II. L'HÉTÉROGÉNÉITÉ DES PRATIQUES LOCALES, UNE ORIGINALITÉ À ENCADRER

Comme le souligne le Gouvernement dans sa réponse au questionnaire de votre rapporteur spécial, « la grande souplesse accordée au département pour la mise en oeuvre de l'APRE déconcentrée s'accompagne logiquement d'une grande disparité entre les territoires , tant au niveau de la mobilisation de l'aide que de ses modalités de déploiement ».

Les différences d'approches entre les départements, présentées ci-dessous, renforcent l'adaptation de l'aide aux spécificités locales et aux besoins individuels du bénéficiaire . Sans remettre en cause ce principe fondateur et pertinent de l'APRE, votre rapporteur spécial formule cependant des pistes d'évolution qui tendent à la fois à assurer une égalité minimale de traitement sur l'ensemble du territoire et un meilleur contrôle de l'utilisation des crédits .

A. DES MODALITÉS DE GESTION DIFFÉRENTES

Conformément au principe d'adaptation aux spécificités locales qui guide l'ensemble du dispositif, la gestion de l'enveloppe déconcentrée d'APRE est décidée localement par le préfet de département . Ainsi, plusieurs configurations ont pu être retenues :

• La gestion de l'APRE peut être confiée à un organisme unique . C'est le cas dans 58 départements sur les 75 étudiés par la direction générale (77 % des cas). Le plus souvent, il s'agit alors du Conseil général (44 départements) mais ce peut être également Pôle emploi : ainsi, dans les huit départements de la région Rhône-Alpes, à la suite d'une décision du préfet de région au moment de la création de l'APRE, l'intégralité de la gestion de l'APRE est confiée à Pôle emploi.

• La gestion est confiée à plusieurs organismes institutionnels , par exemple seulement le Conseil général, Pôle emploi, ou encore la CAF. C'est le cas dans 11 des départements de l'étude, soit 15 % des cas. Par exemple, dans les Hauts-de-Seine où votre rapporteur spécial s'est rendu, le Conseil général et Pôle emploi sont les deux seuls gestionnaires de l'APRE. Cependant, Pôle emploi n'effectue le versement que pour les petits montants. Pour les montants plus importants, le bon est transmis au Conseil général qui effectue ensuite le paiement, soit à l'intéressé, soit directement au prestataire.

• La gestion est confiée à l'ensemble des organismes prescripteurs (ou attributaires). C'est le cas dans 5 des départements étudiés (7 % des cas), dont celui du Pas-de-Calais où votre rapporteur spécial s'est rendu (voir ci-dessous).

Au total, on dénombre ainsi 144 organismes gestionnaires sur l'ensemble du territoire national . En tout état de cause, le nombre de gestionnaires-payeurs de l'APRE est en théorie sans incidence directe pour le bénéficiaire, pour qui le référent unique reste la seule interface avec le dispositif. Comme le précise la circulaire précitée du 15 avril 2009, l'organisation du paiement doit être « neutre pour le bénéficiaire dont le référent unique devra demeurer son seul interlocuteur pour la réalisation de la totalité de ses démarches d'insertion ».

Toutefois, la multiplicité des gestionnaires a trois principaux inconvénients .

Le premier est qu'elle limite la fluidité, le pilotage et la capacité de redéploiement des crédits : une fois les crédits affectés à un gestionnaire, il devient plus difficile d'en suivre l'évolution et, le cas échéant, de les reprendre au niveau départemental s'il y a, notamment, sous-consommation persistante voire liquidation d'une association gestionnaire. Il semble cependant que cette difficulté soit moindre aujourd'hui, dans un contexte où les dotations se sont fortement réduites et, par conséquent, les montants de trésorerie inactive chez les gestionnaires.

Le second inconvénient est la multiplication des frais de gestion . Lors de la mise en place du dispositif en 2009, il est apparu que les frais liés à la gestion de l'APRE constituaient un point bloquant pour certains organismes départementaux qui, au vu de leurs missions, auraient pu être gestionnaires de l'APRE. Dans ce contexte, une circulaire interministérielle du 31 juillet 2009 est venu préciser que des frais de gestion pouvaient être pris en charge dans le cadre des enveloppes allouées et remboursés aux gestionnaires, « selon un taux d'environ 3 % qui ne saurait dépasser 5 % du total de ces crédits ».

A cet égard, votre rapporteur spécial a pu constater, lors de son déplacement dans le département du Pas-de-Calais, que le remboursement des frais de gestion aux organismes gestionnaires, fixé à 4 % dans ce département, était considéré comme insuffisant pour compenser la réalité de la charge de gestion de l'APRE , en particulier pour les petites structures comme les PLIE. De même, parmi les éléments pointés par l'enquête de la direction générale de la cohésion sociale de décembre 2012, figure la « difficulté pour trouver un organisme de gestion compte tenu du montant plafonné des frais de gestion », en particulier pour les organismes n'ayant pas la taille critique.

