2. Deux facteurs inconditionnels : le temps et l'accès à des ressources larges

Nous nous trouvons aujourd'hui à un moment-clef, puisque, comme nous l'ont dit ses membres lors de la table-ronde du 20 février 2014, le nouveau Conseil supérieur des programmes a commencé à travailler sur l'élaboration des nouveaux programmes, qui aboutiront à un renouvellement complet des contenus d'enseignement pour la scolarité obligatoire.

On peut donc considérer que le moment est opportun pour renouveler le stock de manuels et, en particulier, ceux qui comportent le plus de stéréotypes.

Nous voulons croire aux encouragements du chef de service à la DGESCO 32 ( * ) , et, à son instar, penser que « nous pouvons raisonnablement fonder l'espoir que la nouvelle génération de manuels, prenant appui sur de nouveaux programmes intégrant mieux l'impératif d'égalité, permettra d'atteindre les objectifs que nous nous fixons ».

Mais cela implique qu'on laisse aux éditeurs le temps de prendre en compte les évolutions des programmes !

a) Le respect du délai d'un an entre la publication des programmes et leur entrée en vigueur est essentiel

Pour l'ensemble des interlocutrices présentes lors de la table ronde du 29 avril 2014, le souvenir de la refonte générale des manuels scolaires du lycée en 2010, qui les a contraintes à revoir les manuels en quelques mois, illustre toute la contradiction du système : d'un côté, la puissance publique les encourage à réaliser des manuels exemplaires, de l'autre, elle les met dans le même temps dans l'impossibilité de réaliser cette mission.

Pascale Gélébart 33 ( * ) , chargée de mission « Éducation » au Syndicat national de l'édition, a insisté sur ce point : « Le manque de temps, tout d'abord, est un élément que soulèvent unanimement les éditeurs de manuels scolaires. En effet, outre la compréhension et l'appropriation du programme, la recherche de documentation et d'illustrations originales demandent beaucoup de temps. C'est précisément cela qui est sacrifié lorsque les délais sont trop courts ! » .

En réponse à cette requête, le chef de service à la Direction générale de l'enseignement scolaire, lors de la table ronde du 29 avril 2014, a indiqué que le ministre, conscient de ce problème, s'engageait à respecter le délai prescrit par le code de l'éducation (article D. 311-5), en vertu duquel un an minimum doit s'écouler entre la publication des programmes et leur entrée en vigueur.

Notre délégation estime que ce délai doit être incompressible et veillera à ce que le ministère respecte cet engagement, à l'occasion de l'entrée en vigueur des nouveaux programmes en cours de révision .

b) L'accès des auteur-e-s des manuels à un corpus large de ressources contribue à l'écriture de manuels non stéréotypés

Sophie Le Callenec, auteure de la maison Hatier 34 ( * ) , nous indiquait que l'écriture d'un manuel était rarement une entreprise individuelle : « Les auteurs écrivent souvent collectivement, ou se répartissent certains chapitres en fonction de l'origine de leur discipline et, dans tous les cas, effectuent des relectures combinées de leurs parties respectives » .

Mais, dans tous les cas, la richesse d'un manuel dépend de la richesse des ressources documentaires qui servent de base à son récit.

C'est la raison pour laquelle la sociologue Sylvie Cromer 35 ( * ) , notamment, a insisté sur l'importance pour les auteurs de manuels d'avoir accès à un corpus de recherche dense et varié, qui leur permettra, par exemple dans les manuels d'histoire, de mettre en lumière telle ou telle auteure méconnue, mais qui aurait fait l'objet d'une recherche universitaire spécifique.

« Il est important de rappeler que notre métier d'éditeur scolaire nous amène à collaborer avec ces chercheurs », a indiqué Pascale Gélébart 36 ( * ) , chargée de mission « Éducation » au Syndicat national de l'édition. « En effet, il est vital pour nous d'accéder à des corpus de recherche qui éclairent nos démarches et il n'est pas rare que nous fassions appel, pour tel ou tel aspect du programme, à un universitaire ou à un chercheur spécialisé ».

Sophie Le Callenec 37 ( * ) , auteure de la maison Hatier, parlant au nom des auteurs lors de nos auditions, appuyée par les représentants de l'édition scolaire, a estimé qu'avec la numérisation croissante des documents et l'élargissement de la diffusion des travaux universitaires, les auteur-e-s qui voulaient élargir leurs sources d'informations pour enrichir l'écriture de leurs manuels avaient largement les moyens de le faire.

En revanche, elle a pointé du doigt une lacune qu'elle a estimé lourde de conséquences : la difficulté d'avoir accès à des ressources iconographiques non stéréotypées.

De l'avis unanime des professionnels de l'édition, la photo est la plus accessible voie d'entrée dans un manuel scolaire.

Comme l'a rappelé Elina Cuaz 38 ( * ) , responsable de département aux Éditions Bordas, « on sait bien que la première chose que l'on regarde quand on ouvre un manuel, en général, ce sont les photos ».

Or, c'est précisément là que se nichent les stéréotypes et les clichés les plus flagrants.

Indiquant que, travaillant pour les écoles élémentaires, elle recherchait des photos plutôt simples, la représentante des Éditions Bordas a regretté que, « dans les banques d'images dont nous disposons, on retrouve toujours les mêmes photos stéréotypées, du type le docteur (homme) et l'infirmière (femme). Quand un auteur cherche une image de femme pour illustrer par exemple une scène de pompiers, il n'en trouve pas ! ».

Il semble donc que, dans la volonté des éditeurs de dépasser les images stéréotypées, le principal obstacle soit l'inexistence de la ressource !

Sophie Le Callenec, auteure chez Hatier, a bien expliqué le processus d'illustration du manuel. Une fois les textes rédigés, les auteurs établissent une liste de photos nécessaires à l'illustration, celles-ci devant être recherchées soit dans les banques de photos mises à disposition de la maison d'édition par des prestataires privés, soit « commandées » à un photographe rémunéré directement pour la prise à cet effet, ce qui est générateur d'un surcoût important.

A la contrainte temporelle s'ajoute donc une contrainte financière.

De notre point de vue, l'importance stratégique du choix des photos dans un manuel scolaire justifierait que le ministère de l'Éducation nationale mette à la disposition des éditeurs privés une banque de ressources iconographiques publiques dans laquelle ils pourraient puiser, afin de s'éloigner de l'uniformisation des illustrations disponibles dans les banques de ressources privées.

Notre délégation formulera donc une recommandation en ce sens, en suggérant de confier l'élaboration de cette banque ressource à l'éditeur public du ministère de l'Éducation nationale : le réseau CANOPÉ , dont le directeur nous a indiqué qu'il était en train de revoir l'ensemble de l'offre, notamment pour « faire rentrer l'école dans l'ère du numérique » .

Une fois ces deux contraintes dépassées, il revient à chaque maison d'édition la responsabilité de mettre en place des procédures qui permettent la meilleure prise en considération de l'objectif d'élimination des images et des textes stéréotypés.


* 32 Auditionné le 29 avril 2014 par la délégation dans le cadre de la table ronde précitée.

* 33 Auditionnée le 29 avril 2014 dans le cadre de la table ronde précitée.

* 34 Auditionnée le 29 avril 2014 dans le cadre de la table ronde précitée.

* 35 Auditionnée par la délégation le 30 janvier 2014.

* 36 Auditionnée le 29 avril 2014 dans le cadre de la table ronde précitée.

* 37 Auditionnée le 29 avril 2014 dans le cadre de la table ronde précitée.

* 38 Auditionnée le 29 avril 2014 dans le cadre de la table ronde précitée.

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