4. La nécessité d'un effort permanent de recherche
Vos rapporteurs souhaitent à présent souligner l'intérêt de fournir un effort permanent de recherche, afin de pouvoir faire évoluer le référentiel d'exigences de sûreté des installations au regard du gain pour la sûreté pouvant résulter de ces travaux fondamentaux.
a) La relation complexe entre sûreté et innovation
L'intégration d'une innovation est un processus long et non trivial.
D'une part, l'exigence de sûreté suppose que toute innovation soit intégrée dès que possible dans chaque réacteur pour qu'il bénéficie toujours de la meilleure technologie disponible. D'autre part, pour des raisons de fiabilité, seul un dispositif éprouvé et bien rôdé peut être candidat au remplacement d'un dispositif existant ou à l'ajout d'un composant de sûreté.
Ø La sûreté suppose des améliorations constantes
Les réexamens de sûreté sont une étape périodique de la vie des centrales françaises : ils visent à se réinterroger sur la sûreté de façon approfondie, et permettent de définir les améliorations des installations afin de rehausser leur sûreté à un niveau proche, à défaut d'être équivalent, de celui des installations les plus récentes.
Ils complètent ainsi le processus continu d'amélioration de la sûreté que constitue l'examen du retour d'expérience de l'exploitation quotidienne des réacteurs.
Seule l'ASN, par ses contrôles périodiques et par ses visites décennales, est à même de dire si un réacteur doit être fermé pour des raisons de sûreté.
Elle vérifie en effet régulièrement la mise en oeuvre de parades ou d'actions de surveillance et de maintenance adaptées à la maîtrise du vieillissement des installations et est qualifiée pour dire si l'autorisation d'exploiter une installation peut être prolongée pour une période supplémentaire de 10 ans dans des conditions de sûreté satisfaisantes, sous réserve du résultat de tout nouveau contrôle au cours de cette période.
Ø La sûreté ne peut intégrer que des dispositifs et procédés éprouvés
L'exigence de sûreté pourrait supposer qu'à chaque instant un réacteur nucléaire dispose de la meilleure technologie disponible.
Deux raisons s'opposent à cette vision des choses. D'une part, on peut se poser la question de l'utilité du remplacement d'un dispositif ou d'un procédé éprouvé n'ayant jamais causé de problème et dont les équipes opérationnelles, ainsi que l'ASN, sont satisfaites. D'autre part, pour des raisons de fiabilité, seules les technologies éprouvées peuvent être effectivement intégrées, ce qui impose une sorte de sas temporel entre le développement d'une innovation et sa mise en place sur le parc existant.
Un exemple de technologie améliorant la sûreté de nos centrales et ayant mis une dizaine d'années à être qualifiée est le recombineur d'hydrogène . Son principe était connu depuis longtemps, le platine ayant la propriété de catalyser la réaction de combustion H2 + O2. Il a toutefois été nécessaire de développer un concept passif, utilisant la chaleur dégagée par la réaction pour constituer une boucle de convection naturelle.
Après que le procédé a été testé au début des années 90, en fonctionnement normal, dans l'installation Kali 42 ( * ) par le CEA et dans l'installation H2PAR 43 ( * ) par l'IRSN et EDF, EDF a envisagé d'implanter des recombineurs auto-catalytiques passifs d'hydrogène sur les réacteurs des paliers P'4 (réacteurs de 1300 MW) et N4 (réacteurs de 1450 MW). La décision a été prise par l'ASN en 1997 pour une mise en place sur la totalité du parc, et confirmée après des tests de dimensionnement par l'IRSN au début des années 2000.
Ils sont ainsi installés sur l'ensemble des réacteurs du parc électronucléaire français depuis 2007.
Un autre exemple est l'informatisation du contrôle-commande : alors que la technologie était disponible depuis longtemps, cette mise à niveau n'a été mise en oeuvre que sur le palier N4, et avec initialement beaucoup de précautions.
b) La recherche, gage de crédibilité et de transparence
La recherche en matière d'énergie nucléaire offre une dynamique importante, lui permettant de toujours se situer en pointe des technologies pour la production d'électricité, et lui apportant une ouverture différente sur la société civile, par les questions qu'elle oblige à se poser, tant d'un point de vue économique que sociétal.
Ø Un exemple : la dimension temporelle des déchets nucléaires
La question de la gestion des déchets nucléaires, notamment ceux à vie longue, étudiée à l'Office dès 1989, a été à l'origine de la loi du 30 décembre 1991. Elle pose des questions de société tout à fondamentales, notamment au regard de la durée.
Le choix d'un site de stockage suivra le vote, en 2015, d'une nouvelle loi sur la réversibilité du stockage. La question du stockage en couche géologique profonde, incluant la notion de réversibilité 44 ( * ) , écarte les affirmations par trop définitives de certains milieux scientifiques ou économiques et laisse ouverte la porte de l'évolution de la recherche et des avancées scientifiques qui est le propre de notre culture humaniste. Cette approche ouvre le champ des possibles et ne préjuge en rien des progrès de la science à un, voire plusieurs siècles devant nous.
