C. SOUTENIR ET DÉFENDRE LA CRÉATION FRANÇAISE

1. La formation de la connaissance artistique et des artistes en France

L'art contemporain constitue un domaine parfois inconnu des jeunes étudiants. Son enseignement dépend de la volonté des chefs d'établissement, contrairement à d'autres pays européens où son enseignement est plus fréquent (Allemagne, Royaume-Uni ou Europe du Nord).

Les frontières entre les enseignements se sont affaiblies au profit d'une porosité qu'il s'agit désormais de valoriser. En effet, les écoles de commerce telles que HEC ou l'EM Lyon ont créé des départements ou projets d'enseignement à dimension artistique. De la même façon, l'IEP de Paris a créé un master de politiques culturelles et un enseignement sur l'art et l'expression politique. Le champ artistique aide donc désormais à appréhender les enseignements généraux sous un nouvel angle (formation de la valeur ajoutée dans l'art, représentation politique dans l'art, etc.).

Cette reconnaissance du champ artistique dans les domaines plus « classiques » montre les enjeux qui sous-tendent le marché de l'art et en particulier de l'art contemporain. Mais certains y voient un risque pour le détournement de l'art dans une approche managériale. Aussi est-il essentiel de créer un mouvement inverse visant à professionnaliser davantage les jeunes artistes, en leur donnant les moyens d'analyser le monde économique dans lequel ils vont évoluer. Ainsi pour Evrard Didier, directeur de l'École nationale supérieure des beaux-arts (ENSBA) depuis 2004, il est essentiel de mieux former les artistes en leur enseignant les fonctionnements du marché, les langues étrangères, les clés pour négocier des contrats avec les galeries, etc.

Proposition n° 21 : Renforcer la connaissance du marché par les étudiants des écoles supérieures d'art et leur donner les clés de la gestion de leur carrière.

Aujourd'hui, selon l'Association nationale des directeurs d'écoles d'art (ANDEA), 90 % des jeunes artistes de la scène française sont issus des écoles supérieures d'art. 85 % des jeunes diplômés trouvent un emploi en relation avec l'art, tandis que seuls 5 à 10 % peuvent en vivre.

Le paysage des écoles d'art évolue. La multiplication des EPCC (établissements publics de coopération culturelle) fait évoluer les tâches des directeurs vers une dimension plus managériale. Des passerelles et collaborations sont créées avec l'université qui aujourd'hui compte 8 UFR en arts plastiques. Le discours de la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche en date du 5 octobre 2010 a mis l'accent sur la nécessité d'accroître les jonctions entre l'université et les pôles de recherche et d'enseignement supérieur (PRES). Dans ce contexte il convient de rappeler la spécificité des écoles d'art qui porte la création et non un discours sur la création artistique, alors que la tentation de comparer le coût moyen des étudiants pourrait naître (entre 25 et 30 000 euros pour un étudiant d'une école supérieure d'art, entre 5 000 et 6 000 euros pour un étudiant en université). En revanche la sélectivité constatée sur le marché de l'art se retrouve dans la compétition pour intégrer ces écoles supérieures d'art. L'un des phénomènes est la multiplication des classes préparatoires privées qui constituent une réelle discrimination à l'entrée en raison de leur coût très élevé (6 à 10 000 euros par an). Votre rapporteur note avec inquiétude cette tendance décrite par l'ANDEA et s'associe à leur idée de réfléchir à un rééquilibrage démocratisant l'accès aux écoles d'art .

Proposition n° 22 : Développer les classes préparatoires publiques sur l'ensemble du territoire afin de démocratiser l'accès aux écoles d'art.

Votre commission a également souligné l'importance de l'éducation artistique et culturelle, qui doit viser un contact direct entre les élèves et les artistes. Votre rapporteur rappelle que cette dimension doit absolument être développée pour rendre accessible la création artistique dès le plus jeune âge et démocratiser l'art d'aujourd'hui. Le ministère de la culture a présenté un plan en janvier 2008 afin de renforcer l'offre publique en matière d'éducation artistique et culturelle. Sont ainsi prévus les projets d'écoles et d'établissements qui doivent comporter un volet culturel, élaboré en partenariat avec les structures artistiques et culturelles de proximité. Une charte nationale de la dimension éducative et pédagogique des résidences d'artistes, de février 2010, doit favoriser un contact direct avec les milieux scolaires.

