b) Les États-Unis
A la différence du Royaume-Uni, c'est une autorité politique - le Président Obama - qui, aux États-Unis, a pris l'initiative en constituant une commission indépendante, laquelle a procédé à diverses auditions publiques de juillet jusqu'à l'automne de l'année 2010.
1° La science, une ressource partagée pour le Président Obama
Dans l'exposé des motifs de sa recommandation 16 sur l'éducation des citoyens, la Commission présidentielle américaine de bioéthique déclare expressément que la science et son contrôle n'appartiennent pas de façon exclusive aux experts, aux professionnels hautement qualifiés ni aux institutions. Elle considère que la science est une ressource partagée, affectant tous les citoyens et leur appartenant : il s'agit d'un patrimoine commun. C'est dans cet esprit que la Commission a établi les principes de délibération démocratique, de justice et d'équité.
Le rapport fait état à de multiples reprises de débat avec le public. Aux États-Unis, l'idée de débat s'exprime de façon à la fois plus pédagogique, argumentée et nuancée qu'en France. En effet, une agence a été chargée, au sein de l'Office of Science and Technology Policy (OSTP) placé auprès du Président des États-Unis, de la mise en application des recommandations de la Commission présidentielle américaine de bioéthique. Cette agence, l'Emergency Technologies Interagency Policy Coordination Committee (ETPIC), a publié un mémorandum en date du 11 mars 2011, dans lequel elle précise à toutes les agences de recherche et de régulation concernées les préconisations sur la gouvernance de la recherche et de l'innovation pour les technologies émergentes comme la BS.
Parmi ces principes figure bien la participation du public, mais ses modalités de mise en oeuvre sont en-deçà de ce qui est clairement préconisé par la Commission présidentielle américaine de bioéthique. Le mémorandum prévoit seulement une information, avec l'intervention des acteurs concernés, et une participation des citoyens, cette dernière permettant de promouvoir la responsabilité, d'améliorer les décisions, d'accroître la confiance et de permettre une information globale alors qu'elle est aujourd'hui dispersée.
2° Les chercheurs comme médiateurs de la science
Toutefois, comme l'illustre l'étude de deux chercheurs - Mildred Cho et David Relman 243 ( * ) - certains aux États-Unis ont éprouvé la nécessité d'aller plus loin dans la participation du public aux choix de politiques scientifiques.
Mildred Cho et David Relman prennent une position ouvertement critique sur la manière dont la BS est communiquée au grand public : après avoir rendu compte de l'expérience réalisée par l'équipe de Craig Venter et analysé sa portée, ils soulignent que ce travail repose sur une dynamique qui pourrait déboucher dans l'avenir sur des risques nouveaux et accrus. En outre, selon eux, le sujet souffre de l'utilisation de termes trompeurs et de concepts qui sont connotés sur le plan éthique. C'est pourquoi ils insistent sur la nécessité de la communication sur les risques et les bénéfices et une éducation du public aux enjeux de la science.
Ils estiment, en effet, que l'événement créé par l'expérience de Craig Venter offre une opportunité à la communauté scientifique de s'engager dans un échange avec le public et d'éduquer ses propres membres sur les enjeux et responsabilités liés aux partenariats entre chercheurs et industriels dans un domaine aussi évolutif et complexe que la BS.
Dans cette perspective, Mildred Cho et David Relman soulignent que les risques et les bénéfices doivent faire l'objet d'une évaluation élargie, concernant non seulement la sécurité et la sûreté, mais aussi les risques et bénéfices potentiels sur les plans environnemental, économique et social. L'identification et l'approche d'une notion élargie de risques et de bénéfices exigent une expertise allant au-delà du cercle des spécialistes de génomique et doivent inclure, par exemple, des spécialistes de l'environnement et des sciences humaines et sociales.
Comme cela a déjà été dit, ils préconisent que la terminologie utilisée évite toute emphase ou surestimation de la portée réelle des avancées accomplies en termes de recherche fondamentale, technologique et partenariale avec l'industrie. De ce point de vue, les termes « créer la vie », « programmation de la vie », « vie artificielle » ne sont pas souhaitables car ils ne correspondent pas à la réalité et suscitent tous les fantasmes, à juste titre.
En conclusion de leur étude, Mildred Cho et David Relman font valoir que c'est bien par l'échange avec le public que les scientifiques gagneront toute leur légitimité auprès de lui comme auprès des médiateurs. Pour eux, la balle est dans le camp des chercheurs qui doivent s'engager dans l'interaction avec le public de la façon la plus large, la plus diversifiée et la plus transparente possible.
On peut opposer à la lecture de Mildred Cho et David Relman le fait qu'ils surchargent peut-être la responsabilité des scientifiques dans l'image qui est donnée à leur discipline. Les chercheurs n'étant pas les seuls médiateurs de la science, il est important de ne pas oublier le rôle que peuvent jouer dans sa communication (positive ou négative) les médias, les ONG, les médiateurs culturels et, plus insidieusement, les « parties prenantes » dont les intérêts peuvent être mis à mal par cette nouvelle discipline-frontière.
* 243 Mildred Cho et David Relman, «Synthetic "life ", Ethics, National Security and Public Discourse», Science, juillet 2010.