B. REFUSER LE DÉFAITISME EN RENFORÇANT L'OFFRE DE SOINS
De nombreux intervenants l'ont rappelé à la mission d'information : la toxicomanie est, comme l'avait souligné le professeur Claude Olievenstein, la rencontre entre un produit et une personnalité, dans un contexte social et culturel donné. Autant dire que cette simple définition permet d'appréhender l'ampleur de la tâche qui consiste à accompagner les toxicomanes dans leur sortie de l'addiction - d'autant que, selon le docteur Xavier Laqueille, psychiatre, chef du service d'addictologie de l'hôpital Sainte-Anne à Paris que la mission d'information a pu visiter, il faut moins parler de « guérison » que de « rémission » de plus ou moins longue durée.
L'offre de traitement a tenté de répondre à la diversité des profils et des problèmes des toxicomanes. Élaborée dans les années 1970, reposant sur un principe d'anonymat du patient et de gratuité des soins, elle a assez longtemps été marquée par le relatif désintérêt des personnels soignants, médecins et psychiatres, pour lesquels les toxicomanes constituaient des patients « à part », difficiles à prendre en charge. L'offre de traitement a donc été d'abord le fait d'associations ainsi que de quelques personnalités très engagées, comme le professeur Claude Olievenstein qui a créé le centre de Marmottan. Il en a résulté une grande diversité des structures susceptibles de prendre en charge les usagers de drogues souhaitant traiter leur addiction, et une palette de réponses thérapeutiques diversifiées dans laquelle on peine parfois à se retrouver. Traitement médico-social ou hospitalier des addictions, structures résidentielles ou prise en charge ambulatoire, centres spécialisés ou médecine généraliste de ville sont autant de possibilités ouvertes aux dépendants en recherche de traitement.
Cette abondance n'est cependant qu'apparente : l'offre de soins souffre en réalité de certaines insuffisances et de déséquilibres auxquels il faut aujourd'hui remédier, car le défaitisme ne peut être une option.
1. Multiplier les structures d'accueil résidentiel
L'offre de soins à destination des toxicomanes peut paraître abondante, mais elle est aussi en cours de structuration et de rationalisation. La multiplicité des structures dans le souci d'une offre diversifiée ne répond qu'imparfaitement aux besoins des toxicomanes et de leurs familles. Certains dispositifs mériteraient ainsi d'être confortés. Cela concerne au premier chef les structures de traitement résidentielles médico-sociales qui permettent de prendre en charge des patients pour lesquels une prise ambulatoire est inadaptée et dont l'accompagnement est le plus difficile.
Les structures de soins résidentiels peuvent prendre diverses formes mais le nombre de places disponibles - environ 1 100 - reste plus que limité au regard des près de 230 000 usagers problématiques de drogues. On mesure les efforts à consentir en la matière !
Ce point est d'ailleurs souligné dans le Livre blanc de l'addictologie française établi par la Fédération française d'addictologie et communiqué à la mission d'information par M. le professeur Michel Reynaud, psychiatre, secrétaire général du collège universitaire des enseignants d'addictologie et chef du service de psychiatrie et d'addictologie du groupement hospitalier universitaire Paul Brousse (137 ( * )) .
Ce livre blanc, dans sa proposition n° 39, juge en effet nécessaire d'« augmenter les capacités d'accueil des services de soins résidentiels sur la base d'une programmation nationale et régionale, garantissant l'égalité d'accès aux différents profils et parcours d'usagers et aux offres correspondantes » et, dans sa proposition n° 40, de « doubler les capacités d'accueil des services de soins résidentiels et mettre notamment en place une programmation pour [disposer], en moyenne par région, [de] trente places en centres thérapeutiques résidentiels, trente places en communautés thérapeutiques et dix places en réseau de famille d'accueil » (138 ( * )) .
a) Conforter le message d'espoir des communautés thérapeutiques
La mission d'information a visité deux communautés thérapeutiques : la Communauté du fleuve, située à Barsac en Gironde, et le centre San Patrignano en Italie, à proximité de Rimini. Ces deux déplacements ont permis de montrer toute l'utilité de telles structures pour accompagner les toxicomanes dans leur sortie de la dépendance. Indispensables pour les accompagnements au long cours, elles sont malheureusement trop peu nombreuses et méritent d'être confortées.
