D. LES ORIENTATIONS POLITIQUES : DES FACTEURS D'INCERTITUDE

Les échéances prochaines, les mid-terms de novembre 2014 et de façon plus forte, les élections générales de 2016, auront un impact plus ou moins important sur la politique étrangère et de défense des États-Unis.

1. À court terme

Les mid-terms permettront peut-être aux Républicains de conquérir la majorité au Sénat car ils éviteront de reproduire les erreurs de 2010 et 2012 avec la désignation de candidats extrêmes ayant peu de chance d'être élus. L' establishment du parti s'y emploie, mais la décision revient aux électeurs des primaires dans chaque État. L'éviction du leader modéré du GOP à la Chambre des représentants, M. Eric Cantor , lors des primaires républicaines de Virginie montre que la bataille est rude. Cette situation est en grande partie la conséquence de l'offensive des candidats du « Tea party » lors des primaires et du poids de leurs comités de soutien capables de recueillir d'importantes dotations financières depuis les décisions de la Cour suprême libéralisant considérablement la réglementation du financement des campagnes électorales ( Citizens United v. Federal Election Commission, 21 janvier 2010) 239 ( * ) s'agissant des dons des entreprises, et de la récente décision ( McCutcheon vs FEC, 2 avril 2014) concernant des donneurs individuels, sur le fondement du premier amendement à la Constitution, relatif à la liberté d'expression.

Dans cette hypothèse, les Républicains seraient majoritaires dans les deux chambres du Congrès, privant le Président d'un espace de manoeuvre. Ne bénéficiant plus de l'appui du Sénat, il sera dans l'obligation de parvenir à des compromis. Il faudrait s'attendre dès lors à une plus grande influence des Républicains et à des difficultés pour le Président à faire accepter des projets de traités multilatéraux et à l'imposition de conditions plus fortes pour l'attribution des aides extérieures.

Paradoxalement, on peut s'attendre à ce que certaines questions comme celle des traités de libre-échange ou celle du budget de la défense soient plus faciles à négocier. Dans ces deux cas, en effet, c'est la majorité démocrate au Sénat, qui a exprimé les plus fortes réticences ou mis en jeu les crédits de la Défense pour essayer de contrer l'offensive républicaine de diminution des dépenses publiques.

2. À l'horizon 2016

S'agissant de l'échéance de 2016, deux facteurs suscitent un examen attentif.

Dans le camp démocrate, la sortie en juin dernier d'un livre de l'ancienne secrétaire d'État, Mme Hillary Clinton, « Hard Choices » ( Le Temps des décisions) 240 ( * ) , le battage médiatique qui l'a entouré et la campagne de promotion dans un grand nombre de villes sur tout le territoire des États-Unis, préfigurent une éventuelle candidature aux élections primaires.

Dans l'hypothèse d'une élection de Mme Clinton, la politique extérieure des États-Unis évoluera peu. Mme Clinton appartenant à la mouvance centriste du parti démocrate, elle poursuivra vraisemblablement une voie proche de celle du Président sortant, mais avec probablement un investissement plus important sur les questions internationales si la situation économique des États-Unis se redresse et en fonction de l'évolution de la situation internationale. Dans le très court terme, une candidature de Mme Clinton risque d'avoir un effet un peu perturbateur pour le Président, dans la mesure où elle aura tendance à se démarquer de lui sur les aspects les plus critiqués de sa politique.

Dans le camp républicain, comme Mme Laurence Nardon, directrice du programme États-Unis de l'IFRI, a eu l'occasion de l'exposer devant le groupe de travail, plusieurs paramètres doivent être pris en considération. Le premier est que les candidats potentiels se sont encore peu exprimés sur des questions de politique étrangère et de défense 241 ( * ) . Le second est que le parti républicain est traversé de différentes écoles de pensée qui influencent les politiques menées par les présidents républicains successifs. Le troisième est la place accordée à l'allié israélien qui constitue un marqueur de la politique étrangère républicaine 242 ( * ) .

Les différentes écoles de pensées

(d'après Laurence Nardon « Les Républicains et la politique étrangère américaine : quelle perspective pour 2016 ? » Policy Brief The German Marshall Fund of the United States et Institut français des relations internationales, avril 2013 243 ( * ) )

L'école « réaliste » ou « pragmatique » : souvent privilégié par la tendance centriste et l' establishment du GOP, sa conception de la politique étrangère est fondée sur une approche internationaliste qui reconnaît le rôle de l'engagement diplomatique et des institutions internationales, dépourvue de présupposés idéologiques forts. Dans le passé, les tenants de cette école ont su s'imposer et influencer les politiques de Dwight Eisenhower ou de Richard Nixon (Kissinger) et, au cours de leurs seconds mandats, celles du Président Reagan en 1985-1989 avec la mise en place d'un dialogue plus constructif avec une URSS finissante, ou celle du Président George W. Bush (reprise du dialogue avec l'Europe et le monde, préparation du retrait en Irak et en Afghanistan).

