III - LES NÉGOCIATIONS DE LA CONVENTION D'ASSURANCE CHÔMAGE : CONSTATS ET PISTES DE RÉFLEXION DES PARTENAIRES SOCIAUX
Participent à cette table ronde :
MM. Franck Guilbert, comédien, secrétaire général adjoint du bureau de la Fédération des syndicats, des arts et spectacles, de l'audiovisuel, de la presse, de la communication et du multimédia (FASAP-FO), secrétaire général du Syndicat national libre des artistes (SNLA FO) et Roland Timsit, comédien, metteur en scène et membre du conseil fédéral de la FASAP-FO
MM. Denis Gravouil, secrétaire général de la Fédération CGT du Spectacle, représentant CGT à l'Unédic, et Jimmy Shuman de la délégation générale du Syndicat français des artistes interprètes
Mme Geneviève Roy, vice-présidente aux affaires sociales et M. Georges Tissié, directeur des affaires sociales à la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME)
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M. Denis Gravouil, secrétaire général de la Fédération CGT du Spectacle, représentant CGT à l'Unédic . - À titre liminaire, je précise que j'ai été salarié intermittent comme opérateur de prises de vue pendant 21 ans, je connais donc très bien le régime de l'intérieur. Puisque nous en sommes aux éléments de CV, il aurait été honnête que M. de Virville, qui représente aujourd'hui la Cour des comptes, indique qu'il avait été président de l'Unédic au nom du MEDEF pendant plusieurs années. L'apparente neutralité de la Cour des comptes apparaît peu évidente quand on connaît cette information.
On peut également déplorer que la CFDT et le Medef aient décliné l'invitation de la commission alors qu'ils se partagent à tour de rôle la présidence de l'Unédic.
J'aimerais revenir dans un premier temps sur la structure d'emploi du secteur pour compléter ou infirmer ce qui a été dit, car malheureusement nous ne pouvions pas être à toutes les tables rondes. Ainsi que l'a rappelé M. Peskine, les professionnels du spectacle ne sont pas tous des intermittents, ces derniers étant même minoritaires au sein du secteur en termes de masse salariale.
Il convient de dresser un bilan de l'emploi permanent et de l'emploi intermittent, et sur la destruction d'une partie de l'emploi permanent. On peut évoquer à ce titre le cas des ensembles permanents d'orchestres, puisque le sujet a été évoqué dans le petit film dont je juge déplorable qu'il n'ait présenté aucun technicien ni du spectacle vivant ni de l'audiovisuel et dont le bandeau reprenait les propos des intermittents sur le « statut ». Il y a vraiment un travail d'explication à faire envers ceux qui ont fait le film. Comme l'illustre l'un des témoignages, les attaques budgétaires sont telles que les nombreux artistes et techniciens qui souhaitent trouver un emploi permanent n'y arrivent souvent pas. Comme l'a dit Mathieu Grégoire, tout le monde ne souhaite pas un emploi permanent, mais c'est pourtant un souhait pour beaucoup d'entre eux, ce que prouvent les nombreuses demandes de requalification des CDD en CDI que nos syndicats accompagnent. En témoigne la récente condamnation de l'ancien patron de TF1, Patrick Le Lay, au pénal, pour abus de recours au CDD d'usage.
Il est vrai qu'un travail important a été fait par les employeurs et les syndicats du secteur pour essayer de structurer l'emploi et obtenir des conventions collectives partout. Cette nuit, il semble qu'on soit parvenu à un accord sur la convention collective du cinéma qui manquait pour que presque tout le champ du spectacle vivant et enregistré soit couvert par des conventions collectives.
Il faut aussi faire un bilan rigoureux des conventions collectives existantes, de leur éparpillement et de leur contenu concret. Quand on voit que la convention collective de la prestation technique propose pour certains postes des salaires au SMIC pour des salariés intermittents, on est totalement dans la précarité et certainement pas dans l'incitation à embaucher des CDI pour les employeurs du secteur. Même si la définition de la « permittence » par M. de Virville est totalement erronée, il y a effectivement un travail à effectuer sur ce que peut être l'emploi permanent dans le secteur. Parfois les employeurs utilisent la sous-traitance ou l'externalisation vers des entreprises filiales qui ont-elles-mêmes recours à des prestataires de services employant massivement de nombreux intermittents, à des fins de contournement. C'est ainsi que le siège de TF1 ne se fait plus prendre aujourd'hui avec des intermittents permanents au siège, mais je ne voudrais pas « taper » uniquement sur TF1.
