C. POUR MIEUX PESER DANS LA GOUVERNANCE FISCALE INTERNATIONALE
1. Négocier ensemble avec la Suisse un accord commun plutôt que des Rubik bilatéraux
Proposition n° 53 : Miser sur la force d'une union à 27 États membres pour mettre au niveau des standards internationaux d'échange d'informations la convention fiscale qui lie la Suisse à l'UE |
Il est assurément regrettable que les États membres négocient avec la Suisse en ordre dispersé. L'Union européenne doit absolument faire front commun pour affirmer que le prélèvement libératoire sans accès à l'information ne peut être une réponse définitive au défi de l'évasion fiscale.
La force de l'Union européenne est de réunir 27 États membres. Cette force doit être mise à profit pour négocier avec la Suisse une nouvelle convention fiscale entre l'UE et la Suisse conforme aux nouveaux standards internationaux en matière d'échange d'informations et intégrant les modifications envisagées dans la proposition de révision de la directive Epargne. La puissance de négociation américaine n'a-t-elle pas permis d'imposer aux banques suisses la déclaration des comptes de leurs clients ressortissants américains ? Sans doute serait-il excessivement ambitieux d'imaginer une sorte de « FATCA » européen liant impôt et citoyenneté, d'autant que notre système fiscal assoit l'impôt sur la résidence conformément au modèle OCDE, mais il est indispensable d'obtenir au moins que les 27 s'accordent au Conseil pour confier à la Commission européenne un mandat de négociation pour revoir la convention fiscale qui lie la Suisse à l'UE.
2. Adopter une taxe sur les transactions financières
Proposition n° 54 : Aboutir sans tarder à la création d'une taxe sur les transactions financières par la voie de la coopération renforcée en mobilisant au moins huit autres États membres de l'UE |
Comme votre rapporteur l'a analysé plus haut, la taxe sur les transactions financières permettrait de freiner la mobilité excessive du capital qui nourrit l'évasion fiscale. La décision de recourir à la coopération renforcée pour instaurer enfin cette taxe dans au moins neuf des États membres de l'UE doit rapidement être prise.
3. Mettre la bonne gouvernance fiscale au coeur des accords signés par l'UE avec les pays tiers
Proposition n° 55 : Intégrer l'objectif de bonne gouvernance fiscale dans les accords généraux conclus par l'UE avec les pays tiers |
Au-delà du cas suisse, l'UE doit mieux se coordonner dans le domaine de la politique fiscale internationale et prendre le parti d'accorder au domaine fiscal toute l'attention politique qui s'impose dans la négociation d'accords généraux avec les pays tiers. Afin d'améliorer la négociation relative à l'insertion de dispositions concernant la bonne gouvernance fiscale dans le cadre de ces accords généraux, il importe de faire référence à cette bonne gouvernance le plus en amont possible, par exemple dans les directives de négociation données par le Conseil à la Commission, sans pour autant priver la Commission de toute marge de manoeuvre afin qu'elle puisse dégager des solutions adaptées à la situation de chaque pays.
Les dispositions qui seraient insérées dans ces accords permettraient de rendre plus loyale la concurrence entre les États membres et les pays tiers dans le domaine de la fiscalité des entreprises. Selon la Commission européenne 532 ( * ) , elles devraient être « similaires à celles qui s'appliquent au sein de l'Union européenne en matière d'aides d'État » et « par exemple, rendre possible la lutte contre les pratiques qui ont des effets de distorsion indûment préjudiciables aux budgets et aux entreprises des États membres et qui ne sont pas nécessairement couvertes par les règles de l'OMC ».
L'existence de telles obligations de bonne gouvernance fiscale dans les accords conclus entre l'UE et les pays tiers confèrerait aux États membres un pouvoir de négociation plus grand dans leurs pourparlers bilatéraux avec ces pays.
Proposition n° 56 : Etablir un lien entre le soutien financier et l'ouverture commerciale consentis par l'UE à certains pays et leur niveau de coopération fiscale avec l'UE |
Dans le même ordre d'idée, l'UE pourrait, à des fins de sanction ou d'incitation, utiliser le levier que constitue sa politique de coopération pour inciter à la bonne gouvernance fiscale. L'Union européenne est l'un des principaux bailleurs de fonds en matière d'aide au développement. Par mesure de cohérence, il doit être envisagé d'établir un lien entre, d'une part, le soutien financier de l'UE et le degré d'accès au marché communautaire consentis à certains pays et, d'autre part, le niveau de coopération fiscale qu'offrent ces pays. Ce lien pourrait être réexaminé dans le cadre de l'évaluation à mi-parcours des programmes d'aide, au vu du degré de respect, par les pays bénéficiaires, des engagements qu'ils auront pris en matière de bonne gouvernance fiscale. L'UE pourrait fournir une assistance technique aux pays concernés pour les aider à tenir leurs engagements.
