Débat avec la salle
M. Robert Taylor, Phi Consulting
Ma question s'adresse à M. Olivier Sudrie. Est-ce que votre étude se rattache aux grandes études lancées par l'OCDE sur les notions de bien-être et y a-t-il des approches différentes pour définir l'indice de développement humain ? Par ailleurs, dans l'analyse comparative que vous présentez, pouvez-vous préciser comment vous intégrez le facteur environnement ?
M. Olivier Sudrie, Économiste, maître de conférences à l'Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines
On aimerait bien disposer d'un indicateur magique qui permettrait de cristalliser toutes les dimensions, y compris les dimensions subjectives comme le bien-être. La célèbre commission Stiglitz a essayé de faire évoluer nos visions très matérielles ou matérialistes, notamment en termes de PIB. Il est vrai que détruire des richesses naturelles peut contribuer à l'augmentation du PIB, ce qui n'est pas sans entraîner de nouvelles questions en matière de développement. En l'espèce, notre mission était beaucoup plus modeste. Il ne s'agissait pas de créer une nouvelle méthodologie mais d'appliquer celle du PNUD. À mon sens, certaines dimensions pourraient encore être creusées, par exemple les inégalités qui ont été souvent rappelées ce matin et qui laminent la cohésion sociale.
Mme Catherine Tasca, Sénatrice des Yvelines, Vice-présidente de la délégation sénatoriale à l'outre-mer
Malgré les différences de chacun des territoires, vous avez tous situé la difficulté actuelle sur le plan des inégalités et du creusement des écarts. Je souhaiterais demander aux élus présents à la tribune quelles sont les mesures qui, pour eux, pourraient être prises en priorité pour lutter contre ces inégalités. Dans notre pays, la loi est la même pour tous. Faut-il aller vers une diversification et une adaptation plus grande des lois et règlements en fonction des situations concrètes des territoires ?
M. Thani Mohamed Soilihi, Sénateur de Mayotte
La première mesure à prendre à Mayotte, c'est de favoriser une prise de conscience des pouvoirs publics. Nous accusons un énorme retard qui est d'autant plus intolérable que nous ne sommes pas épargnés par les conséquences de la mondialisation, notamment en ce qui concerne la cherté de la vie. Cette prise de conscience passe par un travail de concertation avec les représentants de Mayotte. On pourra ainsi trouver des solutions peu coûteuses et adaptées. Une conférence comme celle qui se tient aujourd'hui est déjà un premier travail de prise de conscience. Il faut par ailleurs que le ministère travaille de concert avec les représentants de nos collectivités.
M. Georges Patient, Sénateur de la Guyane
J'ai pour ma part toujours considéré que le grand tort des articles 73 et 74 de la Constitution était de mettre tous les outre-mer dans le même panier. Dès mon arrivée au Sénat, j'ai déposé un amendement visant à spécifier chaque outre-mer. Déjà, les situations de la Guadeloupe et de la Martinique ne sont pas identiques ! Il faut donc nécessairement adapter les mesures législatives. Or pour l'instant, nous sommes tous dans le même moule.
M. Éric Fruteau, maire de Saint-André, président de l'union départementale des centres communaux d'action sociale de La Réunion
Il faut bien mesurer que cela ne fait que 66 ans que nous sommes des départements français. Il est donc normal qu'il y ait un rattrapage à effectuer, notamment en matière de politiques publiques, au titre de la solidarité nationale. Pour autant, je pense que le rattrapage en matière de services publics ne saurait suffire. Dans le cadre de la République française, il faut trouver des réponses globales et cohérentes qui intègrent l'ensemble des problématiques. Sans oublier les réelles perspectives qu'offrent les possibilités de coopération internationale ! La Chine s'installe à Maurice, l'Inde s'installe à Madagascar, les deux veulent conquérir le marché africain, et nous, nous sommes au centre de ces échanges mondiaux. Nous sommes au milieu de pays qui sont en situation d'émergence, qui grandissent, qui deviennent des puissances économiques mondiales, et nous n'arrivons pas à en tirer profit alors que nous avons des relations humaines avec ces pays-là (avec des populations originaires d'Inde, d'Afrique ou de Chine). Enfin, je suis moi aussi convaincu qu'il faut avoir systématiquement le réflexe d'adaptation locale et user du droit à l'expérimentation tel qu'il est régulièrement réaffirmé par le président du Sénat.
M. François-Xavier Guillerm, animateur des débats
J'ai deux questions qui m'ont été transmises de la salle.
Première question à M. Olivier Sudrie : à votre connaissance, quels sont les départements de métropole dont l'IDH se rapproche le plus des départements d'outre-mer ?
Seconde question à Mme Sophie Élizéon : une mobilité plus structurée aura-t-elle un impact plus fort sur le développement humain et la cohésion sociale dans les outre-mer ?
M. Olivier Sudrie, Économiste, maître de conférences à l'Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines
Il faut bien avoir en tête que la première cause d'inégalité, c'est l'exclusion du marché du travail. Pour cela, il est absolument nécessaire de développer l'économie, le marché du travail et l'insertion sur ce marché. Cela passe en amont par des actions sur la qualification et sur l'adéquation des formations au marché de l'emploi.
