Audition de Mme Catherine PICARD, présidente de l'Union nationale des associations de défense des familles et de l'individu victimes de sectes (Unadfi) (mardi 30 octobre 2012)
M. Alain Milon , président . - Mes chers collègues, nous accueillons maintenant Mme Catherine Picard, présidente de l'Union nationale des associations de défense des familles et de l'individu victimes de sectes (Unadfi).
Je rappelle à l'attention de ceux qui nous rejoindraient maintenant que, conformément aux souhaits de la commission d'enquête, notre réunion d'aujourd'hui est ouverte au public et à la presse ; un compte rendu en sera publié avec le rapport ; son enregistrement vidéo sera diffusé sur le site du Sénat.
J'attire l'attention du public ici présent qui n'aurait pas assisté à la précédente audition qu'il est tenu d'assister à cette audition en silence. Toute personne qui troublerait les débats, par exemple en donnant des marques d'approbation ou d'improbation, sera exclue sur le champ.
J'en viens à l'audition de Mme Catherine Picard.
C'est à un double titre que l'expérience de Mme Picard est très importante pour notre commission.
Tout d'abord, en tant que députée, Mme Picard a participé à la commission d'enquête de l'Assemblée nationale de 1999 sur « les sectes et l'argent ». Elle a présidé le Groupe d'études sur les sectes à l'Assemblée nationale jusqu'en 2002. Elle est enfin à l'origine, avec notre ancien collègue Nicolas About, de la loi du 12 juin 2001 dite loi « About-Picard » qui réprime l'« abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de la situation de faiblesse ».
Depuis 2004, Mme Picard met cette expérience au profit de l'Unadfi, qui a pour objets l'information sur le phénomène sectaire ainsi que l'aide aux victimes et à leurs familles.
Mes chers collègues, je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander à Mme Picard de prêter serment.
Je rappelle pour la forme qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.
Madame Catherine Picard, veuillez prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».
Mme Catherine Picard . - Je le jure.
M. Alain Milon , président . - Madame la présidente, à la suite de votre présentation introductive, mon collègue Jacques Mézard, rapporteur de la commission d'enquête, vous posera un certain nombre de questions puis les membres de la commission d'enquête vous solliciteront à leur tour.
Madame la présidente, vous avez la parole...
Mme Catherine Picard, présidente de l'Unadfi . - Merci.
Je scinderai mon propos en trois grandes parties pour vous faire part de notre expertise sur l'influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé. J'ai choisi d'axer mon intervention sur la façon de travailler de l'Unadfi pour mettre en relation ce qui relève des caractères sectaires convenus par les différentes assemblées en leur temps et ces pratiques que l'on a toujours du mal à caractériser, voire à définir.
L'Unadfi est une association loi de 1901, créée en 1982, reconnue d'utilité publique en 1996. Elle est membre associé de l'Union nationale des associations familiales (Unaf) depuis 1989, agréée par le ministère de l'éducation nationale et par celui de la jeunesse et des sports, membre du Comité d'orientation de la Miviludes et de manière plus mineure, du groupe d'appui technique (GAT) au ministère de la santé.
La première Adfi a été créée en 1974 à Rennes. Aujourd'hui, I'Unadfi regroupe et coordonne vingt-neuf associations et dix-huit antennes sur l'ensemble du territoire métropolitain et outre-mer.
Le conseil d'administration m'a fait l'honneur de me nommer présidente en 2004, dans la perspective de me permettre d'avancer sur le travail entrepris à l'Assemblée nationale.
L'objet de I'Unadfi est le soutien aux personnes victimes de pratiques abusives, exercées par des organisations à caractère sectaire qui entraînent l'altération de l'intégrité physique, psychologique et sociale de la personne et portent atteinte aux droits de l'homme, à la dignité humaine et aux libertés individuelles.
L'Unadfi accueille, accompagne et aide à la réinsertion des victimes et reçoit aussi les familles pour les informer. Elle peut se porter partie civile comme le lui permet son statut d'association reconnue d'utilité publique.
Son objet comporte aussi l'étude des principes et méthodes des organisations à caractère sectaire, l'information, la sensibilisation auprès d'un large public et la prévention.
A ces fins, le service de documentation, composé de quatre salariés, collecte, traite et diffuse une information très spécialisée en France et dans le reste du monde. Cette information est assez prisée puisque l'Unadfi est à ce jour une des seules structures sur le territoire européen à disposer d'une telle documentation et d'un tel centre.
Une revue trimestrielle, le bulletin de liaison et d'étude des sectes (Bulles), offre des textes de fond et des témoignages et diffuse l'essentiel de l'actualité nationale et internationale sur le phénomène sectaire.
L'intervention de I'Unadfi dans le domaine de la santé n'est pas une nouveauté. Les approches de la maladie, du soin et de la guérison font partie des thèmes dominant les discours et la pratique de groupes à caractère sectaire et des mouvements guérisseurs depuis que l'on s'intéresse à ce phénomène.
L'attrait pour ces techniques, non éprouvées pour la plupart d'entre elles, est devenu un véritable phénomène de mode, conforté par celui des pratiques « New Age » reposant sur une conception « holistique », où tout est dans tout, hors de tout cadre, de tout système de références, ce qui permet d'entretenir toutes les confusions.
L'exploitation des peurs entretenues sur la médecine, le médicament, l'alimentation et les aléas climatiques contribue à ce climat de crainte qui pousse à trouver « autre chose », tant pour se soigner que pour se réconforter, au mépris des conséquences encourues et du respect des différentes législations et réglementations, comme le combat anti-vaccination pour les mineurs.
Ces pratiques sont présentées comme alternatives à celles de la médecine « scientifique », comme une rupture avec les soins traditionnels, une autre voie possible à la guérison, une nouvelle forme pour traiter le « mal ».