Par ailleurs, nous sommes confrontés à des contrôles abusifs des bénéficiaires du régime en raison d'une interprétation très restrictive de la réglementation par Pôle emploi. On a par exemple été confronté à une interprétation disant que des périodes de résidence de création ne sont pas considérées comme un travail concourant à la production d'un spectacle. Tout est heureusement rentré dans l'ordre mais il y a quelques « ayatollahs » qui interprètent la réglementation toujours dans le sens le plus restrictif.
Contrairement à ce qu'a affirmé M. Strassel, le secteur connaît une rotation importante des salariés. L'Unédic chiffre à 10 %, d'une année sur l'autre, le nombre d'individus différents d'un poste sur l'autre. 10 % d'une population qui ne recueillent pas suffisamment d'heures pour ouvrir des droits, c'est beaucoup ! Si l'on rapporte cela au marché de la formation, ce qui est une énorme « rigolade » en termes de miroir aux alouettes pour beaucoup de jeunes, on peut calculer que la formation initiale - généralement privée avec des escroqueries monumentales - fournit dans nos métiers justement 10 % de nouveaux entrants chaque année. On a beau être un secteur qui crée des emplois, nous ne pensons pas qu'il soit capable d'absorber un tel volume de nouveaux entrants et son taux de renouvellement est certainement beaucoup plus bas, ce qui fait que le turn over est extrêmement grand.
La concurrence entre salariés ainsi mise en place se traduit par une grande précarité, une diminution de la durée des contrats et un âge médian extrêmement bas - entre 35 et 40 ans. De nombreux jeunes collègues s'interrogent sur l'opportunité de poursuivre ou non leur carrière, notamment à partir de 30 ans où l'on cherche une vie plus stable pour avoir des enfants, ce qui est particulièrement vrai pour les femmes. Comme l'a fait remarquer Laurence Tison Vuillaume, il n'y a qu'un tiers de femmes au sein des allocataires indemnisés, ce qui est un révélateur très important de la précarité. Nos métiers du spectacle s'exercent sur des périodes très courtes et très intenses, poussant bon nombre de salariés à quitter leur profession relativement rapidement, bien avant l'âge de la retraite, sans prendre l'exemple extrême des danseurs.
Justement sur la question des retraites, on entend parler du droit de tirage des annexes VIII et X sur la solidarité interprofessionnelle. Cela fait des années que celle-ci est alimentée par nos caisses de retraite et l'AGIRC et l'ARRCO aimeraient faire main basse sur 90 millions d'euros. Au passage nous rappelons que l'État a une dette envers les caisses sur les droits à la retraite de tous ceux qui sont passés par des fonds de professionnalisation, transitoires, etc. Il faudrait peut-être commencer par régler ce problème avant de diminuer le niveau de nos retraites déjà extrêmement bas. Même des personnes qui ont eu de belles carrières se retrouvent avec le minimum actuel de 300 euros mensuels, un peu amélioré par les retraites complémentaires qui prennent en compte les spécificités de nos secteurs, ce qui prouve que la branche est capable d'assurer des droits et d'y trouver une certain portabilité entre les contrats pour les salariés intermittents comme l'a dit M. Peskine.
Concernant nos propositions, on vous a remis nos propositions pour la CGT spectacle 1 ( * ) pour une annexe unique. Nous avons beaucoup parlé de la différenciation entre technicien et artiste. Mais nous sommes totalement opposés à ce qu'ils soient traités différemment. C'est clairement une manoeuvre comme celle de 2003 qui a pour objectif de supprimer à terme l'annexe VIII qui traite des techniciens.
Or, les techniciens intermittents travaillent sur les mêmes projets que les artistes, pas forcément de la même façon. D'ailleurs, la spécificité des artistes est reconnue par l'existence d'un cachet.
Les chiffres donnés par Mathieu Grégoire montrent que si on relève le plafond de 507 heures à 600 heures, cela éjecterait 25 à 50 % des allocataires de l'annexe VIII et cela toucherait les intermittents qui ont les carrières les plus aléatoires et on ne réglerait rien au problème des plannings des permanents intermittents.
