PREMIÈRE PARTIE : UNE RÉGION FRAGILE ET EN PLEINE MUTATION
I. UN ENVIRONNEMENT UNIQUE, FRAGILE ET À PROTÉGER
A. UN ÉCOSYSTÈME UNIQUE ET FRAGILE
On a coutume de voir l'Arctique comme une immense étendue glacée à la vie sporadique ou saisonnière. C'est vrai en partie, mais ça l'est de moins en moins. Tout d'abord, parce que si le rythme de la vie polaire comprend un long sommeil hivernal, la courte saison estivale marque une véritable « explosion de la vie polaire terrestre et marine » comme le rappelle Éric Canobbio dans son Atlas des pôles. Ensuite parce qu'en raison du réchauffement climatique, l'été arctique est de plus en plus long.
La vie au pôle nord a été longtemps mal connue et la richesse de la biodiversité polaire sous-estimée. Les découvertes récentes en Antarctique, mais aussi dans l'océan Arctique, ont démontré une biodiversité sous-glaciaire jusqu'alors sous-évaluée. Or, celle-ci est à la base de la chaine alimentaire polaire, donc du cycle binaire de la vie polaire :
- durant l'été, marqué par la concentration de la biodiversité (particulièrement dans les zones littorales), « le phytoplancton, engraissant le zooplancton arctique, réamorce la chaine alimentaire des régions froides. La fonte du tapis neigeux annonce aussi [...] le départ des caribous vers leurs zones de mise bas ou l'arrivée des oiseaux migrateurs venus prélever une part de l'offre alimentaire arctique » ;
- l'hiver, le long sommeil est dû « principalement à la baisse des températures, au retour de la couverture neigeuse, à la reformation de la glace de mer et au déficit de lumière » . Durant cette saison, la glace constitue un refuge pour de nombreuses espèces d'algues, de crustacés, de poissons ; l'étude des polynies, ces étendues marines libres de glace, a confirmé leur importance écologique pour des espèces comme les narvals, les baleines franches ou les bélugas.
Ce cycle de vie fragile rend particulièrement vulnérable la biodiversité arctique à la fonte de la banquise. En plus du narval ou du béluga, on peut encore citer deux espèces emblématiques victimes de ces changements rapides : l'ours blanc et le phoque du Groenland. Plus au sud, la forêt boréale abrite pendant l'hiver des rennes et de nombreux oiseaux migrateurs.
Les oiseaux migrateurs : victimes emblématiques des changements dans un continent connecté aux autres Le Conseil de l'Arctique a créé une initiative en faveur des oiseaux migrateurs de l'Arctique (Arctic Migratory Bird Initiative - AMBI). Le but de ce projet est d'établir des priorités parmi les espèces et les habitats les plus en danger, faire une revue des connaissances, puis proposer des solutions de conservation. Un français, David Gremillet, Directeur de recherches au CNRS, participe à ces travaux. Sur le fond, le groupe d'étude a montré que certaines espèces d'oiseaux migrateurs arctiques sont parmi les espèces animales les plus menacées au monde. Les principales menaces identifiées à ce stade sont la perte des habitats, la chasse non durable et les captures à l'occasion des opérations de pêche. Or, la France est, elle-aussi, responsable de la préservation de certains oiseaux migrateurs qui nichent en Arctique : les limicoles, de petits oiseaux échassiers. En effet, l'hiver, ces espèces migrent de l'Arctique vers l'Amérique du Sud afin d'y trouver des températures plus supportables. En chemin, elles s'arrêtent notamment en Guadeloupe et en Guyane où elles sont chassées de manière illégale. Ce problème qui met en cause la préservation directe des espèces montre dans quelle mesure l'Arctique n'est pas une région isolée du reste du monde et à quel point la préservation de la biodiversité arctique dépend de tous. |
Le domaine arctique abrite principalement deux régions naturelles :
- la toundra, « expression paysagère d'une biodiversité précaire », représente 10 % des terres émergées de la planète. Principalement composée de lichen, elle abrite une flore tapie au ras du sol pour se protéger du froid et du vent, et poussant en touffes serrées pour optimiser les effets de l'irradiation solaire. Le paysage laisse entrevoir d'immenses plaines et plateaux jalonnés de tertres herbeux et de groupements épars d'arbres nains ;
- plus au sud, la forêt boréale occupe un tiers des terres boisées de la planète. Elle alterne groupements d'épinettes, de mélèzes, de trembles et de bouleaux avec des tourbières et des lacs.
Les travaux du norvégien Fridjof Nansen à la fin du XIX e siècle ont été les premiers à montrer que l'Arctique est également le lieu de l'interrelation entre toutes les formes d'eau : marines et fluviales, douces et salées, chaudes et froides, liquides, solides ou dans ses états intermédiaires, saisonnières et permanentes.
Ainsi, l'océan Arctique est celui qui est le plus influencé par les apports des grands fleuves, en particulier sibériens. Près de 11 % des eaux fluviales se déversent en effet dans l'Arctique, abaissant ainsi la salinité de la couche superficielle de l'océan et alimentant chaque année la formation de la banquise. En outre, l'inlandsis du Groenland, fort d'1,7 millions de km 2 , constitue à lui seul près de 9 % des glaces d'eau douce de la planète.
Or, on a découvert récemment que la pollution dans les fleuves russes (Ob, Lena, Ienisseï, Kolyma) et canadiens (Mackenzie) avait augmenté. Selon le schéma décrit ci-dessus, cette pollution sera donc importée directement dans les eaux arctiques, à l'image de la pollution atmosphérique qui trouve sa source non pas en Arctique, mais dans les régions développées et qui pourtant affecte directement le septentrion.
Car il faut bien comprendre en effet que l'Arctique, s'il est un océan semi-fermé, est loin d'être isolé. Il est même connecté au reste du monde de bien des façons : la circulation atmosphérique et thermohaline; les espèces migratrices ; les échanges économiques avec l'extraction de ressources ; l'augmentation du tourisme. Ce sont autant de vecteurs de pollution qui parviennent en Arctique et qui le frappent de plein fouet ! Or ce faisant, ils altèrent le rôle que l'Arctique joue dans le fonctionnement de notre planète.