Ce « mal », ces maladies qui affectent l'homme tant physiquement que psychiquement, sont présentées comme les conséquences de tous les dérèglements que connaît la société - écologiques, économiques et sociaux. C'est pourquoi les remèdes pour pallier cet état de fait sont aussi foisonnants que divers et les adhésions aux mouvements qui les vendent de plus en plus nombreuses. On ne saurait ignorer la part de marché que représente ce secteur d'activité : vente de produits, de stages et cours de formation, de cures de purification...
Les maîtres à penser de ces « nouvelles » techniques, charlatans en puissance, s'enrichissent tout en jouant les apprentis sorciers avec la santé et parfois la vie d'autrui.
On pourrait juger paradoxal l'attrait de nos contemporains pour les soins qualifiés par les uns d'« alternatifs » et par d'autres de « parallèles » ou de « complémentaires » alors que la médecine ne cesse de réaliser des progrès.
Il est vrai que la notion de santé a beaucoup évolué au cours de ces dernières années. Cette évolution donne une place de plus en plus importante aux prestations visant au développement de la personne, de son bien-être, de son épanouissement.
La « bonne santé » n'est plus seulement déterminée par l'absence de maladie mais plutôt par « un état total de bien-être physique, social et mental de la personne ». Il ne s'agit plus uniquement de guérir les maladies mais aussi de les empêcher de survenir.
Des groupes ou individus dont la motivation est souvent purement mercantile s'appliquent à exercer leur emprise sur un public particulièrement vulnérable. Leur discours, souvent habillé d'un vocabulaire pseudo-scientifique, s'adresse certes en priorité aux personnes souffrant de maladies graves mais aussi à tous ceux qui voudraient tout simplement être mieux dans leur peau et obtenir plus de performances dans leur vie.
Afin de s'octroyer l'espace nécessaire à leur activité et à leur pouvoir, ces charlatans contestent à la médecine le monopole de la santé pour proposer des pratiques alimentées par des critères tout autres que la valeur scientifique et l'efficacité.
Les victimes sont celles de mouvements sectaires connus mais aussi celles de guérisseurs, d'escrocs, de charlatans et parfois de médecins et de personnels du monde paramédical pratiquant ces soins dits « alternatifs » ou « parallèles », voire « d'accompagnement », qu'il s'agisse de maux de nature somatique ou psychologique. La médecine d'accompagnement, éprouvée ou non, est confrontée à une recrudescence de ce type de pratiques dans l'hôpital public, pratiques qui ne sont pas toujours assez encadrées.
Confronté à des sujets tels que la souffrance, la peur de la mort ou l'inquiétude pour un proche, l'individu porte des interrogations pour lesquelles la science médicale admet de façon provisoire ses limites et n'a pas forcement de réponse immédiate. Influencé par sa culture, ses origines sociales et son rapport à la spiritualité, il développe sa propre interprétation des événements douloureux qui surviennent dans son existence.
C'est dans le nombre infini de ces interprétations et dans la vulnérabilité de la personne objet de soin que les escrocs de la santé puisent leurs ressources. Ne s'embarrassant ni de loyauté, ni d'éthique, ni de respect de la personne humaine, ils rentrent dans une logique économique de la loi de l'offre et de la demande et multiplient les prestations, constituant des réseaux de pseudo-praticiens qui entraînent le patient dans un parcours sans fin, cobaye des pratiques les plus aléatoires pour sa santé physique ou psychique.
Le propos n'est pas ici de remettre en question la liberté de croire en telle ou telle théorie ou de pratiquer telle ou telle méthode thérapeutique. Il est plutôt de faire appel à l'esprit critique de celles et ceux qui hésiteraient à utiliser l'une d'elles, ne serait-ce que par le questionnement. Peut-on guérir d'une leucémie uniquement par un travail psychologique ? Peut-on échapper réellement à la maladie en se nourrissant uniquement d'air et de lumière ? Peut-on vaincre une sclérose en plaques par une « déprogrammation biologique » ou par la simple imposition des mains ? Peut-on sérieusement « reprogrammer l'ADN » ? Le cancer se soigne-t-il exclusivement au jus de gui ou de citron ?
A considérer la publicité qui lui est faite, ce marché du soin et du bien-être semble pourtant afficher une remarquable santé. Si l'on ne peut contester que certaines soient anodines, les médecines « parallèles » deviennent dangereuses si elles prétendent être une alternative exclusive à la médecine éprouvée scientifiquement et se substituer à elle dans les cas d'affections graves comme le cancer, le Sida, l'anorexie, la leucémie, la dépression.
Ces revendications sont d'autant plus préoccupantes si l'on estime que 30 % à 50 % de la population fait régulièrement appel à ces méthodes. Dans une perspective de prévention, il paraît plus approprié, plutôt que d'essayer de définir si une technique s'avère efficace ou pas, de considérer si la méthode utilisée représente un danger, une perte de chance pour l'individu.
II est important de préciser la méthode de travail de l'Unadfi afin de ne pas caractériser à tort telle ou telle pratique ou méthode et d'expliquer pourquoi la santé est présente dans le dossier sectaire.
La méthode repose sur trois points : l'observation, le tri et le classement et l'application des critères qui fondent un mouvement à caractère sectaire.
La recherche quotidienne de documents constitue, avec les témoignages des victimes que nous recevons, des ressources extrêmement riches, des éléments d'observation qui nous permettent l'étude approfondie de ces organisations et de l'évolution du phénomène sectaire dans le domaine de la santé.
Devant la multitude d'informations disponibles, l'Unadfi établit une veille sur les groupes et sur les méthodes qui présenteraient un danger à caractère sectaire, dès lors :
- qu'elle a reçu plusieurs signalements et a régulièrement été interrogée sur une technique ou une méthode ;
- qu'elle observe qu'il est clairement question de soins ou de guérison dans la publicité faite par certains mouvements ;
- qu'elle a eu connaissance de décès, en France ou à l'étranger liés à la pratique ;
- qu'elle a noté qu'un ou plusieurs praticiens se sont rendus coupables d'exercice illégal de la médecine ou de la pharmacie ;
- qu'elle a noté que le principe de la méthode ou son praticien encourage l'interruption du traitement allopathique en cours, entraînant une perte de chance ;
- qu'elle a constaté que la méthode est déviée de son application première ;
- qu'elle a pris en compte le scepticisme de la communauté scientifique et doute sur la méthode ;
- qu'elle a pris en compte des articles de presse la mettant en cause.