? Les communautés thérapeutiques, des structures un temps contestées en France mais en cours de réhabilitation
Il convient de rappeler ce que sont les communautés thérapeutiques. Elles s'inscrivent, à l'origine, dans une logique de « démédicalisation » et de « dépsychiatrisation » du traitement des usagers de drogues. Leur démarche repose sur l'éloignement des toxicomanes de leur environnement habituel pour rompre avec le milieu de la drogue. Ces structures d'hébergement s'adressent donc à des usagers de drogues dépendants dont l'objectif est l'abstinence. La vie en communauté doit les conduire à abandonner leur comportement toxicomaniaque et retrouver leur autonomie avec l'aide de leurs pairs et d'un personnel d'encadrement. La participation à des travaux collectifs et à des groupes de parole doit les aider à se stabiliser sur le plan comportemental et psychologique en vue de leur réinsertion future. Comme l'a indiqué à la mission d'information M. Andrea Muccioli, qui dirige le centre San Patrignano, la communauté a vocation à remplir le vide laissé par la drogue et à aider les personnes accueillies à retrouver leur estime de soi.
Apparues dans les années 1970 en France, les communautés thérapeutiques ont longtemps constitué le standard dominant du traitement des toxicomanies qui visait le sevrage et l'abstinence. Puis, l'apparition de la politique de réduction des risques dans les années 1990 a contribué à « remédicaliser » le traitement des toxicomanies, notamment grâce à la diffusion des traitements de substitution aux opiacés. La montée en puissance de centres spécialisés de soins aux toxicomanes a également conduit à se détourner des communautés thérapeutiques. Parallèlement, l'image de ces dernières s'est dégradée en France, en raison d'une nébuleuse d'entités se présentant comme telles - bien que non reconnues par les pouvoirs publics ou les réseaux internationaux de communautés thérapeutiques -, regroupées au sein de l'association Le Patriarche dont les dérives sectaires ont été établies par la commission d'enquête sur les sectes constituée par l'Assemblée nationale en 1995 (139 ( * )) . Les communautés thérapeutiques ont alors suscité la défiance ; leur objectif d'abstinence a même pu être dénigré au motif qu'il serait irréaliste et porteur de valeurs morales jugées dépassées.
Pourtant, lorsque les séjours de brève durée dans les centres de post-cure ont échoué, quand le recours aux structures ambulatoires a atteint ses limites et la réponse médicamenteuse est inadaptée, l'approche psychosociale et la rupture avec un environnement incitant à la consommation de produits psychoactifs prennent tout leur sens. Comme l'a déclaré à la mission d'information le docteur Xavier Emmanuelli, président et fondateur du Samu-social, « on sait traiter les crises aiguës mais on n'a pas fourni de solution de rechange. Les psychiatres aiment bien se servir des produits et n'ont pas les moyens de les suivre à long terme. Or, le problème de société qui est posé ici est celui de l'accompagnement, de l'hébergement, de l'intérêt, de l'affection pour les malades et ne sera pas résolu uniquement par des moyens matériels » (140 ( * )) .