Il n'est pas automatiquement dit qu'un salarié intermittent qui fait plus de 700 heures devrait être un salarié permanent. Mais des salariés qui sont justes au-dessus des 507 heures, parmi les techniciens, il y en a beaucoup. Et les accidents de carrière liés à un projet qui ne se concrétise pas sont très fréquents surtout en ce moment avec la baisse du budget du ministère de la culture et des opérateurs publics. Le problème de l'emploi est très sensible que ce soit dans le public ou dans le privé.
Concernant nos propositions, nous pensons qu'il nous faut une annexe unique pour les techniciens et les artistes et que la spécificité des cachets soit reconnue pour les artistes.
Si les techniciens intermittents étaient sortis des annexes, on ne les retrouverait pas dans le régime général, mais par exemple dans le régime d'auto-entrepreneur, comme c'est le cas partout en Europe. La sécurité sociale est à leur charge et ils sont dans une précarité extrême. Si on sortait les techniciens des annexes alors on détruirait leurs droits sociaux.
Parmi nos 12 propositions, que je ne détaillerai pas toutes, nous insistons sur : le maintien de la période de référence de 507 heures de travail sur 12 mois, la prise en compte des périodes assimilées. Je pense à la maternité, en notant que l'amendement que vous avez adopté ne s'est par encore traduit par des mesures concrètes. Je pense aux congés maladie, et certaines personnes dans des cas de maladie grave ont été « rattrapées » par les fonds de solidarité mais pas par l'assurance chômage. Nous souhaitons que ces périodes soient assimilées à hauteur de 5 heures par jour. Je pense aussi à la formation pour que soit pris en compte un volant d'heures de 169 heures. J'ajoute que la coordination entre le régime général et les annexes VIII et X n'existe plus depuis 2003, nous pensons qu'elle est nécessaire. Le cumul entre les annexes VIII et X existe, ce qui prouve que c'est une annexe unique. Dans nos propositions figure le plafonnement du cumul salaires/allocations qui parait juste et a un effet incitatif pour accepter des emplois permanents. Nous avons des propositions un peu techniques sur le maintien des droits jusqu'à l'âge de la retraite, sur la suppression de l'abattement professionnel et sur l'ASS.
Enfin, concernant le calendrier de la négociation, nous avons appris que la négociation du régime général a été repoussée à début 2014, en raison d'autres négociations en même temps sur la formation et sur les retraites. Nous souhaitons une vraie négociation, que nos propositions - qui ont été chiffrées par l'Unédic en 2003 montrant qu'elles n'étaient pas aberrantes voire moins coûteuses que le système actuel en étant plus justes et plus solidaires -, soient réellement étudiées et replacées dans la spécificité de nos professions. Un exemple : la collecte auprès des employeurs et intermittents se fait toujours par Pôle emploi et non par l'ACOSS et la sécurité sociale car c'est une collecte nominative. Nous souhaitons que la négociation à venir ne soit pas une fausse négociation dans laquelle nos propositions ne seraient pas étudiées. Nous espérons des évolutions, surtout pas le statu quo, Nous ne souhaitons pas la disparition de l'annexe X et surtout de l'annexe VIII qui semble être en danger. Il faut que la réforme de 2003 soit corrigée des défauts qui ont été largement démontrés et que la négociation aboutisse à la pérennisation du système.
M. Roland Timsit, comédien, metteur en scène et membre du conseil fédéral de la FASAP-FO . - Je souhaiterais faire quelques observations sur le cadre. Je suis tombé dans le syndicalisme assez jeune et j'ai connu ma première négociation d'assurance chômage en 1982, à l'époque d'un blocage entre partenaires sociaux alors que Pierre Bérégovoy avait signé un décret sur l'assurance chômage. Je voudrais vous dire ma satisfaction devant la prise de position commune des ministres de la culture et du travail qui, pour la première fois, ont reconnu l'importance de nos professions et ce que nous représentions culturellement et économiquement.
