B. DÉVELOPPER UNE FRANCE DE COLLECTIONNEURS

Aujourd'hui le collectionneur se trouve dans une situation paradoxale en France. Deux images opposées s'affrontent : d'un côté le collectionneur spéculateur qui se retrouve au coeur des débats récurrents sur le maintien ou non des objets d'art hors de la base d'imposition sur la fortune, et de l'autre le collectionneur bienfaiteur dont l'ensemble des professionnels souhaiterait renforcer la place dans le marché de l'art.

Votre rapporteur tient à souligner l'impact très positif, pour les artistes et le marché, de l'intervention des collectionneurs . La dynamique vénitienne autour des collections d'art contemporain de François Pinault a le mérite d'avoir suscité un grand intérêt pour les professionnels comme pour le grand public. Beaucoup, comme Alain Quemin, ne cessent de regretter que la France privilégie l'approche institutionnelle du soutien à la création artistique alors que les structures privées, telles que la Maison rouge - Fondation Antoine de Galbert, parviennent à apporter une vision intéressante et neuve. La démocratisation de l'accès à l'art contemporain et la promotion des artistes français doit beaucoup à des collectionneurs tels que Guillaume Houzé, arrière petit-fils du fondateur des Galeries Lafayette et aujourd'hui responsable de la programmation de l'espace d'exposition éponyme. Le témoignage du président du Centre Pompidou, Alain Seban, enfin, montre combien l'apport des collectionneurs est essentiel pour la constitution des collections publiques.

La réflexion sur le développement des collectionneurs doit néanmoins s'inscrire dans une logique d'ouverture, de démocratisation de l'art contemporain et de l'art en général. Étendre la logique des incitations à collectionner au plus grand nombre permettrait non seulement de ne plus stigmatiser les plus grands collectionneurs souvent soupçonnés de spéculer sur l'art, mais remettrait également l'art d'aujourd'hui, expression vivante de notre société, au coeur d'un projet national de soutien à la création .

La démocratisation du mécénat (mécénat individuel, mécénat des petites et moyennes entreprises) passe nécessairement par une réflexion sur les réformes fiscales à envisager . C'est une question délicate en temps de crise économique alors que la situation des finances publiques contraint à réduire ou à supprimer niches et avantages fiscaux. Cependant votre rapporteur tient à aborder ce chapitre sans tabou : tout d'abord parce que le présent rapport d'information vise à lancer des pistes de réflexion qui doivent guider les débats dans une perspective de long terme, ensuite parce que les réformes fiscales tendant à soutenir la création d'aujourd'hui s'inscrivent dans la logique d'un projet de société, de démocratisation de l'art contemporain, de dynamique à la fois culturelle et économique. Ces pistes de réforme ont donc une justification à la fois culturelle, sociale et économique. Elles sont en quelque sorte un élément clé d'un développement artistique durable.

Quelques éléments de définition juridique d'une collection

Décret du 29 janvier 1993 32 ( * ) : une collection est « un ensemble d'objets, d'oeuvres et de documents dont les différents éléments ne peuvent être dissociés sans porter atteinte à sa cohérence et dont la valeur est supérieure à la somme des valeurs individuelles des éléments qui le composent ».

Art. 534 du code civil : les « collections de tableaux qui peuvent être dans les galeries ou pièces particulières » et les porcelaines bénéficient d'un statut distinct de celui des « meubles meublants ».

L'intégrité de la collection n'est toutefois pas protégée en droit. Il est possible de disperser les composantes de l'ensemble - sauf en cas de demande contraire dans un testament, un acte de donation ou un acte de vente, mais dans la limite de l'équité du partage. Seules les collections classées monuments historiques bénéficient d'une protection juridique.

Le collectionneur ne bénéficie pas du droit d'auteur, le rassemblement de la collection ne constituant pas une « oeuvre de l'esprit ». La jurisprudence a toutefois utilisé la notion « d'oeuvre de l'homme » afin de faire valoir le droit moral des collectionneurs à plusieurs reprises : par exemple pour préserver l'intégrité d'une collection au cours d'un divorce 33 ( * ) .

