Audition de la Direction générale de la Gendarmerie nationale (ministère de l'intérieur) consacrée à la veille Internet et la cybercriminalité (mardi 29 janvier 2013)
Mme Hélène Lipietz , présidente. - Mes chers collègues, nous procédons aujourd'hui à une deuxième audition de représentants de la Direction générale de la Gendarmerie nationale (DGGN) par notre commission d'enquête. Cette audition est consacrée au thème précis de la cybercriminalité, qui se trouve au coeur de notre sujet.
Nous entendons donc cet après-midi trois officiers de gendarmerie spécialistes de ces questions :
- le lieutenant-colonel Yvan Carbonnelle, chargé de mission à la direction des opérations et de l'emploi de la direction générale, où il est plus précisément responsable du pilotage de la lutte contre les dérives sectaires ;
- le lieutenant-colonel Bernard Popineau et le chef d'escadron Pascal Thys, qui travaillent au service technique de recherches judiciaires et de documentation, le premier à la division des opérations judiciaires, le second à la division de la lutte contre la cybercriminalité.
Cette première réunion d'aujourd'hui n'est ouverte ni au public ni à la presse ; son compte rendu sera publié avec le rapport.
Je précise à l'attention des officiers auditionnés que M. Jacques Mézard, président du groupe RDSE a pris l'initiative de la constitution de cette commission, qui a tout naturellement souhaité qu'il en soit le rapporteur.
Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander aux personnes auditionnées de prêter serment.
Je rappelle pour la forme qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.
Lieutenant-colonel Yvan Carbonnelle, lieutenant-colongle Bernard Popineau et chef d'escadron Pascal Thys, veuillez successivement prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».
Les trois personnes se lèvent et prêtent serment.
Mme Hélène Lipietz , présidente. - A la suite de l'exposé introductif du lieutenant-colonel Yvan Carbonnelle, mon collègue Jacques Mézard vous posera un certain nombre de questions. Puis les membres de la commission d'enquête vous solliciteront à leur tour.
M. Yvan Carbonnelle, chargé de mission à la direction des opérations et de l'emploi de la direction générale de la Gendarmerie nationale. - En matière de cybercriminalité, la gendarmerie s'appuie sur un maillage d'enquêteurs spécialisés, formés pour certains pendant un an à l'université, en licence professionnelle. Ces enquêteurs en nouvelles technologies sont environ 240 et essentiellement affectés dans les sections de recherches régionales, voire départementales. Ils effectuent essentiellement des actes techniques - exploitation de disques durs ou de données de téléphonie - et leurs actions de surveillance d'Internet sont assez rares. Certains poursuivent leurs études jusqu'au master.
En relais de ces enquêteurs, nous comptons environ 800 correspondants formés aux nouvelles technologies et relayant l'action des enquêteurs spécialisés au plus près du terrain, notamment dans les compagnies, à l'échelon de l'arrondissement. Nous monterons probablement en puissance à l'avenir pour atteindre, à terme, l'objectif d'un correspondant par brigade ou par communauté de brigades. Ces correspondants réalisent des actes simples et appuient les enquêteurs spécialisés.
Le coeur du dispositif, en matière de surveillance d'Internet et d'expertises criminalistiques liées aux nouvelles technologies, se situe dans le service technique de recherches judiciaires et de documentation, ainsi que dans le laboratoire scientifique que constitue l'Institut de recherches criminelles de la Gendarmerie nationale.
Nous disposons, pour la partie concernant le Service technique de recherches judiciaires et de documentation - STRJD - d'une division qui a déjà été présentée succinctement la semaine dernière. Elle comprend environ vingt-cinq enquêteurs qui disposent d'une compétence nationale.
Cette division est divisée en trois départements. Le premier est consacré aux investigations sur Internet, qui traitent notamment des dérives sectaires, mais aussi des stupéfiants, des produits dopants et des incitations à la haine raciale, etc. Un autre département s'occupe de la répression des atteintes aux mineurs sur Internet, en s'appuyant notamment sur le Centre national d'analyse des images pédopornographiques, créé par arrêté interministériel et confié à une unité mixte de police et de gendarmerie. Le dernier département se présente sous la forme d'un département de soutien et d'assistance aux unités qui ont besoin d'une aide plus poussée dans ce monde compliqué d'Internet.
