PREMIÈRE PARTIE : LA MAÎTRISE DU PROCESSUS DE DÉVELOPPEMENT
Au cours des différentes visites qu'ils ont effectuées lors de leur mission, concernant des secteurs économiques très différents, les membres de la délégation ont été frappés par la manière dont la Corée du Sud se donne des cibles de politique économique ambitieuses, parfois visionnaires, puis met en oeuvre un processus de production performant, mettant l'accent sur le contrôle de celui-ci sur le sol national et souvent au sein d'une même entreprise.
I. UNE VOLONTÉ NATIONALE QUI FIXE DES OBJECTIFS AMBITIEUX
La Corée du Sud, c'est d'abord une réussite économique d'une ampleur et d'une rapidité exceptionnelles, alors même que le pays est à peu près dépourvu de richesses naturelles.
En 1953, le pays sort d'une période marquée par une longue fermeture aux influences étrangères, suivie d'une occupation étrangère puis d'une guerre civile qui ont dévasté le pays. La toute nouvelle Corée du Sud est alors l'un des pays les plus pauvres du monde.
La Corée avant 1953 La Corée a été unifiée politiquement dès l'époque de Silla en 668. Trois dynasties seulement se sont succédé pendant près de 1 250 ans, jusqu'à la colonisation par le Japon en 1910. Cette stabilité exceptionnelle, malgré la menace régulière d'invasions chinoises ou japonaises, a permis au pays de construire une identité forte et originale, marquée par des emprunts importants à la civilisation chinoise. On doit ainsi à la Corée de cette époque certaines inventions majeures : imprimerie à caractères mobiles métalliques 2 ( * ) au 13 e siècle, alphabet « hangeul » au 14 e siècle. Au 19 e siècle, la Corée fait le choix d'une politique isolationniste, face notamment aux intrusions européennes et américaines. Le Japon, s'appuyant au contraire sur la technologie militaire occidentale, s'impose en Corée au point d'annexer le pays en 1910. Le souvenir de l'occupation japonaise, qui a duré jusqu'en 1945, est encore aujourd'hui très durement ressenti par les Coréens, en raison de son caractère brutal et de la tentative par les Japonais de négation de l'identité coréenne. À la colonisation a succédé après 1945 la séparation du pays et l'instauration de deux gouvernements dans les parties nord et sud du pays, qui se sont affrontés entre 1950 et 1953 au cours d'une guerre civile destructrice, à laquelle ont participé les grandes puissances. |
A. LE « MIRACLE » DU FLEUVE HAN...
Par analogie avec le « miracle sur le Rhin » qui a caractérisé le développement de l'Allemagne après la Seconde Guerre mondiale, les progrès spectaculaires de l'économie coréenne à partir de 1960 ont conduit à évoquer un « miracle » du fleuve Han, d'après le nom du large fleuve qui traverse Séoul 3 ( * ) . Les chiffres frappent d'autant plus que le pays ne disposait pas de ressources naturelles significatives.
1. Un succès fulgurant
En 1953, la Corée du Sud sort exsangue de la guerre civile qui a ravagé son territoire et détruit ses villes, Séoul ayant été occupé plusieurs fois de suite par les armées des deux camps. Les rares infrastructures économiques datant de l'occupation japonaise et non détruites par la guerre sont pour la plupart situées au Nord. Il s'agit alors, jusqu'au coup d'État du 16 mai 1961, de l'un des pays les plus pauvres de la planète, hérissé de bidonvilles et dépendant entièrement de l'aide des États-Unis pour qui la presqu'île présente un intérêt géostratégique majeur.
Cinquante ans plus tard, la Corée est devenue la quinzième puissance économique mondiale avec un produit intérieur brut (PIB) nominal de 1 000 milliards de dollars en 2010. Son PIB par habitant, de 20 590 $ en 2010, équivaut à celui du Portugal (contre 43 490 $ en France) 4 ( * ) . En parité de pouvoir d'achat, le PIB par habitant des Coréens n'est pas très éloigné de celui des Français (29 835 $ contre 34 077 $ en 2010).
Certaines réussites sont spectaculaires. La Corée est le premier constructeur naval mondial avec 40 % des commandes mondiales en 2007 5 ( * ) , alors que ce secteur n'existait pas dans ce pays avant 1970. C'est aussi le cinquième fabricant mondial d'automobiles, devant la France, et le cinquième producteur d'acier brut. Les groupes de construction sont également très actifs : la tour la plus haute du monde, à Dubaï, a été construite par un groupe coréen.
La Corée est enfin l'un des champions mondiaux de l'électronique et des nouvelles technologies. Elle fabrique la moitié des mémoires d'ordinateur dans le monde et s'impose dans les téléphones portables, notamment intelligents ( smartphones ). Ses habitants disposent d'un taux d'accès à l'internet à haut et très haut débit sans équivalent.
Cette progression n'est pas terminée : la Corée du Sud affiche les taux de croissance les plus élevés de l'OCDE et poursuit son rattrapage en direction de l'économie japonaise. D'après la Banque mondiale, elle fera partie en 2025 des six pays qui fourniront plus de la moitié de la croissance mondiale 6 ( * ) .
Ainsi un Coréen né en 1950, qui a grandi dans l'un des pays les moins avancés de la planète, vit-il aujourd'hui dans l'un des plus riches et des plus innovants. Or cette réussite ne peut guère être attribuée aux capacités propres de son territoire naturel.
* 2 Le Jikji (anthologie de textes bouddhiques coréens), qui est le plus ancien document encore existant imprimé à l'aide de caractères métalliques mobiles, est conservé à la Bibliothèque nationale de France.
* 3 De plus, le nom du fleuve Han est homophone de l'appellation que les Coréens donnent à leur pays : Hanguk , « pays des Han » (à ne pas confondre avec les Han, groupe ethnique majoritaire en Chine).
* 4 Source : Fonds monétaire international, World Economic Outlook , avril 2011. Les chiffres pour 2010 sont une estimation.
* 5 Source : Ubifrance, L'essentiel d'un marché - Corée du Sud , édition 2009/2010.
* 6 Banque mondiale, Global Development Horizons 2011 . Les cinq autres pays cités par la Banque mondiale sont le Brésil, la Chine, l'Inde, l'Indonésie et la Russie, qui font tous partie des 10 pays les plus peuplés du monde alors que la Corée du Sud est seulement 26 e par la population.