1. Développer de nouvelles formes de mécénat : pour une démocratisation de la collection d'art

L'idée de développer de nouvelles formes de mécénat répond à deux types d'objectifs : répondre à la forte décroissance du mécénat culturel, et démocratiser l'art d'aujourd'hui .

Depuis 2008, le budget global du mécénat d'entreprise a chuté de 20 %. La part du mécénat culturel dans ce budget global s'est effondrée, passant dans le même temps de 39 % à 19 % en 2010, soit une diminution de plus de 50%. Alors qu'Olivier Tcherniak, président de l'Admical, annonce que « le mécénat culturel est en train de mourir » , on peut relever des mutations de fond :

- la priorité au mécénat valorisant la RSE, responsabilité sociale de l'entreprise ;

- au sein de l'aide culturelle, la priorité aux projets liés à la solidarité et aux grands établissements ;

- la concurrence accrue entre bénéficiaires : Martine Tridde-Mazloum, directrice de la fondation BNP Paribas, reçoit « en moyenne 4 000 dossiers par an, dont deux ou trois seulement sont affectés » ;

- l'émergence du mécénat individuel : pour l'acquisition des Trois Grâces de Cranach par le Louvre, 1,2 million d'euros sur 1,5 million d'euros venaient de donateurs individuels ;

- la définition du mécénat détachée du droit fiscal, avec la Charte publiée par l'Admical en 2011.

On note un repli du mécénat culturel au profit d'un mécénat croisé, avec une dimension sociale. Ce repli s'opère au détriment des structures de création qui souffrent d'un manque de soutien financier et de l'absence de mutualisation des efforts consentis. L'atomisation du secteur artistique, déjà évoquée dans ce rapport, devient un véritable obstacle en période de diminution du mécénat.

LOI N° 2003-709 DU 1 ER AOÛT 2003 RELATIVE AU MÉCÉNAT,
AUX ASSOCIATIONS ET AUX FONDATIONS

Objectifs

La loi dite « Aillagon » crée des réductions d'impôts accordées aux particuliers et aux entreprises sur les dons versés à des associations et fondations reconnues d'utilité publique (FRUP), et simplifie le statut de ces dernières.

Dispositions nouvelles 34 ( * )

A) Statut des FRUP

Limitation stricte des structures habilitées à délivrer un reçu de don aux donateurs :

? Organismes énumérés à l'art. 200 du CGI : fondations d'entreprise, FRUP, fonds de dotation, établissements d'enseignement artistiques publics ou privés à but non lucratif 35 ( * ) , musées de France, associations culturelles ou de bienfaisance autorisées à recevoir des dons et legs, organismes présentant des oeuvres au public dont la gestion est désintéressée ;

? OEuvres ou organismes d'intérêt général , appréciés selon des critères cumulatifs : organismes exerçant une activité parmi celles énumérées à l'art. 238 bis du CGI, au moins en partie en France, sans but lucratif et non pas au profit d'un cercle restreint de personnes.

B) Mesures fiscales selon le type de donateur

- Particuliers et entreprises :

? Passage d'un dispositif de déduction sur l'assiette à une réduction sur l'impôt ;

? Augmentation du taux de réduction sur l'impôt sur les sociétés ;

? Allongement de la durée pendant laquelle l'entreprise peut bénéficier de la réduction.

Le don peut être un versement, une aide matérielle ou d'expertise (« mécénat de compétence »).

- FRUP :

Abattement sur l'impôt sur les sociétés plafonné à 30 000 € au lieu de 15 000 €.

C) Mesures fiscales selon le type de don

Versement au profit d'oeuvres ou d'organismes d'intérêt général

Réduction à hauteur de 60 % du versement, plafonnée à 0,5 % du CA HT du donateur. Au-delà de ce plafond, la réduction peut être reportée sur cinq exercices maximum.

Achat d'oeuvres d'artistes vivants

Déduction du montant de l'acquisition du résultat d'exercice courant et des quatre années suivantes, plafonnée à 0,5 % du CA HT du donateur.