Proposition n° 23 : Encourager la présence des artistes au sein des établissements scolaires afin de favoriser l'éveil à la sensibilité artistique dès le plus jeune âge.

2. La nécessaire professionnalisation du secteur artistique

Selon une très récente étude du département des études de la prospective et des statistiques (DEPS) du ministère de la culture, 24 000 artistes auteurs étaient affiliés à la Maison des artistes en 2009, avec une progression de 6 % par an en moyenne depuis 1999. Lors de leur audition, les représentants de la Maison des artistes ont évoqué, pour 2011, le chiffre de 53 000 artistes auteurs comptabilisés, ajoutant à la catégorie des affiliés celle des assujettis.

LA MAISON DES ARTISTES

Une mission administrative d'exécution de service public puisque la MDA est l'organisme agréé par l'État pour la gestion de la branche des arts graphiques et plastiques du régime obligatoire de sécurité sociale des artistes auteurs.

Dans le cadre de sa mission de gestion de la sécurité sociale, la Maison des Artistes

- a une compétence nationale, c'est-à-dire qu'elle est chargée d'instruire les dossiers des artistes et diffuseurs de leurs oeuvres résidant fiscalement en France (région parisienne, province, départements d'outre mer). La Maison des Artistes ne dispose pas d'antennes dans les régions ou départements) ;

- agit pour le compte du régime général de sécurité sociale sous la double tutelle du ministère chargé de la sécurité sociale et du ministère chargé de la culture.
Elle met en application les dispositions législatives et réglementaires codifiées aux articles L. 382-1, R. 382-1 et suivants du code de la sécurité sociale qui lui assignent les opérations de gestion administrative, financière et comptable du régime, soit :

- le recensement permanent des artistes des arts graphiques et plastiques et des diffuseurs de leurs oeuvres résidant fiscalement en France, y compris les DOM ;

- les obligations des employeurs en matière d'affiliation à la sécurité sociale pour les artistes dont elle instruit les dossiers ;

- le recouvrement des cotisations et contributions concernant les artistes et les diffuseurs ;

- le secrétariat conjoint avec l'AGESSA d'une commission d'action sociale.

Source : Maison des artistes

Le constat est celui d'un éclatement des types d'artistes auteurs, n'ayant pas un profil type. La notion d'artiste recouvre des réalités très variées, devant être prises en compte globalement, à défaut de pouvoir se retrouver sous un statut unique d'artiste-auteur. Ce morcellement , regretté par les professionnels et déjà décrit en 2009 par MM. Butaud et Kancel 40 ( * ) (inspection générale des affaires culturelles), se traduit d'ailleurs dans l'approche « par petits bouts » que représente par exemple la circulaire 41 ( * ) du 16 février 2011 relative aux revenus tirés d'activités artistiques relevant de l'article L. 382-3 du code de la sécurité sociale et au rattachement de revenus provenant d'activités accessoires aux revenus de ces activités artistiques. En outre, on peut constater une dispersion des revenus artistiques, soulignée par le DEPS, ainsi qu'une très forte concentration puisque les 10 % des artistes les mieux rémunérés captent à eux seuls 43 % des revenus.

LE RÉGIME DE SÉCURITÉ SOCIALE DES ARTISTES AUTEURS AFFILIÉS

Toute diffusion ou exploitation commerciale, par un diffuseur 42 ( * ) , d'une oeuvre originale d'un artiste auteur donne lieu au versement d'une rémunération (les droits d'auteur). L'acquisition de l'oeuvre (tableau, sculpture, etc.) donne lieu également à rémunération.

Lorsque l'artiste auteur exerce son activité de façon indépendante (non salariée) et qu'il réside fiscalement en France, le versement des droits d'auteur par le diffuseur ou la vente d'oeuvres s'accompagne du prélèvement de cotisations et contributions obligatoires, opération appelée précompte. Ces cotisations et contributions sont collectées par deux associations agréées :

- la Maison des artistes pour les oeuvres d'art graphiques et plastiques ;

- l'Association pour la gestion de la sécurité sociale des auteurs (Agessa) pour les activités de création littéraire, dramatique, musicale, audiovisuelle et photographique.

