2.- LES ÉCHANGES AVEC LE PUBLIC SUR LA BIOLOGIE DE SYNTHÈSE : UN COMPARATIF
a) Le Royaume-Uni
A ce jour, le Royaume-Uni est le pays qui a conduit la démarche la plus aboutie pour les échanges avec le public sur la BS. En 2007, le BBSRC (Biotechnology and Biological Sciences Research Council) a constitué un groupe de travail pour examiner les problèmes soulevés par le domaine émergent de la BS. Ce groupe a publié un rapport en juin 2008 : « Synthetic Biology : social and ethical Challenge » .
En 2009, le BBSRC et l'EPSRC (Engineering and Physical Sciences Research Council) ont institué un comité de pilotage en vue d'explorer la possibilité d'organiser un échange public sur la BS et de conseiller les Research Councils sur les conditions dans lesquelles ils pourraient intervenir dans cet échange. C'est ainsi qu'en mars 2009, le comité de pilotage a fixé le but, les objectifs et les principes qui devraient guider ces manifestations. En ce qui concerne les objectifs, il s'agissait de permettre à un cercle d'habitants résidant au Royaume-Uni d'être clairement formés, informés et consultés, afin que les politiques à venir puissent refléter leurs visions, préoccupations et aspirations.
Quant aux principes, ils devaient tendre notamment à :
- veiller au pluralisme et à la diversité des participants au débat, experts comme citoyens, en mêlant chercheurs en sciences « dures » et SHS, représentants des Resarch Councils, des ONG, des organismes de régulation, décideurs politiques, acteurs économiques, responsables de start up et d'entreprises et citoyens,
- favoriser en parallèle la diversité des approches,
- s'assurer que le contenu et le format permettent à tous les participants d'exprimer pleinement leur opinion,
- développer chez les participants une aptitude leur permettant de prendre part à d'autres échanges dans l'avenir sur des domaines ou problèmes prioritaires qui les mériteraient,
- améliorer ce qui est considéré comme de « bonnes pratiques » et fournir ainsi une base à un échange plus large et de plus long terme,
- mettre en place de nouvelles méthodologies pour la compréhension et les régulations éventuelles qui doivent accompagner le développement technologique d'un domaine émergent, comportant encore beaucoup d'inconnues.
Sur la base de ces principes, le processus conçu par le BBSRC et l'EPSRC a comporté deux phases distinctes : des échanges téléphoniques approfondis avec les acteurs-clés, qui ont précédé des ateliers ouverts au public.
• Les échanges téléphoniques
étaient destinés à comprendre les approches des
acteurs-clés vis-à-vis de la BS sur le plan scientifique comme
éthique et à nourrir le contenu des ateliers. Quarante et un
entretiens téléphoniques ont été effectués,
qui ont permis d'interroger les participants sur les points suivants :
- la science et la BS,
- les considérations sociales et éthiques entourant la science,
- les domaines d'application potentiels,
- toute leçon tirée de la controverse sur les OGM dans les produits alimentaires, qui a été très vive au Royaume-Uni.
Les acteurs concernés et le nombre d'entretiens téléphoniques menés avec eux étaient répartis comme suit :
Qualité des acteurs |
Nombre d'entretiens téléphoniques |
Scientifiques et ingénieurs |
9 |
Spécialistes des sciences humaines |
7 |
Religieux |
2 |
Gouvernement/Autorités de régulation |
5 |
Organismes de financement |
3 |
Industrie/Assurance [curieux mélange] |
5 |
ONG |
6 |
Associations de consommateurs |
4 |
Total |
41 |
• Pour ce qui est du public, 160 personnes ont
été recrutées pour participer à trois ateliers
situés à Londres, dans le nord du Pays de Galles, à
Newcastle et à Edimbourg. Dans chacune de ces villes, les ateliers ont
accueilli 40 personnes. 152 ont assisté au premier atelier, 137 au
deuxième et 129 à l'atelier final.
Les participants ont été recrutés de façon à refléter un large échantillon de la population. Deux sous-groupes ont été constitués pour tenir compte des positions sur l'environnement et des niveaux d'engagement. Les personnes concernées ont été dédommagées au titre de leur participation. Quant à l'organisation proprement dite des ateliers, la première session s'est déroulée le soir et a duré environ 2 heures et demie. Les deuxième et troisième sessions ont duré environ 5 heures et demie et ont eu lieu toute la journée, le week-end. Les sessions consacrées aux introductions et à l'acquisition des connaissances se sont déroulées en séance plénière mais, pour les sessions consacrées aux discussions, les participants ont été répartis en trois groupes.
Le premier atelier a examiné les approches de la science et de la technologie en général et a procédé à une introduction à la BS. Le deuxième atelier a abordé les approches de la BS propres aux différents acteurs, ainsi que les conditions selon lesquelles la BS est financée et régulée. Le troisième atelier a eu trait aux applications potentielles de la BS, à savoir :
- dans le domaine environnemental, avec un focus particulier sur la bio-remédiation,
- dans le domaine de l'énergie, avec un focus particulier sur les biocarburants,
- dans le domaine de l'alimentation et des récoltes, avec un focus particulier sur l'optimisation des récoltes,
- dans le domaine médical, l'artémisinine ayant été utilisée comme un premier exemple.
Parmi les conclusions du rapport du BBSRC sur le dialogue public, votre rapporteur souhaite souligner les points suivants :
• S'agissant de l'impact de la science et de la technologie sur la vie des gens, les thèmes récurrents ont été, entre autres :
« - Qui dirigeait le domaine ?
« - Quels ont été les gagnants et les perdants ?
« - L'absence de transparence en ce qui concerne les problèmes émergents. »
• Sur la BS :
Les participants ont jugé étonnant et même inimaginable que les principes de l'ingénierie puissent être appliqués à la biologie. Ils ont posé les principales questions suivantes sur la BS :
« - Quel est son but ?
« - Pourquoi souhaitez-vous en faire ?
« - Qu'allez-vous en tirer ?
« - Qu'est-ce que la BS va produire de nouveau ?
« - Comment savez-vous que vous avez raison ? »
Le rapport de la BBSRC résume dans le tableau ci-après les espoirs et les inquiétudes des participants au dialogue public.
Espoirs |
Inquiétudes |
Traiter les problèmes globaux tels que le changement climatique, les besoins énergétiques, les maladies et les pénuries alimentaires |
Trop grande rapidité du rythme de développement, alors que les impacts à long terme sont encore inconnus |
Contribuer à la création de richesses et à la compétitivité économique |
Applications orientées par le profit plutôt que par les besoins du public |
La recherche serait faite de façon ouverte et transparente |
Les problèmes seraient dissimulés, du fait d'un focus sur la communication relative aux bénéfices |
Le public serait consulté et impliqué dans son développement |
Tout avis du public serait ignoré 242 ( * ) |
La science serait traitée avec respect |
La nature est violée et nous créons un monde synthétique |
La science est utilisée dans des limites claires et transparentes |
Les problèmes-limites sont ignorés, la technologie étant utilisée dans des organismes plus complexes et sensibles |
Source : BBSRC, Synthetic Biology dialogue, p. 36
L'un des enjeux de cette consultation, qui s'est déroulée dans un climat serein, sera la prise en compte ultérieure des recommandations par le gouvernement du Royaume-Uni et ses institutions de régulation et de recherche. Les mêmes modalités d'échange ont été utilisées au Royaume-Uni pour les nanotechnologies à usage médical en 2006.
* 242 Les participants ont exprimé la crainte que le Gouvernement ne tienne pas compte de leurs préoccupations.