B. UN DROIT DOMANIAL FLUCTUANT ENTRE SÉDIMENTATION HISTORIQUE ET TENTATIVES D'ADAPTATION AUX CIRCONSTANCES LOCALES
L'hétérogénéité qui se manifeste dans la composition matérielle du domaine ne suffit pas à expliquer l' extrême éclatement du droit domanial ultramarin . Les dérogations au droit commun sont devenues la règle au point de rendre les normes applicables particulièrement obscures et fluctuantes.
1. Un régime juridique dérogatoire et morcelé
a) Le droit commun de la domanialité
Le domaine public regroupe des propriétés de personnes publiques qui sont affectées soit à l'usage du public, soit à un service public. Les biens qui en font partie sont censés incarner au plus haut point la poursuite de l'intérêt général et sont, à ce titre, protégés par un régime très exorbitant qui assure leur inaliénabilité, leur imprescriptibilité et la précarité des occupations privatives. La cession d'un bien du domaine public nécessite au préalable sa désaffectation et son déclassement.
Domaine public de l'État et domaine public des collectivités L'appartenance au domaine public de certains biens ne signifie pas nécessairement que leur propriétaire est l'État ; les collectivités territoriales et les établissements publics peuvent disposer d'un domaine public soumis aux mêmes règles et bénéficiant des mêmes protections. Toutefois, il demeure une asymétrie entre l'État et les autres personnes de droit public en matière domaniale. Ainsi que le relève Mme Caroline Chamard-Heim, professeur de droit public à l'Université Lyon III-Jean Moulin : « De manière générale, l'État est assez omnipotent en matière de propriété publique en métropole comme outre-mer. Jusqu'au début du XX e siècle, on considérait que les communes n'étaient pas propriétaires de leurs biens. Encore aujourd'hui, la propriété privée et la propriété des personnes publiques autres que l'État ne bénéficient pas des mêmes protections. Ainsi, l'État ne peut pas exproprier une personne privée sans suivre une procédure très lourde qui demande l'intervention du juge judiciaire, la démonstration de l'utilité publique de l'opération et le versement d'une indemnité juste et préalable. C'est parfaitement cadré par le juge constitutionnel et la Cour européenne des droits de l'homme. Ce n'est absolument pas le cas pour les propriétés publiques. L'État peut à tout moment, par arrêté, prendre l'usage du bien de n'importe quelle commune, construire dessus, décider d'un transfert de propriété d'une commune à une personne physique, sans aucune indemnité. La patrimonialité publique est marquée du sceau de la toute-puissance de l'État, qui est placé au-dessus de toutes les personnes publiques. Le juge constitutionnel a validé ce régime qui ravale la propriété des collectivités à un rang inférieur à celui de la propriété privée. » 25 ( * ) |
En effet, l'État possède également des biens appartenant à son domaine privé , qui se définit par opposition au domaine public. Schématiquement, il rassemble des biens véhiculant un intérêt général moins important et ne bénéficie pas des protections attachées au domaine public.
L'État est alors plus ou moins assimilé à un propriétaire privé. La délimitation du domaine se fait selon la procédure du bornage, les servitudes du code civil sont applicables et les dommages seront réparés selon les règles de la responsabilité civile. En particulier, les biens du domaine privé ne sont pas inaliénables, ni imprescriptibles, sauf disposition législative expresse contraire et, par conséquent, ils entrent plus facilement dans le commerce juridique. Ils peuvent faire l'objet d'une expropriation.
Toutefois, certaines règles applicables au domaine privé demeurent exorbitantes du droit civil. Les biens qui en font partie sont insaisissables et bénéficient d'une fiscalité dérogatoire. En outre, s'impose l'interdiction des libéralités d'où provient le principe d'incessibilité à vil prix, qui peut être dans certains cas levé au nom de l'intérêt général.
b) Des exceptions ultramarines aux fondements discutables
(1) L'éclatement du droit domanial ultramarin
Avant d'apprécier l'efficacité ou l'inefficacité de la gestion par l'État de son domaine outre-mer, il convient de s'interroger sur la légitimité des normes particulières qui le régissent. Même si les grands principes du droit de la domanialité se retrouvent outre-mer, ils ressortent en effet très souvent criblés de mesures exorbitantes, de dispositifs dérogatoires et de solutions inédites dans l'Hexagone .
Le sujet est rendu particulièrement épineux par le fait qu'aucune collectivité d'outre-mer, tous statuts confondus, n'est véritablement régie par le même droit domanial. On ne peut que constater l'extrême morcèlement du droit applicable au domaine dans les outre-mer. Même entre la Guadeloupe, la Martinique et La Réunion, traditionnellement proches, il existe des différences tenant aux modalités de gestion de la ZPG par une agence d'État en Guadeloupe et en Martinique, d'une part, aux normes spéciales découlant de l'implantation de parc nationaux en Guadeloupe et à La Réunion, d'autre part. Cet éparpillement ne facilite pas la compréhension, la maîtrise et la transposition des solutions pertinentes, y compris au sein des services de l'État.
Tout l'enjeu est de saisir les fondements de ces dérogations , à la fois par rapport au droit commun métropolitain et d'une collectivité d'outre-mer à l'autre, pour en évaluer la pertinence : sont-elles la conséquence d'une juste appréciation des spécificités géographiques et humaines des territoires ou le produit d'une pure sédimentation historique? Faut-il y lire l'effet d'une volonté politique et administrative claire et constante ou le reflet de l'indifférence d'une gestion au fil de l'eau et à la trajectoire incertaine ?
En particulier, on peut s'interroger sur la réalité de l'affectation de certains biens de l'État à l'usage du public ou à un service public, critère fondamental posé dans la définition même du domaine public par l'article L. 2111-1 du CG3P qui reprend une longue jurisprudence. À défaut de mise à disposition directe ou indirecte du public, le domaine de l'État outre-mer apparaîtrait davantage comme un levier d'intervention dont il se réserve l'usage pour soutenir l'application des politiques nationales dans certaines collectivités.
