B. UN IMPÉRATIF : ACCOMPAGNER LES ÉDITEURS DANS LEUR VOLONTÉ DE RENOUVELER LES MANUELS EXISTANTS À LA LUMIÈRE DE L'EXIGENCE D'ÉGALITÉ
La délégation a réunis le 29 avril 2014 les principaux représentants de l'édition scolaire : Pascale Gélébart, chargée de mission éducation du Syndicat national de l'édition et directrice générale de « Savoir Livre », Sylvie Milochevitch, directrice éditoriale du secteur scolaire primaire des Éditions Hatier, Elina Cuaz, responsable de département aux Éditions Bordas, ainsi que Françoise Fougeron, directrice générale des Éditions Nathan.
Notons que les directeurs de ces maisons d'édition sont, en l'occurrence, des directrices : ce sont donc des femmes qui sont, aujourd'hui, responsables de l'édition des manuels scolaires.
Mais surtout nous avons entendu une volonté réelle et partagée de faire évoluer les contenus des manuels à l'aune de l'objectif d'égalité.
« Je peux vous assurer que la question de l'égalité et de la lutte contre les stéréotypes n'est pas un sujet que les Éditions Nathan prennent à la légère », a ainsi assuré Françoise Fougeron, directrice générale des Éditions Nathan, en ajoutant que « En tant que directrice générale de cette maison, j'oeuvre auprès des auteurs avec lesquels nous collaborons comme auprès de toute l'équipe pour que cette question devienne une priorité et que la vigilance ne fléchisse pas sur le sujet ».
Le témoignage de Sophie Le Callenec 28 ( * ) , auteure, a particulièrement touché les membres de la délégation : elle a rappelé que sa sensibilité à la question de l'égalité tenait principalement au fait de sa conscience de participer à la formation et à la construction de futurs citoyens.
Toutes nous ont assuré de l'intérêt qu'elles avaient à travailler en étroite collaboration avec les instituts de recherche, notamment le Centre Hubertine Auclert, qui les aident à faire évoluer les contenus des manuels, en déjouant les pièges de tous les stéréotypes porteurs d'exclusion - qu'ils soient de sexe, d'âge, de handicap ou de couleur.
Toutefois, toutes ont également insisté sur le fait que les facteurs de blocage leur paraissaient aujourd'hui extérieurs à leurs organisations : les manuels appliquent, en effet, scrupuleusement, les programmes scolaires - l'amont dans la chaîne -, premier critère de choix des enseignants dont elles ont rappelé qu'en tant que prescripteurs, ils étaient les premiers à « sanctionner » leur choix (en aval).
1. Les éditeurs se disent sensibles à la question de la lutte contre les stéréotypes, mais enfermés dans une chaîne de contraintes fortes.
Puisque les manuels appliquent les programmes scolaires, la délégation a cherché à savoir comment, dans un premier temps, les programmes, publiés sous la responsabilité du ministère de l'Éducation nationale, pourraient eux-mêmes être porteurs de stéréotypes de genre.
Le récent rapport sur La lutte contre les stéréotypes filles-garçons , remis à la ministre des droits des femmes en janvier 2014 par le Commissariat général à la stratégie et à la prospective, est, à cet égard, sévère. On peut y lire que « malgré une évolution qui, ces dernières années, va dans le sens de l'égalité et qui a été rendue possible par plusieurs travaux de recherche et par la mobilisation de certains acteurs associatifs et politiques, les livres, les manuels mais aussi les programmes scolaires restent fortement prisonniers des stéréotypes de genre » .
a) La définition des programmes demeure fondamentale pour guider la conception des manuels scolaires
Sur ce point, tous ont été unanimes : même si le ministère de l'Éducation nationale travaille de concert avec les éditeurs lors de l'élaboration des manuels, le contenu de ceux-ci pourra changer si les programmes scolaires sont clairement définis et comportent des exemples illustrant les bonnes pratiques.
Les trois sénateurs 29 ( * ) membres du nouveau Conseil supérieur des programmes (CSP), entendus par la délégation le 29 avril 2014 avec le secrétaire général adjoint de ce nouvel organisme, récemment mis en place dans le cadre de la refondation de l'école, ont été très encourageants et nous ont donné des garanties sur la prise en considération de l'objectif d'égalité dans le travail en cours sur la refondation des programmes scolaires.
Ils ont tout d'abord rappelé le cadre dans lequel ce travail s'organise, selon le schéma reproduit ci-après :
Source : Conseil supérieur des programmes
Citant des extraits de la lettre de mission du ministre 30 ( * ) , Marie-Christine Blandin a assuré que le Conseil avait toute légitimité pour travailler sur la question de la transmission des valeurs, dont celle d'égalité, et que cette question faisait partie intégrante des considérations à l'aune desquelles les membres travaillaient actuellement à la révision des programmes.