Depuis près de 30 ans, nous avons été stigmatisés, montrés du doigt, considérés comme des fraudeurs. Je me souviens de l'époque où circulait la photo de Catherine Deneuve et où il était dit qu'elle touchait les ASSEDIC alors que ce n'était pas vrai. Il a fallu passer par des périodes bien difficiles et aujourd'hui, je voulais vous donner acte de la manière dont vous appréhendez les choses. Vous avez choisi la bonne méthode et le rapport de M. Jean-Patrick Gille le montre, vous avez pris la mesure de l'importance de cette situation et de nos professions.
Je vous remercie de nous entendre avec les partenaires sociaux aujourd'hui autour de cette table.
Les enjeux ont été pointés dans le rapport de l'Assemblée nationale, sur le droit du travail, sur les conventions collectives, sur le recours au CDD d'usage. En 30 ans que s'est-il passé ? Les organisations syndicales et employeurs ont fait un grand travail pour négocier des conventions collectives. Mais le rapport Gille note également que lorsque la loi ou les conventions collectives ne sont pas respectées, il n'y a pas de sanctions, il n'y a pas de contrôle. Lorsque j'avais souligné ceci il y deux ou trois ans lors d'un conseil national du spectacle vivant présidé par M. Mitterrand, M. Combrexelle avait botté en touche.
Or, selon moi, le rôle de l'État est de faire appliquer la loi. Et aujourd'hui, nous sommes dans une méthode qui peut nous permettre de régler les problèmes de fond. Il faut que cessent les abus et je proposerai la constitution d'un corps d'inspection du travail spécialisé dans le monde du spectacle.
Contrairement à ce qu'a dit M. de Virville, nous ne profitons pas de ce système pour abuser de la précarité ou de l'indemnisation du chômage. Je ne comprends pas qu'un membre de la Cour des comptes se permette cette caractérisation idéologique, mais passons.
Nous avons signé, en 30 ans, des accords de branche pour lutter contre le recours abusif aux CDD d'usage, mais ces accords ne sont pas toujours respectés, ni sanctionnés.
Certes ce secteur s'est considérablement développé. Le tissu culturel français peut s'enorgueillir d'avoir des scènes nationales, des théâtres de ville, des centres dramatiques nationaux. Mais nous travaillons de plus en plus mal, nous sommes de moins en moins payés.
On comptait en 1986, 4,8 contrats par intermittent par an. En 2009, on passait à 15,2 contrats, soit presque 4 fois plus mais avec un nombre de jour de travail beaucoup moins important car, en 1986, les contrats étaient de 18,9 jours contre 4 jours de travail en 2009. Vous l'avez dit le 3 juillet Mme Blondin, ce marché du travail atypique est dérégulé. C'est un exemple avancé de « flexisécurité ».
En fait, il n'y a pas de déficit car il n'y a pas de caisse unique, ni de caisse autonome. Si nous suivions le raisonnement de M. de Virville, en réalité, nous sommes excédentaires. Mais est-ce pour autant que nous allons brandir l'autonomisation, le refus de la solidarité interprofessionnelle ? M. Sapin a raison lorsqu'il dit qu'il existe un modèle français basé sur la solidarité interprofessionnelle et nous devons le garder.
Dans l'audiovisuel, je suis d'accord avec M. Peskine, ne nous illusionnons pas sur le poids des « permittents ». Néanmoins à France Télévisions et à Radio France, depuis 20 ans, des gens travaillent régulièrement. Alors certains se sont battus pour requalifier ces contrats en CDI. France Télévisions a pris peur et veut aujourd'hui mettre à la porte 8 000 salariés intermittents qui travaillent régulièrement pour le groupe et représentent environ 2 500 équivalents à temps plein. La direction n'a rien trouvé de mieux comme solution que de les accompagner vers la sortie en proposant des formations au développement de compétences personnelles, des aides de formations adaptées à chacun, des formations de reconversion, des aides financières. Cela n'est pas sérieux et c'est là que les pouvoirs publics ont une responsabilité.
Un accord vient d'être conclu dans le secteur du cinéma, mais les techniciens ont consenti à une baisse de 20 % de leurs rémunérations. Si la masse salariale du secteur a augmenté de 15 % en 2009, le salaire médian avait baissé de 20 %. Les augmentations de masse salariale sont consacrées aux cachets des acteurs vedettes mais le salaire médian stagne et même diminue. Alors doit-on produire à tout prix, n'importe comment ?