Les enquêteurs STRJD ont la capacité de mener des investigations sous pseudonyme, les fameuses « cyberpatrouilles » autorisées par les articles 706-25-2, 35-1 et 47-3 du code de procédure pénale.
Les infractions qui autorisent les enquêtes sous pseudonyme sont celles relatives à la pédopornographie, aux atteintes en direction des mineurs, à la traite des êtres humains, à l'apologie du terrorisme ainsi qu'aux jeux en ligne, en lien avec l'Autorité de régulation des jeux en ligne (Arjel). Les enquêteurs qui peuvent agir sous pseudonyme ont été spécialement habilités par le procureur général près de la Cour de Paris et ont reçu une formation complémentaire compte tenu de la spécificité de leur action et des risques d'atteinte aux libertés publiques.
Nous envisageons actuellement de déployer de nouvelles capacités d'enquêtes sous pseudonyme à l'échelon régional. Plusieurs dizaines de personnels sont déjà formés afin de démultiplier nos capacités.
Nous travaillons bien évidemment avec l'Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l'information et de la communication (OCLCTIC), qui relève de la Police nationale.
Nous avons également, afin de créer des synergies, créé un plateau technique « cybercriminalité-analyse numérique », qui mutualise les capacités, tant du STRJD que de l'Institut de recherche criminelle de la Gendarmerie nationale (IRCGN). Ceci facilite le travail conjoint.
Quelles sont nos actions particulières en matière de lutte contre les dérives sectaires dans le domaine de la cybercriminalité et d'Internet ? Comme vous l'a dit le directeur général la semaine dernière, pour répondre à un besoin de la Miviludes remontant à 2010, nous avons entamé une action de surveillance plus régulière - maintenant quotidienne - de certains sites susceptibles d'être sectaires ou à connotation sectaire.
Comme nous vous l'avons expliqué, il est difficile, pour ne pas dire impossible, de certifier que ceux qui sont derrière un site Internet appartiennent à un groupe sectaire. On éprouve simplement des doutes qu'il convient de matérialiser par des enquêtes de terrain. Néanmoins, à partir même du site, nous sommes souvent en mesure de caractériser certaines infractions - exercice illégal de la médecine ou de la pharmacie, travail illégal.
Ainsi, en 2012, nous avons initié neuf procédures grâce à cette surveillance, contre seulement deux en 2011. Cette multiplication témoigne d'une montée en puissance qui continuera dans les années à venir.
Les enquêtes étant toutes en cours, il est difficile de les évoquer avec précision. Je donnerai toutefois un exemple... Dans l'Ouest de la France, nous avons mené une enquête concernant une personne connue de la Miviludes, non-inscrite auprès d'un ordre en tant que masseur-kinésithérapeute ou médecin et qui proposait pourtant de l'irrigation colonique ou des massages quelque peu douteux. Le dossier a été transmis au Parquet après enquête...
On n'a jamais de certitude sur la caractérisation sectaire du site et des personnes qui l'animent mais, outre les infractions que j'ai citées, des indicateurs d'alerte s'allument lorsqu'un jargon ésotérique est employé, qu'il existe des incitations à la rupture, qu'une présentation favorable est faite d'un dirigeant de type charismatique ou d'un praticien exclusif ou qu'on propose aux visiteurs un projet de vie ou une philosophie particulière.
Le dernier élément de notre processus rénové, mis en place en 2012, réside dans l'interaction entre les services, ainsi que vous l'a exposé le directeur général. Tous les services se parlent, qu'il s'agisse de police judiciaire ou administrative. Un exemple récent démontre que notre démarche a le mérite d'exister : un membre important de l'Ordre national des dentistes a signalé à l'Office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et à la santé publique (Oclaesp) un problème de dentisterie holistique censée soigner les aspects énergétiques et psychologiques de certaines pathologies. L'Oclaesp a reçu ce signalement, l'a traité et l'a transmis à la division de lutte contre la cybercriminalité du STRJD, qui entamera probablement un travail à ce sujet.
Nous avons évoqué la fois dernière le cas de l'extension éventuelle du dispositif de cyberpatrouilles à d'autres infractions. Comme l'a indiqué le directeur général, on ne peut le proposer de notre propre chef ; néanmoins, le directeur général était favorable à une étude, en lien avec la justice, quant au fait de savoir si les cyberpatrouilles ne devraient pas être étendues à des infractions comme l'exercice illégal de la médecine, de la pharmacie, ou à l'abus de faiblesse et d'ignorance. Il peut être intéressant d'entrer dans des dialogues sous pseudonyme avec des animateurs de sites...
