IV. UNE PRIORITÉ : L'ÉVALUATION DES RESSOURCES NATIONALES, PRÉALABLE INDISPENSABLE À TOUTE ESTIMATION D'IMPACT ÉCONOMIQUE
La question des « gaz de schiste » est venue dans le débat public en France avec la publication par l'Agence américaine d'information sur l'énergie (EIA 73 ( * ) ), en avril 2011, de chiffres tendant à démontrer que la France métropolitaine serait l'un des pays les mieux doté d'Europe. Bien que ces chiffres aient été, depuis lors, révisés à la baisse (voir ci-après), ils font état de ressources importantes.
À la différence de la France, plusieurs pays ont décidé de procéder à des estimations nationales de leurs ressources, afin de préciser les informations publiées aux États-Unis, notamment la Chine, la Pologne, le Canada, l'Australie, le Royaume-Uni et l'Argentine.
La décision de mener des travaux d'exploration paraît rationnelle. Elle est fondée sur la volonté de connaître le patrimoine national, ce qui est nécessaire à l'estimation de l'impact économique d'une éventuelle exploitation, ou d'un report de l'exploitation des hydrocarbures non conventionnels. En effet, à l'inverse, « est-il raisonnable d'ignorer le montant de son compte en banque ? » 74 ( * ) .
A. DES RESSOURCES TRÈS MAL CONNUES
Les estimations de l'agence américaine EIA pour le monde et, en particulier, pour la France , sont des estimations sommaires . Seuls les bassins des États-Unis sont suffisamment bien connus pour faire l'objet d'évaluations crédibles, en raison des nombreux travaux d'exploration et d'exploitation qui y ont été réalisés.
Ces estimations étant les seules disponibles, elles seront néanmoins analysées ci-après.
1. Des ressources mondiales présumées plutôt que démontrées
a) Les estimations existantes
Les premières évaluations concernant les gaz non conventionnels au niveau mondial remontent à 1997 (Hans-Holger Rogner 75 ( * ) ). Ces estimations ont été révisées à la hausse par les sources les plus récentes, qui sont américaines. Ce sont les chiffres publiés par l'Institut géologique américain (USGS 76 ( * ) ) et l'agence américaine d'information sur l'énergie (EIA) du Département pour l'énergie (DOE) des États-Unis.
En synthétisant l'ensemble des connaissances existantes, l'Agence internationale de l'énergie (AIE) 77 ( * ) estime que le gaz non conventionnel comptera pour près de la moitié de l'augmentation de la production de gaz mondiale jusqu'en 2035, cette augmentation venant pour majeure partie de la Chine, des États-Unis et de l'Australie. Elle juge, par ailleurs, que les ressources en huiles de schiste seraient un peu moins conséquentes que les ressources en gaz mais que l'augmentation de la production mondiale de pétrole d'ici 2035 sera néanmoins entièrement attribuable au pétrole non conventionnel.
À la suite de sa première publication, en avril 2011 78 ( * ) , L'EIA a affiné ses estimations dans le cadre d'une nouvelle publication, datée de juin 2013 79 ( * ) . Cette nouvelle publication intègre un plus grand nombre de données, mettant à jour les résultats par bassins publiés en 2011. Elle prend en compte les résultats de premiers travaux d'exploration menés en Argentine, en Chine, au Mexique et en Pologne. Par ailleurs, elle s'étend à un plus grand nombre de pays - 41 plutôt que 32 - et de bassins - 95 plutôt que 48 (hors États-Unis). Enfin, elle intègre des estimations de ressources en pétrole de roche-mère.
L'estimation des ressources mondiales en gaz de roche-mère est réévaluée de 10 % par rapport à ce qui avait été publié en 2011.
En 2013, l'EIA estime que 32 % des ressources techniquement récupérables en gaz naturel dans le monde sont non conventionnelles , de même que 10 % des ressources en pétrole.
Quelles que soient les incertitudes, il est donc acquis que les ressources au niveau mondial sont très importantes.