Les cotisations aux assurances sociales (vieillesse, maladie, maternité, invalidité, décès), la CSG et la CRDS sont dues par l'artiste auteur 43 ( * ) au titre du régime de protection sociale des artistes auteurs (articles L. 382-1, R. 382-1 et suivants du code de la sécurité sociale) ; ce régime spécifique est rattaché au régime général des salariés.

Sous conditions de ressources et s'il en fait la demande, l'artiste auteur est affilié à la Maison des artistes ou à l'Agessa ; à ce titre, il bénéficie des prestations équivalentes à celles du régime général (indemnités journalières, congés maternité, etc.). Pour cela, il doit avoir perçu, l'année civile qui précède, des revenus d'auteur 44 ( * ) supérieurs au seuil d'affiliation, soit 900 fois la valeur du Smic horaire (7 524 euros de revenus sur l'année 2007, 7 749 euros de revenus sur l'année 2008). Lorsque le seuil d'affiliation n'est pas atteint, l'affiliation ou son maintien peut être prononcé, à titre dérogatoire, par la commission professionnelle de la Maison des artistes ou de l'Agessa, qui juge de l'engagement professionnel de l'artiste auteur. S'il n'est pas affilié, il est dit assujetti.

Source : Ministère de la culture, département des études, de la prospective et des statistiques - avril 2011

Au sein des douze disciplines répertoriées, trois catégories méritent un commentaire. Selon l'étude du DEPS, graphistes et peintres représentent 71 % du total des affiliés, tandis que les plasticiens, qui ne représentent que 5 %, ont toutefois vu leur nombre tripler en dix ans, traduisant le développement des nouvelles formes de création dans ce domaine (installations, vidéos, oeuvres éphémères, etc.).

Elle décrit également d'autres phénomènes intéressants : la concentration de la population artistique en Ile-de-France (plus de la moitié des affiliés) et à Paris (où vit un tiers des affiliés).

La dispersion des revenus, des profils, des situations et les témoignages recueillis par votre rapporteur illustrant les difficultés face à une profession éclatée, sont autant d'éléments mettant en évidence la nécessité d'une approche globale. Les témoignages des personnes auditionnées ont particulièrement souligné ce besoin dans le monde des arts plastiques. Or les professionnels peuvent s'appuyer sur des structures existantes, telles que le Cipac (fédération des professionnels de l'art contemporain), pour travailler dans ce sens. Le Cipac réunit dix-sept associations professionnelles et représente ainsi les directeurs de centres d'art, de musées, de Frac, d'écoles d'art et de classes préparatoires, les galeristes, les commissaires d'exposition, les responsables d'artothèques ou de bibliothèques spécialisées en art, les critiques d'art, les enseignants d'écoles d'art, les médiateurs et les chargés des relations auprès des publics, les régisseurs et restaurateurs d'oeuvres. Cette fédération dénombre, à travers ses associations membres, 1 600 professionnels travaillant dans le secteur de l'art contemporain en France et 550 structures culturelles (musées, galeries, écoles d'art, etc.).

Le lancement d'une réflexion sur la nécessité d'une convention collective propre au secteur des arts plastiques, et le chantier de la formation professionnelle ont été évoqués au cours des auditions. Ce dernier thème fait d'ailleurs suite au rapport de l'inspection générale des affaires culturelles (IGAC) de 2009 « Propositions pour la mise en place d'un dispositif de formation continue pour les artiste auteurs ». Ce sont des réformes qu'il paraît urgent d'entreprendre pour une mise en oeuvre rapide de propositions pour l'ensemble de la profession.

Proposition n° 24 : Mettre en oeuvre une convention collective pour les professionnels du secteur des arts plastiques.

Proposition n° 25 : Proposer aux artistes auteurs un dispositif de formation continue.

