre 2014.

Les fraudeurs sont protégés par une législation complexe et parfois contradictoire, la longueur des procès étant par ailleurs dissuasive. Le montant des arriérés fiscaux s'élève à 77 milliards d'euros, 80 % de cette somme étant dus au titre des cinq dernières années. 3,5 millions de dossiers portent sur des arriérés de paiement de moins de 3 000 euros. Les enquêtes fiscales se concentrent pourtant sur les cas les plus anciens. Le manque de moyens fragilise cependant toute ambition. Le gouvernement actuel souligne qu'il ne dispose que d'une centaine de contrôleurs du fisc et que le logiciel visant les mouvements de compte entre la Grèce et l'étranger ne sera disponible qu'en septembre prochain. Enfin, la loi sur la relance de l'économie adoptée par le Parlement le 20 mars 2015 ne prévoit pas de renforcement des sanctions pour les fraudeurs et n'aborde pas la question des contribuables qui organisent leur insolvabilité.

Dans ce contexte, la première des priorités tient au renforcement des moyens et de l'autonomie du Secrétariat général aux recettes publiques, institué avec l'appui des bailleurs de fonds par le gouvernement Samaras avant que celui-ci n'accule son directeur à la démission. Cet organisme indépendant qui devait concentrer tous les services d'enquête et définir la méthodologie des contrôles suscite aujourd'hui la méfiance du nouveau gouvernement, en dépit de la volonté affichée par celui-ci de renforcer les contrôles. La création d'un ministère dédié qui vient doublonner les missions du Secrétariat général aux recettes publiques traduit cet état de fait.

Il s'agit également d'éviter des solutions artisanales - à l'image des touristes agents auxiliaires des impôts proposés un temps par l'actuel gouvernement -, difficiles à mettre en oeuvre ou alourdissant la charge administrative des entreprises, à l'instar de l'édition de toutes les factures pour les annexer à la déclaration d'impôt. Le gouvernement Tsipras a, de son côté, mis en place un système de récupération de la TVA obligeant les entreprises à faire des avances de trésorerie, dans un contexte marqué par une raréfaction des liquidités. Il s'agit d'aller plus loin et de remédier aux difficultés que rencontrent les secteurs les plus dynamiques de l'économie grecque : 200 000 locaux sont ainsi loués sans déclaration préalable à des fins touristiques. Les représentants du secteur ont pourtant proposé de financer la mise en place d'un contrôle. Cette option a été refusée par le gouvernement. La mise en réseau des caisses enregistreuses n'a pas non plus, pour l'heure, abouti. Aucune recherche des signes extérieurs de richesse et d'activité n'est par ailleurs réellement mise en oeuvre.

Au-delà du paiement, il convient de s'interroger sur la population imposable. Pour l'heure, l'essentiel de la pression fiscale repose sur les employés, les fonctionnaires et les retraités, concernés par le prélèvement à la source. Faute de contrôle efficace, les auto-entrepreneurs, qui constituent plus de 50 % du tissu entrepreneurial grec, ne versent pas l'impôt. Aucune démarche n'a, par ailleurs, pour l'heure été significativement entreprise en direction des plus grandes fortunes, et notamment les armateurs.

Les armateurs grecs devraient encore être exonérés du versement de l'impôt sur les bénéfices, en vertu de l'article 107 de la Constitution grecque. Seule une taxe forfaitaire basée sur le tonnage et l'âge du bateau est imposée. Cette exemption date de 1953, époque à laquelle le gouvernement grec entendait aider à la reconstruction de la flotte hellène, détruite durant la seconde guerre mondiale. Le pavillon grec est désormais le troisième du monde avec 4 707 navires, dont la valeur est estimée à 105 milliards d'euros. 250 000 emplois sont générés par cette flotte. C'est à l'aune de cet effet sur l'emploi que la cinquantaine de familles qui possède la flotte menace d'une délocalisation tout gouvernement souhaitant réformer la fiscalité les concernant. Seule une taxe temporaire d'urgence de 500 millions d'euros étalée sur cinq ans, a pu leur être imposée en 2012. L'Église orthodoxe, salariée par l'État - la rémunération d'un pope étant établie entre 1 200 et 1 500 euros mensuels - n'est pas non plus concernée. Son action sociale - 10 000 repas seraient fournis chaque jour - sert de justification, aux yeux des gouvernements successifs, à l'absence de prélèvement sur son patrimoine immobilier. Une telle absence de mesure à l'égard des armateurs et de l'Église orthodoxe ne lasse pas d'interroger de la part d'un gouvernement issu de la gauche radicale.

La question de la taxation de l'immobilier reste d'ailleurs sujette à caution, avec la suspension par le gouvernement de l'impôt introduit par le l'équipe précédente. L'absence de cadastrage de la totalité du territoire (70 % du pays serait concerné), malgré son inscription dans la loi en 2011, ne facilite pas, quoi qu'il en soit, le prélèvement.