Si l'on ne règle pas ces problèmes de fond, de l'emploi, des salaires, avec des mairies qui achètent des spectacles pour enfants à 100 euros, il y aura toujours une crise de l'assurance chômage. Il y a aujourd'hui un déficit de l'assurance chômage car, depuis des années, il y a eu un déficit des pouvoirs publics à faire respecter un certain nombre de règles. D'où l'importance de votre table ronde et des missions parlementaires.
S'agissant de nos propositions, il faut mettre un terme à cette réforme de 2003, rédigée par la CFDT et le Medef, qui a fait beaucoup trop de mal à nos métiers. Pour revenir sur France Télévisions, je dois dire que nous avons été sensibles à la proposition de M. Gille sur la requalification des CDD d'usage en CDI sur les périodes de 600 heures et 900 heures.
Nous sommes pour :
- le déplafonnement de l'assiette de cotisations sans pour autant doubler le taux ;
- deux annexes respectivement consacrées aux travailleurs du cinéma et de l'audiovisuel, et pour les artistes et techniciens du spectacle, comme c'était le cas auparavant ;
- l'ouverture des droits à compter de 507 heures effectuées sur 12 mois avec une date anniversaire ;
- pour les « matermittentes », réforme du mode de décompte des droits en période d'arrêt-maternité ;
- plus généralement, réforme du mode de décompte des droits en période d'arrêt-maladie ;
- la prise en compte des jours des congés payés, qui doivent pouvoir être traduits en heures ouvrant des droits par la Caisse des congés spectacle ;
- la création d'un corps d'inspecteurs du travail spécialisés pour les entreprises employant des intermittents pour mettre un terme aux abus et mutualiser les efforts de contrôle ;
- nous sommes favorables à l'augmentation du seuil pour les heures de formation et à son passage à 169 heures pour avoir un tiers de formation et deux tiers d'activité. Nous pensons que c'est un seuil raisonnable laissant la priorité à l'activité ;
- enfin, si nous sommes favorables à la réforme de la franchise, nous sommes contre le plafonnement mensuel que vous proposez, non pas pour ouvrir les vannes mais parce que nous pensons que cela ne sera pas gérable par Pôle emploi. Il nous semble de surcroit totalement injuste car une personne qui gagne deux fois 5 000 euros ne pourra plus toucher cette somme alors qu'une autre qui touche une fois 10 000 euros pourra continuer à le faire.
Pour terminer, je souhaiterais insister sur le fait que les collectivités territoriales et les élus doivent prendre pleinement conscience de leur responsabilité particulière dans la vie culturelle : aucune municipalité ne devrait plus s'autoriser à proposer 100 euros pour monter un spectacle pour enfants.
Après cette table ronde consacrée au régime des intermittents, il nous apparaît nécessaire d'organiser une table ronde sur le financement du spectacle vivant.
Mme Geneviève Roy, vice-présidente aux affaires sociales de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) . - Tout d'abord nous avons décidé de commencer à travailler avant la fin de cette année, dans un calendrier beaucoup plus resserré. L'idée de ne pas avoir une vraie négociation qui n'aborderait pas tous les problèmes est totalement exclue pour notre organisation.
Nous devons absolument tout mettre en oeuvre, dans un esprit constructif, pour aboutir à un accord, faute de quoi l'Unédic ne pourra plus emprunter sur les marchés financiers. Son déficit atteint en effet 4 milliards d'euros par an - dont 866 millions au titre des seuls intermittents - et sa dette totale se monte à 22,3 milliards. Tout doit donc être mis sur la table concernant le régime des intermittents, comme tous les autres points du régime de l'assurance chômage. On sait que pour créer de l'emploi il faut 1,5 point de croissance et mon organisation est sceptique quant à la reprise de l'activité, et de toute façon nous devons équilibrer ce régime en respectant nos engagements de janvier 2013 sur les droits rechargeables, à coûts constants.
Je vous rejoins en disant que 100 euros pour un spectacle c'est assez peu et je ne vois pas ce que l'on peut faire à ce prix-là, il faut un juste prix, mais la politique culturelle de la France ne peut pas reposer sur le seul régime d'assurance chômage.
