B. LES ENJEUX SPÉCIFIQUES DE LA JUSTICE À LA RÉUNION

Les tribunaux de La Réunion sont confrontés à un double défi : d'une part, répondre à une demande croissante de justice et, d'autre part, surmonter la diminution des effectifs.

1. Une demande croissante de justice

L'activité des différentes juridictions a fortement augmenté au cours des cinq dernières années à La Réunion .

L'activité du tribunal de grande instance (TGI) de Saint-Denis est à cet égard révélatrice de la hausse de l'activité des juridictions. Comme l'avait relevé notre collègue, M. Roland du Luart 23 ( * ) , « entre 2006 et 2010, le TGI de Saint-Denis s'est caractérisé par une forte hausse de son activité tant du point de vue des flux (+ 18,5 % d'affaires civiles et commerciales nouvelles, + 25 % de plaintes pénales et de PV reçus) que de celui des décisions rendues (+ 23,3 % d'affaires civiles et commerciales terminées). La seule exception concerne les décisions correctionnelles rendues, qui régressent légèrement de 1,5 %. »

2. L'insuffisance des moyens humains

- La Cour d'appel de La Réunion

L'exemple de la Cour d'appel de La Réunion est à ce titre particulièrement éclairant. A ce jour, celle-ci compte dix-neuf magistrats du siège et cinq magistrats du parquet, intégrant le magistrat affecté à la chambre d'appel détachée de Mamoudzou à Mayotte.

La circulaire de localisation des emplois de magistrats et de fonctionnaires pour l'année 2012, publiée le 17 février 2012, indique que l'effectif des magistrats du siège diminuerait de quatre magistrats, ce qui le ferait passer de dix-neuf à quinze. Pourtant, la charge de travail de la cour d'appel nécessite à l'évidence un renforcement de ses effectifs plutôt qu'une diminution, afin qu'elle puisse faire face à l'afflux des dossiers qui lui sont soumis.

Face à ce constat, vos rapporteurs estiment nécessaire de ne pas supprimer ces quatre postes. Ils considèrent par ailleurs qu'une réflexion devra être menée par les services de la Chancellerie au sujet de l'allocation des magistrats dans les différentes juridictions réunionnaises compte-tenu de leur charge de travail.

Proposition n° 7 :

Maintenir les postes de magistrats du Siège de la Cour d'appel de Saint-Denis-de-La-Réunion, tel que prévu par la circulaire de localisation des emplois de magistrats et de fonctionnaires pour l'année 2012 .

- La situation du tribunal de grande instance de Saint-Denis

Le tribunal de grande instance de Saint-Denis est soumis à la même problématique. Il dispose de vingt-sept magistrats du siège. Or, en raison de mutations, l'effectif réel s'élèvera, en septembre prochain, à vingt-quatre magistrats. Seront vacants un poste de juge non-spécialisé, un poste de vice-président d'instance et celui de vice-président d'instruction. Bien que la circulaire précitée de localisation des emplois de magistrats et de fonctionnaires pour l'année 2012 ne prévoie pas de suppression de postes, trois postes de magistrats ne devraient pas être pourvus.

On relèvera que le nombre de vingt-sept magistrats du siège dans la juridiction la plus importante de l'ensemble de l'outre-mer n'a pas évolué depuis de nombreuses années alors même que la juridiction a du faire face, à moyens constants, à de nombreuses réformes telles que :

- l'entrée en vigueur, depuis août 2011, de la loi sur l'hospitalisation

sans consentement 24 ( * ) , qui s'accompagne de 550 mesures annuelles et de 3 audiences hebdomadaires ;

- la juridictionnalisation du service de l'application des peines ;

- les réformes touchant le fonctionnement de la justice des mineurs.

Cette situation posera, là encore, de sérieux problèmes. C'est pourquoi vos rapporteurs estiment indispensable de pourvoir rapidement aux vingt-sept postes de magistrats du siège du TGI de Saint-Denis-de-La-Réunion.

Proposition n° 8 :

Pourvoir rapidement la totalité des postes de magistrats du Siège du tribunal de grande instance de Saint-Denis-de-La-Réunion.

Le TGI dispose également de huit magistrats du parquet. Or, le ressort du TGI de Saint-Denis couvre la zone la plus industrielle et la plus commerciale de l'île, ce qui représente environ 550 000 habitants. Cet effectif est insuffisant compte-tenu de la charge de travail dévolue à chaque magistrat. Or, selon les informations fournies par M. Richard Bometon, procureur de la République du tribunal de grande instance de Saint-Denis, la charge de travail des magistrats du parquet est liée aux spécificités du ressort :

- le contentieux économique et financier est important, avec des affaires complexes et délicates ;

- un magistrat est entièrement affecté à l'exécution des peines en raison de l'existence de deux établissements pénitentiaires importants ;

- le contentieux des mineurs est en nette progression et nécessite le concours de trois juges ;

- enfin, le parquet civil gère un contentieux important, lié principalement aux délégations d'autorité parentale avec Mayotte et aux nombreuses rectifications d'état-civil.