Les particularités de la définition du domaine public de la Polynésie française Aux termes de l'article L. 2111-1 du CG3P, qui régit le droit commun, appartiennent au domaine public les biens affectés à l'usage direct du public ou bien affectés à un service public pourvu qu'en ce cas, ils fassent l'objet d'un aménagement indispensable à l'exécution des missions de ce service public. En revanche, selon l'article premier de la délibération n° 2004-34 du 12 février 2004 de l'Assemblée de la Polynésie française, applicable dans cette collectivité, le domaine public « comprend toutes les choses qui sont affectées à l'usage du public ou affectées à un service public par la nature même du bien ou par un aménagement spécial, et, par suite, ne sont pas susceptibles de propriété privée. » C'est la transposition de l'ancienne jurisprudence administrative métropolitaine et de l'ancien article L. 2 du code du domaine de l'État. Dans le projet de code de la propriété publique polynésien, encalminé depuis 2011 en raison de la question des biens sans maître, la définition évolue vers le droit commun. Par ailleurs, de façon dérogatoire aux principes généraux de la domanialité publique, des décisions successives de la collectivité de Polynésie française ont attribué des droits réels aux titulaires d'autorisations d'occupation, y compris sur le domaine public maritime naturel. 26 ( * ) |
(2) L'inapplicabilité de certaines règles spéciales
Certaines règles relatives à des éléments spéciaux du domaine sont absentes du droit applicable outre-mer, sans toutefois représenter des dérogations majeures, ni bouleverser les grands principes.
Les dérogations dues à l'absence de domaine public ferroviaire ou à l'absence de biens concernés par l'édit de Moulins de 1566, première qualification juridique du domaine public de l'État, ou par la vente des biens nationaux à la Révolution s'expliquent d'elles-mêmes.
Il convient aussi de relever que la loi de séparation des Églises et de l'État du 9 décembre 1905 ne s'applique qu'en Martinique, en Guadeloupe et à La Réunion. Dès lors, les articles du CG3P qui y renvoient ne s'appliquent pas hors de ces trois collectivités. On peut également remarquer qu'est exclue expressément à Saint-Pierre-et-Miquelon l'application de l'article L. 2124-31 du même code relatif aux visites et aux utilisations des édifices du culte donnant lieu au versement d'une redevance domaniale.
Vos rapporteurs constatent, en outre, que ne s'applique pas partout le dispositif de l'article L. 2141-2 autorisant le déclassement anticipé d'un immeuble de l'État affecté à un service public dès le prononcé de la décision de désaffectation, alors que celle-ci ne prendra effet qu'avec retard dans un délai maximal de trois ans. De même, la possibilité, offerte par l'article L. 2141-3, d'échanger, sans désaffectation préalable au déclassement, un bien affecté au service public avec un bien privé, afin d'améliorer les conditions d'exercice de ce service public, est exclue à Saint-Pierre-et-Miquelon comme à Mayotte. Le fondement des exceptions ainsi faites ne paraît pas évident et un rapprochement avec le droit commun devrait être envisagé.
(3) Les forêts départemento-domaniales et les anciens biens des colonies
L'intégration de forêts dans le domaine privé de l'État constitue une solution classique reconnue par la jurisprudence (Conseil d'État, 28 novembre 1975, ONF c/ Abamonte ) et reprise à l'article L. 2212-1 du code général de la propriété des personnes publiques (CG3P). Sur ce point, les outre-mer ne se distinguent pas du droit commun.
Toutefois, il convient de relever deux particularités de l'outre-mer :
- la faiblesse des forêts communales ;
- l'existence en Guadeloupe, en Martinique et à La Réunion d'un régime inédit de forêts départemento-domaniales , dont la propriété est démembrée entre le conseil général nu-propriétaire et l'État usufruitier.
Cette double singularité favorise la domanialité d'État sur les forêts ultramarines en limitant considérablement les prérogatives des collectivités territoriales. À l'inverse, dans l'Hexagone, selon les données de l'ONF, sur 4,7 millions d'hectares de forêts publiques, environ 1,7 million d'hectares, soit 36 % seulement appartiennent à l'État. Les deux tiers restants appartiennent aux collectivités territoriales, essentiellement aux communes. Bien qu'il leur soit ainsi épargné des charges, les collectivités territoriales ultramarines semblent prima facie privées de la responsabilité de la politique forestière et des ressources qu'elles pourraient tirer de l'exploitation.
Le régime des forêts départemento-domaniales est issu du décret n° 47-2222 du 6 novembre 1947 qui a posé les modalités de répartition de l'ancien domaine des colonies entre l'État, les départements d'outre-mer et, éventuellement, les communes. La solution retenue fut d'accorder à l'État des droits d'usage à titre gracieux sur les biens de la colonie transférés au conseil général. Elle perdure aussi pour des immeubles comme des tribunaux et des préfectures, en Guyane notamment, non sans générer des conflits entre les collectivités et les services de l'État, qui ne tirent pas toujours les conséquences du statut juridique particulier des immeubles qu'ils occupent. Pour compliquer la situation, il peut arriver pour certains immeubles que le conseil général ne soit pas identifié comme propriétaire de ces biens à la conservation des hypothèques.
La répartition de la propriété n'est toutefois pas figée et peut faire l'objet de négociations, sachant que le retour en pleine propriété du bâtiment ne va pas sans charges supplémentaires. En Guyane, le conseil général a récupéré quelques biens, comme le bâtiment des archives, en assez mauvais état. Dans d'autres départements comme la Guadeloupe, une partie importante de cet ancien bâti colonial à forte valeur patrimoniale a été rétrocédée au conseil général.
(4) La domanialité publique discutable de la zone des cinquante pas géométriques
La ZPG constitue sans équivoque une survivance de la colonisation qui distingue nettement les outre-mer de l'Hexagone. Les occupations sans titre y sont anciennes et sont apparues dès l'abolition de l'esclavage comme une juste compensation prélevée sur des terres qui pouvaient aussi bien être considérées à l'époque comme sans propriétaire par des habitants peu au fait des subtilités du droit. Sur le territoire des régions d'outre-mer, la légitimité du maintien de la zone dans le domaine public de l'État mérite d'être réexaminée au regard de l'évolution sociale et économique des collectivités et de leurs projets d'aménagement.
Or, d'un strict point de vue juridique, les justifications classiques pour l'incorporation de la ZPG dans le domaine public font défaut ou du moins sont largement inopérantes. Pour le professeur Chamard-Heim, auditionnée le 20 janvier 2015, l'affectation domaniale est douteuse et le régime juridique propre au domaine public est dévoyé en l'espèce.
Il apparaît en effet que la ZPG ne reçoit ni affectation au public, ni à un service public avec les aménagements indispensables à l'exercice de ses missions , si bien qu'elle ne répond pas aux exigences posées par l'article L. 2111-1 du CG3P pour reconnaître la domanialité publique. Les considérations tenant à la défense nationale ou à la nécessité de garantir l'approvisionnement et les communications ne peuvent aujourd'hui justifier la domanialité publique de cette zone.
