3. Une nouvelle articulation des moyens disponibles
L'audition ouverte à la presse organisée le 5 mai 2011, ainsi que lors de la visite de la centrale nucléaire de Gravelines, nous invitent à envisager la mise en place d'une sorte de force de réaction rapide, susceptible de fournir des matériels et moyens humains mobilisables dans les 24 h à 48 h à l'échelle d'un site.
Ø Les moyens mobiles d'appoint pour l'électricité et l'eau
L'idée de constituer des moyens de secours mobiles n'est a priori pas très novatrice, car elle est au moins aussi ancienne que cette couleur rouge vif du camion des pompiers qui fascine tant les enfants. Ce qui est moins évident, c'est d'entretenir et de tenir en réserve, continûment, sans rupture budgétaire, une flotte mobilisable très rapidement d'alternateurs et de pompes spécialement adaptés au cas des installations nucléaires.
L'homogénéité et l'étendue du parc nucléaire français constitue plutôt un atout au regard d'un tel besoin, et M. Dominique Minière d'EDF a mentionné au cours de l'audition du 5 mai la disponibilité d'une forte capacité de moyens mobiles de secours par le simple jeu de la solidarité entre sites : si l'un est touché par un sinistre localisé, les autres sites indemnes peuvent lui servir de base arrière pour la fourniture en moyens de secours.
Dans la mesure où le jeu de l'entraide permet d'abaisser la charge de cette fonction de secours ultime, il paraît pertinent de lui donner la base la plus large possible, et l'intérêt d'une coopération internationale en ce domaine ne peut que s'imposer à l'ensemble des exploitants mondiaux. De plus, l'éloignement géographique des sites participant à un tel mécanisme de solidarité constitue une garantie supplémentaire pour la disponibilité, dans tous les cas hormis celui du cataclysme mondial, d'une capacité indemne d'intervention mobile. Il n'est donc pas étonnant qu'une négociation internationale soit en cours pour mettre en place un tel mécanisme de solidarité.
On peut du reste souhaiter que les inspections de sûreté intègrent la surveillance du bon entretien de la capacité, dans chaque site, non seulement à disposer, mais aussi, à projeter, le cas échéant, des moyens de secours.
Cependant la mise en place d'une ligne de défense supplémentaire par la mobilisation rapide de moyens mobiles n'est pas qu'une affaire de disponibilité d'équipements; c'est aussi une affaire de conception, à au moins deux niveaux : l'acheminement et le branchement.
L'acheminement concerne la manière dont on pourra effectivement amener l'équipement sur le site, en considérant que les moyens de communication proches peuvent être, eux aussi, détruits ou désorganisés. En ce cas, des études a priori , particulières à chaque site, devraient permettre d'identifier d'avance, voire d'aménager physiquement, plusieurs solutions d'acheminement, selon les scénarios d'impact subi.
Le branchement concerne la mise en service opérationnelle de l'équipement de secours. Dans le cas d'un apport d'électricité, on perçoit bien la nécessité d'établir d'avance, dès la conception du bâti, des circuits redondants d'alimentation de secours, dotés de points d'accès multiples. Dans le cas d'un apport en eau assurant un refroidissement, il semble indispensable d'imaginer à l'avance la circulation des flux de manière à ce que les ruissellements chargés de radionucléides puissent être concentrés, au lieu de contribuer, en se répandant largement, à l'aggravation de la pollution radioactive du site, gênant d'autant les autres formes d'intervention de secours, comme cela s'est passé à Fukushima; cela donne l'idée d'un ensemble de rigoles et de puisards, correctement dimensionnés d'avance pour ce mode de sauvegarde ultime.
La mobilisation efficace de moyens mobiles de secours est donc loin d'être une question triviale.
Ø Le développement d'une capacité de contrôle à distance
La capacité opérationnelle de la ligne de défense d'arrière-garde sera accrue si elle peut disposer d'instruments de suivi à distance : possibilité de mesurer la radioactivité en différents points, voire capacité à manoeuvrer des robots autonomes. Les solutions technologiques allant en ce sens sont encore largement du domaine de la recherche; mais leur développement mérite une attention particulière dans la perspective d'un renforcement des moyens de gestion de crise.
Ainsi, l'audition du 24 mai a permis de découvrir les potentialités, mais aussi les limites, de la fibre optique dans un contexte de pollution radioactive. D'un côté, une capacité à véhiculer de l'information en grande quantité sur de grandes distances, à partir d'une impulsion lumineuse envoyée depuis une base arrière. De l'autre, une fragilité physique dans des ambiances de température très élevée. En outre, la question du recours à des capteurs passifs, ou activables à partir d'une impulsion lumineuse, reste ouverte.
Néanmoins, l'idée d'exploiter les progrès réalisés dans le domaine des technologies de l'information, au niveau des supports physiques ou hertziens, comme au niveau des algorithmes de traitement du signal, pour essayer de construire des instruments de mesure disponibles même en cas de rupture des alimentations électriques classiques, mérite attention.
Les mêmes technologies de l'information, mais aussi d'autres progrès techniques, sont indispensables pour piloter à distance des robots autonomes, soit installés d'avance à demeure, et activés en cas de crise, soit se déplaçant jusqu'à l'installation à partir d'une base arrière, ce qui suppose de les doter d'une grande capacité à contourner les obstacles. Apparemment, de tels outils ont été testés sur le site de Fukushima pour tenter des opérations de maintenance en zone de forte pollution radioactive, certains de ces outils ayant même été mis à disposition par l'industrie nucléaire française, mais la robotique mobile est un domaine où de nombreux progrès sont encore possibles.
Ø Une organisation renforcée
L'accident de Fukushima a montré en effet que le regroupement physique, sur le site même à protéger, de l'ensemble des systèmes de secours, constitue en soi une forme de vulnérabilité, puisqu'il suffit un impact majeur ciblé et suffisamment brutal pour, tout à la fois, mettre en péril le coeur nucléaire de l'installation, et désorganiser les dispositifs de sauvegarde.
Lors de cet accident, il est en effet apparu clairement que la réponse à une perte simultanée des sources électriques et de refroidissement avait été mal anticipée par l'exploitant japonais, et que les moyens mobiles à disposition étaient insuffisants ce qui a conduit à des hésitations et à des adaptations, après la mise en oeuvre jugée inefficace de premiers moyens de refroidissement héliportés.
La parade consiste à organiser, a priori , une ligne de défense supplémentaire à distance, permettant de conserver une maîtrise partielle, mais effective, de la situation, durant un temps nécessaire pour reconstituer les dispositifs de commande sur place.
Pour la sûreté des installations nucléaires, cette fonction d'arrière-garde revêt potentiellement deux aspects : l'un , déjà plus ou moins couvert, mais qu'il s'agit à l'avenir de consolider, consiste en une capacité de mobiliser rapidement des moyens mobiles pour fournir des ressources d'appoint en eau et en électricité; l'autre, manifestement encore assez hypothétique, si l'on en juge les informations recueillies au cours de l'audition du 24 mai, concerne la disponibilité de technologies permettant de conserver une certaine maîtrise de la situation à distance.