VI. LES PRÉCONISATIONS DE VOS RAPPORTEURS

A. REMETTRE LE DIALOGUE SOCIAL AU CoeUR DE L'APPLICATION DE LA LOI

1. Tirer pleinement partie des possibilités offerte par la loi en matière d'association des partenaires sociaux à sa mise en oeuvre et de dialogue social

En 2007, le législateur a construit un dispositif qui, s'il a été perçu par les organisations syndicales comme un recul en matière de droits individuels et collectifs des salariés, n'en prévoit pas moins leur association à sa mise en oeuvre et fait d'eux des acteurs centraux de la prévention des conflits. Dans les faits, certaines des possibilités offertes par la loi ne sont peut-être pas pleinement exploitées et le dialogue social préalable à un mouvement de grève ne semble pas avoir atteint sa maturité .

Ainsi, l'article 4 de la loi (devenu l'article L. 1222-4 du code des transports) prévoit que les institutions représentatives du personnel (IRP) doivent être consultées sur le PTA et le PIU avant leur approbation par l'AOT. Durant leurs travaux, le respect de cette procédure n'a jamais pu être confirmé à vos rapporteurs.

Cette situation est regrettable, car la prise en compte, dans la définition des PTA et PIU, de l'expérience des salariés des entreprises de transport, qui sont les meilleurs connaisseurs des difficultés qui peuvent être rencontrées sur leur réseau, peut permettre de les améliorer. Il convient donc de s'assurer qu'à l'avenir, les modifications à apporter à un PTA ou à un PIU, tout comme leur renouvellement, seront bel et bien soumis à l'avis des IRP, sans qu'il soit nécessaire de leur donner un droit de veto sur leur contenu.

De même, l'article 5 de la loi n'incite pas à la signature d'un accord collectif de prévisibilité du service puisqu'il prévoit que l'employeur peut définir unilatéralement un plan de prévisibilité sans avoir à justifier de l'échec d'une négociation menée de bonne foi. A l'instar de ce que le législateur a prévu récemment pour le contrat de génération 63 ( * ) , le recours au plan ne devrait être possible qu'en cas de défaut d'accord , attesté par un procès-verbal de désaccord signé par les parties et transmis à l'autorité administrative.

Par ailleurs, vos rapporteurs ont été étonnés d'apprendre, lors des auditions qu'ils ont réalisées, que la procédure de prévention des conflits se résumait souvent à la tenue d'une unique réunion entre la direction et les organisations syndicales.

Dans ces circonstances, la valeur ajoutée du délai supplémentaire de onze jours avant le dépôt d'un préavis de grève est limitée puisque ce dernier avait déjà été instauré par la loi du 31 juillet 1963 dans le but de permettre à une réunion de négociation de se tenir. Toutes les parties concernées, directions des entreprises et organisations syndicales, doivent donc quitter leur posture d'opposition frontale pour mettre à profit cette période pré-conflictuelle en vue de parvenir à un point d'accord. Si la loi n'a pas à fixer un nombre minimal de réunions à organiser entre l'employeur et les syndicats, il est contraire à son esprit comme à sa lettre de négliger les modalités de résolution des conflits qui ne fragilisent pas la continuité du service public .

2. Revaloriser le dialogue social en dehors des périodes de conflit

Dans leur très grande majorité, les démarches de concertation préalable engagées par les organisations syndicales dans les entreprises de transport n'aboutissent pas au dépôt d'un préavis de grève. Toutefois, à titre d'exemple, seulement 36 % des alarmes sociales enregistrées à la RATP en 2012 ont débouché sur un constat d'accord.

Le recours au mécanisme de prévention des conflits s'est donc banalisé : il est devenu un outil qui permet aux syndicats de saisir la direction de griefs spécifiques ou d'entamer un dialogue avec elle en vue d'échéances internes à la vie de l'entreprise. Plusieurs personnes auditionnées par vos rapporteurs ont regretté que cette procédure soit le plus souvent utilisée non pour désamorcer un mécontentement collectif mais pour résoudre des litiges individuels.