Pour répondre directement à la question qui m'a été posée, je citerai la Corse qui présente certaines proximités avec la situation de certains départements ultra-marins. Mais je rejoins totalement ce qui a été dit sur la différence des situations dans les outre-mer : le pluriel n'est pas seulement un effet de style !
Mme Sophie Élizéon, Déléguée interministérielle pour l'égalité des chances des Français d'outre-mer
Comme vous l'avez rappelé en citant mes expériences passées, j'ai travaillé pendant cinq ans à la mobilité des Réunionnais vers la France métropolitaine et à l'international. Il est évident que nos territoires ne pourront malheureusement pas, en l'état actuel des choses, proposer des emplois à l'ensemble des jeunes qui y résident. À un moment donné, il est donc normal que la question d'aller chercher à l'extérieur un emploi ou une expérience se pose. Mais la mobilité, c'est quelque chose qui se prépare, notamment avec les familles, et qui nécessite du temps. Il est également important de disposer d'éléments concrets qui permettent aux jeunes de comprendre et de visualiser ce qui les attend. Nous avons par exemple réalisé de petits films qui montrent le métro parisien pour les aider à s'orienter. Ajoutez à cela parfois des difficultés dans la lecture du français et vous vous rendez compte que l'accès à l'emploi est plus compliqué qu'il n'y paraît ! Si la mobilité peut être une source de meilleure insertion professionnelle, et donc un facteur d'amélioration de l'IDH, il faut néanmoins la préparer et l'accompagner. Un mot enfin pour dire que la mobilité ne peut être réussie que si l'accueil ici, en métropole, est également pensé et organisé. Cela peut par exemple passer par un accueil qui reproduirait pendant quelques mois les conditions de la structure familiale afin de préparer une installation autonome. Cette idée mériterait d'être creusée...
M. Bernard Kalaora, président de Littocéan
J'ai été frappé que peu d'intervenants évoquent la dimension maritime des outre-mer, ses potentialités énormes, sa biodiversité. Je ne sais pas s'il existe des réflexions pour intégrer des paramètres biophysiques dans le calcul de l'IDH. J'ai une question pour M. Dov Zerah concernant l'évolution des autorisations de financement pour la Polynésie française : pourquoi est-on passé de 120 millions d'euros en 2010 à 33 millions d'euros en 2011 ?
M. Dov Zerah, Directeur général de l'Agence Française de Developpement (AFD)
Concernant la Polynésie française, vous n'êtes pas sans savoir qu'en 2011 il y a eu un changement de gouvernement dans un contexte où les problèmes économiques et financiers étaient importants. Les politiques publiques pour faire face à cette situation n'ont pas été stabilisées et c'est ce qui explique cette chute en 2011. En revanche, vous pourrez bientôt constater qu'il n'en sera pas de même pour 2012 puisque de nombreuses mesures ont été prises et que notre engagement sera de l'ordre de 220 à 230 millions d'euros. Je précise enfin qu'il arrive souvent qu'il y ait des baisses ou des hausses significatives d'une année sur l'autre en fonction des projets que nous suivons.
M. Félix Desplan, Sénateur de Guadeloupe
Nous sommes partis du constat de ce que nous appelons les crises sociales des outre-mer. Mais peut-être devrions-nous considérer qu'il existe aussi une crise sociétale. Nous avons assisté à une mutation rapide du mode de vie des populations. En cinquante ans, nous avons vu le développement des lois sociales. Quand on considère que le social doit s'appuyer sur le développement économique, on doit reconnaître que quelque part, le développement s'est fait à l'envers...
Jadis, tout le monde avait une activité. Il y a encore une cinquantaine d'années, les gens vivaient avec des moyens qui ne sont pas du tout comparables à ceux d'aujourd'hui, mais ils étaient actifs. Actuellement, peu de gens travaillent, le niveau de vie est plutôt élevé mais il est artificiel.
Nous observons aussi une mutation au niveau de la cellule familiale qui se caractérisait par une grande solidarité, par exemple avec l'hébergement à la maison des parents âgés. De nos jours, on voit de l'indifférence, du chacun pour soi, de l'égoïsme. En parallèle, toutes les formes de délinquance se développent à grande vitesse. Sur un autre plan, la vie associative est très dense, sans doute en raison d'une recherche de nouvelles formes de solidarité.
L'ensemble de ces éléments participent à la qualité de la cohésion sociale des outre-mer et je souhaitais les souligner.
M. Edenz Maurice, enseignant
Ma question s'adresse à M. Olivier Sudrie. Est-ce que la problématique qui vous a été donnée au départ n'est pas biaisée dans la mesure où toutes les comparaisons s'effectuent toujours par rapport à l'Hexagone et s'analysent de fait uniquement en termes de retard de développement ?
