5. L'EPR
Lancé en 1992, dans un souci d'utiliser toute l'expérience acquise sur les modèles français N4 et allemand Konvoi, le projet de réacteur à eau pressurisée européen EPR, d'une puissance de 1600MW, de troisième génération, a pour ambition de constituer la gamme de réacteurs qui remplacera les réacteurs actuels lorsqu'ils arriveront au terme de leur vie.
D'un point de vue strictement économique, la conception générale a été revue de façon à accroître la disponibilité, notamment par l'augmentation de la redondance de certains équipements, afin de pouvoir en assurer la maintenance sans avoir à arrêter l'exploitation du réacteur, et par une durée de vie à la conception de 60 ans.
a) Le retour d'expérience de la IIème génération
Développée après les accidents de Three Mile Island et de Tchernobyl, la troisième génération a pour principal atout de se fixer, dès sa conception, des objectifs de sûreté et de sécurité ambitieux tels qu'une réduction du risque d'accident majeur avec fusion du coeur, une réduction de l'impact sur l'environnement en cas d'accident grave et la capacité à résister à des agressions externes.
Ø Caractéristiques générales
Le réacteur EPR se distingue des autres réacteurs par l'ajout d'un certain nombre de sécurités clés passives, ne nécessitant aucune intervention extérieure.
• Les dispositifs de sûreté face à la fonte du coeur
Le récupérateur de corium , magma résultant de la fusion des éléments du coeur, constitué du combustible nucléaire, des éléments de l'assemblage et d'autres éléments du coeur, permet, en cas de percement de l'enceinte de confinement, l'étalement du coeur et donc son refroidissement. De plus, sans intervention humaine, la chaleur induite par la libération du corium fait fondre des soudures se trouvant autour du récupérateur de corium qui libèrent une réserve d'eau, noyant ainsi le réacteur et accélérant son refroidissement.
Le confinement est assuré par une double enceinte : une enceinte interne en béton précontraint, avec peau d'étanchéité métallique appelée liner , conçue pour résister aux conditions de pression et de température internes, et une enceinte externe en béton armé conçue pour résister aux agressions externes.
Les systèmes d'injection de sécurité ont été renforcés et l'adoption d'une organisation dite « 4 fois 100 % » présente un niveau de fiabilité qui est considéré comme plus important que le système actuel tout en facilitant la maintenance en service. L'organisation « 4 fois 100% » signifie qu'il existe 4 systèmes de refroidissement totalement indépendants pouvant chacun assurer 100% du refroidissement du réacteur.
Ces 4 trains sont installés dans 4 divisions de sauvegarde séparées physiquement, de façon à protéger la fonction de sûreté des agressions internes et externes. Chaque division est alimentée, en plus des alimentations électriques normales, par un diesel principal de secours Les divisions 1 et 4 possèdent en plus chacune un moteur diesel supplémentaire.
L'EPR dispose également d'une cinquantaine de recombineurs d'hydrogène, dont l'importance cruciale ne fait aucun doute, notamment suite à la catastrophe de Fukushima, où l'on a vu spectaculairement les explosions successives d'hydrogène, avec des conséquences sur les structures et sur les émissions de radioactivité.
• Le risque de chute d'avion
Depuis les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, l'agression avec un avion de ligne, ou sa chute accidentelle, est entrée dans les considérations pour la sûreté des réacteurs. Le réacteur EPR intègre, dès sa conception, la prise en compte de ce risque externe majeur puisqu'il dispose d'une coque externe en béton, dite « coque avion » , susceptible de résister à la chute d'un avion.
En effet, lors de son développement dans les années 90, les autorités allemandes ont voulu se prémunir contre la chute, sur un réacteur nucléaire, d'un F-104 Starfighter, dont la fiabilité en vol ne leur inspirait guère confiance (292 des 916 F-104 allemands s'écrasèrent, causant la mort de 116 pilotes, ce qui leur valu le nom macabre de « widow maker », ou « faiseur de veuve » ).