Contrepartie : exposition gratuite de l'oeuvre dans un lieu public, ou prêt gratuit à des interprètes dans le cas d'instruments de musique.

Versement destiné à l'achat de biens culturels d'intérêt artistique ou historique majeur

Réduction à hauteur de 90 % du versement, soumise à l'agrément du ministre chargé de la culture.

Acquisition d'un Trésor national pour le compte de l'entreprise

Réduction à hauteur de 40 % des dépenses d'acquisition, soumise à conditions :

- le bien n'a pas fait l'objet d'une offre d'achat de l'État ;

- l'entreprise consent à ce qu'il soit classé monument historique ;

- l'entreprise ne peut le revendre avant 10 ans ;

- le bien doit être placé en dépôt auprès d'un musée de France.

Application

Sur le court terme (2003-2005), la loi a conduit à un triplement du mécénat d'entreprise qui a atteint 1 milliard d'euros en 2005, dont 975 millions d'euros pour le mécénat culturel. Parmi les entreprises mécènes en 2005, 55 % bénéficiaient des allègements fiscaux et 52 % se déclaraient incitées 36 ( * ) par la loi à augmenter leur budget mécénat.

Le tableau ci-après met en évidence l'impact très positif du mécénat en décrivant les différents mécénats dont a bénéficié le Centre Pompidou.

CAS D'ÉCOLE : LE MÉCÉNAT AU CENTRE POMPIDOU EN 2010

- Montant global : 5 M€, sur 29,6 M€ de ressources propres totales ;

- Mécénat sur programmes : 1,4 M€. Ex : exposition Mondrian/De Stijl ;

- Mécénat projets stratégiques : 2,1 M€, dont 0,2 M€ de mécénat de compétence. Ex : Centre Pompidou mobile, actions de promotion ;

- Mécénat pour acquisitions : 1,5 M€. Retour à un niveau normal après l'aide exceptionnelle de Pierre Bergé pour acquérir Le Revenant de Chirico en 2009.

Depuis le Plan de dynamisation des ressources propres (2007), le mécénat a augmenté de +160 %.

a) Le mécénat individuel

Le problème de la scène française est l'insuffisance des collectionneurs privés, notamment les moyens et petits collectionneurs.

Encourager la multiplication des petits collectionneurs, c'est favoriser le soutien aux artistes les moins visibles. La déclinaison des paradigmes prévalant actuellement dans le marché de l'art contemporain, aux niveaux plus modestes, est la condition d'une démocratisation de l'art . Elle peut permettre de développer un goût pour l'art, d'encourager à découvrir des artistes peu médiatiques, et de développer des dynamiques locales dans tout le territoire.

Il est particulièrement intéressant de se référer à un article 37 ( * ) d'Aurélie Perreten, directrice-adjointe de l'Association Française des Fundraisers. Son analyse montre tout d'abord que le mécénat des particuliers constitue une source de financement pérenne, contrairement à celui des entreprises davantage sensibles à la crise. En outre une analyse comparative avec les États-Unis et le Royaume-Uni montre que la France est le pays qui résiste le mieux à la crise du point de vue des particuliers.

Le Louvre a bien perçu l'intérêt d'une stratégie ciblée sur les grands donateurs puisque quatre cercles de mécènes distincts ont été créés. Le cercle des jeunes mécènes, réservé aux moins de 40 ans et s'appuyant sur un réseau de jeunes entrepreneurs, soutient plus particulièrement les projets du musée liés à l'art contemporain.

