2. Structure et rôle des syndicats
Face aux mutations parfois violentes imposées par la mondialisation dans les années 1980 et 1990, le rôle des syndicats de salariés a été central tant au Danemark qu'en Suède. La négociation a été facilitée par leur structure spécifique et l'importance accordée à la négociation collective.
La structure des syndicats est très similaire au Danemark et en Suède et de type organiciste. Les syndicats sont en effet regroupés en trois confédérations chargées des négociations nationales et constituées en fonction du niveau de qualification de leurs adhérents .
La Landsorganisationen
i Danmark danoise et la Landsorganisationen i Sverige suédoise, littéralement « l'organisation nationale » (« LO »), ont toutes deux été créées en 1898 et constituent les principales organisations syndicales des deux pays. Elles regroupent les travailleurs à col bleu et peu qualifiés .
LO Danemark compte environ 1,3 million d'adhérents au travers des syndicats qu'elle regroupe, soit la moitié des travailleurs danois et les deux tiers des syndiqués. LO Suède compte pour sa part 1,5 million d'adhérents dont près de la moitié de femmes. Elle regroupe quatorze organisations syndicales structurées par branches.
Ces deux organisations ont été, dès le XIX e siècle, proches des partis sociaux-démocrates. LO Danemark et le parti social-démocrate danois nommaient ainsi réciproquement deux membres de leur direction. Cette coopération a cessé en 1996 après une décision de LO qui a, par la suite, également arrêté de subventionner le parti social-démocrate. La raison principale invoquée pour la séparation entre la confédération et le parti était que les membres de LO ne votaient plus majoritairement pour les sociaux-démocrates.
LO Suède n'a, pour sa part, jamais rompu les liens l'unissant au parti social-démocrate suédois qui a présidé à sa création. Ces liens n'ont toutefois jamais été aussi codifiés que ceux caractérisant LO Danemark et la social-démocratie danoise. Les rapports paraissent d'autant plus étroits que le premier secrétaire du parti social-démocrate suédois, Stefan Löfven, élu le 27 janvier 2012, était jusqu'à ce jour président de la fédération des travailleurs de la métallurgie, l'une des composantes les plus importantes de LO.
Deux autres niveaux de confédérations syndicales se sont progressivement développés au cours du XX e siècle. Tout d'abord, à côté de la confédération des cols bleus, une confédération des cols blancs s'est créée. La confédération des professionnels du Danemark (FTF) a ainsi été créée en 1952 et regroupe quatre-vingt-dix syndicats dont les syndicats d'enseignants, d'infirmiers, de travailleurs sociaux et d'employés de banque. 450 000 personnes sont représentées par FTF. Le syndicat est indépendant de tout parti politique. C'est également le cas de l'organisation centrale des employés professionnels (TCO) créée en 1944 en Suède. Avec environ 1,2 million de membres, dont près de 60 % de femmes, cette organisation représente un segment plus large de professionnels que son homologue danoise. Ses adhérents sont issus à part égale du secteur public et du secteur privé, et souvent diplômés de l'enseignement supérieur.
Enfin, au Danemark comme en Suède, une confédération de diplômés de l'enseignement supérieur s'est constituée. L' Akademikernes Centralorganisation (AC), « l'organisation centrale des diplômés » du Danemark a été créée en 1972 et regroupe 210 000 membres au travers de vingt-trois syndicats affiliés. En Suède, la Sveriges Akademikers Centralorganisation (SACO) fédère, pour sa part, vingt-six associations professionnelles regroupant 556 000 membres.
Le caractère organique et non pas idéologique des confédérations syndicales est protégé par le droit au Danemark puisqu'un syndicat qui accepte l'adhésion d'une personne relevant, de par son métier, d'un autre syndicat se voit imposer une amende . Tel n'est pas le cas en Suède, ce qui explique la concurrence partielle entre la TCO et la SACO pour les adhérents. Même si les intérêts des adhérents des différentes confédérations peuvent s'opposer, l'absence de rivalité réelle en termes d'adhésions ne peut que limiter tout risque de surenchère. Cette spécificité historique des pays scandinaves est un élément central pour le fonctionnement du système de négociations collectives.