S'il est normal que la solidarité nationale contribue au financement de la politique culturelle, il faut réfléchir à toutes les pistes, notamment au cas des techniciens. La CGPME est très attachée au CDI intermittent qui pourrait être une piste à creuser pour ces intermittents. Il faut en tout cas tendre vers la résorption du déficit de l'Unédic car l'on ne tiendra pas avec un déficit cumulé de 22,3 milliards qui va s'aggraver dans les années à venir. Il faut que le régime des intermittents, comme les autres, participe à cet effort.
Nous serons évidemment présents pour ces discussions et c'est moi qui assurerai, à titre personnel, la négociation de cette nouvelle convention.
M. Jimmy Shuman, délégation générale du Syndicat français des artistes interprètes . - Comme Mme Roy, nous ne sommes pas en faveur d'un subventionnement de la politique culturelle de l'État et des collectivités territoriales par le régime d'assurance chômage. En revanche nous voulons que les spécificités des intermittents soient prises en compte et que leurs droits soient respectés, ce qui justifie un dispositif spécifique.
Pour rebondir sur ce qu'a dit Mme Blondin, un certain nombre d'intermittents sont employés lors des activités péri-scolaires, mais leurs heures ne sont pas reconnues car ils sont engagés comme animateurs vacataires. Or l'animation n'est pas reconnue dans le cadre de notre régime. Il est nécessaire de revoir la façon dont les activités d'enseignement et éventuellement d'animation culturelle sont prises en compte : si un artiste est engagé comme enseignant de théâtre par une compagnie de théâtre elle-même en contrat avec un centre dramatique national subventionné, ses heures d'enseignement ne peuvent pas être prises en compte pour le calcul des heures ouvrant droit à indemnisation.
Deuxième point, les circulaires, règlements, directives, interprétations, ne sont pas visés par tous les partenaires sociaux. Tous ces textes sont vus par la direction de l'Unédic mais pas par le bureau, et sont transmis directement aux antennes qui, parfois, ne comprennent pas ces textes ou ne savent même pas qu'ils existent. Il faut parfois connaître des amis bien placés dans les antennes pour avoir accès à ces textes !
Les agents de Pôle emploi en relation avec les intermittents devraient bénéficier d'une formation spécifique car, actuellement, tous ne maîtrisent par leur sujet.
Concernant votre huitième piste : s'il est possible de calculer les cotisations sociales d'un intermittent sur une assiette réduite de 20 ou 25 %, les employeurs ne prennent pas toujours la peine d'obtenir l'accord de l'intéressé, qui est pourtant obligatoire. Cette règle est un « reste » de l'abattement fiscal que nous avions jusqu'en 1999 et que les journalistes ont conservé. À l'époque, nous avions entamé des négociations avec la FESAC et avions abouti à un accord sur la disparition progressive de cet abattement sur plusieurs années, abattement qui pouvait être reconnu par le code de la sécurité sociale. Cela pénalise énormément le niveau de retraite des personnes qui ont des revenus en dents de scie. Le salarié sous-cotise involontairement même dans les périodes où les revenus sont plus importants, et voit ses droits réduits en termes d'assurance maladie, d'assurance chômage et de retraite.
Dans le même registre, nous prônons la suppression du plafond mensuel de rémunération soumise à cotisation, qui nous paraît être un système injuste car cela prive la caisse, comme les intéressés, de ressources.
M. Franck Guilbert, comédien, secrétaire général adjoint du bureau de la Fédération des syndicats, des arts et spectacles, de l'audiovisuel, de la presse, de la communication et du multimédia (FASAP-FO), secrétaire général du Syndicat national libre des artistes (SNLA FO) . - Je prends la parole à la suite de mon camarade Jimmy Shuman, comédien et délégué général du SFA, et comme comédien moi-même et secrétaire adjoint de la fédération FO du spectacle mais aussi secrétaire général du SNLA. Je vous informe que nos deux syndicats d'artistes interprètes ont organisé en Avignon, lieu emblématique pour l'activité de nos secteurs, une autre table ronde, il y a un an, en défense de notre statut de salariés.
Nous ne sommes pas des intermittents, nous sommes des salariés intermittents, nous ne sommes pas des précaires, nous sommes des salariés à part entière. Quand nous parlons d'indemnisation chômage, nous considérons que c'est un droit parmi tous les autres droits que nous avons, au même titre que tout autre salarié.