La question des déchets radioactifs ayant été très peu abordée dans la première partie de notre mission, elle sera approfondie dans la deuxième.
Ø L'énergie nucléaire : une technologie de pointe
L'énergie nucléaire s'appuie sur un ensemble technologique complexe et exigeant.
• Complexe par la diversité des corps de métiers, la transversalité des recherches sur lesquelles elle s'appuie
Ces efforts de recherche concernent les matériaux des équipements sous pression, les logiciels de commande, les bétons, mais aussi les moyens de surveillance et de mesure, l'opérateur japonais Tepco s'étant trouvé, après le séisme et le tsunami, presque aussi aveugle sur la situation à l'intérieur de ses installations que l'exploitant américain de la centrale de Three Mile Island en 1979.
Ainsi, une question fondamentale des années à venir et sur laquelle les recherches doivent aller plus vite réside dans les moyens que nous pouvons mettre en oeuvre pour pouvoir piloter, obtenir des informations, et garder la maîtrise d'une installation, depuis un poste distant, à tout moment, en cas d'accident nucléaire grave.
Par exemple, l'utilisation de fibre optique pour la surveillance, la sécurité et la sûreté des matériaux et des structures, comme il l'a été présenté à vos rapporteurs lors de l'audition publique du 24 mai sur la protection des réacteurs nucléaires, est une piste à approfondir car elle présente de nombreux avantages évidents par rapports aux capteurs traditionnels : diamètre non intrusif, immunité électromagnétique, coût faible.
En situation normale, la fibre optique peut assurer la surveillance de l'enceinte de confinement, des piscines ou des conduites de vapeur. En situation accidentelle ou post-accidentelle, elle peut permettre la détection du percement de la cuve du réacteur, le suivi de l'avancée du corium , la surveillance des conduites de vapeur et autres circuits primaires, la détection d'incendie dans le bâtiment ou la surveillance radiologique de l'enceinte par dosimétrie. Autant d'informations essentielles en situation post-accidentelle.
La recherche se base également sur la modélisation, les simulations numériques, mais également les expérimentations en laboratoire. Ainsi, de nombreuses études sont menées par le CEA en recherche et développement en collaboration avec EDF, Areva ou l'IRSN, soit via des partenariats internationaux, comme le projet SERENA de l'OCDE. La R&D mobilise, à l'IRSN, l'équivalent de 280 personnes à plein-temps, pour un budget annuel de l'ordre de 90 millions d'euros, sur les questions les plus poussées : consolider les connaissances sur le déroulement des accidents de fusion de coeur et de dénoyage de piscines ; acquérir des connaissances sur les mécanismes et dispositions qui permettraient d'arrêter la progression de l'accident et de limiter les rejets dans l'environnement ; compléter nos connaissances du comportement du combustible en situation accidentelle.
• Exigeant par la rigueur et l'excellence qu'elle impose à tous les niveaux de la chaîne de valeur
- à la conception pour intégrer les meilleures options de sûreté ;
- à la construction, sur le chantier, par la réalisation technique d'ensembles nécessitant un savoir-faire important ;
- à la formation, par des cursus théoriques adéquats, y compris à destination de cadres expérimentés pour un effort permanent de mise à niveau;
- à l'exploitation, en fonctionnement, qui impose rigueur, sang-froid, et maîtrise de l'outil pour l'exploitant, vigilance et exigence pour l'autorité de contrôle ;
- au démantèlement des installations, qui nécessite également un savoir-faire transversal de bonne gestion d'un chantier, tout en mettant en oeuvre des opérations spécifiques pour traiter la dimension proprement nucléaire.
La bonne maîtrise d'une technologie aussi avancée pousse notre pays à rester dans le peloton tête des pays industriels. Elle exige sans détour que nous ayons les meilleurs laboratoires, les meilleurs ingénieurs, les meilleurs techniciens.
Cette excellence ne peut pas s'acquérir en un jour : elle résulte d'une expérience que nous garantit l'ancienneté de notre engagement dans la filière, mais exige également un transfert de connaissance et de savoir-faire qu'il faut encourager, comme nous le verrons pour le cas particulier du chantier de l'EPR.
* 42 Enceintes de 15m3 destinées à mesurer l'efficacité de recombineurs catalytiques d'hydrogène.
* 43 Programme permettant d'évaluer l'efficacité ds recombineurs en présence de matériaux simulant les produits émis lors de l'endommagement d'un coeur de réacteur sous forme de vapeurs et d'aérosols.
* 44 On pourra se référer au compte-rendu de la conférence internationale de Reims organisée par l'Agence de l'Energie Nucléaire en décembre dernier sur les questions de réversibilité et de récupérabilité, et tout particulièrement aux interventions du président Claude Birraux.