A la suite de ces informations, nous avons différencié les cas de figure et opéré un classement.
Les pratiques et méthodes « déviantes » qui sont directement liées à un groupe sectaire ou à une mouvance sectaire réparties en cinq grandes familles :
- les pratiques utilisées par les groupes à caractère sectaire imposées par leur dogme, comme l'interdiction de transfusion, de vaccination ;
- les méthodes de rééquilibrage des énergies inspirées par les croyances orientales et occidentalisées, comme le respirianisme, la méditation, etc. ;
- les pseudo-thérapies et les méthodes psychologisantes où toutes les maladies sans exception trouvent une explication dans l'analyse psychologique, voire généalogique ;
- les méthodes psychocorporelles par manipulation et imposition des mains ;
- les méthodes issues des courants hygiéniste, bio, retour au naturel, dont la radicalisation peut générer des dérives ;
- les méthodes psychospirituelles, dans lesquelles une intervention divine ou une force irrationnelle entrerait dans le processus de guérison avec imposition des mains, méditation, prières.
Certaines méthodes n'entrent dans aucune catégorie, soit parce que leur fantaisie, loin de révéler leur efficacité, ne renseigne que sur le côté créatif de son inventeur, soit parce qu'elles sont d'une telle complexité qu'elles peuvent entrer dans la plupart des familles que je viens de citer.
Il existe également des cas de dérives sectaires pour lesquelles les méthodes utilisées ne sont pas à proprement parler déviantes mais qui le deviennent lorsqu'elles sont pratiquées par des personnes malveillantes et peu scrupuleuses ou lorsqu'elles sont détournées de leur application première.
Nous dénombrerons trois familles pour ce cas de figure :
- les pseudo-thérapeutes et thérapeutes autoproclamés ;
- les pratiques de développement personnel ou de bien-être auxquelles on prête des vertus thérapeutiques, soins et guérison ;
- la préconisation de produits naturels, organiques ou chimiques auxquels on prête des vertus thérapeutiques mais qui n'ont jamais fait l'objet d'un protocole de recherche et dont l'efficacité n'a jamais été démontrée. On y trouve aussi les produits stupéfiants tels l'iboga et l'ayahuasca, censés résoudre la dépendance alcoolique et toxicomaniaque ;
- le coaching de santé sous toutes ses formes mais de manière moindre.
Dans ces deux premiers points, les pratiques ont en commun :
- le rejet de la science ou de la médecine et une rhétorique quasi paranoïaque vis-à-vis de la sphère scientifique, officielle, allopathe, immanquablement « complotiste » ;
- une tradition basée sur l'héritage d'un seul maître, qui implique parfois un culte passéiste ;
- un naturalisme exposé sous forme de retour vers la nature, forcément plus sain, plus proche des « origines » ;
- un jargon consacré, fait de termes scientifiques parfois dévoyés, parfois mal compris et de termes exotiques empruntés aux philosophies orientales ;
- un système de formation très rapide, onéreux et auto-prescriptif ;
- un recours à des notions simples et intuitives, relevant souvent de la pensée magique.
Mais elles ont surtout de commun qu'elles sont le fruit de créations spontanées d'un praticien inspiré, inconnues de la communauté scientifique. Celui-ci va se former à une et le plus souvent à plusieurs méthodes afin de créer la sienne. C'est ainsi que son curriculum évolue très vite.
Il existe enfin des professionnels de santé diplômés imbus de pouvoir qui mettent leurs patients sous emprise, les coupent de leur environnement, leur demandent des sommes exorbitantes, se rendant coupables d'un comportement sectaire.
Pour ce dernier cas de figure, l'Unadfi n'est que l'intermédiaire entre les plaignants et les conseils de l'ordre concernés.
Pour les professions qui ne sont pas représentées par un Conseil de l'ordre, nous pouvons assister la personne à des fins juridiques.
Les méthodes ainsi pointées sont aussi qualifiées de pratiques à risque sectaire dès lors qu'elles répondent à plusieurs des critères d'identification établis dans le cadre de commissions d'enquête parlementaire dédiées au phénomène sectaire (1995, 1999, 2006) et des études consacrées à ce thème.
Le diagnostic de dérive sectaire ne peut émerger que d'une conjonction significative de ces différents facteurs. Nous retenons pour critère ceux publiés dans La dérive sectaire , édité aux Presses universitaires de France (PUF) par Anne Fournier et Michel Monroy, psychiatre.
Nous pouvons les adapter aux groupes ou individus qui dirigent un mouvement ou prônent de telles doctrines par le développement d'une idéologie alternative radicale, exclusive et intolérante.
Nous avons appliqué ces critères à la Scientologie et à son « Comité de défense de la psychiatrie » qui propose une alternative à la psychiatrie excluant tous ses fondements. Pour asseoir ses théories, elle utilise toutes les failles du système existant.
Autre exemple : la structure autoritaire et autocratique, sous la responsabilité d'un gourou vivant ou d'une organisation héritière d'un message, comme la Nouvelle médecine germanique du docteur Hamer et son réseau, qui constitue une organisation héritière d'un message avec le décodage biologique, le décodage biopsychogénéalogique, la cyclologie, la bioanalogie, la métakinébiologie, à la base de ses travaux et issue du même fondateur.
Au-delà de ces dix critères, on peut aussi retenir le critère de la nocivité ou de l'extrême dangerosité par la conjonction de trois caractéristiques : la manipulation mentale, une triple destruction : celle de la personne, celle de la famille et celle de la société, avec à la base une triple escroquerie.