L'auteure poursuit en observant qu'avec une valorisation des contreparties limitée à 60 euros en échange d'un don de particulier, « c'est plutôt la philosophie du don et du contre-don à laquelle il faut réfléchir . Plusieurs témoignages de responsables de mécénat ayant entamé une stratégie auprès des particuliers concordent pour dire que la contrepartie la plus demandée et la plus appréciée par les particuliers se résument en un seul mot : proximité ». Ce constat appelle deux remarques de la part de votre rapporteur :

- il serait utile de revoir cette limitation à 60 euros de la valorisation, que plusieurs personnes auditionnées ont jugées « dérisoire » au regard des enjeux de développement du mécénat culturel ;

- la proximité peut s'apprécier à deux niveaux . Tout d'abord elle peut s'opérer à travers un intermédiaire et concerne aussi bien les grands et petits donateurs. Le Louvre est encore un bon exemple avec à la fois l'appel aux dons individuels pour les « Trois grâces » ayant réuni 7 000 donateurs pour un montant de 1,2 million d'euros, ou le programme dédié aux prisons dans lequel Frédéric Jousset, 39 ans, a « investi » 1 million d'euros tirés de sa fortune personnelle et dont il a suivi personnellement la réalisation. Mais la proximité peut aussi s'apprécier de façon plus directe, entre l'individu désireux de soutenir la création artistique et l'artiste lui-même. C'est ce type de proximité qu'il s'agirait d'encourager, d'abord parce qu'elle attirerait l'attention des donateurs, mais aussi parce qu'elle pourrait créer du lien à la fois social et artistique entre les donateurs et les artistes implantés sur leur territoire. Un tel lien avec les artistes vivants pourrait être encouragé fiscalement par exemple en contrepartie de l'achat d'une oeuvre d'artiste vivant pouvant faire l'objet d'un reçu au même titre que celui que fournissent les associations reconnues d'utilité publique en échange des dons. Évidemment un tel système mériterait une étude plus approfondie pour évaluer les contraintes pratiques de sa mise en oeuvre, mais elle constituerait sans nul doute une approche très novatrice porteuse de lien social de proximité entre des petits collectionneurs et des artistes locaux.

Proposition n° 16 : Encourager le mécénat individuel en élargissant à l'acquisition d'oeuvres d'artistes vivants le principe de la réduction d'impôt sur le revenu, accordée en contrepartie de dons aux oeuvres d'intérêt général ou d'utilité publique.

Proposition n° 17 : Revoir à la hausse la limitation de la valorisation des contreparties aux dons individuels.

b) Le mécénat des petites et moyennes entreprises

Comme le montre l'encadré ci-dessous, on note un effet ciseau au détriment du mécénat culturel : les PME contribuent davantage tandis que le mécénat culturel chute. Il s'agit donc de « capter » le mécénat des entreprises les plus petites au profit du domaine culturel.

LE MÉCÉNAT CULTUREL DES ENTREPRISES

Une évolution quantitative alarmante

Le mécénat global a évolué depuis 2008 :

- le nombre d'acteurs augmente (+ 17 %) mais le budget total chute (- 20 %) ;

- l'implication des PME s'est confirmée (85 % des mécènes) ;

- l'échelle locale et régionale est davantage privilégiée (79 % des actions).

La part de la culture dans le mécénat global baisse encore :

- en masse budgétaire (19 % contre 39 % en 2008) ;

- en nombre de mécènes (37 %) : elle passe même derrière le sport (48 %), sauf dans les entreprises de plus de 200 salariés où elle se maintient à 50 %.

Les changements structurels du mécénat

D'après l'Admical, la baisse du budget culture relève de facteurs :

- temporels : l'entreprise recherche un résultat rapide et net, quand l'action culturelle se mesure à long-terme et difficilement ;

- structurels : le mécénat croisé se développe, en associant la culture à d'autres causes aux frontières floues (sociales, éducatives...) ;

- conjoncturels : le mécénat culturel est considéré comme relevant des relations publiques, poste de dépense secondaire en temps de crise.

Or aujourd'hui la réglementation ne permet pas aux plus petites entreprises de contribuer à ce mouvement. En effet, le plafond de 0,5 % du chiffre d'affaires 38 ( * ) constitue un obstacle pour les structures les plus modestes qui pourtant pourraient faire le choix du mécénat, notamment dans une optique de soutien à la création artistique. D'après les professionnels rencontrés, il conviendrait de fixer un seuil forfaitaire (par exemple une tranche de 100 000 euros) au-delà duquel s'appliquerait l'actuel taux en vigueur de 0,5 % pour les entreprises ayant un chiffre d'affaires relativement bas.