En outre, ni la protection de l'environnement, ni l'aménagement du littoral, ni la lutte contre l'urbanisation excessive n'entraînent de conséquences univoques sur la domanialité d'un espace. La domanialité publique n'est pas en elle-même un régime de protection de l'environnement et ne se substitue pas au droit de l'urbanisme. En particulier, si le Tribunal des conflits dans sa décision M lle Doucedame du 22 octobre 2007 a reconnu l'existence d'un service public environnemental à propos d'espaces naturels sensibles, il s'est montré très exigeant sur la nature des aménagements spécialement adaptés à l'exploitation du service public qui justifieraient le classement dans le domaine public. L'installation de panneaux d'information et le balisage de sentiers de promenade ou de randonnée ne suffisent pas. A fortiori , un site naturel non aménagé devrait appartenir au domaine privé 27 ( * ) , quitte à recevoir une protection supplémentaire tirée du droit de l'environnement ou du code forestier par exemple.
Par ailleurs, le code général de la propriété des personnes publiques 28 ( * ) prévoit que la ZPG puisse être cédée après déclassement mais sans désaffectation, ce qui est a contrario la preuve qu'il n'y a pas d'affectation à l'usage du public ou à un service public de la ZPG. Ces mécanismes permettent, sous conditions et sur les espaces urbanisés, de sortir de la domanialité publique et de la propriété de l'État. Ils peuvent bénéficier aux communes pour des opérations d'aménagement public ou d'habitat social, ainsi qu'aux organismes HLM mais aussi aux personnes privées pour leurs activités professionnelles ou pour leur habitation. Ces deux dernières catégories de cession à titre onéreux valent régularisation d'occupation.
Restent comme seules raisons du maintien de principe de la domanialité publique sur la zone, la volonté :
- d'assurer la précarité et la révocabilité juridiques des occupations privatives et d'éviter l'activation mécanique de la prescription acquisitive avec des conséquences imprévisibles ;
- de préserver les mécanismes spéciaux de protection du domaine public, tels que les contraventions de grande voirie.
S'il peut être trouvé in fine dans des motifs pragmatiques de pure opportunité une justification au maintien d'un régime de domanialité publique sur la ZPG, vos rapporteurs soulignent que l'État n'est pas le seul propriétaire possible du domaine public et que, par conséquent, il n'existe pas d'obstacle à ce que la ZPG appartienne au domaine public d'une collectivité territoriale, même lorsque celle-ci n'est pas dotée d'un statut d'autonomie. La légitimité de la propriété de l'État sur la ZPG étant incertaine, seule l'éventualité d'une efficacité supérieure de son action de régularisation et de protection des espaces par rapport à celle que pourraient mener les collectivités pourrait justifier le maintien du régime actuel. Les investigations menées sur pièces et sur place par vos rapporteurs conduisent à en douter. 29 ( * )
En outre, vos rapporteurs relèvent qu'il est logique et cohérent de décorréler :
- le sort des espaces naturels les plus sensibles , qui, moyennant une véritable mise à disposition du public ou des aménagements conséquents pour un service public, peuvent rester dans le domaine public ou sous un régime protecteur exorbitant comme le régime forestier ;
- et le sort des espaces urbanisés , qui, après une période transitoire dans le domaine public pour régulariser les occupations, ont vocation dans l'avenir à être traité comme des biens privés.
(5) Le cas exceptionnel de Mayotte : la dérogation devient la règle
Le droit du domaine applicable à Mayotte comprend un grand nombre de dérogations spécifiques que l'on ne retrouve pas dans les autres collectivités ultramarines. Il convient de tenir compte de l'histoire particulière de l'île où l'État a surtout cherché à garantir sa souveraineté contre les contestations des Comores, ce qui peut expliquer l'impression d'un domaine fermement tenu et soumis à un régime manquant de souplesse. Le processus récent de départementalisation représente une vague de transformations très profondes et très rapides mais il n'a pas encore permis de lever tous les archaïsmes en matière de réglementation de l'urbanisme et du foncier.
Parmi les particularités notables, il faut mentionner que l'inaliénabilité des biens du domaine public de l'État est spécialement renforcée pour Mayotte en prévoyant que leur aliénation est frappée d'une nullité d'ordre public , s'ils n'ont pas été, au préalable, régulièrement déclassés dans les conditions fixées par décret en Conseil d'État 30 ( * ) . Le déclassement est ainsi clairement caractérisé comme une règle procédurale essentielle à la validité de l'acte dont l'omission porte nécessairement grief en lésant les intérêts de l'État.
En outre, le dispositif des droits réels sur le domaine public de l'État créé par la loi n° 94-631 du 25 juillet 1994 n'est pas applicable . Le droit commun dont ne bénéficie pas Mayotte prévoit que le titulaire d'une autorisation d'occupation temporaire du domaine public de l'État a un droit réel sur les ouvrages, constructions et installations de caractère immobilier qu'il réalise pour l'exercice de son activité. Ce droit réel confère à son titulaire les prérogatives et obligations du propriétaire.
De surcroît, Mayotte ne connaît pas le régime des baux emphytéotiques administratifs (BEA) ou hospitaliers (BEH), ni celui des mutations domaniales ou des superpositions d'affectations.
Outre la redevance domaniale classique, l'occupation du domaine public donne lieu au paiement d'un droit fixe correspondant aux frais exposés par la collectivité propriétaire. 31 ( * )
Enfin, les biens sans maître et présumés sans maître à Mayotte reviennent à l'État et non aux communes , comme dans le droit commun. Les articles L. 5321-4 et L. 5321-5 du CG3P concernés datent en effet de la codification en 2006 de l'ordonnance n° 92-1139 du 12 octobre 1992 relative au code du domaine de l'État et des collectivités publiques applicable dans la collectivité territoriale de Mayotte, qui reprenait elle-même l'ancienne réglementation applicable localement. Ils n'intègrent pas la modification apportée à l'article 713 du code civil par la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, qui a attribué prioritairement les biens sans maître aux communes dès lors que cette évolution n'avait pas été rendue applicable à Mayotte par ladite loi.
En réponse aux questions de vos rapporteurs, France Domaine a reconnu que ce traitement dérogatoire ne présentait pas d'intérêt, si bien que :
« Dans le cadre du processus de départementalisation de Mayotte, il est envisagé de mettre un terme à cette spécificité et d'aligner ce régime sur le droit commun métropolitain. Il est ainsi prévu de réaliser cette réforme avec le support du projet d'ordonnance, en cours d'élaboration, qui est pris pour l'application de l'article 3 de la loi n° 2013-1029 du 15 novembre 2013 portant diverses dispositions relatives à l'outre-mer, lequel autorise notamment le Gouvernement, à rapprocher les dispositions législatives du CG3P applicables à Mayotte du droit commun. » 32 ( * )
Tout en restant réservés sur le principe du recours aux ordonnances, qui ne facilite pas notamment la publicité des modifications apportées au droit applicable sur des sujets fort complexes et dans un territoire où l'accès au droit des populations est déjà limité, vos rapporteurs souhaitent que le Gouvernement réalise un audit précis des dispositions régissant le domaine à Mayotte afin de lever les archaïsmes et de se rapprocher du droit commun. En particulier, l'aménagement du territoire et son développement nécessiteront à terme d'ouvrir la possibilité de conclure des baux emphytéotiques et de reconnaître des droits réels sur le domaine public.