CARTE DES BASSINS D'HYDROCARBURES DE ROCHE-MÈRE (MAI 2013)
Source : EIA
En rouge : Bassins pour lesquels l'EIA a produit une estimation chiffrée
En beige : Bassins pour lesquels l'EIA n'a pas produit d'estimation chiffrée
RESSOURCES TECHNIQUEMENT RÉCUPÉRABLES EN HYDROCARBURES DE ROCHE-MÈRE
Ressources techniquement récupérables de gaz (en milliards de m 3 ) |
Ressources techniquement récupérables de pétrole (en milliards de barils) |
|
États-Unis |
32 800 |
48 |
Chine |
31 500 |
32 |
Argentine |
22 700 |
27 |
Algérie |
20 000 |
6 |
Canada |
16 200 |
9 |
Mexique |
15 400 |
13 |
Australie |
12 400 |
18 |
Russie |
8 100 |
75 |
Pologne |
4 200 |
3 |
France |
3 900 |
5 |
Total 41 pays + États-Unis |
206 600 |
345 |
Source : EIA (juin 2013)
b) Des incertitudes fortes
Les estimations de l'EIA ont été établies par un consultant extérieur, Advanced Resources International (ARI), qui est une entreprise dédiée à la fourniture de services de consultation et de recherche dans les domaines des hydrocarbures non conventionnels et de la séquestration du CO 2 , à l'intention d'organismes publics américains, de compagnies gazières et pétrolières et d'autres entreprises du secteur de l'énergie.
Les estimations publiées par l'EIA se fondent sur des informations publiques. Il s'agit de littérature technique et de données publiées par les entreprises. Elles se fondent aussi sur de précédents travaux non confidentiels d'ARI.
Quelques précisions doivent être apportées sur le champ exact de ces estimations :
• Elles portent sur les ressources techniquement récupérables, étant considéré que celles-ci représentent généralement 20 à 30 % des ressources en place.
• Elles n'intègrent pas de variables économiques (coûts de production, prix du gaz) et ne portent donc pas sur les réserves.
• Elles ne prennent pas en compte de données de surface (urbanisation des bassins, régime de propriété des sols et sous-sols, disponibilité d'eau pour la fracturation...).
• Elles n'incluent ni le pétrole et le gaz dits de réservoirs compacts, ni le gaz de houille, ni les hydrocarbures de roche-mère offshore.
Les données publiées par l'EIA sont des estimations sommaires réalisées par extrapolation de données de teneur en hydrocarbures issues de quelques sondages à l'ensemble de la superficie des bassins supposés, sans tenir compte de leur variabilité géologique . Les auteurs de ces estimations sont eux-mêmes très circonspects sur la portée de ce travail, qualifié, en avril 2011, de « premiers pas vers des évaluations à venir plus exhaustives des ressources en gaz de roche-mère ».
Ce qui paraît acquis, c'est que les hydrocarbures non conventionnels sont largement répandus dans le monde et qu'ils sont plus également répartis entre les pays que les ressources conventionnelles.
Cette observation contredit les affirmations pessimistes sur la fin du pétrole ( peak oil ). La révolution n'est donc pas qu'énergétique. Elle a des conséquences géostratégiques car ces ressources, très présentes aux États-Unis, en Chine et en Europe, peuvent diminuer la dépendance aux fournisseurs traditionnels d'hydrocarbures conventionnels que sont la Russie et les pays du Moyen-Orient.
2. Les ressources des gisements non conventionnels en France
Pour la France, l'EIA avance, avec les restrictions indiquées ci-dessus, le chiffre de 3,9 Tm 3 (soit 3 900 milliards de m 3 ) de ressources techniquement récupérables en métropole, ce qui en ferait l'un des pays d'Europe les plus richement dotés en gaz de roche-mère après la Pologne (4,2 Tm 3 ). Le montant estimé pour la France a toutefois été révisé à la baisse - il s'élevait, en avril 2011, à 5,1 Tm 3 - de même que pour la Pologne - pays pour lequel cette estimation s'élevait, en avril 2011, à 5,3 Tm 3 .
Pour la France, l'EIA indique que cette révision à la baisse se fonde sur une meilleure connaissance du bassin sud-est.