Il convient aussi de noter que les syndicats jouent auprès de leurs adhérents un rôle de prestataire de service essentiel puisqu' ils gèrent notamment l'assurance chômage . Cette activité est parfois présentée comme expliquant le fort taux de syndicalisation, plus de 68 %, dans ces pays. Cette fonction s'est cependant avérée être à double tranchant puisque le taux élevé des cotisations chômage pour les salaires les plus bas et la réticence des étudiants et jeunes diplômés à cotiser, à l'occasion d'un premier emploi souvent imposé par la conjoncture et qu'ils entendent quitter le plus rapidement possible, ont contribué à la relative baisse de la syndicalisation. Celle-ci est liée peut-être aussi à une critique de « l'institutionnalisation » des organisations syndicales. Le taux de syndicalisation s'élevait, en 1999, à 80 % en Suède et à près de 75 % au Danemark.
Quelle que soit l'évolution du taux de syndicalisation, le rôle des syndicats est néanmoins appelé à demeurer central, tant au Danemark qu'en Suède, car l'intervention de l'Etat dans le secteur de l'emploi y est vue comme un échec par les partenaires sociaux . Le gouvernement ne dispose d'ailleurs que de peu de moyens d'intervention directe dans le domaine du travail : l'essentiel des tâches administratives, et notamment l'inspection du travail et la conduite d'études, sont confiées à des autorités administratives partiellement ou totalement indépendantes. Dans les deux pays, l'accord collectif prime sur la loi.
Au Danemark, l'Accord Collectif, conclu en 1973 entre LO et la confédération des employeurs danois ( Dansk Arbejdsgiverforening ou DA, fondée en 1896) et amendé en 1993, prévoit un système contraignant de négociation au niveau national destiné à prévenir tout conflit social et toute intervention de l'Etat . Cet accord est connu comme la « constitution du travail ».
Le contenu de l'Accord Collectif entre LO et DA Pendant les négociations collectives et les accords collectifs entre partenaires sociaux une procédure fixe est suivie : - les négociations doivent être conclues avant une échéance déterminée ; - cette échéance peut être repoussée d'un commun accord, ou : - si les négociateurs concluent un accord, la proposition d'accord est soumise aux voix des adhérents ; - si un accord ne peut être trouvé de nouvelles négociations ont lieu entre les partenaires sociaux et un Conciliateur ; - si les négociations conduites par le Conciliateur se poursuivent, elles doivent se conclure avant une échéance donnée ; - si les négociateurs ne parviennent pas à un accord un premier préavis d'action collective peut être émis (grève mais aussi lockout) ; - l'action collective peut avoir lieu sauf si le Conciliateur la repousse ; il peut utiliser cette faculté à deux reprises pour un report de quatorze jours à chaque fois ;
- si, à l'issue de ces périodes, aucun
accord ne peut être trouvé malgré de nouveaux contacts
entre partenaires sociaux, l'action collective se déroule de plein
droit.
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En Suède, la législation sur la sécurité au travail est ancienne puisque le premier texte en la matière remonte à 1889. Le législateur est revenu sur cette question à plusieurs reprises, en 1912, en 1949 et, en dernier lieu, en 1977, l'actuelle loi sur l'environnement de travail étant entrée en vigueur le 1 er juillet 1978 8 ( * ) . Des adaptations essentiellement liées aux textes communautaires ont été apportées au fil des années à ce texte, qui reste la référence en matière de santé et de sécurité au travail. Le texte reste néanmoins très général et les partenaires sociaux sont attachés à ce que les dispositions réglementaires soient réduites au minimum. De manière générale, l'action de l'Etat dans le domaine du travail, notamment les tentatives pilotées par le gouvernement de restructuration des sites frappés par la désindustrialisation, est appréciée de manière sévère par les syndicats de salariés, qui estiment être mieux à même de protéger leurs adhérents au travers de la négociation.
