MEDEF
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Présidence de M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois -
Au cours d'une seconde réunion tenue l'après-midi, M. Jean-Pierre Sueur , président . - Merci d'avoir répondu à notre invitation. Nous avons tenu à recevoir les partenaires sociaux pour nourrir nos débats. Outre les sept propositions de loi d'origine sénatoriale, il y a un projet de loi en préparation : l'ensemble contribue au débat. Nous examinerons tous les textes, d'origine gouvernementale et parlementaire, car tous ont une pleine légitimité pour contribuer à l'écriture de la loi.
M. Benoît Roger-Vasselin, président de la commission des relations du travail du Medef . - Merci de nous recevoir. Nous sommes sensibles au nombre de propositions présentées pour trouver une solution au problème qu'entraîne la décision du Conseil constitutionnel, aussi fondée soit-elle. Le Medef, l'une des rares organisations à être dirigée par une femme, est très attentif à ce sujet.
Reprendre la définition du harcèlement sexuel qui figure dans les lois de 1992 et 1998 ? Non, elle ne nous paraît pas adaptée car elle précise que l'auteur doit avoir une autorité sur la victime et avoir abusé de cette autorité. La définition issue du droit communautaire, qui définit l'infraction comme une « situation », n'est pas non plus satisfaisante. La notion de « comportement non désiré à connotation sexuelle » est également trop floue.
Il faudrait préciser la définition du harcèlement sexuel, en faisant apparaître la notion de répétition des agissements, comme pour le harcèlement moral. Les employeurs doivent pouvoir prendre toutes les dispositions nécessaires.
Parmi les définitions proposées par les différentes propositions de loi, c'est celle de la proposition de loi n°556 qui nous paraît la plus pertinente et la plus proche des exigences constitutionnelles. Elle réunit la notion de répétition des agissements, la précision du but recherché - des actes de nature sexuelle - et l'indication de l'objet et de l'effet des agissements.
La notion « d'environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant » nous paraît en revanche trop subjective. Le Medef comprend la décision du Conseil constitutionnel et juge indispensable, pour la protection des femmes et pour la répression du harcèlement sexuel, une nouvelle définition claire, précise et exempte de subjectivité afin que le harcèlement sexuel soit sanctionné pénalement.
En tant que directeur des ressources humaines, j'ai moi-même prononcé plusieurs licenciements pour faute grave dans des cas de harcèlement sexuel ou moral. Je sais quelle est la douleur de la victime, l'incompréhension de l'entourage parfois. Tout ce qui permettra à l'employeur d'agir de manière irrécusable, tout ce qui lèvera les imprécisions sera bienvenu.
Avec les commissions sociétales du Medef, dont la commission « Respect de l'homme », au sens large, nous sommes sensibles au sujet. Une obligation de sécurité de résultat est imposée aux entreprises ; il faut leur donner les moyens d'agir, de prouver par tous les moyens qu'elles ont pris toutes les dispositions nécessaires. Les fausses accusations existent aussi...
Mme Chantal Foulon, directrice adjointe des relations du travail. - Le code pénal définit et réprime le harcèlement moral à l'article 222-33-2 ; cette définition pourrait être adaptée au harcèlement sexuel et, pour ne pas se limiter au cadre de l'entreprise, évoquer une dégradation des conditions de travail mais aussi des conditions de vie.
Mme Gisèle Printz . - Que signifie « obligation de sécurité de résultat » ?
Mme Brigitte Gonthier-Maurin , présidente de la délégation aux droits des femmes . - L'objet de notre travail est de trouver la rédaction la plus protectrice possible pour les victimes de harcèlement sexuel. Nous souhaitons que le critère du lien hiérarchique disparaisse de la définition pour apparaître comme une circonstance aggravante.
Le rôle des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) pourrait être élargi, en matière de prévention. Qu'en pensez-vous ? Comment comprenez-vous la responsabilité de l'employeur ? La sanction est possible au sein de l'entreprise.
Mme Annie David , présidente de la commission des affaires sociales . - En tant que présidente de la commission des affaires sociales, je m'attache plus à l'aspect code du travail qu'à la dimension strictement pénale du problème. Les CHSCT peuvent-ils servir à l'information des salariés ? Quelle formation pour leurs membres ? Ce sujet pourrait-il être abordé dans le cadre des négociations annuelles obligatoires ? Quel rôle pour la médecine du travail, notamment en matière de prévention ? Des actions particulières peuvent-elles être destinées aux directions des ressources humaines ? Le plus souvent, c'est la victime qui est déplacée, ce qui représente une véritable double peine.
Mme Chantal Jouanno . - Quelle est la jurisprudence sur la nature de l'obligation de sécurité pour l'employeur ? Qu'est-ce qui se passe pendant la procédure ? Comment le juge fait-il pour s'assurer que l'employeur a fait tout ce qu'il pouvait pour mettre fin à la situation ? Nous avons besoin d'exemples précis.
M. Alain Anziani . - Quelle est la sanction en termes de droit du travail ? La personne harcelée, licenciée pour avoir refusé d'accorder ses « faveurs », peut-elle demander sa réintégration, si elle le souhaite ? Les prud'hommes lui accordent-ils des dommages et intérêts ? Peut-on imaginer qu'elle obtienne sa réintégration dans l'entreprise ?
