C. LES ETATS-UNIS SE METTENT EN ORDRE DE BATAILLE FACE À LA MONDIALISATION
1. La réaffirmation de la puissance financière
La crise a redonné de la vigueur au débat sur la pérennité du modèle américain. Mais elle a aussi permis , comme le souligne Jean-Baptiste Velut 234 ( * ) , « de réaffirmer la prépondérance financière des États-Unis dans le monde » et « la profonde dépendance de l'économie mondiale à l'égard des États-Unis ».
« Ainsi au beau milieu du cataclysme économique sans précédent depuis la crise de 1929, la puissance financière des États-Unis est venue à l'aide du reste du monde ». La Réserve Fédérale a joué un double rôle :
- celui d'une banque centrale classique en soutenant la demande sur le marché américain par l'octroi de crédits et de facilités de crédits, et en préservant la solvabilité des banques américaines,
- celui d'une véritable banque centrale mondiale en rétablissant la stabilité du système financier international grâce à des accords de swap, pour prévenir les manques de réserves en dollars de certaines banques centrales étrangères, mais aussi avec l'introduction d'un nouveau dispositif temporaire d'adjudication permettant d'accorder des prêts d'urgence à des institutions financières et bancaires en difficulté.
La majorité de ces fonds (416 milliards de dollars sur 657) ont été destinés à des banques étrangères.
D'autres indicateurs montrent la pérennité de la puissance économique américaine. En 2012, les États-Unis concentraient encore à eux-seuls 35,1 % de la capitalisation boursière mondiale, loin devant l'Union européenne (19,6 %) et la Chine (7 %). Au premier trimestre 2013, le dollar représentait toujours 62,2 % des réserves de change mondiales. Si la position débitrice des États-Unis, notamment à l'égard de la Chine, est souvent mise en avant, elle doit être relativisée (voir supra p. 63). Ces avoirs ne représentent que 8 % du montant total de la dette américaine (en incluant la part détenue par le gouvernement américain) et la Chine ne peut s'abstenir de financer le déficit commercial américain sans lequel elle ne peut écouler ses exportations et donc soutenir sa croissance économique et sa stabilité politique.
Elle se traduit par le maintien de la position du dollar comme monnaie mondiale. Les marchés américains déterminent les conditions financières mondiales, avant la crise, pendant la crise, après la crise 235 ( * ) , même si l'on peut voir, dans la création d'une banque de développement des BRICS et la volonté de positionner progressivement le yuan comme une monnaie de réserve, les premiers pas d'une Chine plus active.
2. La relance de la compétitivité de l'économie américaine
Dans le domaine du commerce international, l'économie américaine est de plus en plus malmenée. La Chine est devenue le pays pesant le plus dans les échanges internationaux de marchandises en 2012. Le déficit de la balance commerciale américaine à l'égard de Pékin a été multiplié par 17 entre 1992 et 2012. Cependant, dans le même temps, les entreprises américaines ont multiplié par 15 leurs exportations vers la Chine, et les États-Unis disposent encore d'un avantage compétitif dans les services dont ils restent le premier exportateur. Les firmes multinationales américaines (132) sont toujours très présentes dans le Top 500 du magazine Fortune et devraient tirer profit du développement chinois pour conserver leur avance.
Depuis 1945, les États-Unis ont oeuvré pour démanteler les barrières douanières, faciliter l'accès de multinationales américaines aux marchés étrangers et surtout façonné les règles de la libéralisation économique tant sur le plan sectoriel (protection de l'agriculture, extension des droits de propriété intellectuelle) que sur le plan géographique, poussant à l'ouverture de l'OMC à la Chine par exemple.
Aujourd'hui, ces règles du jeu sont de plus en plus contestées avec l'émergence des BRICS et du G20 et les projets de réforme du FMI. Les États-Unis doivent donc repenser leur politique commerciale pour s'adapter à ces nouveaux défis. Dans ce but, le Président Obama a élaboré une nouvelle stratégie commerciale qui s'articule autour de deux axes : le soutien aux exportations et la réorientation du processus de négociations des accords de libre-échange.
En 2010, il a fixé des objectifs très ambitieux à la politique commerciale : doubler les exportations en 5 ans, grâce au lancement d'une initiative nationale (NEI). Il a mis en place un organisme de promotion des exportations ( Export Promotion Cabinet ) chargé notamment d'animer les missions commerciales à l'étranger, d'améliorer l'accès au financement des exportations, de démanteler les restrictions aux exportations établies pendant la période de la guerre froide. Il semble toutefois que, malgré des débuts prometteurs en raison du rebond au lendemain de la crise, les objectifs aient du mal à être atteints.