C'est exactement ce que la mission d'information a pu constater lors de sa visite de la communauté de San Patrignano. Toutes les personnes qu'elle a pu y rencontrer ont loué le caractère familial de la structure, alors même qu'elle compte plus de mille six cents membres. La rupture avec l'environnement qui a conduit à la consommation de produits y est totale : lors de la première année de résidence, aucun contact n'a lieu avec l'extérieur, si ce n'est par voie épistolaire. Ce n'est qu'après que peuvent être organisées les visites de proches, et les sorties à l'extérieur de la communauté n'interviennent qu'après deux ans de séjour ou un peu plus longtemps. L'encadrement permanent par les pairs, reposant sur un système de parrainage par les résidents les plus anciens, ainsi qu'une vie en communauté continue - les résidents dorment ainsi en dortoirs collectifs pendant tout leur séjour, qui dure près de quatre ans - permettent d'apporter un soutien tout au long du parcours. Pour autant, l'autonomie est aussi progressivement acquise, par de nouvelles responsabilités données au fil du séjour et des sorties à l'extérieur de plus en plus fréquentes.
Fort heureusement, une telle approche du soin des dépendants semble désormais en cours de réhabilitation en France ; car quoi qu'en disent certains, la plupart des toxicomanes souhaitent, même s'ils n'y parviennent pas facilement, « sortir » de leur addiction lorsque les conséquences de celle-ci deviennent ingérables. Pour les plus fragiles, cette sortie est longue, parsemée d'embûches, jamais définitivement acquise. Un encadrement permanent, un soutien psychologique et l'entraide des pairs sont alors essentiels pour le maintien dans l'abstinence, objectif qui n'est souvent qu'imparfaitement poursuivi lorsqu'une démarche strictement médicale est privilégiée. Les structures ambulatoires ne peuvent apporter une telle réponse ; ne pas l'offrir serait pourtant irresponsable.
? Des structures aux résultats très positifs
Les communautés thérapeutiques ont fait la preuve de leur efficacité. Les données internationales montrent qu'elles obtiennent des résultats remarquables pour les personnes qui parviennent au bout du programme.
Une des critiques à l'égard de ces structures consiste à leur reprocher de procéder à un « tri » de leurs résidents, en exigeant qu'ils soient déjà sevrés à leur entrée. Mais c'est bien là que réside l'enjeu : le but est de consolider l'abstinence de toxicomanes sevrés. L'offre de sevrage est relativement abondante, notamment en milieu hospitalier. Une fois cette étape franchie, la difficulté pour les dépendants consiste à éviter la rechute et à être suffisamment motivés pour envisager de se maintenir dans l'abstinence ; si tel n'est pas le cas, il est évident que la démarche est vouée à l'échec. Ainsi, pour entrer au centre San Patrignano, les demandeurs doivent-ils attester de leur sevrage ; leur degré de motivation est également évalué par le personnel d'encadrement. Les demandeurs se soumettent en outre à un bilan psychiatrique complet, qui permet de déterminer si leurs éventuels troubles psychiatriques étaient préexistants à la consommation de drogues. Si tel est le cas, ils ne sont pas admis car la vie en communauté, assortie de règles strictes, ne serait pas adaptée.
Les bons résultats obtenus par les communautés thérapeutiques pour ceux de leurs résidents qui parviennent au bout de leur parcours sont également souvent relativisés, dans la mesure où seulement 15 % à 25 % des personnes accueillies parviennent, effectivement, à achever ce parcours. La plupart des départs surviennent en effet fréquemment lors des trois premiers mois du séjour.
Mais cette observation ne vaut pas pour toutes les communautés, dont certaines obtiennent des « taux de réussite » excellents. C'est le cas du centre San Patrignano qui a donné lieu à des études indépendantes réalisées par les universités d'Urbino, de Bologne et de Pavie (141 ( * )) . Cette communauté a le meilleur taux mondial de « rétention » de ses résidents puisque selon les années, il varie entre 61 % et 71 % après un an de séjour, ce qui est extrêmement élevé si on le compare aux 25 % cités plus haut. Après deux ans - soit la durée maximale prévue pour les séjours en communauté thérapeutique en France -, ce taux est de 52 % à 55 %. Il est de 45 % après trois ans. Les mêmes études ont en outre analysé les parcours d'anciens résidents de la communauté trois ans au moins après la conclusion de leur parcours éducatif et ont conclu que plus de 70 % d'entre eux étaient totalement réinsérés et ne consommaient plus aucune drogue.