2. Un maquis normatif inextricable rendant problématique l'accès au droit
a) Un enchevêtrement normatif
La complexité du droit domanial ultramarin, née de son morcèlement, est encore compliquée par un éparpillement des normes applicables dans un grand nombre de textes différents qui interagissent entre eux. Le code général de la propriété des personnes publiques (CG3P) , et plus particulièrement sa cinquième partie relative aux dispositions spécifiques à l'outre-mer, ne rassemble pas l'ensemble des normes applicables.
La création de la partie règlementaire du CG3P relative aux dispositions spéciales applicables en Guadeloupe, en Martinique et à La Réunion ou à Saint-Pierre-et-Miquelon après abrogation des dispositions correspondantes du code du domaine de l'État ne date d'ailleurs que du décret n° 2014-930 du 19 août 2014. Incidemment, ce regroupement bienvenu ne semble pas s'être opéré tout à fait à droit constant. Par exemple, tout en approuvant une suppression qui alignerait la Guyane sur le régime de droit commun, vos rapporteurs ne retrouvent pas dans la cinquième partie du CG3P les dispositions de l'ancien article D. 33 du code du domaine de l'État attribuant les terres vacantes et sans maître à l'État. Il paraît légitime de s'interroger sur la publicité accordée par l'administration aux recodifications qu'elle mène, la matière étant suffisamment complexe pour éviter aux élus et aux citoyens toute incertitude supplémentaire.
Malgré le décret du 19 août 2014 précité, certaines dispositions du code du domaine de l'État continuent à s'appliquer, à côté du CG3P. De même, une version particulière du code du domaine de l'État applicable à Mayotte existe toujours.
En outre, il est impossible de faire l'impasse sur le code forestier pour comprendre la gestion du domaine de l'État outre-mer, dont une grande partie est couverte de forêts. Il peut aussi être nécessaire de se référer au code de l'environnement , notamment pour la réglementation applicable aux parcs nationaux, et au code général des impôts , en particulier sur l'assujettissement aux taxes foncières et les modalités d'évaluation cadastrale, ainsi que résiduellement au code de l'urbanisme , au code rural et au code général des collectivités territoriales .
Enfin, certaines dispositions législatives essentielles ne sont pas codifiées et doivent être recherchées directement dans les lois d'origine , par exemple la loi n° 96-1241 du 30 décembre 1996 relative à l'aménagement, la protection et la mise en valeur des espaces urbains de la zone dite des cinquante pas géométriques dans les départements d'outre-mer, la loi n° 2009-594 du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer et la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement dite Grenelle II.
Une complexité supplémentaire dans les collectivités à statut d'autonomie : l'exemple de la Nouvelle-Calédonie. C'est le droit local qui s'applique au domaine des provinces et de la Nouvelle-Calédonie, en particulier aux terrains transférés par l'État. Mais quel est le droit applicable au domaine restant à l'État ? Par exception au principe de spécialité législative, depuis la loi organique n° 2009-969 du 3 août 2009 relative à l'évolution institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie, les dispositions législatives et réglementaires métropolitaines relatives au domaine public de l'État sont applicables de plein droit, sans qu'il soit besoin d'une mention spécifique de l'application des textes concernés en Nouvelle-Calédonie. En revanche, l'entrée en vigueur des normes régissant le domaine privé reste conditionnée à l'introduction d'une mention expresse. En conséquence, le domaine public de l'État en Nouvelle-Calédonie est régi par la dernière version en vigueur du CG3P, mais son domaine privé reste soumis à l'ancien code du domaine de l'État. Le directeur des finances publiques de Nouvelle-Calédonie fait de cette « réglementation juridique complexe nécessitant une vigilance permanente sur l'applicabilité des textes » une difficulté particulièrement importante pour la bonne gestion du domaine. Source : Réponse écrite de la DFIP de Nouvelle-Calédonie aux questions de la délégation, mars 2015. |
b) Une complexité insoupçonnée qui confine à l'obscurité
À l'éclatement normatif du droit domanial ultramarin , qui constitue une difficulté systémique pour appréhender la globalité du régime, s'ajoutent les méandres du droit applicable dans chaque collectivité prise isolément. Vos rapporteurs ont retenu quelques exemples parmi les plus emblématiques de ce phénomène qui débouche sur une totale illisibilité du droit du domaine de l'État outre-mer, dont naît une grande partie des problèmes d'accès au droit, d'assimilation des normes par l'administration et, au final, d'insécurité juridique que l'on constate.
