Mesdames, Messieurs,
Le commerce en ligne, dont sont familiers les deux tiers des Français, représente aujourd'hui un enjeu économique majeur : son chiffre d'affaires annuel atteint 45 milliards d'euros en France seulement, et près de 312 milliards d'euros en Europe.
Depuis plusieurs années, notre commission s'est intéressée 1 ( * ) à la question de l'optimisation fiscale pratiquée par les géants de l'Internet, qui délocalisent d'autant plus facilement leurs profits que leurs ventes sont constituées de biens immatériels - films, musiques ou encore publicités.
Par contraste, la question de la vente sur Internet de biens matériels - livres, vêtements, appareils électroniques, médicaments et autres produits moins recommandables - est restée très largement ignorée. Pourtant, la vente à distance de biens matériels, qui se fait aujourd'hui majoritairement en ligne, représente 25 milliards d'euros de chiffres d'affaires en France, et un montant bien plus important, bien qu'inconnu, dans le monde. Or cette fois-ci, ce n'est plus d'optimisation dont il s'agit, mais de fraude fiscale pure et simple .
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Dans le cadre de leur mission de contrôle budgétaire, vos rapporteurs spéciaux se sont donc intéressés au rôle de l'administration des douanes dans le commerce en ligne . Celle-ci exerce sa compétence sur les envois - en fret express ou en fret postal - expédiés depuis des pays extérieurs à l'Union européenne.
Il apparaît que la douane s'implique fortement dans sa mission de lutte contre les trafics (stupéfiants, tabacs, alcools, contrefaçons...) et y obtient chaque année des résultats qui lui font honneur.
En revanche, il ressort clairement de la mission de contrôle de vos rapporteurs spéciaux que les droits et taxes à l'importation, et notamment la TVA, ne sont pas recouvrés à leur juste niveau.
De fait, les difficultés inhérentes au fret express et au fret postal viennent se cumuler aux spécificités de la vente sur Internet. D'une part, le paiement des droits et taxes à l'importation repose sur un régime purement déclaratif ... alors que les données fournies sur les marchandises en fret express et postal sont notoirement indigentes et peu fiables. D'autre part, l'extrême morcellement des colis, expédiés directement aux particuliers, rend le contrôle très difficile, et de toute façon peu rentable compte tenu des faibles sommes en jeu à chaque fois.
Ainsi, sur les 5 millions d'euros redressés sur le fret à Roissy en 2012, le fret express n'a représenté que 750 000 euros (moins de 15 %), et le fret postal n'a fait l'objet d'aucun redressement ! Pourtant, 8 millions d'envois express et 35 millions d'envois postaux transitent chaque année par Roissy...
En amont, la douane a renforcé son action sur les sites de vente en ligne par la création de la cellule Cyberdouane en 2009 , une initiative que saluent vos rapporteurs spéciaux. Mais le service se concentre sur les sites offrant des produits illégaux, et pas des produits légaux non déclarés. De plus, ses moyens sont limités : une quinzaine d'agent et aucune possibilité d'action sur les sites hébergés à l'étranger...
La direction générale des finances publiques (DGFiP) est tout aussi consciente des enjeux, mais tout aussi démunie face aux ruses de l'économie numérique . Ce sont donc des montants substantiels de TVA, d'impôt sur le revenu et d'impôt sur les sociétés, qui échappent à l'administration fiscale. Il est aujourd'hui impossible de les chiffrer.
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Vos rapporteurs spéciaux formulent donc plusieurs propositions qui ont vocation à provoquer un sursaut , au niveau national mais aussi au niveau européen où se décide une grande partie de la législation douanière.
Bien sûr, il ne sera jamais possible d'ouvrir chaque lettre et chaque colis pour vérifier l'exactitude des informations déclarées en douane. Mais l'information sur les flux physiques existe : l'enjeu pour la douane est d'y avoir accès, et de porter ses efforts sur la collecte des taxes autant que sur la lutte contre les trafics.
Surtout, au-delà des flux physiques, vos rapporteurs spéciaux rappellent qu'il faut d'abord combattre la fraude sur Internet par les flux financiers . Or ceux-ci transitent presque tous par un petit nombre d'intermédiaires, qui pourraient utilement apporter leur concours.
Certaines de ces propositions sont aisées à mettre en oeuvre ; d'autres requièrent une implication de long terme. Mais l'enjeu est tel, pour nos finances publiques et notre souveraineté fiscale, qu'il ne peut plus être laissé de côté. A cet égard, il est surprenant que la question n'ait même pas été soulevée lors de la discussion récente du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance et financière.
* 1 Voir notamment voir la proposition de loi (n° 726) de Philippe Marini tendant à renforcer la lutte contre l'évasion et la fraude fiscales des entreprises multinationales (n° 1243) déposée le 4 juillet 2013