Ainsi que cela a été présenté lors de l'audition du 24 mai, la recherche sur les matériaux a d'ores et déjà permis de développer des bétons de caractéristiques particulièrement bien adaptés aux contraintes de l'industrie nucléaire. Certains ont d'ailleurs déjà été mis en oeuvre dans des installations du parc nucléaire français.
b) Le cas de l'EPR de Flamanville
Le 20 mai dernier sur le chantier du réacteur EPR Flamanville 3, nous avons pu constater l'évolution des travaux, et interroger l'exploitant EDF, Areva, les différents syndicats, ainsi que l'ASN.
Ø Le déroulement du chantier, indicateur d'une perte de savoir faire
Un certain nombre d'intervenants, dont l'ASN, ont fait part de la perte de savoir-faire dans la construction de réacteurs, notamment chez les fournisseurs, sur des points très techniques tels que des soudures au niveau du liner et des adaptateurs du couvercle de la cuve.
Les difficultés de soudage, résultant notamment de l'ergonomie du poste du soudeur, ont constitué une source importante de préoccupation au cours des années 2008-2009. Environ 25% des soudures étaient non-conformes aux critères de qualité exigés par l'ASN et ont dû être refaites. Toutefois, l'ASN souligne la réactivité d'EDF dans la mise en oeuvre des dispositions préventives à la suite de la détection de l'écart de juin 2010.
Cette perte de savoir-faire s'explique principalement par le fait qu'aucun réacteur nucléaire n'a été construit depuis plus de 10 ans en France. Ce problème ne touche pas uniquement EDF, mais l'ensemble de la chaîne de fournisseurs et fabricants.
Les filières de formation n'ont pas été maintenues, et il a même parfois été nécessaire de faire appel à des employés retraités ayant travaillé sur les précédents réacteurs afin qu'ils encadrent et forment les employés actuels.
Les propos tenus par M. André-Claude Lacoste lors d'une audition au Parlement confirment ce point : « Il n'est absolument pas étonnant que l'on rencontre des difficultés pour le construire en France ou en Finlande car on n'y a plus construit de réacteurs depuis 20 ans. Ainsi, Bouygues ne sait plus bétonner à la qualité nucléaire ; de nombreux fabricants ne sont plus au niveau ; EDF a perdu son aptitude à diriger les chantiers » 45 ( * ) .
Ø Caractéristiques face aux risques naturels
Le réacteur EPR en construction à Flamanville bénéficie, dès sa conception, d'innovations suite aux retours d'expérience des accidents de Three Mile Island et de Tchernobyl, mais également d'incidents importants tels que les effets de la tempête de 1999 au Blayais.
• La prise en compte du risque de séisme
Le risque de séisme est pris en compte dès la conception par l'étude sur 1000 ans du séisme le plus important de la région. Celui-ci est ensuite transféré sur le lieu sous la centrale, et cette dernière est dimensionnée en majorant ce Séisme Maximal Historiquement Vraisemblable (SMHV) de 0.5 sur l'échelle de Richter.
Le réacteur EPR de Flamanville est ainsi dimensionné pour un séisme de magnitude 5,7.
Pour le site de Flamanville, le séisme de référence, c'est-à-dire le plus fort séisme imaginable, majoré d'une marge de sécurité (« séisme majoré de sécurité »), correspond à un séisme dont l'accélération horizontale serait de 0,11 g. La partie nucléaire des installations est dimensionnée pour résister à une accélération horizontale de 0,25g.
• La prise en compte du risque d'inondation
Le risque d'inondation a également été pris en compte dès la conception du réacteur en profitant du retour d'expérience de l'inondation de la centrale du Blayais en 1999.
L'examen de la configuration géologique autour du site de Flamanville permet à l'exploitant d'affirmer qu'il n'y a aucun risque de chute de falaise ou autre glissement de terrain côtier induisant un tsunami.