Néanmoins, elle a reconnu que réviser un programme scolaire relevait de considérations multiples et complexes, au coeur desquelles l'exigence d'égalité se doit d'être conciliée avec bon nombre d'autres exigences, parmi lesquelles la transmission des savoirs fondamentaux prime sur tous les autres.
Par conséquent, elle a suggéré que la question complexe de la « traque » des stéréotypes fasse l'objet d'une relecture spécifique des manuels avant parution, méthode qu'elle nous a dit avoir déjà pratiqué avec succès dans certains documents d'urbanisme (relecture par des associations habilitées s'agissant de l'accessibilité des locaux aux personnes en situation de handicap), en tant que présidente du Conseil régional du Nord-Pas-de-Calais.
Le secrétaire général adjoint du Conseil supérieur des programmes a précisé, à cet égard, que le ministre de l'Éducation nationale avait souhaité renouveler le processus de conception des programmes, notamment en confiant à des groupes techniques de spécialistes l'élaboration des programmes des différents cycles qui seront proposés.
Pour assurer une certaine cohérence, chaque groupe technique comprend au moins un membre du CSP qui joue le rôle de référent entre le groupe technique et les dix-huit membres du conseil, ce qui permet d'avoir une vision d'ensemble pour rendre compte des débats au sein des groupes techniques.
Nous suggérons donc que des experts, spécialistes des questions d'égalité entre les hommes et les femmes, soient intégrés au sein des groupes de travail pilotés par le CSP, afin de pouvoir systématiquement procéder à une relecture spécifique des programmes.
Le déploiement des ABCD de l'égalité a révélé un vivier de personnels de l'Éducation nationale : professeurs, conseillers pédagogiques, inspecteurs... investis au quotidien dans leurs académies et leurs établissements sur la question spécifique de la transmission des valeurs d'égalité entre les filles et les garçons. Il existe donc un important vivier de professionnels de l'Éducation nationale à qui pourraient être confiée cette mission.
b) Le choix des manuels utilisés par les élèves relève in fine des professeurs, qui, niveau par niveau, vont établir des « listes sélectionnées » par leur soin
Pascale Gélébart, chargée de mission « Éducation » au Syndicat national de l'édition 31 ( * ) , nous le rappelait : ce sont plus de 3 000 manuels qui sont envoyés chaque année dans les établissements et soumis au regard critique des enseignants, qui sont, en réalité, les prescripteurs des manuels, par l'établissement de listes destinées aux familles.
Françoise Vouillot, responsable du groupe « éducation » du Haut Conseil à l'égalité femmes/hommes nous rappelait, par ailleurs, lors de la table ronde du 20 février 2014, que les acteurs qui achètent effectivement les manuels sont, dans le primaire, les communes, au collège le ministère de l'Éducation nationale via le rectorat et au lycée, les régions qui, depuis 2004, réalisent directement l'achat pour les établissements ou fournissent des chèques-livres aux familles.
Votre rapporteur s'était interrogé sur la possibilité d'inciter les collectivités publiques financeures à responsabiliser les enseignants prescripteurs pour que les manuels soient exemplaires au regard du principe d'égalité.
Cependant, notre collègue Corinne Bouchoux a précisé, lors de la réunion du 19 juin 2014 au cours de laquelle le rapport a été adopté, que, bien que financeures, les collectivités publiques n'avaient qu'un pouvoir de décision limité dans le choix des livres scolaires et que, par principe, leur donner ce pouvoir pourrait avoir des conséquences inverses à celles que recherche la délégation.
Votre rapporteur, sensible à cet argument, estime que, en tant que financeures, ces collectivités doivent être vigilantes à ce que les manuels prescrits par les enseignants respectent le principe d'égalité entre les femmes et les hommes et qu'ils ne véhiculent pas de stéréotypes sexistes.
* 28 Auditionnée le 29 avril 2014 par la délégation dans le cadre de la table ronde réunissant les concepteurs et éditeurs de programmes scolaires.
* 29 Marie-Christine Blandin, sénatrice du Nord, Jacques Legendre, sénateur du Nord, et Jacques-Bernard Magner, sénateur du Puy-de-Dôme.
* 30 La première lettre de commande du ministre au CSP précise que « le respect de l'égalité entre les sexes » est un élément transversal qui doit transparaître dans les travaux du CSP ; la seconde lettre de commande, en date du 4 décembre 2013, indique que l'égalité des sexes est l'un des enjeux contemporains de la société, au même titre que l'éducation au numérique, ce qui prouve qu'il fait partie intégrante des mutations à l'oeuvre dans la société.
* 31 Auditionnée par la délégation le 29 avril 2014 dans le cadre de la table ronde sur les responsabilités entre les concepteurs et les éditeurs de programmes scolaires.