La durée du séjour a un impact non négligeable sur les résultats obtenus. Comme le soulignent le Dr Jean-Michel Delile et M. Jean-Pierre Couteron (142 ( * )) , d'après les études de suivi, une durée minimale de séjour de trois mois est nécessaire pour obtenir de premiers résultats positifs et la durée optimale est bien supérieure, puisqu'elle est estimée entre six et vingt-quatre mois. Les communautés thérapeutiques ont alors « des taux de rechute plus faibles et, globalement, obtiennent de meilleurs résultats que les programmes ambulatoires ». Cela est en particulier le cas au centre San Patrignano, où la durée totale du « parcours » est d'environ quatre ans.
? Un encadrement strict des modalités de fonctionnement
Vos rapporteurs ont constaté que les critiques auparavant adressées aux communautés thérapeutiques, à savoir leurs dérives sectaires, leurs conditions restrictives d'accès, l'absence de personnel soignant ou leur fermeture à toute influence extérieure ne peuvent plus être encourues par les établissements aujourd'hui expérimentés en France.
Les communautés thérapeutiques d'aujourd'hui ne peuvent être comparées à la nébuleuse d'associations aux pratiques douteuses qui ont pu exister il y a un temps. Elles ont désormais un statut juridique bien défini : il s'agit d'établissements médico-sociaux à caractère expérimental régis par le 12° du I de l'article L 312-1 du code de l'action sociale et des familles.
Leurs modalités de fonctionnement sont bien encadrées par un cahier des charges défini par voie de circulaire (143 ( * )) et qui précise explicitement qu'il a pour objet de « préciser le modèle des communautés thérapeutiques, en garantir la qualité, et prévenir les dérives autoritaires, le prosélytisme religieux ou sectaire et l'exploitation économique ». La circulaire précisant le régime des communautés prévoit qu'elles font l'objet d'une procédure d'autorisation temporaire, comme les autres établissements médico-sociaux. Celle-ci est délivrée par le représentant de l'État dans le département, pour une durée de trois ans ; l'autorisation est renouvelable une fois pour une durée d'un an, au vu des résultats positifs d'une évaluation. Toute crainte de dérives semble donc devoir être écartée compte tenu des garanties qu'offre le statut juridique de ces établissements.
S'agissant des conditions d'accès aux communautés thérapeutiques, il est vrai qu'elles peuvent être restrictives car ces structures ne peuvent accueillir certaines catégories de toxicomanes. Les personnes souffrant de troubles psychiatriques sévères, en particulier, ne peuvent résider dans des communautés dont elles perturberaient par trop le fonctionnement. Pour autant, le cahier des charges des communautés thérapeutiques françaises n'exclut pas qu'y résident des personnes souffrant de troubles mineurs, puisqu'il prévoit que les patients présentant des troubles psychiatriques compatibles avec la vie en collectivité et les activités proposées sont acceptés. Leur traitement est alors poursuivi ou adapté, en liaison avec les services médicaux locaux ou départementaux. Vos rapporteurs ont ainsi pu constater, à la communauté thérapeutique de Barsac, qu'au cours de l'année 2010, les cinquante-sept résidents avaient bénéficié de 510 actes délivrés par un psychiatre.
De même, la critique à l'encontre d'une « démédicalisation » exagérée des communautés thérapeutiques ne semble plus fondée. Ces structures doivent certes placer le groupe au coeur du projet thérapeutique et d'insertion sociale, mais en application de leur cahier des charges, elles sont également tenues de s'inscrire dans un réseau de prise en charge sanitaire et sociale - en particulier, elles peuvent accueillir des patients sous traitement de substitution aux opiacés au moment de leur entrée, dès lors que l'objectif du résident est de parvenir à l'abstinence. Elles doivent également assurer un suivi médical de leurs résidents.