3. Des lieux de résidence pour faciliter l'implantation des artistes en France

La question du logement est un point central car elle est au coeur des préoccupations matérielles conditionnant l'attractivité de la France. Le phénomène de fuite vers les pays plus accueillants n'est pas nouveau et la France est considérée comme le pays qui forme ses artistes mais ne sait pas les garder. Berlin demeure la destination de choix pour les artistes européens qui y trouvent toutes les conditions pour se loger correctement et dans un cadre propice à la création. Des ateliers d'artistes y sont proposés, une surface de 100 m 2 en plein centre coûtant moins de 500 euros par mois d'après les informations recueillies. La capitale allemande a opté pour une politique d'attractivité résolument tournée vers le monde artistique . Le slogan de Klaus Wowereit, élu maire de Berlin en 2001, est assez évocateur de ce choix pour la capitale : « Arm, aber sexy » (« Pauvre, mais sexy » ). Évidemment la pression immobilière n'est pas la même qu'à Paris, mais force est de constater que cet atout concurrentiel de Berlin revient régulièrement comme un regret des professionnels pour la capitale française.

En outre, pour les artistes français, dont on a vu précédemment qu'ils étaient concentrés en Ile-de-France, cette contrainte peut peser lourdement sur leur activité. En effet, afin de faire face aux frais engendrés par les loyers, bon nombre d'entre eux sont contraints d'accepter un emploi « alimentaire » et d'exercer une « multi-activité ». Cela a pour conséquence, selon l'emploi occupé, de détourner l'artiste de sa création et d'amoindrir, voire de décourager, sa production. En outre, certains emplois même liés au secteur concernés sont parfois « mal vus ». Plusieurs artistes ont ainsi confirmé que pour les professionnels, accepter un poste d'enseignant dans le domaine artistique pouvait être perçu de façon très négative par le milieu comme si l'enseignement était le signe d'un renoncement à la fonction critique portée par toute création artistique. Les témoignages des artistes ayant fait ce choix, comme celui des directeurs d'écoles d'art, montrent pourtant combien cette mixité est favorable pour les étudiants.

Enfin, la concentration artistique en Ile-de-France (ventes d'art contemporain, artistes, galeries les plus puissantes et influentes) crée un phénomène d'exclusion du monde artistique dans les régions, alors que l'on a vu tout l'intérêt qu'elles portent à l'art d'aujourd'hui, notamment au travers de la dynamique des FRAC. Cette « injustice territoriale » doit être prise en compte dans le cadre de mesures en faveur du logement des artistes. Elles peuvent prévoir un investissement dans les grandes villes de France pour proposer des logements-ateliers, situés au coeur des agglomérations pour en faire à la fois des lieux d'exposition et des lieux de vie. Ainsi à Toulouse de telles structures ont été créées, avec de grandes baies vitrées en rez-de-chaussée et les espaces de vie discrètement situés en mezzanine, permettant au public de se promener en découvrant les oeuvres des artistes ainsi logés. « L'artiste doit être au coeur de la vie de la cité » (Christophe Girard).

Proposition n° 26 : Lancer un plan d'accueil national des artistes dans toutes les grandes villes de France et prévoir la possibilité de proposer un quota d'ateliers-logements pour les artistes dans les logements sociaux.

Pour qu'une telle mesure fonctionne correctement et bénéficie à des individus exerçant réellement une activité artistique, elle doit s'accompagner d'une modalité de contrôle et d'une durée limitée.

Proposition n° 27 : Conditionner le bail d'atelier-logement à l'activité d'artiste.


* 40 Rapport de l'inspection générale des affaires culturelles (IGAC) de 2009 « Propositions pour la mise en place d'un dispositif de formation continue pour les artistes-auteurs ».

* 41 Cf. annexe.

* 42 Par exemple, les galeries d'art, les éditeurs, les producteurs de films. Les sociétés d'auteurs (telles que la Sacem, la Scam, la SACD) reversent à l'Agessa les cotisations afférentes aux droits d'auteur qu'elles répartissent.

* 43 Le diffuseur quant à lui verse à l'Agessa ou à la Maison des artistes une contribution représentant 1 % de la rémunération versée, 1 % des commissions perçues (sociétés de ventes volontaires) ou 1 % de 30 % du chiffre d'affaires issu de la vente d'oeuvres artistiques.

* 44 On entend par revenus d'auteur les revenus imposables au titre des bénéfices non commerciaux majorés de 15 % ou les droits d'auteur bruts s'ils sont déclarés en traitements et salaires.

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