Une enquête archéologique :
« Considérant qu'en vertu de l'article 10 du décret du 26 septembre 1902 relatif au domaine public dans l'île de Madagascar et dépendances , des règlements généraux, arrêtés par le gouverneur général, édictent les règles relatives à la police, à la conservation et à l'utilisation du domaine public et les contraventions à ces règlements sont punies d'une amende de 1 F à 300 F, sans préjudice de la réparation du dommage causé et de la démolition des ouvrages indûment établis sur le domaine public ou dans les zones des servitudes ; qu'aux termes de l'article 43 de l'arrêté du 8 avril 1911 du gouverneur général de Madagascar et dépendances , fixant les règles relatives à l'utilisation, la conservation et la police du domaine public et pris en application de l'article 10 de ce décret : "Constituent des contraventions tous aménagements, dépôts de matériaux, constructions, anticipations, fouilles, plantations et entreprises quelconques de nature à détériorer une portion du domaine public ou à entraver son libre parcours, s'ils n'ont pas fait l'objet d'autorisations réglementaires." ; que les dispositions de cet arrêté ont été rendues applicables aux Comores par arrêté de la même autorité en date du 22 août 1914 ; qu'aux termes de l'article 36 du décret du 28 septembre 1926 réglementant le domaine à Madagascar : "Les contraventions aux règlements relatifs à la police, à la conservation et à l'utilisation du domaine public, qui seront édictées par arrêté du gouverneur général en conseil d'administration, seront punies d'une amende de 1 F à 300 F, sans préjudice de la réparation du dommage causé et de la démolition des ouvrages indûment établis sur le domaine public ou dans les zones des servitudes. Les contraventions sont constatées par des procès-verbaux dressés par des agents désignés et régulièrement commissionnés par le gouverneur général (...)" ; que l'article 1 er de l' arrêté du gouverneur général de Madagascar et dépendances du 1 er septembre 1927 , pris en application de l'article 36 du décret du 28 septembre 1926, a maintenu en vigueur les dispositions de l'arrêté du 8 avril 1911 en ce qu'elles n'étaient pas contraires aux dispositions de ce décret ; que l'article 43 de cet arrêté n'est contraire à aucun article du décret du 28 septembre 1926 et notamment à l'article 36 de ce décret, qui s'est borné à reprendre les dispositions de l'article 10 du décret du 26 septembre 1902 ; que, par suite, les dispositions combinées de l'article 36 du décret du 28 septembre 1926 et de l'article 43 de l'arrêté du 8 avril 1911, constituaient le fondement légal des poursuites pour contravention de grande voirie à Mayotte dans la mesure où elles étaient en vigueur à la date des faits passibles d'une telle poursuite ; Considérant que le code du domaine de l'État et des collectivités publiques applicable dans la collectivité départementale de Mayotte , issu de l'article 2 de l' ordonnance du 12 octobre 1992 , prévoit en son article L. 211-1 : "Nul ne peut, sans autorisation délivrée par l'autorité compétente, occuper une dépendance du domaine public ou l'utiliser dans des limites excédant le droit d'usage qui appartient à tous. / L'autorité compétente constate les infractions aux dispositions de l'alinéa précédent en vue de poursuivre, contre les occupants sans titre, le recouvrement des indemnités dont l'État, la collectivité départementale ou la commune ont été frustrés, le tout sans préjudice de la répression au titre de la police de la conservation du domaine public." ; qu'aux termes de l'article 2 de cette ordonnance : "Toutes les dispositions de nature législative, notamment celles du décret du 28 septembre 1926 portant réglementation du domaine à Madagascar, contraires à la présente ordonnance sont abrogées." ; que les dispositions précitées de l'article L. 211-1 laissent applicables les dispositions antérieurement en vigueur auxquelles elles renvoient nécessairement et relatives à la protection du domaine public assurée par le régime des contraventions de grande voirie ; que le code du domaine de l'État applicable à Mayotte ne contient aucune disposition spécifique relative à ce régime ; que, par suite, les dispositions de l'article 36 du décret du 28 septembre 1926, qui ne sont pas contraires à cette ordonnance n'ont pas été abrogées ; qu'il suit de là que l'article 43 de l'arrêté du 8 avril 1911, maintenu en vigueur par l'arrêté du 1 er septembre 1927, demeurait applicable après le 1 er juillet 1993 , date d'entrée en vigueur de cette ordonnance ; Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'en jugeant que les dispositions de l'arrêté du 1 er septembre 1927, prises en application de l'article 36 du décret du 28 septembre 1926, ayant maintenu en vigueur l'article 43 de l'arrêté du 8 avril 1911 avaient été nécessairement abrogées en même temps que l'ensemble des dispositions à valeur législative de ce décret par l'article 2 de l'ordonnance du 12 octobre 1992, la cour administrative d'appel de Bordeaux a commis une erreur de droit ; que, par suite, le MINISTRE D'ETAT, MINISTRE DE L'ECOLOGIE, DE L'ENERGIE, DU DEVELOPPEMENT DURABLE ET DE L'AMENAGEMENT DU TERRITOIRE est fondé, pour ce motif, à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque [...] » Extrait de la décision CE n° 320382, Ministre de l'écologie c/MM. Boura, 2 juin 2010. |
(1) La prise en compte des pratiques coutumières
Le droit domanial touche à la terre avec laquelle nombre de sociétés ultramarines conserve des liens symboliques extrêmement puissants. Il serait dès lors préjudiciable et périlleux que l'État ignore le fait coutumier . Si l'outre-mer connaît tant de problèmes fonciers, c'est aussi en raison de la confrontation entre un système de propriété validée par la preuve d'un titre écrit, héritier du droit romain , et diverses formes traditionnelles d'occupation et d'usage. Parmi ces dernières, il en est qui renvoient à un droit structuré comme le droit musulman du rite chaféite qui a longtemps prévalu à Mayotte, tandis que d'autres répondent à des normes coutumières orales qui ne reconnaissent pas forcément la propriété individuelle, ni même la propriété au sens du triptyque civiliste usus, abusus, fructus .
La constitution même du domaine de l'État lors de la colonisation est née de l'imposition opportuniste du droit civil pour permettre l'appropriation par la puissance publique des terres. Aujourd'hui encore, dès que l'identité d'un propriétaire ne ressort d'aucun document publié au fichier immobilier ou d'aucun document cadastral, le bien est considéré comme sans maître et fait l'objet une procédure d'occupation sans titre s'il entre dans les limites du domaine ou sinon une procédure de biens vacants permettant son retour à la commune ou à l'État. De ce défaut originel découle ensuite l'obligation de définir des processus compliqués et interminables de régularisation des occupations, parce qu'il faut bien malgré tout tenir compte de la réalité sociale.
Toute la difficulté réside dans le fait de parvenir à trouver des aménagements en conservant un cadre juridique stable, partagé et compatible avec les principes républicains. Cela peut passer par des dispositifs juridiques particuliers, comme le statut des terres coutumières en Nouvelle-Calédonie ou des zones de droits d'usage collectifs en Guyane, mais aussi par une adaptation de la gestion administrative. Il ne faut pas non plus négliger l'importance de pratiques plus informelles de médiation et de dialogue permettant d'accorder une place à des pratiques locales et à des autorités traditionnelles, qu'il s'agisse de chef coutumiers ou de cadis.
Lors de leur déplacement en Guyane, vos rapporteurs ont pu mesurer concrètement sur deux exemples différents la complexité spécifique née de la prise en compte des normes coutumières sur le domaine de l'État.
(a) Le cas de la commune bushinenge d'Apatou
Le capitaine Joseph Apatou crée en 1886 au Nord-Ouest de la Guyane sur le Maroni un village, qui devient la commune éponyme en 1976. La création du village s'articule autour d'une attribution foncière de l'État, représenté par la colonie, au capitaine fondateur qui a reçu une concession collective pour la communauté sur le bourg délimité. Il n'était pas question pour les habitants de devenir propriétaires individuels sur ces terrains, attribués aux familles et gérés selon la coutume, sous l'égide des trois chefs coutumiers, successeurs de Joseph Apatou et appelés capitaines comme lui.
En 1972, ces chefs coutumiers ont ainsi procédé à une attribution foncière à quelques familles qui voulaient exercer une activité agricole pour répondre à leurs besoins familiaux. Les parcelles de six hectares chacune demeurent la propriété de la collectivité. La personne attributaire est cependant libre de la réattribuer au sein de sa famille, dans le cadre traditionnel du système matriarcal, de sorte que l'attribution coutumière tend avec le temps par devenir de plus en plus personnelle. Les chefs coutumiers n'interviennent plus après l'attribution initiale à une famille, sauf en cas de conflits comme médiateurs.