Le dimensionnement des digues se fonde sur la Côte Majorée de Sécurité, qui prend en compte tous les aléas potentiels en les cumulant. La CMS est évaluée à 8.73m pour le site de l'EPR, et la plateforme se situe à 12.40m. La digue, quant à elle, atteint la hauteur de 15 mètres.
c) La sécurité n'a pas de prix, mais son coût manque de transparence
Vos rapporteurs ont pour habitude de rappeler que la sécurité n'a pas de prix, qu'elle a uniquement un coût, c'est-à-dire qu'elle n'est pas en option : son coût fait ainsi partie des dépenses absolument incompressibles.
La catastrophe de Fukushima nous rappelle sans détour que l'on ne négocie pas avec la sécurité d'une centrale. C'est d'ailleurs une position constante de l'Office parlementaire, sur laquelle nous ne saurions transiger. Déjà, en janvier dernier, un rapport de l'Office sur l'évaluation du Plan National de Gestion des Matières et Déchets Radioactifs fustigeait toute idée de réacteur low-cost (bon marché) ou de vente à des pays n'étant pas « en mesure d'effectuer un investissement matériel et humain considérable (...) d'en maîtriser suffisamment les conditions de sûreté pour la déployer . » 46 ( * )
Toutefois, il arrive un moment où il devient nécessaire de chiffrer ce coût. Or, il nous a été impossible d'obtenir une évaluation crédible du coût de la sécurité dans l'EPR. Vos rapporteurs en ont notamment fait la demande directe lors de sa visite du chantier de Flamanville, sans qu'une réponse satisfaisante leur soit apportée.
Le prix du réacteur EPR de Flamanville 3, annoncé à 3 milliards d'euros (base 2003), puis 4 milliards d'euros (base 2008), est aujourd'hui évalué à 5 milliards d'euros (base 2008), si ce n'est plus, soit de l'ordre de 50% d'augmentation. Néanmoins, il faut prendre en considération que le surcoût d'une tête de série est évalué à 30% (Etude DGEMP - DIDEM, 2003).
Dans le cadre de son audit de la filière nucléaire, la Cour des Comptes pourra se saisir de la question de l'évolution du prix de l'EPR au kW et du prix du MWh à la production en sortie de l'EPR de Flamanville 3. Ces deux informations permettent d'une part de comparer le prix de l'EPR aux autres réacteurs de même génération, et d'autre part d'obtenir une indication de la disponibilité effective de l'EPR.
A titre indicatif, nous avons regroupé sous la forme d'un tableau les prix au kW que nous avons pu trouver pour certains réacteurs de troisième génération. Ce tableau ne peut évidemment pas être considéré comme étant totalement exhaustif, puisque les prix sont constamment réévalués, selon la phase et l'avancement du projet.
Réacteur |
Origine |
€/kW |
EPR |
Areva, France |
2500 à 3125 |
AP 1000 |
Westinghouse, USA |
2500 à 3300 |
APR - 1400 |
KHNP, Corée du Sud |
1800 à 2600 |
ACR-1000 |
Energie atomique du Canada limitée (EACL), Canada |
> 2000 (prix d'annonce) |
Source : world-nuclear.org/
Le problème du coût de la sûreté doit être posé. L'énergie nucléaire permet en effet aujourd'hui de produire de l'électricité moins chère que les énergies concurrentes, à l'exception de l'énergie hydroélectrique. Mais une sûreté renforcée a une incidence sur les coûts. Ce problème renvoie à la question de l'avenir de la filière nucléaire, qui sera au coeur de la deuxième partie de la mission.
* 45 Audition, ouverte à la presse, de M. André-Claude Lacoste, président de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) ; Commission des affaires économiques, Mercredi 2 février 2011 ; http://www.assemblee-nationale.fr/13/cr-eco/10-11/c1011041.asp
* 46 « Déchets nucléaires : se méfier du paradoxe de la tranquillité », rapport sur l'évaluation du PNGMDR n°3108 pour l'Assemblée nationale et n°248 pour le Sénat du 19 Janvier 2011, http://www.assemblee-nationale.fr/13/pdf/rap-off/i3108.pdf