La probabilité associée à ces chiffres n'est pas connue. On peut néanmoins affirmer que la géologie des différents bassins sédimentaires, en région parisienne et dans le sud-est, est plutôt favorable à l'existence d'hydrocarbures de roche-mère (huiles et gaz). Rappelons qu'en France, les bassins conventionnels que sont le bassin parisien et le bassin aquitain, sont exploités depuis plusieurs décennies, et ont donné lieu au forage de plus de 6 000 puits.
Pour les hydrocarbures de roche-mère, les bassins identifiés sont le bassin parisien (principalement pour les huiles) et le bassin sud-est (principalement pour le gaz). Quant aux ressources potentielles en gaz de houille, dans les anciens bassins miniers de Lorraine et du Nord-Pas-de-Calais, elles ont été précédemment évoquées (II).
LES BASSINS D'HYDROCARBURES CONVENTIONNELS ET NON
CONVENTIONNELS
EN FRANCE
Source : IFPEN
a) Un potentiel important d'huiles de schiste dans le bassin parisien
Le bassin parisien présente un potentiel de production d'hydrocarbures liquides. Environ 2 000 forages ont été réalisés à ce jour dans ce bassin, qui est donc bien connu. Ces forages permettent de suspecter la présence d'une roche-mère prolifique. Les niveaux jugés les plus prometteurs sont le Lias (milieu de l'ère secondaire soit environ 180 millions d'années) et le Permo-carbonifère (fin de l'ère primaire soit environ 300 millions d'années).
Par ailleurs, du charbon et donc du gaz de houille pourraient être présents à très grande profondeur (6 000 m) sous le bassin parisien.
LES RÉSERVOIRS POTENTIELS DU BASSIN PARISIEN
Source : Bruno Goffé d'après BRGM
La société d'origine canadienne Vermilion a foré deux puits de recherches d'huile de roche-mère, notamment le puits de Champotran 29 qui est aujourd'hui productif et que vos rapporteurs ont visité. Au 1 er janvier 2011, 39 demandes de permis exclusifs de recherches visant l'huile de roche-mère du bassin parisien avaient été déposées.
Le rapport des CGEIET et CGEDD 80 ( * ) a publié le chiffre de 800 millions de tonnes (soit 1 milliard de m 3 ou 6,3 milliards de barils) de pétrole potentiellement récupérables dans le bassin parisien. Cette estimation est réalisée par extrapolations à partir de données fournies par des opérateurs. Ses auteurs précisent qu'elle doit être examinée avec une extrême prudence, eu égard à l'imprécision des hypothèses sous-jacentes.
La société d'origine américaine Hess estime ce potentiel récupérable entre 125 et 800 millions de tonnes (soit entre 1 et 6,4 milliards de barils). La production raisonnablement envisageable sur l'ensemble du bassin parisien, en tenant compte des zones naturelles protégées, des zones d'habitation, de l'environnement physique et humain pourrait représenter, d'après cette entreprise, entre 3 % et 20 % de la consommation quotidienne nationale pendant la durée de l'exploitation.
Ces chiffres sont à comparer à une consommation annuelle française de pétrole de 80 millions de tonnes (pour une production annuelle domestique de moins de 1 million de tonnes).
Certains des interlocuteurs de vos rapporteurs ont comparé le potentiel du Bassin parisien à celui du Bakken, dans le Dakota du Nord (États-Unis), en raison de similitudes géologiques. Même si l'environnement physique et humain ne permet pas d'envisager en région parisienne une exploitation aussi intensive que dans certaines régions des États-Unis, ce potentiel ne peut être négligé.
b) Des réserves possibles de gaz dans le sud-est
Le bassin du sud-est (Cévennes, Ardèche) présente un potentiel de production de gaz. Ce « bassin » n'en constitue pas vraiment un du point de vue géologique. Il est plus complexe que le bassin parisien et moins bien connu puisqu'une trentaine de forages seulement y ont été réalisés.
Ce bassin a été évoqué précédemment (III. A.) au titre des risques spécifiques associés à la fracturation hydraulique, si elle était pratiquée dans ce type d'environnement sans qu'aucune précaution ne soit prise. Nous évoquerons ici, plus précisément, les ressources potentielles de ce bassin.