Les chiffres en attestent, d'autres représentants, et notamment Roland Timsit avant moi l'ont évoqué, les durées de contrat se raccourcissent et pourtant les spectacles ont lieu, et pourtant les films ont lieu, et pourtant les téléfilms ont lieu, les doublages ont lieu, les festivals ont lieu, donc, il n'est pas besoin de faire de hautes études supérieures pour tout simplement comprendre sans même le vivre soi-même que de plus en plus, une partie du travail ne nous est pas payée. Que ce soit pour les artistes interprètes et que ce soit même de plus en plus pour les techniciens.
C'est là qu'interviennent en effet les nécessités de contrôles comme l'a évoqué Roland Timsit, avec la demande de formation d'un corps spécialisé auprès des inspections du travail. Nous avons - organisations syndicales de salariés représentatives, représentatives par notre histoire, par le nombre de nos adhérents, par les élections professionnelles, et pas seulement par une dénomination - nous avons accepté depuis huit ans maintenant de renégocier toutes les conventions collectives du secteur, avec la préoccupation non seulement d'une protection sociale et de conditions de travail pour l'ensemble des salariés du secteur, mais aussi un encadrement du recours aux CDD dits d'usage.
Je renouvelle donc notre demande que vous avez déjà entendue, que nous avons eu l'occasion également de formuler le 17 octobre lorsque nous avons été entendus dans le cadre de la mission parlementaire consacré à l'emploi artistique dirigé par M. Jean-Patrick Gille, du bilan par l'État et ses services de l'accord unanime des organisations syndicales sur la politique contractuelle dans le spectacle vivant. Cet accord concerne toutes les catégories de salariés. Nous ne sommes pas des privilégiés. Pas plus que n'importe quel autre salarié dans le pays ne l'est aujourd'hui. Et a fortiori pour les salariés involontairement privés d'emploi.
De quoi parle-t-on ? Quand j'entends à l'instant la représentante de la CGPME dire : « Eh bien, si nous devons faire des efforts sur la réduction des déficits, il faudra bien que les annexes VIII et X y participent ». Mais de quoi parle-t-on ? Quels déficits ? Sinon ceux - pour ce qui concerne l'assurance chômage en général - de la situation de sous-emploi dans notre pays ? Oui, il est normal que l'assurance chômage - c'est sa vocation - assure, et mieux encore, et à plus encore d'allocataires, pour tous ceux qui sont involontairement privés d'emploi, une indemnité de remplacement. De la même façon qu'il est normal que la sécurité sociale, l'assurance maladie, assure une prise en charge des frais pour toute personne malade. En quoi cela est-il extraordinaire ? En quoi cela serait-il un privilège ?
Je conclurai en attirant l'attention de la mission et la vôtre, mesdames et messieurs les sénatrices et sénateurs, parce qu'il y a des organisations représentatives et il ne peut pas se reproduire ce qui s'est passé en 2003 : il ne peut pas être fait fi de ce que portent les principales organisations de salariés et d'autant plus pour ce qui concerne nos secteurs. Je veux parler d'élections professionnelles car nous sommes dans un régime interprofessionnel. Et dans nos secteurs professionnels, nos deux organisations - CGT et Force ouvrière - représentent 80 % des salariés par les élections. Va-t-on nous entendre ? Nous avons des discussions sur la nécessité d'une annexe unique ou le maintien de deux annexes distinctes. Nous allons, je l'espère, discuter sur cette proposition de plafonnement, et évaluer le risque que cela comporte. Mais pour le reste nous portons les mêmes demandes.
Mme Marie-Christine Blandin , présidente . - Je vous remercie. Vous avez bien compris notre intérêt, notre motivation à vraiment mieux comprendre toutes vos expertises d'usage, vos revendications syndicales, les paroles des uns et des autres et en même temps les limites de l'exercice.
Nous ne sommes pas la commission centrale sur ce sujet et pourtant il est important pour la culture. Nous sommes en outre dans une configuration où ce n'est pas la loi qui va donner le la a priori , mais les partenaires sociaux.
Dans ce cadre-là, nous utiliserons tous les moyens dont nous disposons, à commencer par la bonne connaissance du sujet pour porter une parole ; vous pouvez quand même avoir confiance. Et je laisse à Maryvonne Blondin, qui s'est largement engagée depuis des mois, le soin de conclure.
* 1 Cf Annexes.