Table ronde 2 : Quelle histoire commune écrire avec les outre-mer à partir des archives audiovisuelles
M. Pascal Blanchard, Historien, Chercheur associé au CNRS au laboratoire communication et politique, directeur du groupe de recherche Achac :
Cette deuxième table ronde ouvre sur des questions sous-jacentes à nombre d'éléments déjà évoqués lors de cette rencontre : que doit-on faire de ces archives ? Quelle histoire écrire avec ces archives d'outre-mer ? Estelle Youssouffa a fait part de nombreuses idées quant à la façon d'en parler, quant à la façon de les montrer. Françoise Vergès a également dit beaucoup de choses à ce sujet, et notamment sur la façon de déconstruire ces archives. Jean-Michel Rodes a poursuivi sur cette voie en disant qu'il était nécessaire de pouvoir disposer des archives écrites qui permettront de comprendre l'évolution des programmes.
Richard Tuheiava, sénateur de la Polynésie française, un territoire dont nous avons très peu parlé jusqu'ici, et qui est l'un des rares espaces où le matériel est particulièrement bien conservé, notamment grâce à l'Institut de la communication audiovisuelle, va introduire cette table ronde. À quoi ce patrimoine va-t-il nous servir demain ? Que va-t-on pouvoir faire de ces archives ? Quels enjeux dans le présent ?
M. Richard Tuheiava, Sénateur de la Polynésie française, Vice-président de la Délégation sénatoriale à l'outre-mer
Lorsque l'histoire des outre-mer français s'entrecroise avec celle de la République française, celle-ci tend très souvent à se confiner à une dialectique « colonisateur/colonisé » dont la Nation a beaucoup de mal à s'affranchir.
La dialectique colonisateur/colonisé est incontournable et embarrassante lorsqu'il s'agit des archives des outre-mer. S'agissant de la Polynésie française, il existe peu d'archives audiovisuelles de la période CEP (Centre d'expérimentation du Pacifique) et celles existantes sont souvent couvertes par le secret Défense.
Un centre de mémoire sur les essais nucléaires est actuellement en cours de projet en Polynésie française, cette démarche est de nature à libérer la parole.
Force est de constater que la République française a eu et a encore beaucoup de mal à reconnaître et à solder sa période coloniale ultramarine et par conséquent à démystifier le terme de « décolonisation ». Exemple : Indépendance d'Algérie, Indépendance des Nouvelles Hébrides (Vanuatu), Référendum de Nouvelle Calédonie 2014-2018, le processus actuel de réinscription de la Polynésie française sur la liste des territoires non-autonomes de l'ONU...
En 2003, le terme de peuple concernant les outre-mer a été remplacé dans la Constitution par celui de population. Ce déclassement fait perdre le caractère autochtone. L'audiovisuel peut contribuer à remédier à cet écart constitutionnel.
L'écriture d'une histoire commune passe par un certain nombre de pré-requis politiques et psycho-sociologiques :
- un examen de conscience bilatéral ;
- l'abandon d'un eurocentrisme réducteur ;
- un processus au cas par cas avec chaque catégorie d'outre-mer (DOM/COM) valant solde de tout compte et permettant un abandon apaisé et consenti de la dialectique colonisateur/colonisé ;
- la vérification que les démembrements de la République ont renouvelé leurs consentements respectifs en faveur du nécessaire « vouloir vivre ensemble » ;
Pour écrire l'histoire commune entre la nation et ses outre-mer, il y a besoin d'actes politiques forts et surtout de la volonté du « vivre ensemble ».
Cohabitent un outre-mer tolérant, consentant, et un autre mouvant pour lequel le sentiment d'appartenance à une nation, une et indivisible, est présumé. Cette volonté de vouloir vivre ensemble doit être reconfirmée, avant de pouvoir envisager reconstruire une meilleure nation.
En conclusion, le devoir de mémoire est essentiel pour les différents outre-mer français et l'outil audiovisuel est efficace. Cela étant, la forme ne devant pas supplanter le fond, il faut clarifier le débat qui s'instaure et indiquer que si cette préservation audiovisuelle de l'histoire des outre-mer français a parmi ses finalités celle de s'affranchir de l'embarrassante dialectique « colonisateur-colonisé », elle doit profiter aussi bien à la République française qu'à ses outre-mer. À défaut, cet outil risque d'être contre-productif et d'aggraver les passifs relationnels persistants.
M. Pascal Blanchard, Historien, Chercheur associé au CNRS au laboratoire communication et politique, directeur du groupe de recherche Achac :
Beaucoup de choses ont été dites sur la nature de l'histoire commune à écrire. Les archives, si elles sont un élément essentiel de la construction d'une histoire commune, ne se regardent néanmoins pas sans chercher par ailleurs ce qu'elles cachent. Nous l'avons dit tout à l'heure : c'est ce qui n'est pas dans ces archives qui est peut-être le plus intéressant. Mais avant de vouloir les déconstruire, encore faut-il pouvoir les montrer. Françoise Vergès, quelle est votre réaction sur le sens très politique de cette écriture commune de l'histoire ?