Les roches-mères susceptibles de contenir des hydrocarbures sont essentiellement les schistes du Toarcien - qui sont des marnes (« schistes cartons ») riches en matière organique déposées il y a environ 180 millions d'années - et de l'Autunien - qui sont des argiles sombres ( black shales ), discontinus sur le bassin, et remontant à environ 280 millions d'années.
La présence d'hydrocarbures dépend de l'existence ou non d'un processus de maturation à des profondeurs suffisantes. La probabilité d'existence d'un tel processus dépend de la zone considérée. Elle est plus probable, par exemple, dans le sud des Cévennes que dans le nord.
On remarquera que du gaz de houille pourrait aussi se trouver enfoui très profondément dans des couches correspondant à environ 300 millions d'années (Stéphanien) dans la région d'Alès où des mines de charbon ont été exploitées du Moyen-Âge au vingtième siècle.
LES RÉSERVOIRS POTENTIELS DU BASSIN SUD-EST
Source : Bruno Goffé d'après Michel Séranne et Nicolas Arnaud (Université de Montpellier 2)
Trois permis exclusifs de recherches ayant pour objectif le gaz de roche-mère avaient été délivrés en 2010 à Total / Devon Energy (Montelimar) et Schuepbach / GDF Suez (Villeneuve de Berg, Nant). Aucun forage n'a été réalisé visant le gaz de roche-mère. Ces permis ont été abrogés le 12 octobre 2011, en application de la loi du 13 juillet 2011 prévoyant l'abrogation des permis exclusifs de recherches comportant des projets ayant recours à la fracturation hydraulique.
Le rapport des CGEIET et CGEDD donne un chiffre de 500 milliards de m 3 de gaz pour les trois permis précités, d'après des données fournies par les titulaires de ces permis, non validées par des tests d'exploration.
Ces chiffres doivent être comparés à une consommation annuelle française de gaz qui s'élève à 44 milliards de m 3 par an pour une production annuelle de 0,8 milliard de m 3 .
Tous les permis couvrant la zone ici étudiée n'ont toutefois pas été abrogés. Les permis qui demeurent valides sont ceux, respectivement, des Plaines du Languedoc (attribué à la société Lundin), de Navacelles (en cours de mutation), de la Plaine d'Alès (également en cours de mutation) et du Bassin d'Alès (attribué à MouvOil). Les responsables de la DREAL 81 ( * ) Languedoc-Roussillon, rencontrés par vos rapporteurs lors de leur déplacement à Montpellier, ont fait état des divers blocages affectant aujourd'hui ces permis : demandes de retrait, arrêtés municipaux interdisant les travaux, recours en excès de pouvoir contre la décision implicite de ne pas abroger les permis, demandes d'information diverses...
Cette situation témoigne d'un blocage qui ne concerne pas que la question des hydrocarbures de roche-mère. La société Lundin a, en effet, clairement indiqué dans un recours gracieux à l'encontre d'un arrêté municipal interdisant la circulation de camions vibreurs et d'engins de chantier destinés à la prospection et l'exploitation d'hydrocarbures, que rien ne justifiait la crainte d'une exploration ou d'une exploitation de « gaz de schiste » dans la région : « Il est très clair que le Permis des Plaines du Languedoc n'a pas été attribué pour rechercher du gaz de schiste et que Lundin International n'a aucunement l'intention d'y exploiter du gaz de schiste. »
Quant au permis détenu par la société MouvOil, il a fait l'objet d'un rapport d'expertise, demandé à M. Jean-Paul Deroin, professeur de géologie à l'Université de Reims - Champagne-Ardenne, par Mme Delphine Batho, alors ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie (voir l'encadré ci-dessous). Cette expertise géologique indépendante a été sollicitée dans le but, d'une part, d'identifier les différents niveaux géologiques susceptibles de contenir des hydrocarbures dans le bassin d'Alès, d'autre part, d'évaluer la pertinence du programme de recherches proposé par MouvOil et de définir si d'éventuels hydrocarbures pourraient être exploités sans recourir à la fracturation hydraulique. L'étude indique la présence d'hydrocarbures, principalement liquides, susceptibles d'être exploités sans recourir à la fracturation hydraulique. Ce rapport conclut également que la campagne de sismique-réflexion projetée par MouvOil est nécessaire à la meilleure connaissance géologique du secteur et que la technique d'acquisition par camion vibrateur ne présente aucun danger pour l'environnement.
