M. Georges Patient, Sénateur de la Guyane
Le thème de ce colloque est aussi au coeur de mes préoccupations et je partage ce qui a été si bien dit par notre collègue et président Serge Larcher. Je sais qu'il est également au coeur de celles de mes collègues parlementaires et de tous les élus ultramarins qui sont ici présents.
Il existe souvent de fortes divergences d'interprétation entre les statisticiens et les élus de proximité que nous sommes. M. Olivier Sudrie disait il y a quelques instants qu'avec un euro en Guyane, on ne pouvait pas faire grand-chose. C'est vrai si avec cet euro je suis contraint d'acheter des produits importés. Mais si on m'autorisait à prendre ma pirogue, à traverser le Maroni et à aller au Surinam, sans doute aurais-je beaucoup de choses dans mon panier ! Il faut donc toujours relativiser... Cela me permet de poser une question que je considère comme fondamentale : comment expliquer que nos territoires, qui ont presque tous un IDH assez élevé, se caractérisent par un taux d'inégalités aussi important ?
Je m'arrêterai sur mon département, la Guyane. Ce n'est pas une île alors que toutes les autres possessions françaises sont des îles. C'est un territoire immense qui peut à lui seul contenir vingt fois la Guadeloupe, la Martinique, Mayotte et La Réunion ! Et il comporte beaucoup de richesses : de l'or jaune, de l'or noir, de l'or bleu, de l'or blanc, de l'or vert... Comment un tel territoire peut-il présenter des inégalités encore plus marquées que dans les autres DOM ?
En Guyane, le taux d'emploi se situe aux environs de 40 %, ce qui représente vingt points de moins que la situation en France hexagonale. Selon l'INSEE, il faut créer 200 postes supplémentaires pour mille personnes afin d'atteindre un taux d'emplois similaire à celui de l'Hexagone, ce qui représente 26 000 emplois à créer par an. On en est loin puisqu'on crée actuellement 3 300 emplois en moyenne par an ! Comme dans les autres territoires d'outre-mer, le taux de chômage est très élevé. Il est trois fois supérieur à la moyenne nationale. Le chômage de longue durée est également très important puisque la moitié des chômeurs le sont depuis plus de trois ans. Les jeunes de 16 à 25 ans, les femmes et les non diplômés sont les catégories les plus touchées.
Au niveau des revenus, les inégalités sont également très fortes. En 2010, la moitié des foyers fiscaux disposaient d'un revenu annuel inférieur à 9 400 euros contre seulement 24,8 % en métropole. La part des bénéficiaires du RSA représente 7,9 % de la population totale contre 4,3 % pour la France entière. Au total, le nombre de personnes concernées par le RSA (allocataires, enfants, conjoints et autres personnes à charge) est estimé par la caisse d'allocations familiales à 53 662 personnes, soit près de 25 % de la population du département.
Le logement constitue, comme dans les autres DOM, un sujet majeur de préoccupation tant les besoins sont considérables, sans commune mesure avec la métropole. Selon l'IEDOM, en 2008, près de 166 000 personnes étaient en attente d'un logement dans les outre-mer, soit près de 10 % de la population totale. Si on rapportait ce chiffre à la population métropolitaine, cela représenterait près de 6 millions de personnes alors que le pourcentage de la population éligible au logement social va de 75 à 80 % ! Là encore, la situation de la Guyane est particulièrement alarmante. On y compte 13 000 demandes de logement social pour un parc locatif de 11 000 logements...
L'éducation et la réussite éducative sont des sujets très importants pour notre territoire dont la moitié de la population a moins de vingt ans. C'est donc un secteur où l'effort devra être très fort car nous avons là une situation catastrophique. La plupart des indicateurs de réussite sont en retrait par rapport à ceux de la métropole, mettant en échec l'objectif d'égalité des chances pour les jeunes Guyanais. Les écarts de résultats sont importants, non seulement avec les niveaux métropolitains, mais aussi avec ceux des autres départements d'outre-mer. Le niveau d'échec scolaire est inacceptable : 58 % des 25-34 ans ayant quitté le système éducatif sans diplôme contre 26% en Martinique et 19 % en moyenne nationale. La Guyane cumule les handicaps et les retards qui ont pour conséquence de lui conférer le triste privilège d'être « le plus mauvais résultat de France sur tous les plans », selon les propres mots d'un ancien recteur !
En matière de santé, là aussi la Guyane souffre de plusieurs maux. C'est un désert médical avec une couverture sanitaire insuffisante et une densité de personnels très faible. Le département de l'Eure, avec sa densité de 76 personnels de santé pour 1 000 habitants est en avant-dernière position du classement national, devant la Guyane qui présente une densité de 41 pour 1 000 habitants ! C'est la densité la plus faible de France pour les médecins généralistes. La Guyane est bien sûr classée en zone déficitaire en matière de médecine libérale par les organismes de sécurité sociale. Cela a pour conséquence une espérance de vie à la naissance inférieure de trois ans à celle de la métropole. Le constat est sévère, sans appel et malheureusement sans perspective... Il avait déjà été très bien analysé dans le rapport du Sénat sur les DOM, fruit de la mission sénatoriale de 2009 qui s'était rendue dans tous les DOM et qui a donné naissance à notre délégation.
Face à ce constat, un certain nombre de questions se posent. Pourquoi la Guyane se trouve-t-elle dans ce cas ? François Mitterrand, lors d'un passage en Guyane pour le lancement d'une fusée, avait dit : « on ne peut pas lancer des fusées sur fond de bidonvilles ». Je le disais tout à l'heure, la Guyane possède d'exceptionnelles ressources naturelles. Elles sont identiques à celles de notre voisin, le Surinam, qui est classé au 14 ème rang mondial pour ces ressources. Pourquoi la gestion des ressources naturelles de notre territoire ne serait-elle pas confiée aux collectivités locales ? Pourquoi est-elle toujours confiée à l'État ? C'est le cas de l'or qui existe en grande quantité et qui fait l'objet de pillages par des clandestins brésiliens. Pourquoi, lorsque des permis sont demandés, ce sont le fait d'entreprises canadiennes ou américaines, mais pas d'entreprises françaises ? Pourquoi, lorsque nous avons découvert du pétrole au large de nos côtes, Total se désintéresse-t-il du dossier en n'intervenant qu'à hauteur de 25 % dans le consortium et en laissant à Shell la majorité du capital de la société qui effectue actuellement les forages ? Pourquoi la Guyane est-elle considérée comme une terre d'échec sauf quand les intérêts premiers de la France sont en jeu, par exemple avec l'activité spatiale ?
Telles sont les questions qui doivent être posées et qui nécessitent un travail sérieux et rapide. La situation actuelle, où les Guyanais connaissent de grandes inégalités tout en étant assis sur un trésor, entraîne déjà des troubles sociaux. Si on n'y prend pas garde, on ira vraisemblablement vers une explosion sociale. Voilà le message que je souhaitais faire passer ce matin.
M. François-Xavier Guillerm, animateur des débats
Merci Monsieur le sénateur. Le débat est ouvert et la parole est maintenant à la salle pour une série de questions-réponses. Des micros circulent et je vous rappelle que vous avez la possibilité de poser des questions écrites à nos intervenants. Un formulaire a été spécialement prévu pour cela et il est inséré dans le dossier qui vous a été remis à l'entrée.