Aujourd'hui, la commune d'Apatou détient seulement 1500 hectares cédés en 2011 par le conseil général, alors que 93% de son territoire appartient à l'État. Sur 7000 habitants, seules deux personnes disposent de titres de propriété valides sur les terrains qu'ils occupent. Traditionnellement, les gens considèrent néanmoins que la parcelle qu'ils occupent leur appartient, même en l'absence de titre, parce qu'elle leur a été attribuée de façon coutumière. De cette coexistence entre une appréciation coutumière et un statut légal naissent des conflits entre les occupants et la commune, dès que celle-ci veut implanter un équipement sur leur terrain, c'est-à-dire sur un terrain du domaine privé de l'État qu'ils occupent et que la commune voudrait acquérir auprès de France Domaine pour construire.
Pour l'instant, il n'existe pas de traduction juridique en droit civil de la propriété coutumière qui n'entraîne aucun effet légal mais qu'il est inenvisageable d'ignorer. S'est créé récemment dans la commune un conseil consultatif qui vient en appui de la mairie pour gérer les problèmes de foncier, notamment les questions liées à l'attribution traditionnelle du foncier. Les chefs coutumiers qui forment le conseil gèrent les conflits entre la collectivité et les personnes. C'est une façon d'institutionnaliser des pratiques anciennes et de les associer à la gestion administrative communale.
Le conseil consultatif foncier intervient comme médiateur pour éviter le recours à l'expulsion, l'expropriation pour cause d'utilité publique n'étant pas envisageable puisqu'ils ne sont pas propriétaires. Sans cette médiation, d'après M. Denis Galimot, premier adjoint, la construction du bureau de poste et du collège n'aurait pas eu lieu. Par exemple, pour le collège, une famille habitait depuis cinquante ans sur la parcelle, après négociation avec le capitaine en chef, elle a accepté que son terrain soit cédé pour permettre la construction. France Domaine en a fixé le prix et la commune l'a racheté.
Les nombreuses implantations le long des routes entre Apatou et Saint-Laurent du Maroni sont sauvages au plan du droit domanial mais n'ont pas non plus été autorisées par les chefs coutumiers, qui n'ont pas été consultés par les familles. Le capitaine Pierre Sida y voit une érosion de l'influence des chefs coutumiers qu'il regrette.
Le paradigme est, en effet, en train d'évoluer et l'accès à la propriété privée via l'acquisition auprès du service des domaines et l'octroi d'un titre devient un enjeu. Après avoir cultivé pendant trente ans leur parcelle, certains attributaires de 1972 souhaitent une régularisation par cession sur le domaine privé de l'État.
Pour le directeur général des services, M. Dolor, la question coutumière est un frein qui se rajoute à l'obstacle majeur que représente le poids des propriétés foncières de l'État. La commune prépare donc une demande pour obtenir la cession de dix fois sa surface agglomérée conformément à la possibilité qui en est offerte par le code général de la propriété des personnes publiques. La commune regrette toutefois les délais importants de traitement des demandes de cession de foncier par les services de l'État.
Cessions de terrains domaniaux aux collectivités territoriales en Guyane Le domaine privé de l'État en Guyane connaît un régime juridique très spécifique et dérogatoire, tant vis-à-vis de l'Hexagone que des autres outre-mer. En particulier, sont rendues possibles par l'article L. 5142-1 du CG3P des cessions gratuites aux collectivités territoriales, à leurs groupements ou à l'établissement public d'aménagement de la Guyane. Les terrains concernés doivent figurer au préalable sur un plan d'occupation des sols opposable ou un document d'urbanisme. Leur cession vise la constitution sur le territoire d'une commune de réserves foncières, à condition que les biens soient libres de toute occupation autorisée ou ne soient pas confiés en gestion à des tiers. La superficie globale cédée en une ou plusieurs fois ne peut excéder sur chaque commune dix fois la superficie des parties agglomérées de la commune. Cette possibilité est rouverte tous les dix ans à compter de la première cession gratuite. Lorsque les cessions gratuites sont consenties à un autre acquéreur que la commune, elles doivent faire l'objet d'un accord préalable de la commune. Ces réserves foncières doivent être gérées selon les conditions de droit commun du code de l'urbanisme. Sont ouvertes également par le même article du CG3P des possibilités de concession, puis de cession à titre gratuit aux communes de terrains du domaine privé de l'État pour l'aménagement d'équipements collectifs, la construction de logements sociaux ou des services publics. Toutes les concessions et cessions peuvent être accompagnées de prescriptions particulières visant à préserver l'environnement. Leur non-respect peut entraîner l'abrogation de l'acte par le préfet. |
(b) Le cas de la commune amérindienne d'Awala-Yalimapo
Deuxième plus petite commune de Guyane, après Cayenne, Awala-Yalimapo est située à l'embouchure du Maroni. Elle compte 1300 habitants dont 60 % de moins de 20 ans avec un doublement de la population prévu d'ici quinze ans.
L'équipe municipale qu'ont rencontrée vos rapporteurs considère Awala-Yalimapo à la fois comme une commune de la République et comme une communauté et cherche à trouver un équilibre avec des espaces d'échanges, d'où la constitution d'une commission mixte entre élus et autorités coutumières amérindiennes pour réfléchir aux principaux enjeux.
En matière foncière, la commune ne dispose pas de foncier à part les terrains où ont été construits les équipements scolaires et de base comme l'hôtel de ville. Les nouveaux projets nécessitent des demandes de foncier à l'État.
Sur le territoire de la commune il faut distinguer la partie où sont reconnus des droits d'usage collectifs. Hors de cette zone, et c'est là que sont installés notamment les réfugiés du Suriname, il est possible d'accéder à la propriété individuelle. Il s'agit de terrains qui appartiennent à l'État mais qui peuvent être cédés aux occupants pour régulariser leur situation.
Le périmètre des droits d'usage, défini par arrêté en 1992, couvre une très grande partie du territoire de la commune. Les droits d'usage collectifs sont limités par les nécessités d'intérêt général notamment les équipements publics. Ils ne constituent pas une concession et ne doivent pas être interprétés non plus comme un transfert de propriété à la communauté, l'État restant propriétaire.
Une concession sur le domaine privé peut être reconnue pour l'habitat ou l'agriculture, mais seulement à une association ou d'une société, c'est-à-dire à une personne morale individuée, et pas à la communauté elle-même. 33 ( * ) Après dix ans de concession, il est possible de demander la cession. Sur l'ensemble de la Guyane, trois communautés d'habitants ont formé des associations pour poursuivre ce processus.