La première consiste en une escroquerie intellectuelle : l'adepte est littéralement trompé sur la qualité de la marchandise qu'il venait chercher. Dans le domaine de la santé, c'est très fréquent. Il y a vulnérabilité, recherche d'une solution et proposition malfaisante répondant à une demande légitime. Le message séducteur de la secte se révèle réducteur et destructeur. La seconde escroquerie est morale : si elle n'est pas générale dans toutes les sectes, de nombreux adeptes ont été ou sont victimes d'abus en tous genres. Enfin, la dernière escroquerie est financière : par leurs manoeuvres frauduleuses, les sectes parviennent à constituer de véritables empires financiers.
J'en arrive à ma conclusion. Comme vous l'aurez remarqué au fil des auditions, le sujet est vaste et complexe ; il génère des questions, des remises en question quant à l'offre de soins mais aussi quant à la fragilité de certaines personnes abusées par des propositions charlatanesques.
Le contexte politique et social est porteur pour ces promesses illusoires et magiques. Là où la puissance publique recule ou s'absente, il y a une béance naturelle pour l'installation de tous mouvements portés par l'exercice fou du pouvoir et de la manipulation.
L'acte de prévention ne suffit pas à les repousser. L'action conjointe des pouvoirs publics et des acteurs de santé peut seule résoudre ce phénomène de société qui nuit gravement à l'intégrité physique et morale de nos concitoyens.
Pour compléter ce propos, I'Unadfi remettra sous quinzaine à la commission d'enquête un document complet présentant un descriptif de deux cents cas.
M. Alain Milon , président . - La parole est au rapporteur...
M. Jacques Mézard , rapporteur . - Merci pour la clarté de votre exposé.
Votre association a un rôle de prévention. Comment favoriser son action ? L'Unadfi a par ailleurs un rôle d'aide aux victimes. Comment est-elle saisie ? Que fait-elle lorsqu'une famille la saisit de ses difficultés ? Quels sont ses moyens d'action ?
Pouvez-vous nous décrire les cas les plus révélateurs des dangers de ces dérives pour la santé physique, voire mentale, de nos concitoyens ? Que faites-vous pour venir en aide aux victimes et les « réinsérer » dans la société - lorsqu'elles sont encore de ce monde ?
Mme Catherine Picard . - Depuis 1995, il existe dans les différents ministères une continuité du travail sur la question sectaire. On s'est occupé des enfants, ce qui est une préoccupation majeure pour leur devenir et leur insertion dans la vie. On s'est également occupé du patrimoine des mouvements sectaires. Aujourd'hui, la difficulté que nous rencontrons provient de la parcellisation de ces pratiques.
Les grands mouvements ont fort bien compris que l'air du temps n'était plus à l'adhésion spontanée et massive. Chacun d'entre eux s'est donc créé des parts de marché dans le domaine de la santé mais aussi de la formation ou du bien-être. Ces propositions reposent sur une multitude d'associations qui ont, comme l'a démontré la Miviludes dans son rapport de 2011, un lien entre elles et permettent de travailler sur l'individu, de faire ressortir des besoins réels ou imaginaires, de fidéliser les personnes et de les présenter à d'autres individus qui leur feront eux-mêmes miroiter les bienfaits d'une autre technique.
Ainsi, une jeune femme de trente-cinq ans, mère de trois enfants, avec un bon niveau d'étude, totalement insérée, dont le mari est chef d'entreprise, se sentant fatiguée, consulte un psychothérapeute choisi dans les pages jaunes de l'annuaire. Très vite la thérapie familiale se transforme en une thérapie individuelle et le mari est chassé de cette thérapie. On comprend très vite pourquoi : le pseudo-thérapeute prend une totale emprise sur la jeune femme et lui fait miroiter des dons particuliers de magnétiseuse lui permettant de s'occuper d'enfants spéciaux appelés les enfants « indigo », etc.
Très vite, la rupture s'opère au sein de la famille. Ne se serait-elle pas réalisée sans cette histoire ? Ce n'est pas notre propos d'en juger mais l'emprise exercée, la proposition massive de formations, de stages, le transfert de cette personne du thérapeute à un autre kinésiologue, qui l'envoie à une troisième personne s'occupant d'enfants indigo fait que l'espace mental et temporel de cette jeune femme devient exclusivement consacré à une recherche sans fin de ces techniques, avec l'idée qu'elle va devenir elle-même, après toutes ces formations onéreuses, une praticienne de la kinésiologie ou du suivi des enfants indigo. C'est en cela qu'il existe pour nous une difficulté : le champ s'est totalement ouvert à de multiples petits organismes qui font des propositions de formation, à tel point que les organismes paritaires collecteurs agréés (Opca) ont créé des comités d'éthique - fonds de gestion du congé individuel de formation (Fongecif), fonds d'assurance formation de la branche sanitaire, sociale et médico-sociale à but non lucratif (Unifaf) - afin de pouvoir sélectionner ce qui relève réellement d'une offre de formation professionnelle ou d'une offre sur laquelle on peut émettre des doutes. Toute la difficulté est de pouvoir évacuer telle ou telle technique en l'expliquant et en la motivant.
En matière de prévention, il s'agit donc d'une sorte de course-poursuite. C'est pourquoi je me suis arrêtée au cadre général, qui permet de restituer l'air du temps. Les techniques « New Age » sont totalement à la mode et, en soi, ne sont pas répréhensibles mais sont très souvent porteuses de messages qui amènent à des ruptures, à un enfermement et parfois à l'arrêt de soins.
La prévention est relativement suivie par les pouvoirs publics depuis 1995. De changement de majorité en changement de majorité, je crois que nous n'avons pas trop perdu. Cependant, une forme de politique de déréglementation, l'accès à l'automédication, l'achat de médicaments sur Internet, la non-réglementation de certaines professions font qu'il existe toujours des secteurs qui permettent l'installation de ces pseudo-gourous.