Pour lutter contre ce phénomène, il est nécessaire que le dialogue social soit dans l'entreprise une démarche permanente plutôt qu'un ultime recours lorsque le conflit devient inévitable. Le lien entre les organisations syndicales représentatives et la direction ne doit pas être à éclipse . C'est notamment par la réponse faite aux demandes d'audiences formulées par les représentants du personnel que celui-ci peut être jugé. Or les représentants syndicaux auditionnés par vos rapporteurs ont tous souligné les difficultés auxquelles ils doivent parfois faire face, notamment en matière de délai, lorsqu'ils souhaitent rencontrer l'encadrement de l'entreprise, et ce quel que soit l'échelon visé.

Le recours à la procédure de prévention des conflits, qui prévoit l'organisation d'une réunion dans un délai de trois jours, a pour objectif de remédier à une telle situation. Seule la SNCF a, jusqu'à présent, pris un engagement de développement de la veille sociale sur ce point en instaurant, à l'article 4.1 de son protocole d'accord sur l'amélioration du dialogue social et la prévention des conflits, devenu sa directive interne RH 0826, un délai de réponse de deux semaines à une demande d'audience.

Si vos rapporteurs saluent cette initiative, dont la RATP comme les entreprises de transport urbain devraient s'inspirer, ils estiment que les organisations syndicales ne devraient pas avoir à attendre deux semaines pour être reçues. Si l'urgence liée à la prévention d'un conflit social justifie une réunion dans les trois jours, il doit être possible à la direction d'une entreprise de rencontrer ses syndicats, à leur demande, dans un délai maximal d'une semaine.

Par ailleurs, c'est au niveau le plus proche de la production dans l'organisation de l'entreprise qu'un dialogue permanent doit être entretenu et que la plupart des revendications des organisations syndicales sont dirigées. C'est particulièrement vrai à la SNCF, Epic national comptant près de 160 000 salariés. La décentralisation des moyens et de la prise de décision en direction des directeurs régionaux et des directeurs d'établissement doit donc être poursuivie afin de les responsabiliser et de leur permettre, dans le respect du statut des personnels et du cadre budgétaire national, d'apaiser les craintes que les évolutions des métiers au sein de la SNCF peuvent susciter et de répondre aux revendications des représentants des salariés lorsque celles-ci relèvent de leur échelon.

3. Préserver l'équilibre complexe et fragile de la loi mais supprimer les modifications apportées par la loi « Diard »

Adoptée en 2012, la loi « Diard » a modifié la loi du 21 août 2007 en imposant, aux salariés soumis à l'obligation de déclarer leur intention
de faire grève quarante-huit heures à l'avance, d'informer leur employeur
vingt-quatre heures à l'avance de leur décision de renoncer à faire grève ou, s'ils sont en grève, de leur volonté de reprendre le travail.

Vos rapporteurs ne peuvent que souscrire aux observations de leur collègue Claude Jeannerot, dans son rapport sur cette proposition de loi : si « la colère des usagers face au comportement, très largement minoritaire, de certaines organisations syndicales dans le cas d'un conflit social local est compréhensible », il ne faut cependant pas « céder à la passion ni à l'emportement et se trouver ainsi dans la surréaction ». Au lieu de « consulter les partenaires sociaux et d'élaborer avec eux les solutions adéquates », la majorité des députés de l'époque ont choisi de légiférer hâtivement, avec le risque que ces dispositions aient « un effet contraire à celui recherché initialement, au moins en ce qui concerne les salariés grévistes » 64 ( * ) .

Les dispositifs issus de la loi Diard démontrent l'existence d'un cercle vicieux et d'une surenchère permanente entre les règles visant à encadrer le droit de grève et les stratégies de contournement mises en oeuvre par certaines organisations syndicales de salariés . Il faut promouvoir une logique inverse. La consolidation du dialogue social dans les entreprises de transport passe par la stabilité de règles assurant, de manière équilibrée, la conciliation entre la possibilité de défendre les intérêts professionnels des salariés et la sauvegarde de l'intérêt général. Ce n'est de toute évidence pas le cas avec la loi « Diard ».


* 63 Loi n° 2013-185 du 1 er mars 2013 portant création du contrat de génération, article 1 er .

* 64 Rapport n° 337 (2011-2012) de M. Claude Jeannerot, fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 8 février 2012, sur la proposition de loi relative à l'organisation du service et à l'information des passagers dans les entreprises de transport aérien de passagers et à diverses dispositions dans le domaine des transports, p. 26.

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