Proposition n° 18 : Augmenter le plafond des déductions du montant des dons des PME et TPE en prévoyant une tranche forfaitaire au-delà de laquelle s'appliquerait le taux de 0,5 %.

Les entreprises, fondations, collectionneurs privés, constituent des partenaires susceptibles d'offrir une stabilité aux artistes ou structures de création dans un contexte de finances publiques en crise. On peut citer l'exemple de la fondation Culture et Diversité de Marc Ladreit de Lacharrière, président-directeur général de FIMALAC, qui propose des conventions de trois à cinq ans. Cette inscription dans la durée est un atout important alors que les budgets des DRAC évoluent chaque année.

Votre rapporteur souhaite faire partager son inquiétude sur les pratiques des contrôles fiscaux qui semblent toucher de façon trop régulière les entreprises qui décident de faire du mécénat culturel . Cette pratique a découragé plusieurs entrepreneurs qui ont décidé de renoncer à leur projet.

2. Sécuriser la position des collectionneurs français en contrepartie d'un meilleur accès aux oeuvres d'art

Le rôle des collectionneurs est crucial et peut intervenir de plusieurs façons :

• dans le cadre de prêts d'oeuvres d'art ;

• à travers les dations ;

• comme soutien à la création artistique lorsque les acquisitions visent des artistes émergents.

L'exemple de la « Galerie des Galeries », espace d'exposition des Galeries Lafayette, est exemplaire en la matière. Votre rapporteur a eu l'occasion de mesurer l'impact direct de l'engagement des Galeries Lafayette lors de la FIAC 2010 puisque le groupe sponsorise la foire et a créé un « secteur Lafayette » pour aider chaque année 10 jeunes galeries qui n'auraient pas les moyens de produire leurs artistes sans ce soutien financier (frais de transport, d'hébergement, location du stand). Jusqu'alors le groupe avait d'ailleurs fait le choix de ne présenter que des artistes français dans ce cadre, même si la collection privée comporte des oeuvres d'artistes étrangers. En 1978, déjà, les Galeries Lafayette organisaient l'exposition « la France a du talent », en présentant Niki de Saint-Phalle et Jean Dubuffet. Depuis 2005, Guillaume Houzé organise une exposition annuelle d'art contemporain appelée « Antidote » à la Galerie des Galeries. L'intéressé tient à exposer les oeuvres de la collection privée en observant qu' « il y a un mal français autour de l'art : il faudrait que les artistes soient maudits, que les oeuvres d'art s'exposent seulement dans les institutions ou chez les galeristes, et que les collectionneurs restent discrets, voire secrets. Selon moi, pour favoriser la création et la diffusion de l'art, ce n'est pas l'idéal. Le titre de l'expo, « Antidote », est un clin d'oeil, comme un remède à ce mal. C'est un engagement sincère, profond, vis-à-vis de l'art et des artistes 39 ( * ) . »

Cette attitude des collectionneurs qui favorisent la diffusion de l'art est au coeur de l'action de l'ADIAF, l'association pour la diffusion internationale de l'art français.

LE PRIX MARCEL DUCHAMP

L'Adiaf a créé le prix Marcel Duchamp en 2000 afin de récompenser de jeunes artistes résidant et travaillant en France. Le Centre Pompidou en est partenaire, mais aussi le Mnam et la FIAC.

Quatre candidats (précédemment cinq) sont choisis chaque année, et chacun doit présenter une oeuvre dont les coûts de production sont supportés par l'Adiaf jusqu'à 30 000 euros.

Le lauréat est choisi par un jury composé de personnalités de divers secteurs et de divers pays .

Le lauréat reçoit une dotation de 35 000 euros et une exposition personnelle au Centre Pompidou lui est consacrée. Les nominés sont par ailleurs suivis ; les oeuvres de quarante d'entre eux ont par exemple été vendues au profit d'une association caritative pour le Japon en juin 2011, en partenariat avec Artcurial.