Toutefois, il est nécessaire de contenir le montant des frais de gestion , qui se sont élevés au total à 2,9 millions d'euros en 2012 (soit 4 % du total des crédits consommés) ; en outre, la rigueur de cette condition permet d'écarter des potentiels candidats-prescripteurs qui ne verraient dans l'APRE qu'une prestation de services, alors qu'elle doit venir naturellement en complément de l'accompagnement des bénéficiaires du RSA . A cet égard et à titre d'exemple, les représentants des PLIE du Pas-de-Calais rencontrés par votre rapporteur spécial, tout en reconnaissant que les frais de gestion étaient inférieurs à la réalité de la charge, n'ont pas pour autant souhaité qu'ils soient réévalués.

Enfin, le troisième inconvénient est la difficulté de pilotage des crédits, de remontée d'informations et de contrôle sur leur utilisation : plus le nombre de gestionnaires est important sur un département, plus il est difficile pour les services préfectoraux de répartir les crédits et, surtout, d'en suivre l'utilisation au cours de l'exercice. Cela réduit les possibilités de réaffectation et génère des retards, voire des lacunes, dans la remontée d'information au niveau national, ce qui nuit à la fois à la rapidité de la notification des crédits de l'année postérieure et à l'appréciation que peut porter l'administration centrale, en particulier la direction du budget, sur le dispositif ( cf. supra ). A cet égard, les représentants de la direction générale de la cohésion sociale ont été, lors de leur audition par votre rapporteur spécial, catégoriques : « il n'était pas raisonnable de concevoir une aide d'Etat avec une telle souplesse à l'échelle départementale »

*

Pour l'ensemble de ces raisons, il apparaît donc nécessaire de revoir l'architecture de gestion de l'APRE dans le sens d'une simplification .

Le rapport de synthèse établi par la direction générale de la cohésion sociale à l'issue du groupe de travail de 2013 propose trois pistes alternatives d'évolution :

• La première (« scénario 1 ») consisterait à maintenir la compétence de l'Etat mais en confiant la gestion départementale à un organisme unique , qui pourrait être, selon les cas, le Conseil général, la CAF, la MSA ou Pôle emploi.

• La deuxième piste (« scénario 2 ») consisterait à déléguer les crédits aux Conseils généraux qui les utiliseraient, en partenariat avec d'autres acteurs locaux, pour mettre en place des « projets d'insertion innovants » , financés sur une base triennale. Il s'agirait, en d'autres termes, de transformer l'APRE en une aide « de projet ».

• La troisième piste (« scénario 3 ») consisterait à décentraliser complètement l'APRE, en transférant aux Conseils généraux la charge de l'APRE .

Ce troisième scénario, qui pose la question des compétences respectives de l'Etat et des départements en matière de retour à l'emploi, aurait comme principaux inconvénients de sortir l'Etat du jeu des acteurs et de la concertation locale, de mettre fin au suivi national, par les directions centrales ainsi que par le Parlement, de l'utilisation des crédits, et d'accroître encore l'hétérogénéité de traitement entre les bénéficiaires. De plus, la décentralisation des crédits aurait pour corollaire leur centralisation au niveau des Conseils généraux, avec le risque que disparaisse la pluralité des prescripteurs dans les territoires où celle-ci a réussi à se mettre en place. En tout état de cause, cette solution semble, d'après les conclusions du groupe de travail précité, se heurter à l'opposition des départements , qui craignent que ne soit mise à leur charge une prestation sans compensation financière suffisante.

Le deuxième scénario , certes séduisant d'un point de vue théorique, apparaît cependant difficile à mettre en oeuvre et pourrait conduire à restreindre excessivement le champ des bénéficiaires potentiels de l'APRE , faute de s'inscrire dans un « projet d'insertion innovant » partenarial entre les acteurs locaux.

Votre rapporteur spécial est donc favorable au premier scénario, qui permet de simplifier considérablement la gestion et le pilotage de l'APRE tout en capitalisant sur l'expérience acquise par les acteurs locaux , pour ne pas bouleverser des méthodes de fonctionnement qui viennent à peine d'être stabilisées.

En outre, cette centralisation de la gestion est cohérente avec la mise en place de conventions pluriannuelles fixant les montants prévisionnels de crédits, comme proposé précédemment . En effet, sans interdire une multiplicité des prescripteurs de l'aide, cette centralisation, combinée à une prévision pluriannuelle des crédits, apporte une visibilité bien supérieure, pour le gestionnaire comme pour l'État, sur le rythme de consommation de l'enveloppe.

De façon générale, votre rapporteur spécial souhaite que la délégation de crédits soit faite au profit du Conseil général , interlocuteur naturel en matière d'action sociale. Toutefois, il devrait être possible de désigner un autre gestionnaire unique dans certains départements, si d'autres circuits y ont fait leurs preuves.

Proposition n° 8 : confier les crédits d'APRE à un gestionnaire unique, prioritairement le Conseil général, dans chaque département.

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