Or, la comparaison de l'effectif des magistrats du parquet du TGI de Saint-Denis avec celui de tribunaux au ressort similaire fait apparaître l'insuffisance de l'effectif à Saint-Denis . En effet, à titre d'exemple, le ressort du TGI à la Martinique est de 400 000 habitants, soit inférieur à celui de Saint-Denis, avec un effectif de 10 magistrats du parquet. C'est pourquoi vos rapporteurs plaident pour la création d'un sixième poste de magistrat du parquet au TGI de Saint-Denis-de-La-Réunion.

Proposition n° 9 :

Créer un sixième poste de magistrat du parquet
au tribunal de grande instance de Saint-Denis-de-La-Réunion.

- Le tribunal de grande instance de Saint-Pierre

Vos rapporteurs ont constaté une difficulté analogue pour les magistrats du parquet du tribunal de Grande Instance de Saint-Pierre . L'effectif s'élève aujourd'hui à cinq magistrats. Or, il apparaît nécessaire de créer un sixième poste. En effet, le départ anticipé de deux magistrats, en raison de l'utilisation de leur compte épargne temps, déséquilibrera l'effectif, au moment où le nombre d'affaires traitées en correctionnelle augmente fortement : celui-ci a été multiplié par 5,5 en vingt ans alors que cette juridiction ne compte qu'un seul magistrat complémentaire sur cette même période.

Proposition n° 10 :

Créer un sixième poste de magistrat du parquet au tribunal de grande instance de Saint-Pierre.

Enfin, vos rapporteurs estiment indispensable de pourvoir le troisième poste de juge d'instance au tribunal d'instance de Saint-Denis-de-La-Réunion , tout récemment créé. Selon les informations fournies par Mme Marie-Paule Debladis, vice-présidente du tribunal d'instance de Saint-Pierre, la Chancellerie n'a pas considéré comme une priorité la nomination d'un magistrat sur ce poste dans la mesure où le tribunal de grande instance de Saint-Pierre sera, le 1 er septembre 2012, à effectif complet. Il disposera alors d'un poste de magistrat en surnombre, qui pourrait être affecté au tribunal d'instance. Les magistrats rencontrés par vos rapporteurs ont toutefois fait remarquer que ce surnombre n'était, par nature, nullement pérenne.

Or, ce troisième poste de magistrat est absolument nécessaire, compte tenu du nombre très important de tutelles (3 400 dossiers), d'un contentieux de surendettement en très nette augmentation et du particularisme du contentieux civil de ce tribunal qui se situe dans le secteur sud de l'île, semi-rural, lequel doit faire face à une urbanisation constante et connaît, de ce fait, de nombreux dossiers de droit rural et de bornage. Par ailleurs, ce magistrat supplémentaire apporte sa contribution au Conseil des Prud'hommes de Saint-Pierre, où le juge d'instance siège de manière régulière en tant que juge départiteur.

En outre, la suppression de la juridiction de proximité, le 1 er janvier 2013, se traduira également par un supplément de contentieux d'environ 40 %, auquel les effectifs actuels, sous-dimensionnés, ne pourront faire face.

C'est pourquoi vos rapporteurs estiment nécessaire et urgent de pourvoir le troisième poste de juge d'instance au tribunal d'instance de Saint-Pierre-de-La-Réunion.

Proposition n° 11 :

Pourvoir le troisième poste de juge d'instance au tribunal d'instance de Saint-Pierre-de-La-Réunion.

- Le tribunal administratif de La Réunion

Il convient en réalité de parler de deux tribunaux administratifs, l'un situé à La Réunion, le second à Mayotte. Bien qu'ils soient légalement autonomes, ils disposent toutefois de magistrats communs.

Si M. Jean Brenier, président du Tribunal administratif de La Réunion, n'a pas relevé de problèmes d'effectif dans sa juridiction, qui dispose de 11 magistrats pour 9 postes budgétaires, il s'est en revanche inquiété de l'augmentation de la charge de travail liée principalement au contentieux des reconduites à la frontière de Mayotte. En 2008, il a estimé que la charge de travail liée au ressort de Mayotte s'élevait à 25 % de la charge de travail totale tandis qu'elle est évaluée à un tiers aujourd'hui.

Par ailleurs, on rappellera que le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) ne s'applique pas à Mayotte. Le contentieux des reconduites à la frontière à Mayotte est en effet régi par une ordonnance du 26 avril 2000 25 ( * ) . M. Jean Brenier estime que le droit commun du droit des étrangers devrait également s'appliquer à Mayotte puisque le droit spécifique qui s'applique à Mayotte et défini par l'ordonnance précitée n'a pas permis de résoudre le problème de l'immigration illégale ainsi que les souffrances créées pour les Mahorais.

Les autorités européennes sont d'ailleurs favorables, dans le cadre de la reconnaissance de Mayotte du statut de région ultrapériphérique, au maintien de ce cadre particulier.


* 23 « La justice entre deux eaux dans l'Océan indien », rapport n° 549 (2010-2011) de M. Roland du Luart, fait au nom de la commission des finances du Sénat, consultable à l'adresse suivante :

http://www.senat.fr/notice-rapport/2010/r10-549-notice.html .

* 24 Loi n° 2011-803 du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge.

* 25 Ordonnance n° 2000-373 du 26 avril 2000 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers à Mayotte, modifiée par l'ordonnance n° 2007-98 du 25 janvier 2007, intégrant les dispositions de la loi du 24 juillet 2006 relative à l'immigration et à l'intégration.

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