La mission d'information a ainsi pu constater que la communauté thérapeutique de Barsac accueille des personnes atteintes de maladies infectieuses et accepte les personnes sous traitement médicamenteux - notamment des psychotropes - ou sous traitement de substitution aux opiacés, mais désirant l'arrêter. Ainsi, sur un total de cinquante-sept patients hébergés en 2010, seize d'entre eux bénéficiaient d'une prescription de méthadone et vingt-quatre autres d'une prescription de buprénorphine haut dosage. Il est par ailleurs expressément prévu que le personnel d'encadrement des communautés soit constitué de personnel médico-social, tout en pouvant comprendre d'anciens résidents. Ainsi, à la Communauté du fleuve, un psychiatre et un psychologue exercent à mi-temps et la communauté dispose de 1,5 équivalent temps plein pour le poste d'infirmier.
Le reproche de la trop grande fermeture à l'extérieur des communautés thérapeutiques ne peut pas, non plus, leur être adressé. Le temps des communautés repliées sur elles-mêmes et à dérives sectaires est, fort heureusement, révolu. Comme a pu le constater la mission d'information lors de sa visite de la Communauté du fleuve, un travail de fond est en réalité mené avec les proches et les familles, lorsque cela est possible, pour créer un lien thérapeutique entre ceux-ci, le résident et l'institution communautaire, le but étant de parvenir à une réinsertion non seulement professionnelle mais aussi affective et sociale.
? Des structures à conforter impérativement en s'inspirant des expériences les plus positives
Les communautés thérapeutiques ont su faire la preuve de leur efficacité à l'étranger. On n'en compte aujourd'hui en France que sept ; une communauté supplémentaire est en cours de création. Cela est totalement insuffisant pour répondre aux besoins - il n'est qu'à voir les listes d'attente que les communautés existantes ont à gérer. Il faut, de toute évidence, conforter et multiplier ces structures qui portent un véritable message d'espoir à tous les dépendants en quête d'un séjour de rupture.
Pourrait-on envisager d'accroître les capacités de communautés existantes ? Leur cahier des charges prévoit qu'elles doivent offrir trente à trente-cinq places d'hébergement. Mais la mission d'information a pu constater, lors de sa visite du centre San Patrignano, que des communautés de très grande taille pouvaient aussi obtenir des résultats saisissants.
San Patrignano, qui est un véritable village, s'étend sur 260 hectares de collines dont 14 000 mètres carrés sont dédiés aux structures communautaires (dortoirs collectifs, réfectoire accueillant l'ensemble de la communauté, ou encore immense salle polyvalente). Sa très grande taille a permis d'accueillir, depuis 1978, près de vingt mille personnes ; en 2007, la communauté en a pris en charge 1 635 ! Elle accueille en moyenne six cents nouvelles personnes par an. Comprenant soixante maisons pour les familles des éducateurs qui y travaillent et les personnes qui reconstruisent leur propre cellule familiale, elle héberge de nombreux enfants de bénévoles et de personnes qui suivent le parcours de réhabilitation. Elle comporte également un centre éducatif fermé où elle accueille des mineurs toxicomanes sous main de justice.
La communauté est dotée d'un centre médical de cinquante lits, spécialisé dans les maladies liées à la toxicomanie et qui accueille notamment des malades en phase terminale atteints du syndrome d'immunodéficience acquise ; son laboratoire dispose d'ailleurs de la base de données la plus importante dans ce domaine. La communauté comporte également un centre d'orthodontie car tous les résidents bénéficient, à leur arrivée, d'un bilan médical complet et se voient offrir des soins dentaires gratuits. La communauté comporte également un centre éducatif pour les enfants, de nombreuses structures récréatives, scolaires et sportives. Elle compte enfin plus de cinquante ateliers de formation professionnelle qui touchent à de nombreux domaines : artisanat haut de gamme, élevage, viticulture, restauration, édition, graphisme ou encore services internet, et permet à ses résidents de suivre des cours pour obtenir des diplômes qualifiants d'enseignement supérieur ou intermédiaire. Il n'est dès lors pas étonnant de noter que la quasi-totalité des résidents de San Patrignano trouvent, à leur sortie du centre, un emploi.