La difficulté est grande en matière de prévention ; nous ne pouvons pas avoir un listing complet de toutes les structures nouvelles ni de celles qui sont ensuite totalement marginalisées.
S'agissant de l'aide aux victimes, les associations de défense des familles et des individus (Adfi) sont souvent confrontées à trois types de personnes. Il y a celles qui ont pris des contacts avec un groupe de soutien sur l'alcoolisme ou avec une psychothérapeute qui travaille sur l'anorexie et qui, très vite, s'aperçoivent qu'il existe une relation peu saine ou qui n'est pas telle qu'ils l'imaginaient. Ces personnes-là arrêtent assez rapidement, considèrent qu'elles ont été l'objet d'une escroquerie, passent leur chemin et se reconstruisent, étant certainement moins vulnérables ou fragilisées que d'autres.
Le second type de victimes sont celles qui ont pratiqué certaines techniques - comme le reiki - et qui pensent que l'imposition des mains a ses limites. Elles veulent témoigner et dire leur expérience. Elles ne demandent pas plus et apportent un témoignage que nous souhaitons écrit et non anonyme. Parmi les deux cents cas qui vous seront communiqués, il existe une traçabilité des témoins.
L'intégrité physique et psychique de certaines personnes a été touchée ; elles sont encore assez proches des croyances auxquelles elles ont adhéré et arrivent mal à faire le distinguo entre ce qui les a gênées et ce à quoi elles ont cru. Il s'agit plutôt de dérives qui interviennent face à une forte demande de nature spirituelle et philosophique. Lorsqu'on en arrive à des viols - dont certains sur mineurs - il y a tout un travail de reconstruction très important à réaliser pour permettre à la victime de sortir de ses contradictions.
Ces victimes, très souvent, ne peuvent obtenir réparation, les délais de prescription étant dépassés. Je ne suis pas de ceux qui pensent qu'il faut revoir les délais de prescription. Toute l'économie des codes divers en serait en effet altérée. Ce n'est pas la meilleure solution pour régler le problème. Ces victimes ont cependant besoin d'un accompagnement et d'une reconstruction qui les aide à trier ce qui a été positif dans cet engagement et ce qui leur a nui gravement.
Le quatrième cas est malheureusement celui des victimes pour lesquelles l'Unadfi est partie civile. Il s'agit souvent de la famille, les personnes elles-mêmes étant décédées. C'est le cas de cet enfant de seize mois, mort de faim à la suite d'un régime végétalien, qui pesait quatre kilos et dont les parents étaient professeurs de kinésiologie.
Je ne fais pas ici le lien entre végétalisme et kinésiologie mais je relève simplement que ces gens étaient professeurs de kinésiologie et pratiquaient - comme beaucoup de ces nouveaux pseudo-praticiens - des régimes très stricts, souvent très carencés. Cette conception du cadre de vie et de l'éducation, pour nous, constitue une perte de chances pour ceux qui la subissent, particulièrement les mineurs. On ne peut penser que le refus de la transfusion sanguine soit un gain pour un individu, sachant que les structures qui la pratiquent se gardent bien de préciser les risques potentiels et retirent souvent les personnes des établissements publics pour les emmener soit dans d'autres pays, soit dans des établissements plus complaisants qui vont les aider à mourir d'une leucémie sans jamais être transfusées !
Cette aide aux victimes est donc extrêmement diverse...
Quant aux moyens d'action, si l'Unadfi a pris le parti d'expliquer en quoi la santé est très importante dans les organisations à caractère sectaire, c'est que les moyens d'action sont assez limités dans les faits. L'accueil de la victime est important et impose un suivi professionnel afin de redonner à une victime son sens critique et surtout son autonomie de choix - ester en justice, contacter un psychologue... Nous sommes très prudents dans ce dernier cas, les expériences passées n'encourageant pas toujours les personnes à aller en ce sens. Nous nous gardons bien de conseiller qui que ce soit, sauf quelques spécialistes que vous rencontrerez certainement, qui sont des aides précieuses.
En cas de lien direct avec un charlatan ou un médecin dont on pense qu'il exerce illégalement la médecine, l'Unadfi, faisant partie d'un grand nombre de groupes de travail regroupant les pouvoirs publics, peut comme tout citoyen saisir le procureur de la République. Concernant plus particulièrement les mineurs, les Adfi font des signalements directs auprès du procureur de la République ou se rapprochent du conseiller de l'Ordre des médecins quand il y en a un et qu'il est instruit du phénomène sectaire. Beaucoup de progrès sont enregistrés, particulièrement avec les kinésithérapeutes, qui ont très vite compris le danger de la fasciathérapie ou de la kinésiologie, pratiquées parfois par les leurs mais dans un cadre où l'on peut penser que le niveau d'études n'est pas réduit à une centaine d'heures bradées dans un institut fantaisiste autoproclamé !
Nos moyens d'actions sont limités à la capacité d'action d'une association. Les relais sont les relais publics classiques.
Dans le domaine de la santé, la réinsertion est peut-être le sujet le moins prégnant. Un groupe de travail a été mis en place en juin, à l'initiative de la mission interministérielle. Nous sommes convenus que ce qui existait suffisait à notre activité.
Par exemple, un jeune homme sortant à dix-huit ans d'une communauté sectaire du Sud de la France, totalement analphabète mais ayant quelques compétences dans le montage de panneaux solaires, fuyant ce mouvement et essayant de prendre son autonomie, s'est présenté à la mission locale d'Aubagne. L'association a été contactée et a accompagné la mission locale pour tenter une explication et faire en sorte que la lumière se fasse dans ce cas spécifique, la victime sectaire étant une personne relativement spécifique qui va mettre un temps très long avant d'avoir une réaction lui permettant de rompre avec son ancienne existence - si tant est qu'elle rompe définitivement.