Enfin, en 2012, nous avons souhaité parfaire la formation de nos analystes du renseignement, soit environ 500 personnes, réparties sur tout le territoire. Il existe, pour les volontaires, une possibilité de stage dédié à la surveillance en source ouverte sur Internet. Ceci permet à cinquante analystes déjà formés de mieux organiser leur veille sur Internet à partir d'agrégateurs de Web, d'effectuer des recherches à l'aide de métamoteurs, de prévoir des alertes systématiques et de mieux connaître le monde d'Internet, y compris en matière de limites légales.
Il s'agit d'un stage généraliste qui traite de toutes les problématiques : extrémismes violents, violences urbaines, hooliganisme et dérives sectaires.
Mme Hélène Lipietz , présidente. - La parole est au rapporteur...
M. Jacques Mézard , rapporteur. - Constatez-vous une augmentation des comportements sur Internet pouvant justifier des réactions en matière d'ordre public ?
M. Yvan Carbonnelle. - Les groupes sectaires sont en général assez discrets et ne créent pas de troubles manifestes à l'ordre public. Néanmoins, le vecteur Internet a drainé tout un tas de sites plus ou moins douteux ; on trouve ainsi, dans les magasins spécialisés dans le bien-être, des annonces renvoyant soit à un blog, soit à un site. Il est parfois difficile de quantifier et de maîtriser les choses. C'est pourquoi nous ne travaillons pas par adresse de sites - elles changent souvent - mais plutôt par mot-clé, sur des thématiques connues de la Miviludes, comme l'ondobiologie, le biodécodage, etc.
M. Jacques Mézard , rapporteur. - Notre commission d'enquête concerne les dérives sectaires dans le domaine de la santé. Constatez-vous à ce sujet une augmentation des cas problématiques ? Quand prenez-vous la décision de transmettre au Parquet ?
Ce qui nous préoccupe, c'est la protection de la santé de nos concitoyens. Il ne s'agit pas, ainsi que nous le répétons souvent, de toucher à la liberté d'expression ou à la liberté de conscience, mais de faire en sorte qu'on ne pousse pas nos concitoyens à ne plus se soigner, à mettre leur vie en danger ou, dans un certain nombre de cas, à vider leur trésorerie dans des conditions relevant de l'abus de faiblesse ou d'autres délits...
M. Pascal Thys. - On constate en effet une augmentation significative de pseudo-offres permettant d'améliorer la santé. Nous déclenchons une procédure quand nous réussissons à matérialiser une infraction, comme l'exercice illégal de la profession de médecin ou de pharmacien. Il faut pouvoir déceler une infraction pour signaler le site en question au parquet compétent.
M. Jacques Mézard , rapporteur. - Il est normal que vous étudiiez si telle pratique ou tel comportement constituent une infraction, mais vous savez mieux que moi que c'est le Parquet qui juge de l'opportunité des poursuites. Qu'est-ce qui déclenche le signalement ? On voit sur Internet de nombreux sites proposer des techniques qui paraissent pour le moins antagonistes avec un réel traitement de quelque pathologie que ce soit, comme l'utilisation des énergies pour accomplir des actes chirurgicaux sans opération. Cela peut interpeller...
Les offres foisonnent sur Internet ; certaines ne tirent pas à conséquence et peuvent ne pas faire de mal, mais un certain nombre sont inquiétantes. Vous avez réalisé neuf transmissions seulement en 2012 ; or, il existe cependant un certain nombre de comportements à risque. Cela pourrait d'ailleurs tout aussi bien relever de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF)...
M. Pascal Thys. - Ainsi que vous l'avez dit, le Parquet est seul juge de l'opportunité des poursuites. Pour pouvoir le saisir, il faut que nous puissions caractériser l'infraction ou qu'il existe une suspicion d'infraction - tentative d'escroquerie, exercice illégal de la profession de médecin, etc. Il faut, à la base, avoir quelque chose de solide permettant de bâtir une procédure. On ne peut partir sur une suspicion. C'est le problème en matière de constatations : il faut trouver des éléments concrets à amener au Parquet pour ouvrir des poursuites.