RÉSUMÉ DU RAPPORT D'EXPERTISE DE M. JEAN-PAUL DEROIN Une expertise géologique a été sollicitée dans le but d'identifier les niveaux géologiques susceptibles de contenir des hydrocarbures dans le bassin d'Alès et d'évaluer la pertinence du programme de recherches proposé par la Société MouvOil et définir si d'éventuels hydrocarbures pourraient être exploités sans recourir à la fracturation hydraulique. L'étude de la géologie du bassin d'Alès indique la présence d'hydrocarbures , principalement sous forme liquide ou gazeuse dans quatre niveaux asphaltiques des terrains tertiaires. Certains indices évoquent l'existence de niveaux à hydrocarbures dans les terrains situés sous le Tertiaire, dans le Crétacé supérieur. Ces hydrocarbures de type huile lourde, riche en soufre peuvent être exploités sans recourir à la fracturation hydraulique . Il n'existe pas d'autres ressources d'hydrocarbures conventionnels dans l'emprise des 1500-2400 m de profondeur avancée par MouvOil SA pour ses forages exploratoires. Deux niveaux renferment des hydrocarbures non conventionnels. Il s'agit des schistes houillers qui sont potentiellement producteurs de gaz de houille et des schistes-carton potentiellement producteurs de gaz de schiste dans le bassin du Sud-Est. Les données géologiques et géophysiques sur le bassin d'Alès sont peu nombreuses alors que la structure géologique est complexe. Le recueil d'informations complémentaires est donc nécessaire dans la phase d'exploration. La campagne de géophysique projetée par la Société MouvOil est nécessaire à la meilleure connaissance géologique du secteur. Cette campagne de sismique devra normalement être étalonnée sur au moins un nouveau puits (non prévu) et calée sur les puits existants. La technique d'acquisition par camion vibrateur ne présente aucun danger pour l'environnement. Il convient de noter que les opérations géophysiques sont étroitement dépendantes de l'occupation des sols (prise en compte des récoltes et vendanges) et du climat (éviter les précipitations automnales), ce qui réduit les créneaux d'acquisition dans le calendrier. Les eaux souterraines et superficielles doivent être prises en considération dans tout projet de forage d'exploration. Source : Permis exclusif de recherche d'hydrocarbures « Bassin d'Alès », Société MouvOil SA, Expertise réalisée à la demande de Mme la Ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, diligentée par M. le Préfet du Gard, confiée à M. Jean-Paul Deroin, Professeur de Géologie à l'Université de Reims - Champagne-Ardenne (juin 2013). |
Le collectif 07 Stop au gaz de schiste, rencontré par vos rapporteurs, conteste l'analyse du rapport Deroin, au motif que les objectifs originels de la société MouvOil auraient inclus l'exploration des roches-mères et que le rapport ne ferait pas état des vrais objectifs de cette société.
L'exploration des gisements d'hydrocarbures est donc entourée d'un climat de suspicion généralisée , qui n'est pas justifié, dans la mesure où tous les travaux d'exploration sont étroitement encadrés par l'administration : la détention d'un permis exclusif de recherches ne suffit pas pour démarrer des travaux ; encore faut-il faire valider un dossier d'ouverture de travaux qui inclut un descriptif des opérations de terrain projetées et une étude d'impact environnemental. Cette procédure garantit le respect des lois et règlements en vigueur. De plus, étant donné les moyens à mettre en oeuvre pour réaliser des opérations de fracturation hydraulique, et l'étroite surveillance dont les sociétés détentrices de permis sont l'objet sur le terrain, de la part des municipalités et des organisations de protection de l'environnement, il paraît peu probable qu'une entreprise s'aventure à violer la loi du 13 juillet 2011. Vos rapporteurs ont été témoins directs d'opérations de fracturation hydraulique aux États-Unis : il ne paraît pas possible de s'y livrer clandestinement. Les DREAL seraient en mesure de faire la différence entre un forage classique ou de fracturation hydraulique.