Une jeune fille ayant vécu au château de Montramet - siège de l'instinctothérapie, dont le dirigeant a été condamné et a purgé une peine de prison - nous a indiqué, le mouvement étant alors presque éteint, qu'elle avait durant quinze ans su que des actes de pédophilie s'exerçaient dans ce château - ce pour quoi le dirigeant a été condamné. Sans en avoir été témoin, elle était totalement démunie parce qu'elle ne savait comment se procurer, si elle sortait de la communauté, les fruits et les légumes exploités de l'autre côté de la terre, dans le « climat énergétique, tellurique et ascensionné », qui donnait à ces aliments l'énergie nécessaire à sa subsistance.
C'est en cela que la victime est très paradoxale : elle peut rompre avec certaines pratiques mais a parfois des difficultés à rompre avec un parcours ayant duré un certain temps.
M. Jacques Mézard , rapporteur . - Ces dernières années, Internet a favorisé le développement de ces dérives. Je pense à un site dénommé « Le cancer », destiné à créer la confusion avec le site « e.cancer » de l'Institut national du cancer (Inca).
Que pensez-vous qu'il serait bon de faire pour améliorer la situation ? Vous connaissez et partagez notre attachement à la liberté d'expression : cela pose aujourd'hui un réel problème car il s'agit d'un moyen privilégié pour faire en sorte que des victimes potentielles deviennent de vraies victimes.
Mme Catherine Picard . - L'outil Internet est formidable mais son utilisation peut en effet être détournée. Dans le cadre de la dérive sectaire - et particulièrement en matière de santé - c'est une force de propositions. La parcellisation des groupes et des petites associations donne déjà à tout-va ; les propositions directes sur Internet confèrent à celui qui l'utilise le sentiment de trouver la bonne information sans avoir besoin de la vérifier, toutes informations étant classées en arborescence ce qui permet d'y accéder très vite.
Les mouvements sectaires s'en servent de manière directe grâce à des pages de publicité proposant la dianétique ou les produits relatifs à la médecine quantique, qui est une nouveauté, ainsi que toutes sortes de stages et de formations. L'accès est ouvert à tout le monde.
Les mouvements sectaires utilisent également Internet à travers les forums. Aujourd'hui, des consignes sont données, nous le savons grâce à d'anciens dirigeants et au suivi très attentif que nous pratiquons par une veille quotidienne. Certains dirigeants demandent à leur cercle le plus proche d'encombrer tous les forums dès qu'apparaît la moindre objection à telle technique ou tel produit. Il n'y a plus de ce fait d'autorisation à pouvoir douter ; très vite, on voit s'abattre sur les forums le témoignage d'Untel qui a pratiqué telle technique et qui en est très content, d'Untel qui est allé en Belgique, d'un dernier autre qui est allé en Suisse. D'autres indications sont données sur d'autres techniques et la notion de réseau reprend sous cette forme.
Les mouvements sectaires se servent d'Internet comme d'un moyen coercitif : le rappel à l'ordre de ceux qui, dans un groupe, voudraient s'éloigner de la pratique, se fait par la mise en place de peurs, d'un sentiment de culpabilité et surtout de déloyauté par rapport au mouvement. La pression est généralement telle que la personne peut très vite rentrer dans le rang et mettre en doute son propre raisonnement et sa propre aptitude à déceler ce qui va et ce qui ne va pas. Internet joue aussi un rôle dans l'envoi des messages et des propositions, grâce à sa capacité à rassembler des groupes pour une séance de remise en forme de la pensée.
Les propositions de produits rejoignent l'aspect mercantile : un grand nombre de mouvements ont mis en place de mini-industries qui fabriquent des produits ou possèdent des maisons d'édition. On retrouve cette marchandise sur Internet et dans tous les salons du bien-être, qui ne sont pas composés uniquement de gens malveillants à caractère sectaire mais où l'on peut faire des courses très intéressantes...
Bugarach est un village isolé et difficile d'accès qui compte deux cents habitants. On trouve dans les villes voisines les plus proches tout un réseau parallèle, avec des librairies qui, par l'intermédiaire d'Internet, font la promotion d'un certain nombre d'articles. Les lieux sont souvent dissociés des activités. C'est là qu'Internet joue tout son rôle d'appel...
On a compté, rien qu'aux Etats-Unis, trois millions de connexions Internet autour de l'Apocalypse. Ce n'est pas forcément un critère mais l'on voit bien que le sujet agite également un peu la France en cette fin d'automne...
Je ne sais ce qu'il faut faire, monsieur le rapporteur, dans la mesure où Internet demeure Internet, qu'il s'agisse de sectes, de pédophilie, etc. L'appel à la raison n'est pas une réponse - cela se saurait ! Il faut faire de la prévention auprès des jeunes qui se connectent à certains sites sur les anges ou les extraterrestres - ce qui me semble sain à un certain âge : des bandeaux publicitaires achetés par certains mouvements sectaires attirent en effet les internautes à visiter leur site. On est là dans le domaine de l'éducation. Pour ce qui est des adultes, je n'ai malheureusement pas de réponse performante...
M. Jacques Mézard , rapporteur . - Quand la date de l'Apocalypse sera passée, le problème ne sera pas réglé pour autant...
Mme Catherine Picard . - Il faut toujours faire un pari pascalien !
M. Jacques Mézard , rapporteur . - Vous avez parlé de médecine quantique. Pouvez-vous nous donner quelques indications sur les pratiques qui vous semblent les plus dangereuses pour la santé ?
Mme Catherine Picard . - Toutes les pratiques qui font référence à une pensée magique me paraissent être dans ce cas. Elles entraînent rapidement les personnes dans un imaginaire coupé de la réalité. Il en va de même de toutes les pratiques centrées sur les énergies. On peut y croire ou non - ce n'est pas mon propos - mais les différents cas nous enseignent que ces outils, placés dans les mains de personnes mal intentionnées, peuvent déraper très rapidement. On a vu nombre de séances de circulation d'énergie tourner à l'abus sexuel.