Comme vous le signaliez, il existe une multitude d'offres de soins sur Internet. Nous sommes obligés de faire des choix sur des critères objectifs, constitutifs d'infractions pénales. Sans ces éléments, il est quasiment certain que le Parquet n'engagera pas de poursuite. En temps normal, il est difficile de démêler ce qui peut relever ou non de l'infraction pénale ; si l'on part de simples suspicions, il n'y aura pas de suites judiciaires ! Ce n'est qu'après avoir constaté ces éléments et bâti une procédure, et une fois l'affaire transmise au Parquet local que quelqu'un pourra se déplacer pour procéder aux auditions et aux constatations. La matérialisation des faits sur les lieux de l'infraction, de déclaration du cabinet ou d'élection du domicile du supposé praticien est nécessaire. C'est là toute la difficulté pour démarrer une enquête sur Internet.
M. Jacques Mézard , rapporteur. - Qu'est-ce qui vous faciliterait la tâche ?
M. Pascal Thys. - Si l'on se réfère uniquement à ce qui est offert en source ouverte, qui constitue notre limite d'investigation, il est extrêmement difficile de matérialiser quelque chose - sauf si l'on constate une dérive thérapeutique.
Ce qu'il faudrait, comme l'a indiqué le lieutenant-colonel Carbonnelle, c'est pouvoir aller plus loin et, sous réserve que ce soit possible, étendre le champ de la cyberpatrouille de manière à pouvoir mener des investigations sur les forums sur lesquels les gens s'expriment, où des thérapeutes viennent proposer leurs services. L'idéal serait de pouvoir entrer en contact avec eux, de pouvoir dialoguer, de savoir où ils veulent aller et quelles sont les offres qu'ils proposent aux internautes. Pour cela, il faut établir un dialogue, utiliser un pseudonyme et engager une conversation électronique avec les individus en question...
M. Jacques Mézard , rapporteur. - C'est ce qui a été autorisé aux douanes... Vous considérez donc que cela vous faciliterait la tâche ?
M. Pascal Thys. - Pour l'instant, les champs infractionnels sont très strictement encadrés par la loi, comme la pédopornographie, la traite des êtres humains, le terrorisme. En dehors de ceux-ci, nous n'avons pas de possibilité réelle de pouvoir agir, en dehors de l'offre présente sur Internet.
M. Jacques Mézard , rapporteur. - Sans aller jusqu'à la création de nouvelles infractions, on peut considérer que ce qui existe dans le code pénal permet de faire face aux difficultés mais, si je comprends bien, sans la cyberpatrouille, vous vous sentez quelque peu démunis...
M. Jacques Mézard , rapporteur. - La réponse est claire !
Certaines organisations travaillent-elles en réseau ?
M. Yvan Carbonnelle. - En matière de dérive sectaire, la notion de réseau organisé, qui répond à la notion juridique du code de procédure pénale et du code pénal n'a, a priori jamais été constatée, hormis pour la Scientologie, dont la condamnation pour escroquerie en bande organisée a été confirmée en appel l'année dernière.
En revanche, outre la dilution facilitée par le réseau Internet, on constate que certains évoluent dans un réseau de connaissances - et non dans un réseau organisé. Tel sous-disciple de la méthode Hamer change de nom et se déplace de salon en salon, telle personne se réclame d'une thérapeutique ou d'une philosophie particulière...
La comparaison est peut-être malheureuse mais, de même que des médecins officiels envoient leurs clients à des confrères, des thérapeutes déviants qui peuvent être des gourous peuvent envoyer leurs patients à des gens pratiquant la même thérapeutique déviante.
M. Jacques Mézard , rapporteur. - Avez-vous des constatations particulières sur les centres de formation ? Un certain nombre de pratiquants semblent former des disciples de manière très onéreuse et essaiment...
M. Yvan Carbonnelle. - On voit en effet revenir de manière systématique des instituts qui ont pignon sur rue, peuvent changer de noms et sont notoirement connus.
Ainsi, le Cenatho doit intervenir au salon du bien-être de Paris, qui se tiendra du 14 au 18 février, Porte de Versailles, à propos des sept niveaux de santé naturopathique et holistique, ainsi qu'un médecin radié de l'Ordre qui a créé une « faculté libre de médecine naturelle et d'ethnomédecine ». Il y a aussi d'autres instituts. N'importe qui peut s'inscrire à ce salon. Les structures de formation proposent des formations souvent onéreuses mais ont pignon sur rue...