Par conséquent, vos rapporteurs estiment que les blocages rencontrés sur le terrain ne peuvent provenir que d'une réticence vis-à-vis de toute forme d'exploration et d'exploitation de ressources fossiles quelles qu'elles soient.
3. Des travaux à mener pour une meilleure connaissance de notre sous-sol
Ce tour d'horizon de nos ressources présumées en hydrocarbures de roche-mère met en évidence la faiblesse de la connaissance du sous-sol français, faite de données qui sont, pour une large part, datées et dispersées.
La plupart des informations géologiques existantes ont été établies entre les années 1950 et les années 1980. Les compagnies pétrolières ont accumulé un certain nombre de connaissances, qui ne sont pas toutes dans le domaine public. Les cartes du BRGM sont issues de levers effectués des années 1960 aux années 1980.
Ces lacunes de nos connaissances dans le domaine géologique ont été mises en évidence lors d'autres débats, par exemple pour le choix d'un site de stockage en profondeur des déchets radioactifs. Elles sont préjudiciables à la recherche dans de nombreux domaines : stockage de déchets ultimes, stockage d'énergie par exemple.
Comme nous l'avons écrit dans la partie consacrée aux risques associés à la fracturation hydraulique, mieux connaître notre sous-sol doit être une priorité non seulement pour l'évaluation des ressources en hydrocarbures mais aussi pour mieux connaître l'hydrogéologie , afin de prévenir les risques de pollution.
Un programme national d'acquisition et de gestion des données géologiques, dit Référentiel Géologique de la France , permettant de répondre à des enjeux multiples (eau, énergie, déchets, prévention des risques...), a été récemment lancé. Conçu par le BRGM, ce programme associe l'ensemble de la communauté géo-scientifique française. Il doit être encouragé.
Vos rapporteurs estiment nécessaire :
• de rassembler les connaissances existantes qui sont actuellement éparses, sous l'égide d'organismes tels que l'IFPEN et le BRGM ;
• de mener des expérimentations, ainsi que des travaux à l'aide de techniques non invasives telles que la sismique-réflexion, dans le cadre prévu par la loi du 13 juillet 2011 ;
• de procéder in fine , dans un cadre juridique à définir, à quelques dizaines de forages de tests, y compris avec emploi de la fracturation hydraulique ou d'autres techniques de stimulation, dont l'utilisation est nécessaire pour connaître le taux de récupération des hydrocarbures présents.
a) Recenser les connaissances existantes
La réduction des incertitudes implique la réalisation d'un inventaire des ressources , comme l'a fait la filiale de l'IFPEN, Beicip-Franlab, par exemple, pour l'Algérie et l'Arabie saoudite.
Cet inventaire pourrait être demandé à des organismes tels que l'IFPEN et le BRGM.
L'IFPEN propose, par exemple, d'évaluer le potentiel des ressources en hydrocarbures non conventionnels pour la France, à partir d'un recensement des connaissances existantes, mais aussi de prélèvements d'échantillons sur le terrain et de modélisation .
Un examen des résultats des forages passés, notamment des 2 000 forages réalisés dans le Bassin parisien, permettrait à lui seul d'affiner les chiffres incertains mentionnés précédemment.