L'école « nationaliste » ou « unilatéraliste », qui privilégie l'affirmation de force comme facteur de paix et de stabilité. Dominante au cours du premier mandat de Ronald Reagan (« Peace through strength ») et auprès du Président George Bush (vice-président Dick Cheney, secrétaire à la défense Donald Rumsfeld), cette école considère la scène internationale comme anarchique et violente par nature et a peu de considération pour le droit et les institutions internationales. Elle accorde une grande importance à l'usage de la force militaire et au maintien des engagements. Par exemple : les positions de M. Dick Cheney sur le retrait américain de l'Irak et plus récemment sur l'offensive d'EIIL ou encore sur l'accession de la Géorgie à l'OTAN. A l'inverse des « néo-conservateurs », ils sont peu investis dans l'amélioration de l'état du monde (exemple leur faible intérêt pour la reconstruction politique et économique de l'Irak).

Les « néo-conservateurs » se donnent pour mission d'amener les nations les moins favorisées à la démocratie et à l'économie de marché, par la force s'il le faut. Ils ont une vision idéologique qui trouve sa justification dans l'exceptionnalisme américain. Influents, au sein de l'administration Bush (Paul Wolfowitz, Richard Perle), ils avaient prévu un vaste effort de reconstruction de l'Irak et de l'Afghanistan. Sur des bases démocratiques et pluralistes mais se sont opposés aux « nationalistes ».

Les « isolationnistes » , issus du courant libertarien : ce courant de pensée dont on estime qu'il représente 10 % de la population américaine 244 ( * ) , a souvent opté pour l'entrisme dans le parti républicain (candidature de M. Ron Paul à l'investiture en 2012, activisme du sénateur Rand Paul 245 ( * ) ). Ils souhaitent réduire le rôle de l'État y compris dans le domaine international, en limitant les aides financières aux pays étrangers et semblent plutôt opposés aux institutions internationales. À défaut d'être majoritaires, leurs positions sont très médiatisées.

C'est souvent à travers le choix de leurs collaborateurs que l'on peut préfigurer les choix de politique étrangère des présidents, selon que ceux-ci appartiennent à telle ou telle école, à tel ou tel think tank 246 ( * ) . Il y a aux États-Unis une fluidité entre les administrations fédérales et les think tanks , qui constituent une sorte de réservoir de spécialistes, qui pourvoient les postes au sein des administrations fédérales, leurs prédécesseurs revenant au sein des think tanks selon un système dit du « tourniquet ».

3. À plus long terme

Selon les résultats des élections, la non-coïncidence partisane entre le Président et la majorité dans chacune des chambres du Congrès qui est la conjonction astrale la plus probable mais aussi la moins efficace pour gouverner, risque de se reproduire . Ses conséquences sont d'autant plus graves que l'esprit de compromis entre républicains et démocrates s'est dilué depuis les années 1970. Elle correspond à la montée des inégalités dans la société américaine247 ( * ) qui a des conséquences sur la cohésion sociale . Les perceptions sur les causes des écarts de revenus divergent en fonction des catégories sociales et de l'affiliation politique. Il est possible que la polarisation plus grande des forces politiques et leur moindre capacité à compromettre résulte de l'élargissement de la fracture sociale aux États-Unis .

On notera que la Constitution des États-Unis est très difficilement amendable, il n'y a donc pas de solutions juridiques accessibles pour dépasser cette polarisation qui rendra à terme les cohabitations difficiles avec des risques plus fréquents de blocage du système politique.


* 239 http://droitamericain.fr/Citizens-United-v-Federal-Election

* 240 Pour l'édition française : Hillary Clinton « Le temps des décisions » Fayard, juin 2014

* 241 Les candidats républicains potentiels, sont, à l'exception du sénateur Marco Rubio qui semble faire des efforts pour s'ouvrir à l'international, peu investis en politique étrangère.

* 242 En partie en raison de l'importance des protestants de tradition évangélique dans la base électorale du parti.

* 243 www.ifri.org/downloads/ nardon2016 republicancandidatesapr131.pdf

* 244 Sondage du Pew Research Center en 2011

* 245 À noter que dans un article publié le 19 juin 2014 dans le Wall Street Journal, le sénateur Rand Paul qui n'a pas caché ces intentions de concourir pour la primaire présidentielle de 2016 dans le camp républicain s'exprimant sur la guerre civile en Irak, et soutenant la prudence du président Obama contre les invectives des néo-conservateurs s'est référé explicitement à la doctrine Weinberger, du nom d'un secrétaire à la défense de Ronald Reagan en 1984 dans un discours « De l'usage de la puissance militaire ». Selon lui « Les États-Unis ne devraient pas engager de forces combattantes à moins que leurs intérêts vitaux ou de ceux de leurs alliés soient en jeu et seulement avec la claire intention de vaincre ». Les forces combattantes américaines devraient être engagées « seulement avec des objectifs politiques et militaires clairement définis et avec la capacité de les réaliser et avec une assurance raisonnable d'obtenir le soutien de l'opinion publique et du Congrès et comme une solution ultime ».

* 246 La quête sur le marché des think tanks indique Maya Kandel sur son blog précité a commencé. À l'exception de Rand Paul, tous les prétendants potentiels font appel à des conseillers répondant aux normes classiques du GOP avec l'accent sur une armée forte et la volonté d'utiliser la force à l'étranger, avec parfois une tonalité néoconservatrice.

http://froggybottomblog.com/2014/04/19/rand-paul-le-gop-et-la-politique-etrangere-americaine/

* 247 Emmanuel Saez, professeur d'économie à l'UC Berkeley, a mis en évidence que l'inégalité des revenus n'a cessé d'augmenter aux États-Unis depuis les années 1970 et atteint maintenant des niveaux inédits depuis 1928.

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