Toutes ces pratiques ne reposent sur aucun cadre déontologique, sur aucun protocole, sur aucune méthodologie. On ne fixe pas de terme dans le temps, ni de prix d'ailleurs. On ne fixe rien, tout étant dans tout et devant s'arranger au fur et à mesure.
Les pratiques qui font absorber des produits dont on ne connaît pas la composition sont également suspectes. Les « fioles d'eau croupie », comme nous le disons de façon caustique - eau sucrée, eau contenant de l'huile - ne devraient pas porter atteinte à la santé des personnes, si ce n'est du fait des conditions d'hygiène dans lesquelles elles ont été fabriquées, mais certains produits contiennent de la silice ou des ingrédients dont on ne maîtrise absolument pas les répercussions sur la santé.
Bien entendu, lorsqu'on commence à mettre ces produits en cause, les officines ferment et vont s'installer en Suisse, en Italie, assez peu en Allemagne ou en Belgique. Très souvent les Belges ont les produits et nous avons les médecins, comme dans le sport -ou l'inverse. Après dissolution, l'entreprise part s'installer dans un pays plus accueillant où les réglementations existent mais où la conception de la notion d'emprise et du caractère de vulnérabilité des victimes potentielles n'est pas prise en compte comme dans notre pays. C'est d'ailleurs bien ce qu'on nous reproche. Tout n'est pas forcément dangereux mais nous nous devons néanmoins de réaliser un acte préventif. A part la Belgique, qui a également connu nombre de décès par cancer suite à des pratiques fantaisistes, très peu de pays européens sont aussi avancés que la France dans la réflexion générale sur le phénomène sectaire dans le domaine de la santé.
D'autres techniques, comme la purification, recourent à des cures de sudation en sauna qui, chez les adeptes de la Scientologie, peuvent durer cinq heures, avec absorption de vitamines. La condamnation en appel pour exercice illégal de la pharmacie ayant été prononcée, il n'y a pas de doute à ce sujet. Certaines pratiques poussent les personnes dans leurs dernières extrémités, sans aucun contrôle médical préalable. Si tel était le cas, on ne rencontrerait pas de tels agissements !
La purification peut également se dérouler dans des yourtes. Certaines techniques concernent la grossesse et les différents modes d'accouchement. Nous sommes extrêmement prudents, chaque femme ayant le choix d'accoucher où elle veut. Il existe cependant des praticiennes appelées « doulas » qui s'installent dans une famille au motif qu'elles ont une expérience personnelle. Or, celle-ci n'est pas forcément applicable à toutes les autres mères. Nous rapprochons ce phénomène de celui d'une forme d'emprise. Grâce à leur aide, à leurs conseils, à leur accompagnement, ces « doulas » prennent peu à peu une place si importante dans la famille que la femme enceinte, vulnérable au sens pénal du terme, n'a plus la capacité de choisir elle-même les soins qu'elle veut ou son mode d'accouchement, la « doula » étant la personne sachante qui dirige tout ! Des décès de bébés ont ainsi été déplorés à Montpellier, suite à des accouchements pratiqués par ces personnes.
Il existe également une réglementation pour les massages. Le Conseil d'Etat a établi un arrêt très clair à la suite de la demande de l'Ordre des kinésithérapeutes. Beaucoup de « praticiens » se lancent dans le massage des crânes de bébés et les massages de bébés en tous genres, sans aucune légitimité ni formation. Tout cela se fait par le biais d'associations qui attirent les futures mamans en revendiquant une vie plus naturelle. Je ne sais plus comment qualifier ce genre de propositions, tant elles sont en elles-mêmes peu significatives : « Venez chez nous, nous nous réunissons entre mamans ; nous allons vous proposer quelque chose de naturel », sous-entendant que la médecine conventionnelle et les thérapies classiques sont négatives. « Vous êtes victime du médicament, des médecins. Il existe d'autres propositions qui entrent dans le cadre de notre philosophie de la vie. Nous pouvons vous les proposer ». Dès lors, l'enchaînement est le même que celui précédemment cité.
M. Jacques Mézard , rapporteur . - Vous faites l'objet d'un certain nombre d'attaques. Quelles réactions vous inspirent-elles ?
Mme Catherine Picard . - Le nerf de la guerre étant l'argent, les grandes organisations, dont le chiffre d'affaires se monte à plusieurs milliards d'euros, ont depuis longtemps compris que les procédures judiciaires sont ce qui nous coûte le plus cher et peut, à terme, altérer le fonctionnent de l'association. Par ailleurs, je tiens à dire qu'en cinq ans, l'Unadfi a perdu 300 000 euros de subventions et a été obligée de licencier, ce qui altère sa capacité à réagir et à être inventive - mais c'est un autre débat.
Ces attaques revêtent aujourd'hui différentes formes, comme des procédures en diffamation contre des écrits figurant sur le site ou contre des témoignages paraissant dans la revue ou des demandes de droits de réponse, que nous ne pouvons refuser. J'ai déjà tenté l'opération : cela ne fonctionne pas. C'est une très bonne chose qu'on ne puisse détourner la loi mais si notre revue commence à publier plus de droits de réponse que d'articles, cela pose le problème de sa pertinence. Elle est très ciblée, parle des mouvements à caractère sectaire, publie des témoignages de gens qui acceptent courageusement de rendre compte d'une expérience souvent douloureuse. Pour le reste, il n'y a pas d'attaques autres que cette forme d'intimidation, qui passe par un affaiblissement budgétaire.
M. Alain Milon , président . - La parole est aux commissaires...
Mme Catherine Génisson . - Vous avez indiqué une importante pénétration de l'hôpital public. J'aimerais avoir plus d'information à ce sujet...
Par ailleurs, comment la prévention peut-elle s'exercer à un niveau plus large ?