Cette défiance à l'égard de l'Etat est ancienne. L'accord de Saltsjöbaden , signé entre LO et la confédération du patronat suédois en 1938 après une période de conflits sociaux intenses, consacre ainsi la maîtrise de la négociation dans le domaine du travail par les partenaires sociaux, en dehors de toute intervention de l'Etat. Cet accord a cependant été remis en cause au début des années 1980 en raison de la décision du gouvernement suédois, appuyé par le syndicat LO, de créer, hors du protocole d'accord, des fonds salariaux dont le patronat suédois estimait qu'ils aboutiraient à transférer la propriété des entreprises aux salariés. La manifestation patronale de 1983 a marqué une rupture dans la vie sociale du pays et a profondément blessé le modèle de négociation. Jusqu'à la suppression des fonds au début des années 1990, l'organisation patronale a refusé toute négociation nationale et résilié toutes les conventions auxquelles elle était partie. Aujourd'hui encore, le patronat suédois aborde l'idée de négociations collectives nationales avec une certaine réticence au nom du refus de l'empilement de textes.
La délégation de votre commission a été particulièrement intéressée par le Working Environment Council , instance permanente créée au Danemark réunissant vingt délégués des partenaires sociaux et chargée de trouver un accord sur les moyens de mettre en oeuvre les obligations réglementaires relatives au monde du travail. Il s'appuie sur onze conseils sectoriels dans lesquels sont représentés, outre les partenaires sociaux, les entreprises concernées. La présidence du Conseil national est assurée par une personnalité indépendante nommée pour un mandat de quatre ans par le ministre et celle des comités sectoriels est tournante entre organisations patronale et de salariés. Les accords conclus au sein du Conseil et de ses sections sont transmis au ministre en charge du travail qui les retranscrit sous forme de circulaires. Un rapport annuel est également adressé au ministre. Il présente notamment des recommandations en matière de règlementation et le programme de négociations pour l'année à venir.
Les instances en charge de l'élaboration des
textes réglementaires
et de leur mise en oeuvre au
Danemark
Ministre
du travail
Conseil de l'environnement
de travail
(The Working
Environment
Council)
Autorité
de l'environnement
de travail
(11) Conseils sectoriels
de l'environnement
de travail
Fond national
de prévention
Source : Dansk Erhverv
Focus : les institutions danoises et suédoises
en charge de la
santé au travail
Arbejdstilsynet - L'inspection du travail L'inspection du travail est une agence placée sous l'autorité du ministère de l'emploi. Cette agence est chargée de veiller au respect de la sécurité et des conditions de travail au Danemark, en réalisant des inspections sur les lieux et les postes de travail et en apportant aux employeurs et aux salariés des informations et conseils sur la santé et la sécurité au travail. L'inspection est enfin investie d'un pouvoir de sanctionner les entreprises qui ne respectent pas les règles en vigueur. En ce qui concerne des violations caractérisées des règles importantes fixées par la loi sur l'environnement de travail ( « Working Environment Act » ), l'inspection a le droit de condamner l'entreprise fautive à une amende. En cas de danger extrême, elle peut également demander la suspension de l'activité sur le poste de travail concerné. Les responsabilités de l'inspection sont définies dans la loi sur le milieu du travail et dans des ordonnances ( « Executive Orders » ) correspondantes. L'inspection est dirigée par un conseil administratif, qui se compose du directeur général, Jens Jensen , et des directeurs de cinq centres : le centre de conseil sur le milieu de travail, le centre des ressources humaines et les trois centres d'inspection pour les parties est, sud et nord du pays. Les trois premiers sont situés à Copenhague. Chaque centre dispose d'un effectif compris entre 130 et 160 employés ; au total, l'inspection compte 750 employés.