M. Olivier Sudrie, Économiste, maître de conférences à l'Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines
Il est vrai que l'étude évoque des retards ou des écarts de développement. La question principale porte surtout sur la façon de les résorber. Il ne faut pas oublier que le développement social, dans les outre-mer, a été porté par la solidarité nationale. La résorption des écarts passe, à mon avis, par une plus grande croissance économique et par une meilleure répartition des richesses.
M. Dov Zerah, Directeur de l'Agence Française de Développement (AFD)
La question de la monnaie doit être évidemment posée. Je soulignerai toutefois que lorsqu'on analyse sur des périodes longues le développement des pays, on observe que c'est l'existence d'une monnaie forte qui permet de réussir. Le Japon et l'Allemagne ont réussi leur croissance économique et la reconstitution de leur potentiel après la seconde guerre mondiale grâce à des monnaies fortes. Et nous, Français, nous savons très bien que la course-poursuite que nous avons entretenue pendant des années avec les dévaluations n'est pas une stratégie porteuse à moyen et à long terme. Dans le même temps, il est vrai que la facilité d'une dévaluation permet de régler ponctuellement certains problèmes.
Je souhaiterais évoquer un autre sujet qui n'a pas été abordé jusqu'à présent : les situations de monopole. Quand M. Olivier Sudrie introduit le paramètre des inégalités sociales dans son étude, on peut noter une certaine corrélation entre ces inégalités et l'existence de monopoles, notamment dans le secteur de la distribution. Il y a là une véritable difficulté politique dans les DOM et les COM.
M. Georges Patient, Sénateur de la Guyane
Avec ces questions de monnaie et de protection sociale, nous entrons dans les compétences régaliennes. Il faut être extrêmement prudents lorsqu'on parle de remettre en cause certains aspects de la protection sociale ou d'avantages acquis, que ce soit en outre-mer ou en France métropolitaine. On touche là aux fondements mêmes de notre République.
Mme Mary Alexis, UTPM
Je voudrais dire qu'à notre petit niveau, nous constatons de nombreuses inégalités en matière de formation et de qualification, par exemple concernant l'accès des ultra-marins aux programmes européens de formation type Léonardo ou dans les partenariats que nous avons avec des organismes comme l'Ofaje.
M. Luc Lamin, fonctionnaire de police
Je suis étonné de voir un écart aussi important en matière d'éducation sachant que l'éducation est le moteur de la cohésion sociale et de la construction de l'être humain. À quoi est due l'importance de cet écart entre la métropole et l'outre-mer ? Est-ce que c'est un problème financier ? Est-ce un problème de contenus, de programmes, par exemple en histoire ou en langues ?
M. Félix Desplan, Sénateur de la Guadeloupe
Vous avez raison de poser la question des programmes. Il existe un grand principe pédagogique qui consiste à dire qu'il faut partir de ce que l'on sait pour aller vers l'inconnu. Je fais partie de cette génération qui a appris à l'école que mes ancêtres étaient les Gaulois... À l'école, on nous parlait de choses que nous ne connaissions pas et c'est depuis très peu de temps que les programmes prennent en compte notre environnement réel.
M. Georges Patient, Sénateur de la Guyane
L'éducation, comme beaucoup d'autres secteurs, est faite de paradoxes. J'évoquais tout à l'heure le fait que nous avions un IDH plutôt élevé alors que notre situation vécue est celle d'un pays sous-développé. En Guyane, actuellement, il y a un grand débat sur la double vacation qui permet d'utiliser les écoles au maximum. Dans certaines communes, on fonctionne en journée continue et on arrête à 13 heures. Dans le même temps, le taux d'enfants non scolarisés est important. Les élus se battent pour faire en sorte que les enfants soient scolarisés l'après-midi. Et bien les syndicats et le rectorat sont contre, en argumentant sur le fait que ce système est pratiqué dans les pays sous-développés, par exemple au Brésil ou au Surinam. Nous sommes donc dans un pays développé où il est préférable que les enfants ne soient pas scolarisés parce que si on met en place un dispositif qui permet de les scolariser, on aura l'image d'un pays sous-développé !
M. Thani Mohamed Soilihi, Sénateur de Mayotte
Ce système est pratiqué à Mayotte !
M. Éric Fruteau, Maire de Saint-André, président de l'union départementale des centres communaux d'action sociale de La Réunion
L'éducation est fondamentale et doit être à la base de toutes les orientations. Il y a l'éducation tout court, qui relève de la compétence de l'Éducation nationale, et il y a cette éducation populaire qui peut passer par le milieu associatif, l'économie sociale et solidaire. Les CCAS travaillent dans cette voie et soutiennent par exemple la mobilité des jeunes vers la métropole, même si cela nous fait sortir de nos compétences strictes. Je pense qu'il faut réfléchir, adapter le plan régional des formations aux nouveaux métiers et aux métiers d'avenir. Il faut revoir les programmes scolaires, les rythmes scolaires, l'enseignement des langues, avec l'enseignement du mandarin dans la zone Océan Indien. Je reviens à cette notion fondamentale : l'adaptation locale !