Enfin, vous avez indiqué que la réinsertion n'était pas un sujet prégnant alors même que vous décrivez des victimes très fragiles, qui ont des difficultés à se détacher de leur situation...
Mme Catherine Picard . - Merci de me permettre de préciser mon point de vue sur la réinsertion. Je parle ici de réinsertion sociale : retour au travail, dans un logement, récupération de ses droits à sécurité sociale, etc.
Aujourd'hui, beaucoup moins d'adeptes sortent de mouvements fermés, comme dans la secte Moon où, vivant à l'étranger, ils étaient coupés des réalités françaises.
Aujourd'hui, les adeptes de la secte Moon sont pour beaucoup des adeptes de la troisième génération. Chez certains membres fondateurs d'Adfi, à Lyon, le fils, les petits-enfants et les arrières petits-enfants vivent toujours au sein du mouvement sectaire. Ces gens étaient coupés de la réalité et de leurs droits parce qu'ils étaient envoyés en Corée ou en Australie, à des fins de prosélytisme. A leur retour, le vide était total.
Le second type de réinsertion est d'ordre psychologique : la réinsertion des personnes qui, pendant cinq à six ans, ont été sous l'influence totale et le contrôle d'une personne qui a guidé leur choix de vie, leur sexualité, leur alimentation, leurs soins, ne peut être confiée qu'à des professionnels. Encore faut-il que la personne le désire et en exprime le souhait. Pousser vers cette solution ne relève pas de la responsabilité d'une association si la personne ne le conçoit pas. C'est un travail très délicat qui n'est pas toujours pertinent. Très souvent, l'encadrement de bénévoles, la remise à plat du vocabulaire et d'un certain nombre de réalités suffisent et permettent d'aider ces personnes, qui s'intègrent peu à peu. Autant de victimes, autant de situations particulières.
Il est toujours possible pour les associations de bénéficier d'un relais local. Les conseils généraux et les conseils municipaux sont très présents, tout comme dans la vie quotidienne. L'accompagnement est toutefois nécessaire parce qu'il faut expliquer la spécificité des demandes. Toutes les victimes - femmes battues ou autres - ont des demandes spécifiques. Notre rôle est d'expliquer la spécificité sectaire.
Par ailleurs, les universités, afin de rentabiliser leur fonctionnement, ont créé un certain nombre de diplômes universitaires. Certain sont pertinents ; d'autres relèvent d'un contexte fantaisiste. L'ancien président de la Miviludes et le nouveau souhaitent que l'on revoie les contenus de ces diplômes afin d'éviter que certains mouvements n'installent des méthodes pouvant faire l'objet d'un diplôme universitaire, permettant ainsi à des individus de renforcer leur crédibilité et leur légitimité.
Quant à l'hôpital proprement dit, nous souhaitons une plus grande attention en matière d'entrisme potentiel de personnes travaillant dans l'accompagnement au regard de leurs compétences, de la déontologie et des principes laïques qui régissent l'hôpital. Certains témoignages nous indiquent que ces accompagnants n'ont pas toujours les compétences requises. Cela relève de la prévention que nous souhaitons...
Mme Muguette Dini . - Le type d'accouchement que vous évoquez est-il plus fréquent dans les milieux d'origine africaine ou concerne-t-il tout le monde ?
Mme Catherine Picard . - Je n'y ai pas réfléchi sous cet angle. Les propositions de type « New Age » - retour à la nature, au bien-être, etc. - touchent me semble-t-il davantage des catégories relativement aisées qui prennent soin d'elles-mêmes et qui sont dans un désir de réussir à donner la vie dans les meilleures conditions possibles, quitte à rechercher autre chose que la proposition classique de la clinique ou de l'hôpital public.
A ma connaissance, ce n'est pas dans le milieu africain que l'on trouve le plus d'entrisme, la notion de communauté des africaines étant d'essence familiale et culturelle.
Ce sont surtout les pratiques évangéliques déviantes qui, avec des propositions de guérison totalement fantaisistes - soins par imposition des mains, injonction de rupture avec le système médical classique - représentent un danger potentiel.
M. Alain Milon , président . - L'Unadfi est-elle affiliée à une association internationale qui pratiquerait le « deprogramming » ?
Par ailleurs, il existe en Belgique un organisme comparable à la Miviludes appelé Centre d'information et d'avis sur les organisations sectaires nuisibles (CIAOSN). Existe-t-il des organisations sectaires qui ne le soient pas ?
Mme Catherine Picard . - S'agissant de votre première question, non, je ne vois pas à quoi vous faites référence.
Il y a eu dans l'histoire, des expériences liées aux adeptes sortants de sectes du type de celles que j'ai décrites en réponse à Mme Génisson. Ces expériences ont eu lieu en Allemagne et aux Etats-Unis mais ont été assez brèves dans le temps ; je ne pense pas qu'elles existent encore. Ce n'est en tout cas pas la méthode française, qui est assez basique, comme toutes les méthodes de prévention : formation de fonctionnaires pour relayer l'information, démultiplication préventive en direction de l'éducation nationale, dans le domaine de la santé, auprès des collectivités territoriales, etc.
Nous conservons une certaine distance vis-à-vis des nouvelles méthodes qui peuvent être utilisées. Chaque victime sectaire a une réaction personnelle. C'est aux associations de trouver le meilleur moyen pour permettre à ces personnes de reprendre pied.
Les groupes de parole qui existe durent très peu de temps afin de ne pas faire revivre aux anciens adeptes l'aventure qu'ils ont déjà connue. Ces groupes sont des outils au même titre que ceux auxquels on peut recourir dans d'autres domaines relevant de la psychologie.
La Belgique utilise en effet le terme d'« organisation sectaire nuisible ». Nous ne l'employons pas, considérant que les lois de la République sont faites pour être respectées. Cette République est laïque ; en aucun cas une forme de communautarisme, même sectaire, ne doit prendre le pas dans le but d'obtenir des droits spécifiques !