N° 547
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2012-2013
Enregistré à la Présidence du Sénat le 24 avril 2013 |
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication (1) et de la commission des finances (2) sur le bilan consolidé des sources de financement des universités ,
Par Mme Dominique GILLOT et M. Philippe ADNOT,
Sénateurs.
(1) Cette commission est composée de : Mme Marie-Christine Blandin , présidente ; MM. Jean-Étienne Antoinette, David Assouline, Mme Françoise Cartron, M. Ambroise Dupont, Mme Brigitte Gonthier-Maurin, M. Jacques Legendre, Mmes Colette Mélot, Catherine Morin-Desailly, M. Jean-Pierre Plancade , vice-présidents ; Mme Maryvonne Blondin, M. Louis Duvernois, Mme Claudine Lepage, M. Pierre Martin , secrétaires ; MM. Serge Andreoni, Maurice Antiste, Dominique Bailly, Pierre Bordier, Mme Corinne Bouchoux, MM. Jean Boyer, Jean-Claude Carle, Jean-Pierre Chauveau, Jacques Chiron, Claude Domeizel, Mme Marie-Annick Duchêne, MM. Alain Dufaut, Jean-Léonce Dupont, Vincent Eblé, Mmes Jacqueline Farreyrol, Françoise Férat, MM. Gaston Flosse, Bernard Fournier, André Gattolin, Jean-Claude Gaudin, Mmes Dominique Gillot, Sylvie Goy-Chavent, MM. François Grosdidier, Jean-François Humbert, Mmes Bariza Khiari, Françoise Laborde, M. Pierre Laurent, Mme Françoise Laurent-Perrigot, MM. Jean-Pierre Leleux, Michel Le Scouarnec, Jean-Jacques Lozach, Philippe Madrelle, Jacques-Bernard Magner, Mme Danielle Michel, MM. Philippe Nachbar, Daniel Percheron, Mme Sophie Primas, MM. Marcel Rainaud, Michel Savin, Abdourahamane Soilihi, Alex Türk, Hilarion Vendegou et Maurice Vincent. (2) Cette commission est composée de : M. Philippe Marini , président ; M. François Marc, rapporteur général ; Mme Michèle André, première vice-présidente ; Mme Marie-France Beaufils, MM. Jean-Pierre Caffet, Yvon Collin, Mme Frédérique Espagnac, M. Jean-Claude Frécon, Mme Fabienne Keller, MM. Roland du Luart , Aymeri de Montesquiou, Albéric de Montgolfier, vice-présidents ; MM. Philippe Dallier, Jean Germain, Claude Haut, François Trucy , secrétaires ; MM. Philippe Adnot, Jean Arthuis, Claude Belot, Michel Berson, Éric Bocquet, Yannick Botrel, Joël Bourdin, Christian Bourquin, Serge Dassault, Vincent Delahaye, Francis Delattre, Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, MM. Éric Doligé, Philippe Dominati, Jean-Paul Emorine, André Ferrand, François Fortassin, Thierry Foucaud, Yann Gaillard, Charles Guené, Edmond Hervé, Pierre Jarlier, Roger Karoutchi, Yves Krattinger, Dominique de Legge, Marc Massion, Gérard Miquel, Georges Patient, François Patriat, Jean-Vincent Placé, François Rebsamen, Jean-Marc Todeschini, Richard Yung. |
INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
Au cours des cinq dernières années, la question des modalités de financement de l'enseignement supérieur en France a pris une importance particulière, alors que les universités se voyaient confier la maîtrise d'un budget global dont le périmètre avait été sensiblement élargi pour recouvrir la masse salariale (qui représente désormais près de 80 % du budget des universités) et qui avait été multiplié par trois voire quatre, dans le cadre de leur accession aux « responsabilités et compétences élargies » (RCE). En effet, la loi n° 2007-1199 du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités, dite « loi LRU », postulait une optimisation de l'utilisation par les universités de l'ensemble de leurs ressources, humaines, budgétaires et patrimoniales. Elle supposait un examen prospectif systématique de la soutenabilité des projets portés par les équipes de direction (de l'université comme de chaque composante), responsabilisées dans l'emploi de leurs moyens.
Comme le rappelle le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, « la France, avec un financement public à hauteur de 81,7 % (supérieur de 12,8 points à la moyenne des pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques - OCDE -) et un financement privé à hauteur de 18,3 %, se situe dans une zone médiane des 29 pays de l'OCDE ayant fourni cet indicateur » 1 ( * ) . Pour rappel, la part des financements d'origine publique s'établit en moyenne, dans l'OCDE, à 68,9 %, contre 31,1 % de financements d'origine privée.