M. Benoît Roger-Vasselin, président de la commission des relations du travail du Medef . - Les cas de licenciement pour harcèlement concernent quasiment toujours le harceleur, pas la victime ! En revanche, il arrive qu'une personne licenciée pour faits de harcèlement sexuel obtienne ensuite gain de cause devant les prud'hommes...
M. Alain Anziani . - Mon hypothèse est celle de la personne licenciée par son employeur pour avoir refusé de lui accorder ses faveurs sexuelles. La réintégration est-elle possible, outre les dommages et intérêts ?
Mme Chantal Foulon, directrice adjointe des relations du travail . - Le licenciement serait atteint de nullité. La victime n'obtiendra de dommages et intérêts que si elle ne demande pas sa réintégration. Je vous rappelle que, depuis 1973, la réintégration n'est possible qu'en cas d'accord entre les deux parties. Il faut bien distinguer pénal et civil.
L'obligation de sécurité de résultat ? Il y a un exemple jurisprudentiel : le harceleur, convoqué par l'employeur, démissionne plutôt que d'être licencié pour faute ; la victime, compte tenu de ce qu'elle a vécu précédemment, prend acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de l'entreprise. Puis elle saisit les prud'hommes pour faire requalifier cette rupture en licenciement abusif.
M. Benoît Roger-Vasselin, président de la commission des relations du travail du Medef . - La prise d'acte signifie que le salarié considère qu'il est de fait licencié sans motif valable, aux torts de l'employeur. Cela s'observe quand la personne juge ses conditions de travail insupportables - il peut s'agir de tabagisme aussi bien que de harcèlement. Ce sont des situations très coûteuses pour l'employeur.
Mme Chantal Foulon, directrice adjointe des relations du travail . - L'employeur, dans le cas que j'évoque, a finalement été condamné aux prud'hommes pour rupture abusive, alors même qu'il s'était séparé du harceleur, pour n'avoir pas pris toutes les précautions nécessaires pour protéger ses salariés de tout harcèlement. C'est l'obligation de sécurité de résultat, qui résulte d'une jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation...
M. Benoît Roger-Vasselin, président de la commission des relations du travail du Medef . - La question du rôle du CHSCT et du médecin du travail a été très débattue lors des travaux sur le harcèlement moral. Certains estiment que seul le médecin du travail est compétent. Lors du débat sur le harcèlement moral, le Medef avait refusé que l'on considère que l'organisation du travail est à l'origine du harcèlement, car celle-ci peut générer du stress, mais des agissements de harcèlement sexuel, cela paraît très exceptionnel ! Dans certains cas, le CHSCT a un rôle à jouer. Vous évoquez une formation particulière pour les membres du CHSCT. Pourquoi pas ? Certains ont préconisé la nomination d'un médiateur au sein du CHSCT ; on peut évoquer l'idée de donner à certains une formation particulière. Dans mon groupe, un médecin était membre du CHSCT. Nous n'avons pas d'opposition formelle mais gare à ne pas paver l'enfer de bonnes intentions !
Le sujet n'a pas sa place dans les négociations annuelles obligatoires (NAO) car les faits de harcèlement sexuel relèvent d'un dysfonctionnement grave. La première urgence est la protection de la victime. Il m'est arrivé de prononcer des mises à pied conservatoires pour éloigner l'auteur présumé : c'est une mesure d'urgence. Nous menons ensuite l'enquête pour nous forger une intime conviction.
La réintégration, comme l'a dit Mme Foulon, suppose l'accord des deux parties.
M. Alain Anziani . - L'article L. 2422-1 du code du travail prévoit la possibilité de réintégrer des salariés protégés sans l'accord de l'employeur. Ce cas pourrait-il être étendu aux victimes de harcèlement ?
M. Benoît Roger-Vasselin, président de la commission des relations du travail du Medef . - Je suis assez réservé. Les cas de réintégration ressuscitent souvent le conflit sous une autre forme... Très souvent, la victime ne souhaite pas rester dans l'entreprise.
M. Jean-Pierre Sueur , président . - C'est un sujet difficile. C'est le harceleur qui est coupable. La victime peut n'avoir pas envie de retrouver le climat qu'elle a connu mais elle a tout de même perdu son travail. La possibilité de réintégration pourrait être une innovation juridique bienvenue.
M. Benoît Roger-Vasselin, président de la commission des relations du travail du Medef . - Une personne licenciée à tort obtient des dommages et intérêts qui peuvent aller jusqu'à quatre ans de salaire. Je ne suis pas sûr que la réintégration soit la meilleure solution : mieux vaut que l'employeur soit lourdement condamné. Et c'est le représentant du Medef qui vous le dit !
Le harcèlement sexuel, dans le droit français, supposait un rapport hiérarchique. En faire une circonstance aggravante me paraît une bonne chose, à condition que cela ne conduise pas à banaliser la possibilité pour n'importe qui de se prétendre harcelé... J'ai connu des cas de personnes se disant harcelées par des personnes de même sexe, sans qu'il y ait de relation hiérarchique : ce sont des cas très délicats. La relation hiérarchique doit clairement être considérée comme une circonstance très aggravante.