M. Jacques Mézard , rapporteur. - Avoir pignon sur rue ne veut pas forcément dire que l'on respecte la loi. Ce n'est pas un critère de respectabilité !
M. Yvan Carbonnelle. - Avec la multiplication des sites Internet et des propositions de ce genre - qui sont parfois des coquilles vides - il nous faut soit une constatation, qui peut se faire sur Internet pour certaines infractions, soit un signalement.
Le signalement provient rarement de la victime mais parfois d'associations de défense des victimes ou de proches ; il peut également provenir de la Miviludes.
Le signalement peut aussi être le résultat d'une constatation d'un enquêteur à l'occasion d'une autre affaire ou d'affaires qui n'ont pas de connotations sectaires, comme un suicide. Lors des auditions, on apprend qu'une personne a été victime d'une dérive sectaire. C'est ce qui s'est passé récemment dans le cadre d'une enquête citée par un magazine de Canal Plus , en décembre dernier. On s'est aperçu que cet acte pouvait cacher une incitation au suicide, par le biais de thérapeutiques déviantes...
M. Jacques Mézard , rapporteur. - Un certain nombre de sites proposent des appareils qui vendent manifestement du vent, au propre comme au figuré. Que se passe-t-il dans ces cas-là ? Transmettez-vous le dossier à la DGCCRF ? Dans certains cas, ce sont de véritables attrape-nigauds ! C'est comme si l'on vendait une voiture sans moteur !
M. Pascal Thys. - On pourrait alors partir sur l'abus frauduleux d'état d'ignorance ou sur une tentative d'escroquerie. C'est un cas d'infraction que l'on peut cibler.
M. Jacques Mézard , rapporteur. - Dans ce cas, pourquoi n'y a-t-il pas systématiquement de signalement ?
M. Pascal Thys. - Un grand nombre d'infractions concernant ce type d'appareils sont relevées quasi quotidiennement sur Internet, même si elles ne sont pas forcément en relation avec les dérives sectaires. Le champ infractionnel est malheureusement très vaste !
M. Yvan Carbonnelle. - Il existe aussi un portail gouvernemental appelé « Internet escroquerie », qui permet à tout citoyen de signaler ce qui apparaît illégal sur Internet...
Mme Gisèle Printz . - Si je suis victime d'un charlatan, puis-je venir vous voir pour porter plainte ? Enquêterez-vous sur le problème que je vous soumets ?
M. Bernard Popineau. - Oui, nous incitons les gens à venir nous voir, mais ce sont les parents qui accomplissent cette démarche, jamais les victimes elles-mêmes. Elles ont de grosses difficultés à évoquer les raisons pour lesquelles elles se sont laissé entraîner dans ce système.
Entendre une victime d'un mouvement sectaire est très délicat. On va devoir passer des heures à mettre cette personne en confiance pour obtenir les éléments matériels qui vont nous permettre de caractériser l'infraction.
Mme Gisèle Printz . - Vous ouvrez donc une enquête ?
M. Bernard Popineau. - Oui. Nous comptons, dans notre organisation, au moins un référent sectaire dans chaque département, en liaison avec le groupe national de vigilance contre les dérives sectaires. Je connais personnellement ces référents. Ils sont sensibilisés au sujet et sont invités à entrer à chaque fois en contact avec nous, afin que nous puissions les conseiller et leur apporter les éléments essentiels pour recueillir les premiers éléments, dans le cadre d'une enquête ou d'une plainte.
Ce sont les parents ou les frères et soeurs qui s'adressent à nous, jamais la victime. Il faut engager un dialogue et des négociations avec l'intéressé pour l'inviter à venir déposer en toute liberté. Il n'est en aucune manière question de l'obliger à déposer, mais tout citoyen est invité à pousser la porte de la gendarmerie pour dénoncer tel ou tel fait. C'est une démarche qui n'est pas facile, qui plus est pour une victime !
Nous formons nos personnels dans ce domaine et les assistons. Dans ma division, nous sommes même amenés à nous déplacer sur l'ensemble du territoire, afin d'assister nos camarades sur le terrain, faciliter les investigations, permettre des recherches et apporter les éléments probants au magistrat qui va décider de l'opportunité des poursuites.