Lorsque quelqu'un veut s'installer dans la commune, il lui faut rencontrer les chefs coutumiers qui lui indiquent où il est possible de s'installer dans le respect des droits d'usage collectifs, puis il doit consulter le service de l'urbanisme de la mairie pour éviter d'empiéter sur un projet de la commune et enfin demander un permis de construire. Il y a donc à recueillir le double avis du chef coutumier et du maire. Les services de l'État souhaitent également que soit bien prise attache avec le chef coutumier.
Les personnes individuelles sont propriétaires du bâti mais pas du sol et s'acquittent des taxes foncières calculées sur la base de l'emprise de la construction. En cas de décès, le bâti est récupéré par la famille et non pas par les chefs coutumiers.
Les règles coutumières d'installation ne répondent pas à une logique de parcellisation individuelle. Elles définissent une zone de vie familiale qui comprend un noyau central et des extensions possibles pour les générations suivantes. Sur 1000 mètres carrés, on considère que peuvent s'installer trois ou quatre familles.
Enfin, il faut relever des différences d'appréciation entre les générations d'habitants, les plus jeunes ne vivant pas la coutume comme les plus anciens. De même, l'accroissement démographique résulte de l'arrivée de nouveaux habitants qui n'appartiennent pas nécessairement à la communauté amérindienne et qui peuvent parfois d'ailleurs souhaiter le respect d'autres règles coutumières. Il faut tenir compte de cette diversité pour assurer la coexistence pacifique de tous.
Coutume et domaine de l'État dans le Pacifique : le cas des îles Wallis et Futuna Les terres des îles Wallis et Futuna ont été distribuées par les chefferies coutumières aux familles, leur conférant un droit perpétuel, exclusif et inaliénable sur le sol qu'elles exploitent. Cependant, les chefs coutumiers encore aujourd'hui, peuvent procéder à des reprises de terres, mais également à des attributions de biens pour des raisons d'intérêt collectif. Wallis-et-Futuna dispose donc d'un droit foncier coutumier conforme à ce qui existe dans toute la zone Pacifique. Mais les droits d'occupation du sol n'y seraient pas formalisés en l'absence de cadastre, de titre de propriété et de système sécurisé des locations ou bien ils le sont très peu, quand il s'agit de terrains destinés à la propriété de l'État. La validité juridique des actes anciens d'acquisition, d'échange et de donation est dès lors souvent contestée. Le droit de l'urbanisme, prévu par la loi n° 61-814 du 29 juillet 1961 conférant le statut de territoire d'outre-mer à Wallis et Futuna, n'a jamais été mis en oeuvre. Aucun texte ne régit les droits à construire ou les obligations de démolir. Les concessions et les baux accordés sur le domaine de l'État correspondent principalement à des concessions de logement à des fonctionnaires et à quelques autorisations d'occupation de terrains ou constructions, sans difficulté particulière. En revanche, l'évaluation domaniale pose problème, car les références sont quasi-inexistantes du fait de l'absence d'enregistrement et de cadastre. Les acquisitions historiques par l'État servent de seuls points d'appui. Source : réponse écrite par la direction locale des finances publiques de Wallis-et-Futuna au questionnaire de la délégation, mars 2015 |
(2) La mosaïque fluctuante des statuts fonciers sur la ZPG des départements d'outre-mer
Dans un souci de simplicité, on présente généralement la ZPG comme appartenant au domaine public de l'État. En réalité, le constat est beaucoup plus complexe et la ZPG connaît une juxtaposition de parcelles de statut foncier très divers . En effet, le régime juridique de la ZPG a évolué à plusieurs reprises au cours de l'histoire. Ces fluctuations ont laissé des traces et il faut se livrer à une entreprise quasi-archéologique pour isoler les différentes strates sédimentées.
Autrefois partie du domaine de la Couronne, la ZPG est restée soumise au régime de la domanialité publique jusqu'aux décrets du 21 mars 1882 pour la Guadeloupe et du 4 juin 1887 pour la Martinique qui ont opéré un premier assouplissement vers la privatisation en prévoyant que les occupants de terrains situés dans la limite des agglomérations pouvaient s'en porter acquéreurs sous certaines conditions. Des titres de propriété définitifs et incommutables sur les terrains bâtis et des concessions irrévocables sur les parcelles non bâties furent ainsi délivrés.
Après une réaffirmation de principe de la domanialité publique 34 ( * ) , il fallut attendre la loi n° 55-349 du 2 avril 1955 et son décret d'application n° 55-885 du 30 juin 1955 pour que la ZPG soit pleinement incorporée au domaine privé avec l'objectif affiché de faciliter l'exploitation économique et la régularisation des occupations. Profitant du caractère désormais aliénable et prescriptible de la ZPG, des acquisitions par les particuliers eurent lieu, tandis qu'une commission de vérification des titres fut créée pour stabiliser la propriété foncière historique.
La situation a toutefois peu évolué aux Antilles parce que l'arrêté de clôture des opérations de délimitation prévu par le décret de 1955 n'a jamais été publié ce qui a empêché les occupants de faire valoir l'usucapion 35 ( * ) . À l'inverse, les résultats de la prescription acquisitive ont été massifs à La Réunion qui bénéficiait de l'antériorité grâce aux dispositions particulières d'un décret du 13 janvier 1922, supprimant sous conditions l'inaliénabilité de la ZPG dans l'île.
Vos rapporteurs ne peuvent manquer de souligner que l'introduction échelonnée de mesures différentes selon les territoires pour traiter des questions similaires est une pratique ancienne qui signale un défaut d'appréhension globale et cohérente et qui a généré un éclatement du droit et une divergence des trajectoires entre les outre-mer , dont les conséquences fort regrettables se manifestent encore.
Plus tard 36 ( * ) , certaines parcelles sont transformées en forêt domaniale littorale, régie par le code forestier, protégée par le régime forestier et placée sous la responsabilité de l'Office national des forêts (ONF).
Enfin, le statut de la ZPG a été modifié par la loi n° 86-2 du 3 janvier 1986 relative à l'aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral qui l'a réintégrée au domaine public maritime au motif de protéger l'environnement. Toutefois, les droits antérieurs des tiers ont été réservés et la domanialité publique d'État ne vaut pas pour les parcelles appartenant en propriété à des personnes publiques ou privées qui peuvent justifier de leur droit, ni pour les immeubles du domaine privé de l'État, ni pour les terrains domaniaux gérés par l'ONF en application du code forestier.
En conséquence, se retrouvent aujourd'hui dans la ZPG des parcelles :
- de droit privé appartenant à des particuliers ;
- du domaine public maritime ;
- du domaine public de l'État mais hors du domaine public maritime, qui bénéficie de protections particulières ;
- du domaine privé de l'État hors forêt ;
- de forêt domaniale littorale, intégrée au domaine privé mais soumise aux modalités particulières de protection et de gestion du régime forestier.