PROPOSITION POUR L'ÉVALUATION DU POTENTIEL DES RESSOURCES EN HYDROCARBURES NON CONVENTIONNELS EN FRANCE L'objectif du travail proposé est de réaliser un inventaire des différentes ressources en hydrocarbures non conventionnels en France, de procéder à une première quantification et d'évaluer l'impact technico-économique qu'impliquerait leur mise en production. Des recommandations seraient émises pour aider à la gestion du domaine minier français en ce qui concerne le développement de ces nouvelles ressources. L'évaluation quantitative porterait sur deux bassins : le bassin du sud-est pour les gaz de schiste et le bassin de Paris pour les pétroles de schiste. La quantification sera réalisée en procédant à la modélisation du potentiel à l'aide du logiciel TemisFlow développé par IFPEN et commercialisé par Beicip-Franlab. Bassin du Sud-Est : La phase d'exploration date de la fin des années 1950 et du début des années 1960. Cette phase d'exploration n'a pas abouti à des découvertes commerciales. Les données sont donc anciennes et disparates. Dans ce type de bassin, immature en ce qui concerne l'exploration pétrolière et complexe du point de vue sédimentaire et tectonique, le potentiel pétrolier (s'il existe) reste encore à définir. Son évaluation passe par l'utilisation de concepts géologiques nouveaux (coupes équilibrées, modélisations stratigraphiques et modélisation du système pétrolier). Du fait de données disparates, on étudiera les systèmes pétroliers dans leur ensemble sans distinguer les hydrocarbures conventionnels ou non conventionnels. Toutefois, afin d'améliorer la qualité des données on procédera à deux missions de terrain pour procéder à l'analyse structurale de la zone et s'assurer de la cohérence des coupes régionales. Des échantillons de roche-mère seront prélevés afin de procéder à leur analyse au laboratoire. Bassin de Paris : L'exploration pétrolière conventionnelle a permis d'acquérir des connaissances géologiques importantes sur les différents systèmes pétroliers. De très nombreux puits, lignes sismiques et échantillons de roches-mères et de réservoirs permettent de contraindre un modèle géologique. En s'appuyant sur ces données, des études peuvent être rapidement entreprises afin de quantifier ce potentiel. Le coût global d'une telle évaluation (tarif 2012) est estimé à 1,75 millions d'euros. Source : IFPEN |
b) Actualiser les connaissances grâce à la sismique
Outre le rôle qu'elle peut jouer dans le contrôle des risques inhérents à l'exploration et à l'exploitation des hydrocarbures non conventionnels, la sismique est susceptible d'être utilisée pour évaluer la ressource, soit par des organismes publics (BRGM, IFPEN), soit par des compagnies pétrolières et gazières.
Cette technique a été présentée à vos rapporteurs par la société CGG (Compagnie générale de géophysique).
Le principe de base de la sismique est celui de l'échographie, appliquée au sous-sol : une onde sonore est émise et l'écho de cette onde renvoyé par les différentes couches du sous-sol est analysé pour produire une « photographie » de celui-ci. C'est une technologie relativement ancienne qui a connu de nombreuses améliorations grâce aux progrès scientifiques, notamment dans les domaines des mathématiques, de l'informatique et de l'électronique. Il est possible aujourd'hui de produire des images tridimensionnelles d'une grande précision.
Il s'agit d'une technologie non invasive et non destructive. Le sous-sol n'est traversé que par une onde sonore émise par une source sismique (camion vibrateur ou explosif de faible intensité pour les acquisitions terrestres, « canon à air » pour les opérations en mer). Cette onde sonore est d'intensité infinitésimale. Le dispositif de réception est ainsi capable de détecter des mouvements de la taille d'un atome d'or.
Aujourd'hui, les compagnies pétrolières ont recours de façon quasi-systématique à l'analyse sismique, y compris dans le secteur non conventionnel, par le biais de sociétés de services parapétroliers tels que CGG, Western Geco (filiale de Schlumberger), BGP (société chinoise) et PGS (société norvégienne).
La sismique permet de découvrir de nouveaux gisements et d'en affiner la phase exploratoire, avant d'envisager une deuxième phase d'exploration par percement de puits. Elle permet aussi de sélectionner les régions du sous-sol dans lesquelles la fracturation donnera les meilleurs résultats et d'identifier les failles existantes dans le sous-sol, que le puits devra éviter. L'utilisation de la sismique permet d'optimiser la phase d'exploration ; elle est donc susceptible de permettre une réduction du nombre de puits à forer.
Étant donné l'innocuité de cette technique, vos rapporteurs ont été surpris de constater qu'elle était interdite pour la recherche d'hydrocarbures non conventionnels , par une circulaire du ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie du 21 septembre 2012 82 ( * ) prise en application de la loi du 13 juillet 2011 qui n'a pourtant interdit « que » l'usage de la fracturation hydraulique.
Cette circulaire dispose, en effet, que « les travaux d'exploration par campagnes de géophysique utilisant la technique de sismique réflexion », dont il est pourtant reconnu qu'ils sont « nécessaires pour mieux connaître la nature du sous-sol », « ne pourront être réalisés que dans les zones géographiques où cela peut être justifié par la recherche d'hydrocarbures conventionnels ».