Mme Catherine Deroche . - Vous avez fait référence au salon du bien-être et à son programme. Intervenez-vous dans ce type de manifestations ?
M. Yvan Carbonnelle. - C'était un exemple...
Nous effectuons bien évidemment des reconnaissances sur ce type de salon, mais pas forcément sur celui-là, qui est en zone de Police nationale. Nous partageons le renseignement. Nous menons des repérages discrets pour avoir plus d'informations et récupérer la documentation qui est en libre-service. Ce qui apparaît sur Internet ne constitue qu'un appât ; une fois le visiteur intéressé, il est attiré dans un centre pour y dépenser son argent et, s'il s'agit d'une dérive sectaire, être placé sous emprise mentale.
La surveillance Internet ne fait pas tout : il faut aussi se déplacer sur le terrain et enquêter. La gendarmerie compte 30 000 officiers de police judiciaire, soit environ 300 par département. Ce sont eux qui conduisent les enquêtes, sous la direction du Parquet, assistés par les agents de police judiciaire.
M. Yannick Vaugrenard . - Vous estimez qu'il vous serait utile d'avoir possibilité d'intervenir sur des forums en utilisant des pseudonymes, ce qui est impossible aujourd'hui. Lorsque vous constatez sur Internet une forme de désinformation manifeste destinée à utiliser la faiblesse de certaines personnes, avez-vous la possibilité d'intervenir en flagrant délit ou faut-il systématiquement une plainte pour que la puissance publique intervienne ?
En second lieu, comment fédérez-vous les énergies de la police et de la gendarmerie ? Croisez-vous vos informations ?
M. Pascal Thys. - La constatation sur Internet ne pose pas de problème. Dès lors qu'une pratique déviante est susceptible de mettre la vie d'une personne en danger ou consiste à proposer une thérapie sans que la personne qui la suggère soit inscrite à l'Ordre des médecins, la procédure nous permet d'agir immédiatement d'initiative. Nous bâtissons alors la procédure et la transmettons immédiatement au Parquet.
Localement, nous pouvons également intervenir dans un périmètre géographique relativement proche ; dans le cas contraire, nous transmettons au Parquet compétent dans les meilleurs délais, afin de pouvoir conserver le bénéfice de la flagrance. Nous essayons généralement de trouver une unité de gendarmerie locale susceptible de prendre la relève et la proposons au Parquet, seul décisionnaire en la matière...
M. Yannick Vaugrenard . - Est-ce fréquent ou avez-vous des éléments statistiques démontrant une augmentation importante ?
M. Pascal Thys. - J'ai l'impression que les dérives thérapeutiques sont en augmentation constante sur Internet, mais ce n'est pas forcément systématiquement en lien avec une éventuelle dérive sectaire. Il peut y avoir derrière ces propositions des personnes souhaitant récolter un maximum d'argent. Cela peut déboucher sur une escroquerie plutôt que sur autre chose...
M. Yvan Carbonnelle. - La coopération avec la Police nationale se fait par le biais de la présence de personnels de chacune des institutions au sein des offices centraux. En matière de dérives sectaires, la gendarmerie dispose de deux offices centraux, l'un que vous avez vu la semaine dernière, ainsi que l'Office central de lutte contre le travail illégal. Les deux comprennent des policiers.
A l'inverse, les deux offices centraux de la police nationale qui peuvent traiter des infractions en lien avec les dérives sectaires - l'Office central de la répression des violences faites aux personnes (OCRVP), qui comprend la Cellule d'assistance et d'intervention en matière de dérives sectaires (Caimades) et l'Office central de lutte contre les infractions liées aux technologies d'information et de la communication (OCLCTIC) - comptent également des gendarmes. L'échange est forcément permanent dans ces structures de police judiciaire. D'autres administrations sont aussi présentes dans les offices centraux - douanes, impôts...
Enfin, des gendarmes sont affectés au sein de la sous-direction de l'information générale - les ex-Renseignements généraux (RG) - qui travaillent également sur le sujet des dérives sectaires en matière de police administrative. Nous nous croisons enfin de manière très régulière avec la Police nationale lors des réunions de la Miviludes. Nous n'avons pas de problématiques d'échange d'informations - sur ce thème-là...