En 2011, pour la première fois les oeuvres des nominés sont présentée non pas au Centre Pompidou mais au LaM (Lille Métropole Musée d'art moderne, d'art contemporain et d'art brut).

Pour Gilles Fuchs, président de l'ADIAF, les débats récurrents sur la réintégration des oeuvres d'art dans la base d'imposition sur la fortune sont très dommageables pour la création artistique dans la mesure où les collectionneurs se retrouvent dans une position délicate, et dans une situation économique incertaine.

Votre rapporteur estime que devraient être distingués les collectionneurs ne soutenant pas la diffusion de l'art, de ceux ayant une action bénéfique pour le plus grand nombre. Le collectionneur qui prête ses oeuvres ne peut être assimilé à celui qui en la jouissance exclusive. Aussi serait-il justifié d'envisager en quelque sorte un statut fiscal des collectionneurs , qui pourrait être inscrit au code général des impôts, et qui aurait pour effet de sécuriser la situation de ces acteurs essentiels du marché de l'art .

Ce statut fiscal pourrait être accordé aux collectionneurs qui exposent ou prêtent leurs oeuvres (aux musées, expositions des collectivités, etc.) et assument financièrement toutes les obligations qui en découlent :

- la restauration ;

- la conservation (qui implique de disposer d'espaces hydro-métriquement bien tenus) ;

- le transport et l'assurance.

L'objectif de ce statut serait de garantir une certaine stabilité aux collectionneurs qui oeuvrent en faveur d'une démocratisation de l'art, dont devraient nécessairement tenir compte les lois de finances annuelles. Cette mesure paraît importante même si le contexte économique peut sembler peu opportun. En effet, le développement et la sécurisation de la situation des collectionneurs privés peut constituer une alternative à l'action de l'État dont les marges de manoeuvre financières sont de plus en plus restreintes. L'initiative privée doit être soutenue à long terme.

Proposition n° 19 : Inscrire, dans le code général des impôts, un statut fiscal spécifique aux collectionneurs prêtent ou exposent leurs oeuvres d'art pour en favoriser l'accès au public.

La réflexion peut se poursuivre en rappelant tous les débats repris maintes fois dans les rapports consacrés au marché de l'art. De nombreuses pistes ont été évoquées par les différentes personnes auditionnées. Il s'agirait, entre autres, d'envisager le mécanisme de la dation en paiement pour l'impôt sur le revenu (mécanisme qui pourrait être valable également pour les artistes étrangers afin d'augmenter l'attractivité de la France), ou d'intégrer les collections dans le forfait de 5 % prévu pour les successions, toujours dans un esprit de contribution à la diffusion de l'art basé sur la circulation des oeuvres en faveur du grand public. Les collectionneurs pourraient également utilement compléter l'aide envisagée aujourd'hui sous forme d'avance sur recettes. De telles aides pourraient être déductibles de l'impôt sur le revenu dans la mesure où elles contribueraient à l'effort national en faveur de la création artistique. Elles pourraient également, via une structure comme l'IFCIC, pallier l'atomisation des aides financières dont souffre le milieu artistique, selon l'analyse de Mme Judith Benhamou-Huet.

DATION EN PAIEMENT

La dation en paiement permet au redevable de s'acquitter de certains impôts en cédant un bien . Elle concerne actuellement certains droits de mutation à titre gratuit et l'ISF.

Ce système porté par M. André Malraux a été instauré par la loi n° 68-1251 du 31 décembre 1968, et ses procédures définies par le décret d'application n° 70-1046 du 10 novembre 1970.

Article 1716 bis du code général des impôts

« Les droits de mutation à titre gratuit et le droit de partage peuvent être acquittés par la remise d'oeuvres d'art, de livres, d'objets de collection, de documents, de haute valeur artistique ou historique, ou [de certains] immeubles [...] afin de les céder à titre gratuit, en tant que dotation destinée à financer un projet de recherche ou d'enseignement [...], à un établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel, un établissement à caractère scientifique et technologique ou à une fondation de recherche reconnue d'utilité publique ou assimilée. »

Procédure

Elle est précisée aux articles 384 A et 310 G du code général des impôts, annexe 2 .