Cette disposition signifie que l'on n'interdit pas simplement l'usage d'une technologie (la fracturation hydraulique) ; on refuse en réalité purement et simplement de savoir ce que recèle notre sous-sol .
La circulaire suppose que l'on peut définir des zones géographiques propices à la présence de ressources conventionnelles et d'autres plutôt susceptibles de renfermer des ressources non conventionnelles. La réalité du terrain est beaucoup plus complexe puisque ce sont souvent dans les mêmes zones, par exemple dans le Bassin parisien, que le sous-sol est susceptible de contenir un continuum de ressources de diverses natures, ce que la sismique peut justement avoir pour objet d'aider à établir. La circulaire précitée est donc quelque peu absurde ; mais surtout, elle va bien au-delà de la loi qu'elle applique.
Il est, certes, peu probable qu'un opérateur pétrolier entreprenne des travaux d'exploration de grande ampleur, reposant sur la sismique et portant spécifiquement sur les ressources non conventionnelles, étant donné l'interdiction, à l'heure actuelle, de tout débouché en termes d'exploitation.
Il n'est néanmoins pas opportun de s'interdire ainsi de mieux connaître le sous-sol, quelle que soit la technique employée, surtout si elle est inoffensive pour l'environnement.
Vos rapporteurs soulignent que, pour la première phase d'exploration décrite ci-dessus - recensement des connaissances existantes, expérimentations, modélisation, usage de techniques non invasives telles que la sismique - la loi de 2011 ne constitue pas un obstacle puisqu'elle n'interdit que l'exploration et l'exploitation par fracturation hydraulique.
c) Des forages d'exploration nécessaires
Le recensement des connaissances existantes, l'analyse, la modélisation et l'usage de la sismique peuvent faire progresser les connaissances sur la ressource et permettre d'affiner les chiffres publiés par l'administration américaine. Mais pour évaluer précisément nos réserves, il sera nécessaire de procéder à des forages, afin de permettre des tests de production. Ces tests sont seuls à même de déterminer le taux de récupération des hydrocarbures dans chaque zone considérée.
D'après les informations recueillies auprès des scientifiques et des compagnies pétrolières, une vingtaine de forages pourraient être suffisants pour évaluer les réserves du bassin parisien ; à l'échelle de la France, quelques dizaines de forages sont à envisager . Ce chiffre est à mettre en regard de la quarantaine de puits à fracturation hydraulique déjà forés en France sans conséquences notables. En Pologne, ce sont 200 puits d'exploration qui seront forés jusqu'en 2016, dont 39 avant la fin de 2013.
La réalisation de ces forages d'exploration nécessiterait la mise en place d'un cadre juridique dérogatoire à la loi du 13 juillet 2011 . Il pourrait s'agir d'exceptions strictement encadrées par la loi, pour une durée temporaire, et sous le contrôle des administrations compétentes, s'agissant des modalités des opérations effectuées, afin de garantir leur innocuité pour l'environnement.
* 73 United States Energy Information Administration (EIA)
* 74 Titre d'un article de M. Bertrand Barré, enseignant à Sciences po, dans le dossier « Faut-il autoriser l'exploration du gaz de schiste ? », Cahiers Français n° 373 (mars-avril 2013).
* 75 «An Assessment of World Hydrocarbon Resources», Hans-Holger Rogner, Annu. Rev. Energy Environ. (1997)
* 76 United States Geological Survey (Institut d'études géologiques des États-Unis).
* 77 World Energy Outlook 2012, Agence internationale de l'énergie (AIE).
* 78 «World Shale Gas Resources : An initial assessment of 14 regions outside the United States», EIA, avril 2011.
* 79 «Technically Recoverable Shale Oil and Shale Gas Resources : an Assessment of 137 Shale Formations in 41 Countries Outside the United States», EIA, juin 2013.
* 80 Les hydrocarbures de roche-mère en France, rapport initial et rapport complémentaire (février 2012), Conseil général de l'économie, de l'industrie, de l'énergie et des technologies (CGEIET) et Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD).
* 81 Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement.
* 82 Circulaire du 21 septembre 2012 relative aux permis de recherche d'hydrocarbures et aux travaux d'exploration (figurant en annexe du présent rapport).