La mise en oeuvre de la loi LRU s'est accompagnée d'efforts financiers substantiels de la part de l'État en faveur des universités qui ont bénéficié d'une exonération des normes de réduction des dépenses publiques applicables aux autres opérateurs de l'État dans un contexte budgétaire contraint. L'attribution aux établissements d'enseignement supérieur de moyens budgétaires et extrabudgétaires, en particulier dans le cadre du programme des investissements d'avenir (PIA) financés par le grand emprunt, a traduit la priorité politique accordée au secteur de l'enseignement supérieur et de la recherche. Alors que les classements internationaux entretiennent le sentiment d'une université française « déclassée » 2 ( * ) et que les comparaisons entre les coûts respectifs d'un étudiant en université et d'un étudiant en grande école 3 ( * ) laissent craindre un système d'études supérieures à deux vitesses, l'effort financier en faveur de l'enseignement supérieur et de la recherche a été érigé en priorité politique absolue.
Pour autant, la situation financière des universités consécutivement à leur accession aux RCE s'est révélée particulièrement préoccupante dans la période récente. 23 universités ont enregistré un déficit pour la deuxième année consécutive, sur la période 2010-2011. À cela, s'ajoute le fait que 20 universités disposaient, en 2012, d'un fonds de roulement inférieur au seuil prudentiel de trente jours de fonctionnement.
Les critiques se sont alors multipliées à l'encontre des effets redistributifs d'un système d'allocation des moyens récurrents (pourtant dénommé « SYMPA » 4 ( * ) ) jugés insuffisants, de l'absence de transfert aux universités à due concurrence des moyens nécessaires afin d'assumer la prise en charge de la masse salariale et des mesures catégorielles et sociales décidées au niveau national (glissement-vieillesse technicité - GVT -, contribution au compte d'affectation spéciale (CAS) « Pensions », plan « carrières » consécutif à la « loi Sauvadet » 5 ( * ) ...), des disparités territoriales constatées dans l'attribution des investissements d'avenir...
L'articulation entre les différentes modalités de financement des universités constitue désormais un enjeu déterminant pour la soutenabilité budgétaire et financière de leurs politiques de formation et de recherche, depuis leur accession aux RCE. La cohérence et la complémentarité entre les multiples sources de financement influent, de façon notable, sur la capacité d'un établissement d'enseignement supérieur à adopter un positionnement stratégique propre , en lui permettant non seulement d'honorer ses missions de service public dans des conditions optimales mais également de mettre en oeuvre des politiques de différenciation qui lui permettent aussi bien de se distinguer par sa « valeur ajoutée » dans un environnement de plus en plus concurrentiel que de répondre aux besoins spécifiques de formation de son territoire d'implantation.
Les conditions d'octroi des dotations d'État, le succès des universités auprès des appels d'offre nationaux et européens et leurs marges de manoeuvre dans la diversification de leurs ressources propres conditionnent la capacité des universités à assumer leurs missions de service public et à définir un positionnement stratégique qui leur permette de rayonner sur différentes échelles territoriales : locale, régionale, nationale, européenne et internationale.
Vos rapporteurs rappellent les principales critiques formulées à l'encontre des modalités de financement des universités :
- les multiples réformes du secteur de l'enseignement supérieur et de la recherche, qui se sont succédé à un rythme intense au cours de la dernière décennie, ont conduit à un empilement des modes de financement qui, dès lors que leur compatibilité et leur articulation n'ont pas fait l'objet d'un examen approfondi à l'origine, répondent à des objectifs différents, parfois divergents . Le curseur est particulièrement difficile à placer entre des objectifs potentiellement concurrents ou contradictoires tels que la péréquation dans la répartition des financements publics récurrents et l'encouragement à la performance et l'excellence par la voie des financements extrabudgétaires ;
- les décisions politiques qui ont conduit, chaque année, à neutraliser les effets attendus du modèle critérisé de financement par répartition à l'activité et à la performance n'ont pas permis aux universités autonomes d' anticiper, sur une base pluriannuelle, les conséquences financières de leurs choix stratégiques de développement 6 ( * ) ;
- l' incapacité des universités à retracer l'origine de l'ensemble de leurs ressources, de même que leur affectation, n'a pas permis une objectivation des coûts de la formation par filière et de la recherche.