Det Nationale Forskningscenter for Arbejdsmiljø
(NFA)
Le NFA est un institut de recherche relevant du ministère de l'emploi, ayant pour mission de surveiller, d'analyser et d'étudier les conditions de travail et leur influence sur la santé, la sécurité et le bon déroulement des conditions de travail. L'institut sert de base de connaissances pour le ministère, les partenaires sociaux et les conseillers du milieu de travail ( « working environment counsellors » ). Les principaux domaines de recherche sont la sécurité, l'épidémiologie, les accidents au travail, les troubles musculo-squelettiques, les aspects physiques et chimiques et les conditions de travail psychosociales. Le NFA fait également des recherches sur le « management » et l'organisation du travail, ainsi que sur leur impact sur la santé et notamment sur les horaires de travail, l'absentéisme, l'exclusion et la productivité. Le NFA apporte également son soutien à l'enseignement supérieur, aux universités, tout en assurant l'interface entre les entreprises et le centre d'information sur le milieu de travail ( « Working Environment Information Centre » ). Ce centre d'information, mis en place en 2004, a pour but de rassembler et communiquer des informations dans ce domaine, afin de répondre aux besoins des utilisateurs. Le NFA est dirigé par un conseil de dirigeants constitué de trois directeurs et d'un conseil d'administration composé de treize membres - un président nommé par le gouvernement, six membres nommés par les partenaires sociaux, quatre chercheurs nommés par le Conseil danois pour la Recherche stratégique, et deux représentants du personnel du NFA. En 2008, le NFA employait 155 personnes, dont 79 chercheurs et 14 doctorants ( PhD students ). Cette même année, il a publié 126 articles dans des revues scientifiques internationales. Suède L'Agence nationale de la Santé au Travail - Arbetsmiljöverket Arbetsmiljöverket est l'autorité administrative responsable des questions liées à la sécurité et à la santé au travail, ainsi que de l'inspection du travail. L'Agence a été fondée en 2001, par la fusion de dix Inspections de travail régionales et du Conseil national de sécurité et santé au travail. Sa mission est de faire respecter le droit et les conditions de travail, sécurisées et stimulantes, dans le but d'améliorer les conditions de travail dans une perspective physique, mentale, sociale et organisationnelle. L'Agence est chargée par le gouvernement et le Parlement de veiller à ce que les lois sur l'environnement de travail et les lois sur le temps de travail soient respectées. La loi sur l'environnement du travail (Arbetsmiljölagen, AML) est une loi « cadre », cette agence étant chargée de la compléter par des amendements et des instructions concernant l'environnement de travail. A ce jour, 130 dispositions sur des aspects techniques, chimiques, organisationnels et psychosociaux ont été publiées dans le livre des statuts de l'Agence (AFS). Arbetsmiljöverket incite à l'établissement, sur tout site professionnel, d'une gestion active de l'environnement professionnel afin que chacun puisse y contribuer. Elle assume également la tâche de contrôle du respect de la loi et des directives suédoises sur l'environnement de travail. Elle effectue ce contrôle au moyen d'inspections, c'est-à-dire des visites sur les lieux de travail. L'Agence est également responsable des questions d'environnement de travail pour les personnes handicapées et a pour mission d'appliquer la politique du gouvernement dans ce domaine. Elle est dirigée par le directeur général, Mikael Sjöberg , et les sept directeurs des divisions, dont quatre sont des divisions spécialisées (administration et analyse, régulation et expertise, affaires juridiques et communication) et trois sont des divisions géographiques chargées des inspections. Centre de médecine professionnelle et environnementale d'Uppsala (AMM) Le centre de médecine professionnelle et environnementale est rattaché à l'hôpital universitaire d'Uppsala couvrant le territoire des trois régions autour de cette ville (les régions en Suède sont responsables des services médicaux et de santé). Le centre dispose en son sein d'une clinique, ainsi que d'une unité de recherche dont l'objectif principal est d'élaborer des stratégies préventives dans le domaine de la santé au travail. Les patients sont normalement envoyés au centre par d'autres spécialistes ou par des autorités de l'assurance sociale. La mission du centre consiste dès lors à déterminer s'il y a une origine causale entre les conditions de travail du patient et ses symptômes ou les pathologies. En ce qui concerne les recherches effectués au centre, elles visent, d'une part, à identifier les risques et les réduire, d'autre part, à mettre au point des méthodes destinées à améliorer les conditions de travail afin qu'elles puissent avoir un effet positif sur la santé des employés. Au nombre des projets de recherche en cours, figurent notamment « les conditions de travail des dentistes dans une perspective ergonomique », « la santé des petits entrepreneurs » et « les réactions physiques et psychologiques au stress en relation avec le bruit dans la salle de classe ». Le centre emploie environ 35 personnes, dont des médecins, des psychologues, des toxicologues, des ergonomes et des statisticiens. Il participe à un grand nombre de projets de recherche au niveau international, dont deux fondés par l'Union européenne sur l'environnement de travail dans les écoles, auxquels participent notamment des écoles de Reims. |
* 8 Voir en annexe l'analyse du contenu de la loi.