La réorientation du processus de négociations d'accords de libre-échange passe par l'engagement de négociations interrégionales en vue de signer des accords de Partenariat Trans-Pacifique (TPP) et transatlantique (PTCI) (voir supra p. 71 et p. 96). Cette politique commerciale vise à réaffirmer le leadership économique américain. Elle constitue un élément de la réorientation stratégique des États-Unis.
Pour autant, les États-Unis conservent une prépondérance économique par leur primauté financière et leur force d'innovation et d'attractivité . La crise n'a fait qu'ébranler le modèle de capitalisme américain. Pour l'heure, les États-Unis restent en première ligne pour définir les règles de la mondialisation économique .
On notera la coïncidence de cette remobilisation sur les dossiers économiques avec les demandes exprimées par l'opinion publique américaine. L'étude réalisée en 2013 par le Pew Research Center sur les perceptions de l'opinion publique vis-à-vis du rôle des États-Unis dans le monde et de la puissance américaine montre, qu'à côté d'un certain scepticisme vis-à-vis de l'action internationale des États-Unis, 77 % des Américains estiment que l'augmentation des relations commerciales avec d'autres pays du monde est positive. Cette majorité est valable indépendamment de l'affiliation partisane, du milieu social et du niveau d'éducation 236 ( * ) .
3. La modernisation de l'outil de défense
La focalisation sur les conséquences du Budget Control Act pour le niveau des crédits du budget de la défense et surtout pour la gestion de ces crédits a fait perdre de vue les grands principes qui sous-tendent la transition stratégique en cours. Elle peut certes présenter des risques sur la capacité à mener à terme certains volets de cette transition stratégique, mais probablement d'une ampleur moindre que celle évoquée dans les discours du département de la Défense. La suspension des séquestrations jusqu'en 2016 a redonné un peu de souplesse dans la gestion de la décroissance et rien n'indique que les crédits de la défense feront l'objet d'un nouveau bras de fer à cet horizon du budget 2016.
Un examen attentif de ce qui se passe, particulièrement en matière de R&D et d'accompagnement industriel, indique que plusieurs initiatives visant à réorienter des volets critiques de la défense américaine sont en train de se mettre en place en soutien aux priorités stratégiques énoncées en 2012, malgré les embûches.
« La décroissance force aussi les autorités à faire des choix révélateurs sur les priorités au coeur de leur stratégie et, dans cette optique, la contrainte agit comme un moteur de la transition plus que comme un frein » 237 ( * ) .
Le département de la Défense cherche à limiter l'ampleur et la durée des coupes apportées aux achats autant pour préserver l'industrie que pour conserver et acquérir les moyens matériels nécessaires au rééquilibrage des moyens militaires vers l'Asie. Le secrétaire à la Défense, Chuck Hagel, a d'ailleurs rappelé, le 31 mai 2014, lors du forum de Shangri-La que ces crédits seront préservés.
Le soutien apporté aux exportations (voir supra p. 134), qui correspond à la volonté de pénétrer des marchés en pleine croissance et de consolider des acquis là où les États-Unis cherchent à maintenir leur influence, devrait permettre aux industries de défense de diversifier leurs ressources. Les entreprises américaines se heurteront toutefois à la concurrence des firmes européennes qui sont confrontées aux mêmes contraintes avec la baisse tendancielle des budgets de la défense en Europe et progressivement à celles des pays émergents confortées par la croissance de leur marché intérieur et par les transferts de technologies.
On peut néanmoins estimer que les États-Unis disposent d'atouts solides pour se positionner sur un marché en pleine mutation et particulièrement dans l'Asie-Pacifique où la montée en puissance militaire de la Chine provoque une croissance des achats d'armement conventionnels. Dans ce contexte, les garanties de sécurité offertes par les États-Unis augurent de nouveaux débouchés à l'industrie d'armement américaine 238 ( * ) .
* 234 Jean-Baptiste Velut « Les États-Unis face à la mondialisation économique » - Questions internationales n°64, novembre-décembre 2013.
* 235 Patrick Allard « Le retour du retour (économique) de l'Amérique » - CFJC, 22 janvier 2014 http://www.cfjc-investments.com/wp-content/uploads/Le-retour-du-retour-de-lAmérique-P-Allard-CFCJ-Investments-jan-2014.pdf
* 236 http://www.people-press.org/files/legacy-pdf/12-3-2013%20APW%20VI.pdf
* 237 Aude-Emmanuelle Fleurant : « Budget et industrie : un nouveau cap défini dans la tourmente » - Cahier de l'IRSEM n°29, 2013 .
* 238 Aude-Emmanuelle Fleurant « I ndustrie de défense : entre politique étrangère, stratégie de défense et économie nationale » Questions internationales n°64 - novembre-décembre 2013.