Dans ces conditions, vos rapporteurs se sont penchés plus particulièrement sur les axes de réflexion suivants :
- l'analyse des conditions de mise en oeuvre du système d'allocation critérisé « SYMPA » et des décalages qui ont pu être observés entre les dotations théoriques et les dotations effectivement notifiées et versées aux universités. À l'occasion d'une table ronde consacrée aux « Mécanismes de financements de l'enseignement supérieur et de la recherche » en février 2012, Mme Sophie Béjean, alors présidente de l'université de Bourgogne, avait rappelé l'importance d'un modèle « critérisé » d'allocation des moyens récurrents de l'État aux universités : « pour que des universités - avec des missions nationales, de formation et de recherche principalement, mais pas seulement - deviennent des opérateurs majeurs de l'enseignement supérieur et de la recherche, il est essentiel de maintenir un modèle de financement « critérisé » pour allouer des moyens entre établissements. C'est nécessaire pour financer de manière équitable nos activités, qu'il s'agira de mesurer et d'objectiver » 7 ( * ) ;
- la diversification des ressources propres des universités et leur capacité aussi bien à obtenir des financements sur projet qu'à dégager des ressources complémentaires auprès de partenaires publics et privés ;
- les conditions d'une vision consolidée, au sein des universités, de l'ensemble des ressources disponibles , afin d'en améliorer l'allocation, le suivi et l'efficience. L'absence d'une base de données permettant de disposer d'une vision consolidée et sincère de l'ensemble des financements perçus par les universités et leurs composantes n'est pas un problème spécifiquement français. À titre d'exemple, la Fédération québécoise des professeures et professeurs d'université (FQPPU) soulignait, dès 2008, qu' « il n'existe aucune base de données complète qui permettrait d'avoir une vue d'ensemble, à la fois transversale et longitudinale, du financement des universités au Québec. Cette situation fait en sorte qu'il est difficile d'évaluer si le financement est équitablement réparti entre les établissements et si les décisions gouvernementales répondent aux besoins réels à partir d'une perspective de développement global, durable et équitable des universités québécoises » 8 ( * ) .
* 1 L'état de l'enseignement supérieur et de la recherche en France, n° 5, décembre 2011.
* 2 D'inspiration anglo-saxonne, le classement dit de « Shanghai » (classement académique des universités mondiales effectué par l'université Jiao Tong) comme ses concurrents ( Times Higher Education World University Rankings ), en raison de critères qui accordent une large place au nombre de publications scientifiques parues dans des revues essentiellement anglo-saxonnes et aux reconnaissances internationales prestigieuses obtenues dans le domaine de la recherche, rend mal compte de l'ouverture à l'international des établissements français, de la qualité des formations dispensées et du niveau des étudiants. La France est 8 e dans le dernier palmarès 2012 de Shanghai, à égalité avec l'Italie, sur les 43 pays présents dans ce classement. Toutefois, alors que les États-Unis comptent 53 de leurs universités dans les 100 premières universités (et 17 dans le « top 20 ») et le Royaume-Uni neuf, la France n'en compte que trois (Paris-Sud (37 e ), Pierre-et-Marie-Curie (42 e ) et l'École normale supérieure de la rue d'Ulm (73 e ). Sur les 500 établissements classés, seuls vingt sont français. Les performances sont en baisse : en 2009, 23 universités françaises figuraient dans ce classement, et la France était 5 e .
* 3 L'état de l'enseignement supérieur et de la recherche, n° 5, décembre 2011 : « En 2010, la dépense moyenne par étudiant s'élève à 11 430 euros, soit 42 % de plus qu'en 1980. [...] Ce coût est sensiblement différent selon les filières de formation : il varie de 10 180 euros en moyenne par an pour un étudiant d'université publique jusqu'à 15 240 euros pour un élève de classe préparatoire aux grandes écoles ».
* 4 Appellation d'origine sénatoriale : « Le financement des universités : pour un SYstème de répartition des Moyens à l'Activité et à la Performance (SYMPA) », rapport d'information de MM. Philippe Adnot, Jean-Léonce Dupont, Christian Gaudin, Serge Lagauche, Gérard Longuet et Philippe Richert, fait au nom de la commission des affaires culturelles et de la commission des finances, n° 382 (2007-2008), 10 juin 2008.
* 5 Loi n° 2012-347 du 12 mars 2012 relative à l'accès à l'emploi titulaire et à l'amélioration des conditions d'emploi des agents contractuels dans la fonction publique, à la lutte contre les discriminations et portant diverses dispositions relatives à la fonction publique.
* 6 Enjeux et problématique de la table ronde n° 3 du colloque de la Conférence des présidents d'université de février 2012 : « Les mécanismes de financement de l'enseignement supérieur et de la recherche ».
* 7 Sophie Béjean, citée in Actes du colloque « L'université pour l'avenir, avenir des universités » , table ronde « Les mécanismes de financement de l'enseignement supérieur et de la recherche », université d'Aix-Marseille, 8, 9 et 10 février 2012.
* 8 Nathalie Dyke, en collaboration avec Michel Umbriaco et Cécile Sabourin, Financement des universités - Investir dans le corps professoral , premier document de synthèse découlant des travaux du comité sur le financement des universités de la Fédération québécoise des professeures et professeurs d'université, avril 2008.