III. LE JOUR D'APRÈS
Votre rapporteur estimait à l'issue de son déplacement qu'au-delà d'un accord, il faudrait dépasser la logique comptable de l'ajustement budgétaire pour élaborer une véritable stratégie pour l'avenir du pays. Celle-ci passe par un débat sur la restructuration de la dette, la mise en place d'une véritable réforme de l'État mais aussi l'aide aux secteurs porteurs de croissance. L'histoire de la Grèce rappelle que les périodes de difficultés financières ont été immédiatement suivies par des phases de croissance, à l'image des progressions enregistrées entre 1901 et 1918 puis entre 1978 et 2001. Il convient donc de contribuer à la mise en place de celles-ci.
La victoire du non au référendum du 5 juillet, avec plus de 61 % des voix le 5 juillet, ne remet pas en cause ce constat. Même si l'avenir des négociations demeure un grand point d'interrogation.
A. UNE RESTRUCTURATION INÉVITABLE
Le Mécanisme européen de stabilité a rappelé dans son rapport d'activité 2014, présenté le 18 juin 2015, que la dette grecque était soutenable en l'état actuel. Il convient, selon lui, de dépasser une lecture focalisée sur le ratio de la dette par rapport au PIB mais mieux prendre en compte la structure de sa dette. Il juge ainsi que les obligations de remboursement seront « minimales » jusqu'en 2023 - un moratoire visant les intérêts et le capital dus aux États membres et au FESF - et que les versements seront ensuite étalés sur plusieurs décennies. Des taux d'emprunts sur les marchés favorables devraient conforter la soutenabilité de la dette. Cette condition ne sera cependant remplie que si la Grèce met en place les réformes structurelles attendues et qu'elle renoue avec croissance et excédent budgétaire primaire. L'accord du 27 novembre 2012 tablait à cet effet sur un excédent budgétaire primaire de 3 % en 2015, 4,5 % en 2016-2017 et 4,2 % en 2018-2019. Ces objectifs seraient remplis si la croissance atteignait 2,8 % en 2015, 3,7 % en 2016 et 3,5 % au-delà.
Face à la dégradation de la conjoncture et l'impossibilité pour la Grèce d'atteindre ces cibles, la question d'une nouvelle restructuration de la dette ne peut constituer, en tout état de cause, un tabou. Elle est expressément prévue par l'accord du 27 novembre 2012, qui précise néanmoins qu'elle ne pourra pas être effacée ou faire l'objet d'une décote.
Le FMI est plus réservé sur les modalités sur l'absence de décote, comme en témoigne son rapport sur la soutenabilité de la dette grecque du 26 juin. Il estime, en effet, qu'un excédent primaire inférieur à 2,5 % du PIB en 2018 (la cible souhaitée par les institutions atteint 3,5 % du PIB) et une croissance inférieure à 1 % du PIB à la même date devraient conduire à une restructuration d'ampleur à l'horizon 2020, afin de garantir sa soutenabilité et respecter la cible définie en 2012. Celle-ci passerait par un effacement de la dette à hauteur de 53,1 milliards d'euros, soit quasiment la somme prêtée par les États membres dans le cadre du premier plan d'aide de juin 2010 (52,9 milliards d'euros, dont plus de 11 milliards d'euros pour la France). Le FMI considère que l'absence de croissance dans le contexte actuel, la diminution des recettes fiscales et la faiblesse des recettes tirées de la privatisation fragilisent la trajectoire retenue par les institutions en matière d'excédent primaire.
1. Les options classiques
La plupart des options tablent avant tout sur un allègement de la charge de la dette et non la réduction de son montant. Il s'agit pour autant de ne pas céder aux demandes de l'actuel gouvernement grec, formulées le 5 juin 2015. La Grèce table en effet sur une réduction de 50 % de l'encours de la dette à l'horizon 2020, compensée par une augmentation du taux d'intérêt qui pourrait atteindre 5 % . Les conclusions de l'eurogroupe du 27 novembre 2012 insistaient pourtant sur l'absence d'effacement de la dette. Il convient de rappeler que la dette de la Grèce auprès de la BCE ne peut faire l'objet d'une restructuration, puisqu'elle équivaudrait au financement monétaire d'un État, ce qui est contraire à l'article 123 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.
Un allongement de la durée de remboursement de la dette et une baisse concomitante des taux d'intérêts peuvent aujourd'hui être envisagés. Si le remboursement des prêts octroyés était repoussé en 2051 et le taux d'intérêt ramené à un niveau inférieur à celui de l'Euribor 3 mois + 50 points de base (soit 0,55 % aujourd'hui), la dette grecque pourrait être allégée de 31,7 milliards d'euros selon le think tank Bruegel . Le précédent gouvernement grec souhaitait obtenir fin 2014 une décote ou une réduction des taux d'intérêts, assortie d'un report la maturité des prêts de 30 à 50 ans. La combinaison réduction des taux - allongement de la durée de remboursement devait alléger, selon lui, la dette de 40 %.