Un souci d'exhaustivité conduirait à mentionner le cas particulier des mangroves , qui font partie du domaine public maritime tout étant soumises au régime forestier, et celui des terrains protégés par la législation sur les parcs nationaux.
En outre, il convient de noter que l'appréciation des titres de propriété des particuliers sur la ZPG donne lieu à un contentieux abondant . Sont avérés des cas de conflits entre deux légitimités sur une même parcelle : l'une, provenant d'un titre ancien transmis par succession et l'autre, d'un titre obtenu par prescription trentenaire qui n'a pas été contestée à temps. Le Conseil constitutionnel a même été saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité : il a considéré que la jurisprudence judiciaire exigeant un titre émanant de l'État pour asseoir la propriété privée ne portait pas atteinte à la protection constitutionnelle du droit de propriété (CC, 4 février 2011, n° 2010-96 QPC, Jean-Louis de L .).
Le régime forestier Le régime forestier emporte notamment la gestion par l'ONF, dont c'est la première mission (art. L. 212-2 du code forestier), selon un document d'aménagement approuvé par arrêté (art. L. 212-1). L'arrêté d'aménagement tient compte d'objectifs de gestion durable, fixe l'assiette des coupes et peut interdire ou soumettre à conditions dans certaines zones les activités qui compromettent la réalisation de ses objectifs. La concession dans les forêts d'État de droits d'usage de toute nature pour tout motif est interdite (art. L. 241-1). Des dispositions pénales propres protègent les forêts soumises au régime forestier et permettent de sanctionner toute destruction de l'état boisé, occupation sans titre et empiètement de toute nature. Des amendes et des remises en l'état primitif au frais du délinquant sont prévues. Les forêts domaniales ultramarines soumises au régime forestier, littorales ou non, sont imprescriptibles et sont aliénables seulement en vertu d'une loi comme dans le droit commun (art. L. 213-1 du code forestier et art. L. 3211-5 du CG3P) avec des cas dérogatoires d'aliénation par décret en Conseil d'État pour des parcelles de moins de 150 hectares sans intérêt environnemental ou humain particulier. Certaines sont même strictement inaliénables comme à La Réunion (art. L.274-1 pour les forêts du département) et à Mayotte (art. L 275-2 pour les forêts de l'État et du Département de Mayotte). La Guyane, dont les 2,4 millions d'hectares du domaine forestier permanent (DFP) au-delà de la bande littorale relève du régime forestier, se distingue par:
- un mécanisme de cession gratuite de forêts aux
collectivités territoriales en raison du rôle social ou
environnemental que ces forêts jouent au plan local
- un dispositif de concession ou de cession gratuite à des personnes morales en vue de leur utilisation par les communautés d'habitants qui tirent traditionnellement leurs moyens de subsistance de la forêt (art. L. 272-5 du code forestier et L. 5143-1 CG3P) ; - une possibilité de reconnaître des droits d'usage collectif à ces mêmes communautés (art. L. 272-4 du code forestier). |
Pour creuser plus avant, il faut encore superposer à ces régimes juridiques :
- la délimitation par les préfets au sein de la ZPG des espaces urbains (zones d'habitation et espaces d'urbanisation diffuse), dans lesquels des cessions de terrains domaniaux peuvent avoir lieu, et des espaces naturels, où l'impératif de protection l'emporte. 37 ( * ) Dans les espaces naturels se retrouvent aussi bien des terrains du domaine privé que du domaine public, soumis au régime forestier ou pas.
- les modalités de gestion administrative des différents espaces (régie directe ou remise à un opérateur spécialisé).
Certains juristes comme Mme Sylvie Caudal (Lyon III) n'hésitent pas à évoquer une « désagrégation » de la domanialité dans la ZPG. 38 ( * )
Compte tenu de ces éléments, vos rapporteurs accueillent cum grano salis l'appréciation du directeur général de l'aménagement, du logement et de la nature au ministère du développement durable selon lequel, « il appartient à l'État, compte tenu de cette diversité perçue comme une complexité, de construire une approche cohérente et lisible de cet espace, en lien avec de nombreux acteurs. » 39 ( * ) C'est précisément ce qui paraît faire défaut globalement dans la gestion du domaine outre-mer.
* 25 Audition de Caroline Chamard-Heim du 20 janvier 2015.
* 26 B. Cazalet, Droit des lagons en Polynésie française, RJE 4/2008, p. 396
* 27 Réponse parue au JO Sénat du 22 janvier 2009 du ministre de l'intérieur à la question écrite n° 5763 de M. Jean Louis Masson.
* 28 Sont concernés les articles L. 5111-5 (ensemble des DOM sauf Mayotte ; bénéficiaires : les communes, à titre onéreux pour de l'aménagement), L. 5112-4 (en Guadeloupe et en Martinique ; bénéficiaires : communes et HLM, à titre gratuit pour de l'habitat social), L. 5112-5 (en Guadeloupe et en Martinique ; bénéficiaires : particuliers, à titre onéreux pour régulariser une activité professionnelle), L. 5112-6 (en Guadeloupe et en Martinique ; bénéficiaires : particuliers, à titre onéreux pour régulariser une habitation), L. 5331-6-2 (à Mayotte, bénéficiaires : communes et HLM, à titre gratuit pour de l'habitat social), L. 5331-6-3 (à Mayotte, bénéficiaires : particuliers, à titre onéreux pour régulariser une habitation) et L. 5331-6-4 (à Mayotte, bénéficiaires : particuliers, à titre onéreux pour régulariser une activité professionnelle).
* 29 Cf. la deuxième partie du présent rapport.
* 30 Art. L. 5341-1 CG3P
* 31 Art. L. 5331-17 CG3P
* 32 Réponse écrite aux questions adressées à France Domaine en préparation de son audition du 20 janvier 2015.
* 33 Art. L. 5143-1 CG3P
* 34 Avis du Conseil d'État du 17 décembre 1885.
* 35 CGEDD-IGA, Rapport relatif aux problématiques foncières et au rôle des différents opérateurs aux Antilles , novembre 2013, p. 32. En conséquence, le juge administratif rejette les demandes de reconnaissance d'acquisition par prescription trentenaire aux Antilles (CAA Bordeaux, M. Honoré , 1 er octobre 2009).
* 36 Entre 1981 et 1984 pour la Martinique par exemple.
* 37 Conformément à la loi n° 96-1241 du 30 décembre 1996 relative à l'aménagement, la protection et la mise en valeur de la zone des cinquante pas géométriques.
* 38 S. Caudal, « La domanialité publique comme instrument de protection de l'environnement » , AJDA 42/2009, p. 2329.
* 39 Réponse écrite de la DGALN au questionnaire de la délégation en préparation de l'audition du 12 mars 2015.