4. Assurer davantage de cohérence entre le niveau européen et le niveau international en matière de lutte contre les paradis fiscaux
Proposition n° 57 : Organiser l'adoption, au niveau de l'UE, de mesures de rétorsion communes envers les ETNC identifiés par les travaux du Forum de l'OCDE |
L'analyse de l'OCDE et de son Forum mondial ne conduit pas aujourd'hui à une réaction coordonnée au sein de l'UE. Les États membres pourraient pourtant, sur la base des travaux du Forum, définir une approche plus unifiée envers les pays figurant sur la liste grise du Forum. Des mesures de rétorsion communes à l'égard des États et territoires non coopératifs auraient assurément plus d'impact que des mesures prises de manière dispersée et disparate par chacun des 27 États membres. Il serait donc utile de faire en sorte que l'UE tire des conclusions communes des travaux de l'OCDE sous forme d'obligations partagées par tous les États membres.
Proposition n° 58 : Améliorer la coordination des positions des États européens au sein des instances internationales afin de promouvoir l'impératif de concurrence fiscale loyale à l'échelle mondiale |
De même que l'UE devrait réagir de manière plus coordonnée aux résultats des travaux du Forum, son expression au sein de l'OCDE gagnerait à être plus unie. Il est vrai que l'UE en tant que telle n'est pas membre de l'OCDE mais 21 des 27 États membres de l'UE appartiennent à l'OCDE qui compte 34 pays membres. Une meilleure coordination de la position des États membres dans les discussions relatives à la bonne gouvernance dans le domaine fiscal à l'OCDE, mais aussi au G20 ou à l'ONU, permettrait d'exercer une pression plus forte sur les pays non coopératifs et de faire progresser l'impératif de concurrence loyale, consacré par le code de conduite dont s'est doté l'UE, dans les standards internationaux reconnus de la bonne gouvernance fiscale, au même titre que la transparence et l'échange automatique d'informations.
5. Promouvoir une gouvernance fiscale mondiale
Proposition n° 59: Promouvoir l'émergence d'une gouvernance fiscale mondiale, permettant de faire respecter une forme d'ordre fiscal international |
Les travaux de votre commission d'enquête attestent de la nécessité de prendre mondialement la mesure de l'enjeu que représente l'évasion fiscale internationale pour parvenir à la juguler.
Les régimes fiscaux de chaque État étant chacun l'expression concentrée de la souveraineté nationale, une gouvernance mondiale en matière fiscale est particulièrement difficile à mettre en place. Votre rapporteur ne renonce pas pour autant à l'ambition qu'émerge un organe mondial de régulation de la concurrence fiscale susceptible de mettre fin aux abus.
Dans un premier temps, une instance d'arbitrage internationale pourrait utilement régler les questions de double non imposition résultant de l'application des conventions préventives de double imposition et trancher les débats d'interprétation des faits ou des dispositions des traités.
Des difficultés pourraient aussi surgir si les législations fiscales de deux pays tiennent compte du régime applicable dans l'autre pays, par exemple si dans un cas de déduction/absence d'inclusion faisant intervenir un instrument hybride, le pays du payeur refuse la déduction si le revenu n'est pas inclus dans le revenu imposable du bénéficiaire et le pays du bénéficiaire refuse l'exonération si le paiement est déductible dans le pays du payeur. Or les règles applicables dans les pays qui relient le régime fiscal national au régime fiscal étranger ne contiennent généralement pas de critères de départage pour les cas où l'autre pays concerné applique des règles similaires. Jusqu'à présent, ce point n'a pas donné lieu à des difficultés considérables mais il pourrait en occasionner davantage à mesure que les pays adopteront des dispositions similaires.
L'émergence d'une gouvernance fiscale mondiale pourrait également se faire par le biais de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). En effet, les barrières douanières disparaissent progressivement mais les pays les rétablissent en quelque sorte par l'impôt. La guerre fiscale se substitue progressivement à la guerre commerciale. L'OMC pourrait donc légitimement se saisir de cette mutation et peut-être un jour se doter d'un équivalent, en matière fiscale, de son organe de règlement des différends, dont les décisions s'imposent aux États parties, pour régler les litiges fiscaux internationaux.
