Mme Christiane Taubira, députée de la Guyane
Mme Christiane Taubira, députée . - Merci au Sénat d'avoir organisé cet événement, et à Mme Blandin d'avoir prononcé ces fortes paroles.
Je salue la présence de Mme Catherine Tasca, qui était présidente de la commission des lois de l'Assemblée nationale lorsque fut votée la loi reconnaissant l'esclavage comme un crime contre l'humanité, et qui a animé nos débats avec la douce fermeté qui la caractérise. ( La salle applaudit Mme Catherine Tasca .)
On entend parler de guerre des mémoires, mais il ne faut pas avoir une vision cloisonnée de l'histoire. C'est l'histoire de l'humanité et de ses difficultés qui m'intéresse ! L'esclavage est un phénomène mondial : le commerce triangulaire a associé trois continents, il a provoqué des bouleversements démographiques, culturels, linguistiques considérables... Si l'esclavage est un crime contre l'humanité, c'est bien sûr en raison des souffrances individuelles qu'il provoque, mais aussi parce qu'il porte atteinte à l'humanité tout entière. Ne nous contentons pas d'approches locales, changeons de perspective, et nous créerons une nouvelle dynamique.
Ces temps-ci, on parle de la Grèce comme d'un repoussoir. En fait, certains pays d'Europe subissent, ou craignent de subir, le sort que le FMI et la Banque mondiale ont infligé aux pays du Sud pendant vingt ans : les programmes dits « d'ajustement structurel » ont déstructuré les sociétés, contraint les États à réduire leurs dépenses dans les domaines de l'éducation, de la santé, de l'aménagement urbain et rural, du soutien aux agricultures vivrières... Le Sud est destiné à anticiper : c'est là que naissent les malheurs du monde, c'est là que les réponses sont trouvées.
Soyons donc conscients que les problèmes qui nous occupent, et les solutions qui peuvent y être apportées, ne sont pas de nature territoriale mais ont une dimension universelle. Rappelons que la France fait partie du monde et doit cesser d'en avoir peur ! ( Applaudissements. )
M. Emmanuel
Kasarhérou, Conservateur en chef du Patrimoine,
chargé de
mission pour l'outre-mer au Musée du Quai
Branly
Invité-témoin sur les mémoires de la
Nouvelle-Calédonie
Mme Françoise Vergès . - J'invite maintenant M. Emmanuel Kasarhérou, conservateur en chef du patrimoine, chargé de mission pour l'outre-mer au Musée du Quai Branly, à prendre la parole.
M. Emmanuel Kasarhérou . - Je fais entendre ici la voix de l'Océanie, du Pacifique. Je travaille au Quai Branly sur une exposition d'art kanak qui aura lieu en 2013 ; auparavant, j'ai dirigé le musée de Nouvelle- Calédonie et le centre culturel Tjibaou. En Nouvelle-Calédonie, nous connaissons bien le problème des mémoires croisées, car l'archipel est un microcosme qui illustre l'histoire des 150 dernières années. La colonisation y a eu un fort impact sur les populations autochtones, les Kanak qui veulent que leur existence soit reconnue ; pourtant ils ne méconnaissent pas l'histoire des autres.
L'esprit du centre culturel Tjibaou, l'un des grands travaux de François Mitterrand, c'est d'abord de promouvoir la reconnaissance de la culture autochtone, culture orale qu'il faut préserver, qui prend la forme de mythes et où l'expression obéit à des conditions sociales précises. Les relations entre les Kanak et la métropole furent longtemps marquées par des violences qui culminèrent avec l'assaut de la grotte d'Ouvéa en 1988. Mais le centre a aussi pour objet de dépasser cette mémoire douloureuse pour se tourner vers l'avenir. Nous avons travaillé avec les autres communautés, en libérant la parole, en faisant appel aux chercheurs. La méconnaissance du passé interdit de fonder durablement une identité. Il était aussi important de reconnaître publiquement cette histoire, donc d'organiser des expositions, des prises de parole publiques.
Les musées ont un rôle à jouer. Le succès de l'exposition « Exhibitions » au Quai Branly, sur la constitution de l'image du sauvage, montre que l'on peut rendre sensibles à ces questions des gens qui y étaient d'abord peu réceptifs. Il faut identifier des lieux de mémoire, tracer des parcours territoriaux au niveau national comme au niveau local. Des événements permettent de faire participer ceux qui ont vécu des histoires douloureuses. Lors du travail mémoriel sur la spoliation des Japonais en Nouvelle-Calédonie lors de la Deuxième Guerre mondiale, nous avons tissé des liens entre les chercheurs et les communautés qui ont vécu les événements. Quant aux artistes, par des voies détournées ils savent aller à l'essentiel. ( Applaudissements. )