1. L'offre de dation du redevable est instruite par la direction générale des impôts.

2. La Commission interministérielle d'agrément pour la conservation du patrimoine artistique national consulte des experts et émet un avis sur l'intérêt de la dation.

3. Sur proposition du ministre dont relève le bien, le ministre du budget agrée la dation.

4. La décision notifiée au redevable, qui doit accepter pour que la dation soit parfaite.

5. Le bien rejoint la propriété de l'État et est affecté par le ministre compétent.

Les critères de sélection de la Commission visent des oeuvres d'intérêt artistique et/ou historique majeur , ou qui pourraient compléter des lacunes dans les collections nationales.

Contexte et évolutions

De 1972 à 2009, la Commission a été saisie de 700 dossiers, dont 58 % ont reçu l'agrément du ministre du budget. Près des deux tiers des demandes concernent des droits de succession, un cinquième l'impôt sur la fortune et une sur dix seulement des donations entre vifs.

L'ensemble des biens transmis à l'État depuis 1972 constituent une valeur de 809 millions d'euros. Le montant des dations reçues par les musées nationaux représente en moyenne 70 % de leurs crédits d'acquisition et les a dépassés à plusieurs reprises.

La dation en paiement fait partie des mesures contribuant à renforcer le rôle des collectionneurs privés . Elle a été mise en avant par le rapport sur le renouveau du marché de l'art de M. Martin Bethenod, alors commissaire général de la FIAC, présenté en avril 2008 à Mme Christine Albanel pour le lancement du « Plan de renouveau pour le marché de l'art ».

A l'occasion du 40 e anniversaire de la dation, le 27 janvier 2009, Mme Christine Albanel a annoncé vouloir l'étendre à l'impôt sur le revenu.

Exemples

- Picasso, 232 tableaux, 246 sculptures, 3100 dessins et gravures : paiement des droits de succession en 1973 à la mort de Picasso, fonds initial du musée Picasso ;

- Courbet, L'Origine du monde, 1866 (musée d'Orsay) : paiement des droits de succession en 1995 à la mort de Sylvia Bataille-Lacan ;

- plus de 100 partitions, 80 instruments : paiement des droits de succession en 1980 à la mort de Geneviève Thibault de Chambure, fonds initial du Musée de la musique.

L'objectif de sécurité juridique peut également être recherché par les institutions pour lesquelles les dations constituent une clé de voûte d'enrichissement des collections publiques. Ainsi l'annulation de la dation de Claude Berry par ses héritiers fut-elle un « coup dur » pour le Centre Pompidou.

Proposition n° 20 : Mieux encadrer le déroulement de la procédure de dation.


* 32 Décret n° 93-124 relatif aux biens culturels soumis à certaines restrictions de circulation (NOR : MENB9300040D).

* 33 Arrêt de la cour d'appel de Grenoble du 12 janvier 2004.

* 34 Modification du code général des impôts : art. 757, 1469, 788, 1727, 794, 238 bis, 302 bis ; modification de la loi n° 87-571 du 23 juillet 1987 sur le mécénat : art. 4-1, 18-1, 19-8.

* 35 Agréés par le ministre chargé du budget et le ministre chargé de l'éducation nationale.

* 36 37 % « Oui, plutôt » et 15 % « Oui, tout à fait ».

* 37 « Le Mécénat des particuliers pour le secteur culturel : un potentiel encore peu exploité » dans un ouvrage à paraître de l'Observatoire national des politiques culturelles « Guide du mécénat culturel territorial : Diversifier les ressources pour l'art et la culture ? », Jean Pascal Quiles, Marianne Camus Bouziane (direction), Territorial Editions. Ouvrage à paraître.

* 38 Article 238 bis AB du code général des impôts.

* 39 Interview de Guillaume Houzé in « Vivre côté Paris », octobre - novembre 2011.

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