*
* *
Aux propositions initiales de votre rapporteur, la commission d'enquête a décidé l'ajout de deux propositions nouvelles et de trois compléments, proposés par notre collègue Marie-Noëlle Lienemann . En conséquence, les amendements adoptés sont présentés ci-dessous.
Amendement 1
1 - Ajout après les mots « imposable, etc. » dans la proposition 7.
Il doit être créé une obligation d'information et de consultation des représentants des salariés sur les contrats de redevance, les licences et le choix des outils informatiques de l'entreprise afin de leur permettre de prévenir toute forme d'évasion fiscale au détriment de la France.
Amendement 2
Après la proposition n 5, insérer une proposition :
Proposition N°5 bis : Mise en oeuvre en France du droit de suite. |
Il convient d'étudier rapidement les conditions d'instauration d'un droit de suite auprès des citoyens français résidant à l'étranger, comparable au système prévalant aux États-Unis, et dans une moindre mesure en Allemagne. L'idée est de faire acquitter l'impôt de ces ressortissants français dans une proportion équivalente à la totalité ou à une partir de l'écart de fiscalité entre ce qu'ils paient à l'étranger et ce qu'ils paieraient en France.
Si la mise en oeuvre d'une telle démarche peut s'avérer assez longue et justifier la renégociation de conventions fiscales avec d'autres pays, il convient de l'engager rapidement.
Amendement 3
Après la proposition n°39, insérer une proposition :
Proposition n°39 bis : Renforcer les sanctions applicables à l'abus de droit |
Comme cela a été souligné dans le présent rapport, le principal défi aujourd'hui lancé aux finances publiques ne réside pas dans la fraude fiscale, mais dans les comportements fiscaux qui, tout en en étant a priori légaux, n'en sont pas moins abusifs .
Or, l'abus de droit permet de sanctionner de tels comportements. C'est en cela qu'il constitue un outil indispensable de lutte contre l'évasion fiscale .
Toutefois, l'abus de droit est, à ce jour, insuffisamment sanctionné . Les redressements opérés dans ce cadre donnent lieu à une majoration de 80 %. Cette majoration était autrefois de 150 %, ce qui avait, selon le Professeur Thierry Lamorlette 533 ( * ) , « le mérite de faire peur aux gens » ; à cet égard, celui a ajouté que le « fait de la descendre à 80 % a été un mauvais choix ».
En effet, la majoration applicable paraît avoir un effet dissuasif insuffisant. Par conséquent, il est proposé de rétablir la majoration à 150 % des droits recouvrés en cas d'abus de droit .
En outre, une telle sanction devrait également s'appliquer aux personnes contribuant à l'élaboration des montages fiscaux constitutifs d'abus de droit (conseillers juridiques, fiscaux, etc.). La fraude et l'évasion fiscales ne sont que trop encouragées par l'« industrie » des schémas fiscaux abusifs dont la commission d'enquête a pu mettre en évidence le développement ; cette dernière doit dorénavant être sanctionnée, elle aussi.
Amendement 4
4 - Dans l'énoncé de la proposition 16, ajouter une phrase.
Renforcer, en particulier, la brigade chargée du contrôle des prix de transfert.
Amendement 5
5 - Ajouter à la proposition 26 :
Il est indispensable que tous les contrats de façonnage, ainsi que leurs modifications substantielles, soient obligatoirement transmis à l'administration fiscale et que soit instauré un principe d'autorisation préalable délivrée par ces services, au terme de l'analyse des enjeux fiscaux, pour la France, de ces opérations.
En outre, la commission d'enquête après avoir décidé l'insertion d'une précision proposée par M. Louis Duvernois , relative au lien entre fiscalité et nationalité, a décidé de publier les contributions de Mme Corinne Bouchoux, de M. Jacques Chiron et celles des membres du groupe communiste, républicain et citoyen et des élus de l'union pour un mouvement populaire dont on trouvera les textes ci-après.
* 532 Cf. Communication de la Commission européenne du 28 avril 2009, Encourager la bonne gouvernance dans le domaine fiscal , COM(2009)201 final.
* 533 Cf . audition du Pr. Thierry Lamorlette et de M. Thibault Camelli, auteurs de l'ouvrage Stratégies fiscales internationales , du mardi 6 mars 2012.