c) Les laboratoires clandestins
Si notre pays s'approvisionne encore massivement à l'étranger, la crainte est désormais avérée qu'il devienne à son tour - comme d'ailleurs tous les autres États européens - un pôle d'offre à plus ou moins grande échelle, comme a pu en témoigner devant la mission M. François Thierry (21 ( * )) .
La Belgique ou les Pays-Bas - où l'on estime que 45 000 plantations de cannabis sont disséminées - accueillent depuis longtemps déjà des laboratoires de production ou de transformation de stupéfiants, cannabis comme drogues de synthèse. Or, « il n'y a aucune raison pour que nous ne courrions pas le risque de voir la production s'implanter dans notre pays », a reconnu M. Thierry, pour qui « nous avons aussi des surfaces agricoles à même d'accueillir ces fermes et des exploitations en faillite pouvant être rachetées ».
Cette évolution est particulièrement préoccupante du fait du rapprochement du lieu de production et de consommation qu'elle induit, lequel permet un approvisionnement moins risqué, de meilleure qualité, plus rapide et à moindre coût. L'échelle dont il est ici question n'est plus celle de la production domestique, où les quantités restent marginales, mais relève d'une véritable industrie qui se professionnalise.
« Nous avons tous en tête l'image de l'étudiant cultivant du cannabis chez lui après avoir ramené des graines d'un voyage aux Pays-Bas. À cette production a succédé progressivement, depuis deux ou trois ans, celle effectuée dans des appartements dédiés à cette culture, voire dans des lieux plus importants exploités par des gens dont les préoccupations sont avant tout commerciales » a témoigné à cet égard M. Thierry.
Ce cannabis se prévaut par ailleurs d'une image « bio » avancée comme un élément de marketing différenciant auprès de consommateurs européens plus exigeants qualitativement. « Les trafiquants marocains, libanais ou afghans ont de plus en plus mauvaise réputation : les produits ont été tellement coupés que les consommateurs se sont tournés vers un produit vendu comme plus naturel et de manière plus directe. Ce produit risque donc d'avoir la faveur des consommateurs dans les deux à trois ans qui viennent, et de nous poser problème » a ainsi souligné M. Thierry.
M. Fabrice Besacier, chef de la section Stupéfiants du Laboratoire de police scientifique de Lyon, a également pointé les dangers que font peser sur les utilisateurs ces produits fabriqués dans des laboratoires et parés de vertus tirées de leur prétendue naturalité. « Les consommateurs pensent que l'herbe de cannabis est un produit plus fiable parce que c'est un produit naturel, une herbe qui est fumée telle quelle. Or, dans tous les pays d'Europe, notamment en 2008 jusqu'au début 2009, des micro-billes de verre, de l'ordre de 50 micromètres, ont été insérées dans la plante, dans ses sommités fleuries. L'intérêt pour le trafiquant était qu'elles faisaient briller le produit, qui semblait davantage dosé en THC, et qu'elles pouvaient en augmenter la masse jusqu'à 30 %. Mais quand les gens le fumaient, les micro-billes pouvaient se casser et provoquer une atteinte pulmonaire » (22 ( * )) .
Cette évolution, loin de se limiter au continent européen, touche l'ensemble de la planète. Ainsi que l'a relevé M. Étienne Apaire, président du Groupe Pompidou du Conseil de l'Europe, « les distinctions subtiles entre pays producteurs et pays consommateurs s'amenuisent considérablement. En effet, si les drogues chimiques sont plutôt l'apanage de pays développés, leur consommation se développe dans les pays asiatiques. En outre, les pays producteurs deviennent des pays consommateurs. [...] On compte un million d'héroïnomanes en Afghanistan, entre trois et quatre millions au Pakistan. Ces pays sont désormais tout autant victimes que nous de leur production. Au Sénégal, en Guinée et Guinée-Bissau, et maintenant au Maroc et en Algérie, la route de la cocaïne déverse aussi des drogues parmi les populations » (23 ( * )) .
* (21) Audition du 26 janvier 2011.
* (22) Audition du 13 avril 2011.
* (23) Audition du 19 janvier 2011.