M. Thani Mohamed Soilihi, Sénateur de Mayotte
Je tiens en premier lieu à préciser que la loi relative à la démocratie de proximité du 27 février 2002 a, dans ses articles consacrés au recensement de la population, instauré un recensement quinquennal à Mayotte.
En l'état actuel des choses, un recensement annuel serait difficilement applicable à Mayotte, notamment parce que la constitution des répertoires d'immeubles localisés nécessite de pouvoir disposer de données cadastrales fiables et d'un adressage complet et efficace des logements ; ce qui n'est pas acquis à ce jour. Pour autant, notre département manque cruellement de données chiffrées précises permettant de mesurer les évolutions démographiques et les mutations du département, et facilitant la mise en oeuvre de politiques publiques.
Avant même de connaître les résultats définitifs du recensement du 17 septembre dernier, on sait d'ores et déjà que la population est passée de 186 000 habitants environ à près de 215 000. Si la croissance démographique de Mayotte est si forte, c'est en raison du nombre important de naissances, mais également et surtout à cause d'une pression migratoire excessivement élevée. En 2007, 72 % des naissances à Mayotte étaient le fait de femmes nées à l'étranger.
À ce titre, et mis à part une différence de taille en ce qui concerne la superficie du territoire, les problématiques rencontrées à Mayotte sont très similaires à celles que l'on retrouve en Guyane.
On y rencontre une population très jeune - la moyenne d'âge est de 22 ans - qui connaît de grandes difficultés à trouver un emploi. En 2009, le taux de chômage, au sens du Bureau International du Travail (BIT), était estimé à 17,6 %. Pour la tranche d'âge allant de 15 à 24 ans, il atteignait presque 32 % ! Et si l'on prend les inactifs souhaitant travailler mais n'étant pas considérés comme chômeurs au sens du BIT, notamment les personnes en situation irrégulière, ce chiffre se monte alors à 44 %, dont 50 % de jeunes.
Le chômage est mal indemnisé ; cette indemnisation est en effet encore balbutiante. Les retraites ont des niveaux très insuffisants et les conditions de logement restent extrêmement précaires. La Guyane et Mayotte restent les collectivités les plus touchées par l'insalubrité.
Malgré sa petite taille, Mayotte est riche d'une grande diversité de groupes ethniques et jouit d'une tradition forte de solidarité familiale, qui provient de la culture swahili. Or, cette tradition a tendance à évoluer et malheureusement à se perdre. Le chômage et la précarité de nombreux actifs font craindre des conditions difficiles pour les futurs retraités qui risquent de ne pas pouvoir bénéficier autant qu'aujourd'hui de la solidarité familiale.
Par ailleurs, il faut bien avouer aussi que les phénomènes migratoires sont souvent accompagnés de rupture familiale.
En raison d'une faiblesse du système éducatif et d'un chômage endémique, la migration pour raisons scolaires ou professionnelles est la première cause d'expatriation de la population mahoraise vers les autres départements français, avec la possibilité d'un non-retour ou d'un décalage entre ceux qui sont revenus et ceux qui sont restés. De plus, la pression migratoire exceptionnelle rencontrée à Mayotte crée des tensions qui ne sont pas propices à l'entraide. Il y a également un phénomène croissant d'enfants étrangers abandonnés sur le territoire par des parents qui pensent leur offrir ainsi une chance de vie meilleure.
Le système d'aides provenant de l'État, s'il est plus que nécessaire, est encore très en-deçà de celui pratiqué en métropole et dans les autres DOM ; il contribue aussi à transformer les mentalités.
Il faudrait réussir à préserver cette solidarité mahoraise tout en évoluant vers la solidarité nationale. Penser des solutions originales, d'autant plus exportables dans le modèle français qu'elles seront construites dans un cadre législatif.