b) Une modulation néanmoins insuffisante au regard des réalités de la répression
? Des interpellations pour usage nombreuses mais focalisées
Selon Mme Françoise Baïssus, chef du bureau de la santé publique, du droit social et de l'environnement du ministère de la justice, « Sur 65 millions de Français, 12 millions ont consommé des produits illicites, 1 à 2 millions ayant une consommation régulière de produits stupéfiants. 800 à 900 000 sont des consommateurs réguliers de résine de cannabis, surtout dans la tranche d'âges 15-25 ans. » (231 ( * )) L'usage est donc une délinquance de masse et, comme tel, appelle des sanctions fréquentes, acceptables, crédibles et équitables. À défaut, la répression fonctionne peu et mal. De fait, les lacunes du dispositif de répression sont flagrantes.
Ainsi, il y a eu, en 2009, 137 594 interpellations pour
usage simple
- distingué de l'usage-revente - de
stupéfiants. Ces interpellations ont à 90 % concerné
l'usage de cannabis. Mme Françoise Baïssus a déclaré
à ce propos : « O
n considère aujourd'hui que
les interpellations ont été multipliées par deux depuis la
fin des années 1990
». L'évolution du taux de
croissance et en valeur absolue est impressionnante mais reste faible au regard
du chiffre des consommateurs réguliers ou occasionnels.
En outre, les interpellations épargnent des catégories entières de consommateurs .
Selon certaines études, la population la plus susceptible d'être interpellée est constituée d'une « clientèle policière » ne comprenant pas les usagers responsables de la majorité des actes délictueux. La population dont le dernier usage est intervenu au lycée et celle des plus gros consommateurs, dont le dernier usage a eu lieu au domicile passent ainsi au travers du filet de la répression (232 ( * )) . M. Henri Bergeron, chercheur, auteur de Sociologie de la drogue a indiqué dans le même sens à la mission d'information : « les études montrent que les populations contrôlées par exemple pour la consommation de cannabis sont situées dans des zones géographiques défavorisées, alors que les études de l'OFDT, sur Paris, prouvent que les quartiers riches consomment plus de cannabis que les quartiers pauvres ! » (233 ( * ))
Dès l'étape de l'interpellation, le système répressif souffre manifestement d'un dysfonctionnement d'autant plus regrettable que figurent parmi les catégories bénéficiant d'une sorte d'immunité de fait la population des jeunes collégiens, lycéens, apprentis et étudiants, pour lesquels il serait essentiel de faire jouer l'effet dissuasif de la sanction pénale.
? Une réponse judiciaire en progrès mais durablement lacunaire
Entre 2001 et 2008, le volume d'affaires d'usage de stupéfiants traitées par les parquets est passé de 10 261 à 17 553. La part des classements sans suite et des affaires jugées non poursuivables a diminué de 29,3 % à 8,5 %.
La statistique semble témoigner du souci de la justice de maximiser la réponse pénale à l'usage de drogues illicites. Mme Françoise Baïssus, chef du bureau de la santé publique, du droit social et de l'environnement du ministère de la justice, a indiqué à ce propos à la mission d'information : « La circulaire du 9 mai 2008 a déterminé ses orientations en vue afin d'éviter de banaliser la consommation de drogues. C'est un point important, que l'on a largement défini et décliné à l'intention des procureurs généraux et des procureurs de la République. [...] Ceci mérite d'être relevé : qui dit politique pénale dit prise de conscience du fait qu'il faut apporter au moins une réponse pénale. La circulaire du 9 mai 2008 est très claire sur ce point : les réponses doivent être individualisées, appropriées, en fonction du profil de l'usager, mais systématiques, notamment lorsqu'il s'agit d'usagers mineurs » (234 ( * )) .
Néanmoins, les alternatives aux poursuites ont représenté 70,4 % des affaires traitées par les parquets en 2008 contre 54,7 % en 2001. Au sein de cette catégorie de mesures, les rappels à la loi, pourtant peu dissuasifs pour les consommateurs, conservent une place très largement prépondérante, même si leur part est passée de 81,3 % en 2001 à 73,4 % en 2008 . L'Observatoire français des drogues et toxicomanies (OFDT), dans un document intitulé Cannabis, données essentielles, 2007 , relevait déjà ces caractéristiques : « ces affaires d'usage [de cannabis] sont rarement classées sans suite, en particulier quand il s'agit de mineurs. Elles sont majoritairement (et de plus en plus fréquemment) traitées par une mesure alternative aux poursuites (80 % des procédures en 2005, contre 56 % en 2002). Concrètement, il s'agit le plus souvent d'un rappel à la loi (71 % en 2005), d'une injonction thérapeutique (14 %) ou d'un classement avec orientation sanitaire (8 %). »
La réponse pénale, lacunaire et pusillanime parce qu'inadaptée aux réalités quotidiennes de la consommation de drogues illicites, apparaît dès lors très modérément efficace à l'égard de ce que la circulaire relative à la lutte contre la toxicomanie et les dépendances du 19 mai 2008 appelle l'usager simple , c'est-à-dire le « délinquant usager occasionnel de produits stupéfiants ou consommateur régulier qui ne pose toutefois pas de problèmes de santé ou d'insertion majeure, et qui détient une très petite quantité de substances ». Comme l'indiquait devant la mission d'information M. Gilles Leclair, préfet délégué pour la défense et la sécurité auprès du préfet de la zone de défense Sud : « Peu à peu, les magistrats ont renoncé à se faire présenter les personnes au-dessous d'un certain seuil de détention de produit et ont même renoncé à toute procédure à l'encontre des usagers de cannabis : au mieux, on les enregistre dans le fichier national des auteurs d'infraction à la législation sur les stupéfiants, mais il n'y a plus de réponse pénale et médicale. » (235 ( * ))
Au regard de ce constat, un instrument fait manifestement défaut dans la gamme des réponses judiciaires .
Sa création aurait en outre l'avantage d'introduire plus de cohérence et plus de réalisme dans la panoplie pénale en vigueur.
* (231) Audition du 26 janvier 2011.
* (232) Cf. Danièle Barré, La répression de l'usage des produits illicites : état des lieux , CESDIP, 2008.
* (233) Audition du 9 février 2011.
* (234) Audition du 26 janvier 2011.
* (235) Audition du 25 mai 2011.