Une autre option consiste en l'achat par le Mécanisme européen de stabilité (MES) des émissions grecques sur le marché primaire. Une analyse de la Banque centrale européenne doit, au préalable, justifier une telle intervention. La Grèce serait en outre tenue de signer au préalable un protocole d'accord avec le MES qui prévoit la mise en oeuvre de réformes structurelles. L'intervention du MES est de surcroît limitée statutairement à 50 % des montants émis, sauf décision contraire adoptée à l'unanimité par le Conseil des directeurs du MES.
Une intervention de la Banque centrale européenne dans le cadre de son programme OMT de rachat de titres de 1 à 3 ans sur le marché secondaire pourrait également contribuer à alléger la dette. Les achats de la BCE sont néanmoins conditionnés à la mise en place de réformes structurelles dans les États concernés et s'inscrivent dans le cadre d'un plan d'assistance. La Grèce serait une nouvelle fois placée sous surveillance, un rapport trimestriel permettant à la BCE de décider de la poursuite des achats. En cas de non-respect de ses engagements, la BCE suspendra son action.
La solution d'un rachat de la dette contractée auprès de la BCE via un nouvel emprunt auprès du MES est également envisagé.
2. Concilier relance de la croissance et restructuration de la dette
La Grèce est confrontée aujourd'hui à un double défi : élaborer une stratégie économique viable pour le pays, porteuse de croissance et assurer la soutenabilité de la dette. Le remboursement de celle-ci ne peut, en tout état de cause, se faire au détriment de la croissance.
Le gouvernement grec préconisait lors de son intronisation des solutions innovantes qui ne passent pas par un effacement de la dette. Une partie des crédits perçus dans le cadre du plan d'aide international pourrait ainsi être transformée en obligations, dont le coupon et les remboursements seraient indexés sur l'évolution du produit intérieur brut grec. Ce mécanisme constituerait une incitation à la poursuite des réformes structurelles, destinées à relancer la croissance du pays. Les titres détenus par la Banque centrale européenne pourraient, quant à eux, être convertis en obligations perpétuelles, par essence non remboursables. Elles continueraient cependant de produire des intérêts, ce qui les rend négociables sur les marchés. Les autorités grecques souhaitent également que la Banque européenne d'investissement soit mobilisée afin qu'elle finance un large programme d'investissements, financé par l'émission d'obligations. Celles-ci seraient alors acquises par la BCE dans le cadre de son programme d'assouplissement quantitatif. Celui-ne peut pour l'heure s'appliquer à la Grèce, la BCE détenant déjà un tiers des émissions de dette grecque.
Cette implication de la BCE semble quelque peu optimiste, celle-ci étant très réservée sur la stratégie financière de l'actuel gouvernement. La position actuelle du gouvernement s'oriente aujourd'hui de toute façon plutôt vers une décote que sur des solutions répondant aux critères définis par l'eurogroupe en novembre 2012.
La campagne référendaire a permis au gouvernement Tsipras de préciser ses intentions en demandant une réduction de la dette de 30 % et un moratoire de 20 ans sur le remboursement.
L'idée de relier croissance et dette n'est pour autant pas à écarter. Une solution envisageable pourrait consister en la conversion d'une partie de la dette en certificats d'investissements. Cette solution est notamment préconisée par trois économistes français : Gabriel Coletis, Jean-Philippe Robé et Robert Salais 9 ( * ) . Il ne s'agit en aucun cas d'une annulation.
La solution d'une conversion de la dette en certificat d'investissement permet de réduire la dette sans l'annuler. Elle implique la création de fonds publics bilatéraux, au sein de laquelle coexisteraient la Banque d'investissement du pays (la BPI en France ou KPW en Allemagne) qui détient de la dette grecque et son homologue hellène. Ces fonds investiraient alors dans les secteurs productifs via la création de coentreprises, l'octroi de crédits ou la prise de participation au sein d'entreprises grecques. L'excédent primaire de la Grèce ne servirait plus à financer le remboursement de la dette mais bien à abonder ces fonds d'investissements. La créance serait elle-même transformée en capital abondant ces fonds.
Si le créancier renonce aux flux d'intérêts, il bénéficie d'une part des revenus futurs de ses investissements. Une partie des plus-values réalisées sera ainsi reversée en priorité aux créanciers. Les entreprises installées au sein de l'État créancier pourraient dans le même temps bénéficier d'une option prioritaire d'équipements pour les investissements productifs dès lors que les entreprises grecques ne peuvent les produire. Il conviendrait, pour mettre en oeuvre un tel dispositif, d'amender les règles européennes en matière de concurrence afin de faire échapper ces fonds aux normes visant les aides d'État.
Cette solution n'est pas sans rappeler celle mise en place par le Secrétaire d'Etat au Trésor américain, Nicholas Brady, en Amérique Latine entre 1985 et 1989. Les Debt Equity Swap ou Brady Bonds ont ainsi consisté en la conversion de la dette due par les États aux banques privées en actions de sociétés locales, ce qui a permis de nouveaux financements. 12,5 milliards de dollars de dette ont été converties.
* 9 Gabriel Colletis, Jean-Philippe Robé et Robert Salais, Un plan Marshall pour la Grèce . La Tribune, 13 février 2015.