Mme Hélène Lipietz , présidente. - Quels sont les mots-clés qui définissent la différence entre une dérive sectaire et un abus de faiblesse ou d'ignorance ? Vous venez de dire que vous constatiez une montée de l'escroquerie, sans pour autant avoir l'impression qu'il y a plus de sectes qu'auparavant sur Internet...
M. Pascal Thys. - C'est extrêmement difficile à dire au vu des seules constatations que l'on peut réaliser sur Internet. On ne peut dire, à la base, s'il va y avoir dérive sectaire ou s'il s'agit plutôt d'une tentative d'escroquerie. C'est là toute la difficulté. L'infraction que nous relevons au départ nous ouvre une porte et nous permet de vérifier sur place ce qui se passe...
Mme Hélène Lipietz , présidente. - Certains sites ne sont pas basés en France. Comment faîtes-vous ? Les grands acteurs d'Internet - Google, Pages jaunes, etc. - vous aident-ils ou mettent-ils un frein à vos recherches ?
M. Pascal Thys. - Ma réponse sera mitigée...
En ce qui concerne les sites basés à l'étranger, tout dépend de l'endroit où ils sont situés. Dans les pays européens, en règle générale, cela ne pose pas de problème car il existe des structures comme Interpol, Europol, etc. Tous les ans, depuis plusieurs années, nous menons d'ailleurs une opération coordonnée appelée Pangea en matière de santé ; elle nous permet de travailler à l'échelon européen sur la vente des médicaments sur Internet.
Chaque pays essaye de récupérer un maximum d'informations sur les sites Internet français ou étrangers qui vendent des médicaments. Europol centralise l'intégralité des renseignements et envoie les informations aux pays concernés. Il s'agit d'un accord de réciprocité, chacun prenant à son compte la partie territoriale qui le concerne.
Pour ce qui est des acteurs d'Internet, tout dépend à qui l'on s'adresse. Avec Google ou Facebook, cela ne pose pas de problème particulier. En règle générale, ces acteurs du Net répondent à nos réquisitions. Avec Twitter, qui est au coeur de l'actualité, on a beaucoup de mal à obtenir une réponse à nos réquisitions, Twitter se retranchant derrière la loi américaine et estimant qu'il n'a pas à répondre aux réquisitions des autorités des autres pays.
Ce n'est pas le cas avec Facebook, par exemple, qui a mis en place un correspondant juridique qui sert de relais entre les Etats-Unis et la France. Twitter est en train de mettre un tel système en place en France ; on espère que la situation va pouvoir se débloquer...
Mme Hélène Lipietz , présidente. - Le rapport de l'Assistance publique des hôpitaux de Paris (AP-HP), ou la récente note émanant du Centre d'analyse stratégique (CAS) relative aux médecines complémentaires ou non conventionnelles, semblent conférer une certaine respectabilité aux soins ne relevant pas de la médecine classique.
Nous nous sommes interrogés, au sein de la commission, sur le fait de savoir si la « reconnaissance » de ces pratiques alternatives par des organes officiels n'était pas revendiquée par certains gourous. Avez-vous observé des sites indiquant que ces pratiques ont été mentionnées par l'AP-HP ou le CAS ?
M. Pascal Thys. - Non, à titre personnel, je ne l'ai pas constaté.
Les sites prennent de plus en plus garde au vocabulaire qu'ils emploient, ayant pu connaître, par le passé, certaines poursuites pénales. Ils mettent aujourd'hui en place des « chartes éthiques » dans lesquelles ils indiquent, pour se dédouaner ou ne pas attirer l'attention des pouvoirs publics, que leurs pratiques ne viennent pas se substituer au traitement médical préconisé par un médecin.
M. Yvan Carbonnelle. - Certains inventent également des diplômes ou des décorations imaginaires, comme la personne qui anime l'Iface, qui a un nombre de diplômes et de décorations impressionnant. Certaines personnes peuvent se laisser berner par ce type d'argumentaire. Il est clair que ces gourous recherchent la respectabilité...
L'un d'eux, très connu, a autrefois réussi à donner une conférence à la Sorbonne. Il a, ainsi, ensuite pu s'en prévaloir.
Les médecins sont également très discrets lorsqu'ils ont été radiés de l'Ordre, et ne s'en vantent pas !