Les gouvernements successifs n'ont, par ailleurs, pas exploité les informations contenues dans la liste dite « Lagarde », du nom de la ministre des finances française de l'époque, transmise par la France en février 2010, qui contient des informations visant les dépôts de plus de 2 000 résidents grecs sur les comptes de la banque HSBC en Suisse. Seuls 49 font aujourd'hui l'objet d'une enquête.

b) Faire enfin aboutir une réforme de l'administration

La réforme de l'administration publique va de pair avec cette réforme fiscale. Il convient, à ce titre, de souligner les progrès enregistrés ces dernières années, notamment sous l'impulsion de la Task force for Greece européenne. Celle-ci a pu faire mettre en place un secrétariat général du gouvernement en 2013 et introduire une coordination ministérielle inexistante jusqu'alors. Une réforme des organigrammes des ministères a également été accomplie et le précédent gouvernement a pu faire adopter un projet de loi révisant les modalités d'évaluation et la mobilité des fonctionnaires. Il convient d'ajouter à cela les efforts continus des gouvernements successifs pour diminuer les effectifs de la fonction publique, avec une politique de non remplacement de 4 fonctionnaires sur 5 depuis 2010. Le coût budgétaire de la fonction publique a ainsi été réduit de 32 % sur la période et se situe ainsi aujourd'hui en dessous de la moyenne OCDE.

Si Syriza a également porté le thème de la réforme administrative durant la campagne électorale, le discours n'est toujours pas suivi d'effets. Pire les dispositions sur la mobilité et l'évaluation, contestées par les syndicats ont été suspendues. Le gouvernement prépare aujourd'hui un nouveau texte qui reprend pourtant l'essentiel des dispositions antérieures. La Task force n'y est, en tout état de cause, plus associée. Rien n'indique, par ailleurs, que le texte pourra être adopté, malgré l'appui du Premier ministre : le comité directeur de Syriza doit en effet se prononcer sur le projet, qui suscite toujours des réserves chez les syndicats. Le dossier de la réforme de l'Etat est, par delà, révélateur de la méfiance du gouvernement à l'égard de la Task force d'un côté, associée à la troïka (comme l'office grec des statistiques Elsta t), mais aussi de l'administration en général qu'elle juge encore liée au PASOK. Le gouvernement privilégie un partenariat avec l'OCDE, signé en mars 2015, pour accompagner cette réforme, quand bien même cette organisation ne dispose pas d'une expertise en la matière.

La réforme de l'État, en particulier dans le domaine judiciaire, apparaît pourtant primordiale tant elle pèse sur l'activité des entreprises, faute de sécurité juridique. Un million d'affaires pénales sont encore pendantes auprès des tribunaux grecs. Une procédure de jugement dure au minimum 5 ans mais atteint plus fréquemment 10 ans.

La Task force victime de la méfiance et de son nouveau format ?

La Task force for Greece a été créée en juillet 2011 pour mettre en oeuvre le premier mémorandum d'accord. Elle ne se limite pas à la réforme de l'État et a ainsi obtenu quelques résultats dans le domaine de la consommation des fonds structurels ou dans celui de la santé. Dotée de 60 agents, elle est principalement chargée :

- d'aider à recentrer les dépenses relevant de la politique de cohésion sur les projets les plus prometteurs sur le plan économique, notamment dans le domaine des transports et de l'environnement ;

- de contribuer, dans le cadre de la politique de cohésion, à l'élaboration de programmes innovants qui soutiennent l'activité de prêt aux PME ;

- de contribuer au financement et à la mise en oeuvre d'un important programme de réformes dans les domaines de l'administration fiscale et de la gestion des finances publiques ;

- d'analyser les modifications à apporter dans la gouvernance et la structure de l'administration publique grecque afin de garantir une coordination efficace et de permettre à la Grèce de s'approprier le processus de réforme de son administration publique ;

- d'aider les autorités grecques à définir les modalités de l'assistance technique pour qu'elle soit en mesure de soutenir de profondes réformes structurelles dans des domaines tels que l'environnement des entreprises, la facilitation des exportations, les marchés publics et la santé publique.

Elle propose aujourd'hui, dans le domaine social, l'introduction d'un revenu minimum d'insertion sur le territoire, financée par une rationalisation des allocations sociales et familiales. Une initiative de la Banque mondiale l'a déjà introduit à titre expérimental au sein de 13 municipalités. Le gouvernement actuel n'a pas donné suite au projet de la Task force de le généraliser.

De manière générale, l'action de la Task force a été fragilisée par une sous-estimation de la complexité juridique du pays mais aussi une méfiance à l'égard d'une structure étrangère. Elle n'est pourtant pas liée à la troïka et se trouve placée directement sous l'autorité du président de la Commission européenne. Son bilan peut, dans ces conditions, apparaître en demi-teinte.

La réforme de son mode de fonctionnement devrait la mettre, à l'avenir, à la disposition de l'ensemble des États membres. Elle sera par contre intégrée à la direction générale EcFin, dont dépendent déjà les représentants de la Commission siégeant au sein des institutions. Une telle évolution contribue à renforcer la défiance du gouvernement actuel à l'égard de cette structure, plus que jamais assimilée à l'ancienne troïka. Le mandat de la Task force se termine le 30 juin 2015 en Grèce. Il n'est pas sûr qu'elle soit reconduite compte tenu du contexte.

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