Il est vrai que les ateliers que la mission d'information a pu visiter sont tout à fait remarquables. Il s'agit de réelles entreprises, dotées d'un matériel de très haute qualité, extrêmement bien entretenu, qu'il s'agisse de l'atelier de décoration, de la cave, des bâtiments destinés à l'élevage, de la fromagerie ou encore du laboratoire produisant les détergents utilisés par la communauté. Partout l'excellence domine, car la volonté est de produire des biens de haute qualité. Ainsi, l'atelier de décoration produit-il des papiers peints exportés aux États-Unis et des peluches en fourrure destinées à l'industrie du luxe française, ainsi que du mobilier haut de gamme ; les vins produits ont été plusieurs fois primés ; les fromages sont vendus, eux aussi, à l'extérieur et très appréciés. La communauté dispose d'ailleurs d'un magasin extrêmement bien tenu proposant ses produits au public et que rien ne distingue d'une boutique haut de gamme.
Le centre a su s'entourer de compétences reconnues pour développer ses divers ateliers d'activités. Il a ainsi bénéficié de la collaboration bénévole d'un chef cuisinier étoilé ; un oenologue mondialement réputé aide, lui aussi, à faire fonctionner l'activité viticole. De nombreux autres bénévoles, très compétents, oeuvrent dans les autres ateliers ; dans certains cas, le centre rémunère des salariés professionnels d'un secteur pour maintenir la qualité et le savoir-faire des équipes.
Les moyens mis en oeuvre sont évidemment conséquents : San Patrignano compte ainsi environ cent quarante éducateurs bénévoles et trois cent cinquante personnes ayant un statut d'employé, de collaborateur ou de consultant, dont certains sont des anciens toxicomanes. Toutes les prestations fournies aux résidents (hébergement, nourriture, vêtements, formation professionnelle) sont gratuites. Le centre n'acceptant ni subvention de l'État, ni participation des familles des personnes accueillies, il assure son financement par récolte de fonds (14,7 millions d'euros en 2009 provenaient de dons et contributions philanthropiques de personnes privées, d'entreprises et de fondations) et par les recettes tirées de la vente des produits fabriqués par les membres de la communauté (pour un montant de 12,4 millions d'euros en 2009).
Le choix de l'excellence est délibéré. Il s'agit en effet de permettre à des personnes qui ont très souvent perdu toute estime d'elles-mêmes d'être fières de ce qu'elles ont accompli. La mission d'information a d'ailleurs pu constater que cette stratégie portait ses fruits : tous ceux qu'elle a pu rencontrer respiraient la joie de vivre et montraient un réel enthousiasme pour leur activité, alors même qu'ils y avaient été affectés, dès le premier jour de leur entrée dans le centre, au vu de leur dossier, sans avoir de choix entre les divers ateliers.
Sans prétendre créer une structure équivalente au centre de San Patrignano - cette expérience remarquable est probablement unique au monde, comme l'a d'ailleurs noté M. Andrea Muccioli qui dirige la communauté -, on peut penser que des marges de progression existent en France et qu'on pourrait utilement s'inspirer de sa démarche. En particulier, les activités offertes et les parcours de réinsertion semblent perfectibles. Cela nécessite évidemment des moyens ; la stratégie économique de San Patrignano, qui repose en grande partie sur les recettes tirées des ventes de ses produits, mérite à cet égard d'être examinée avec attention.
Il est peut-être aussi nécessaire d'engager une réflexion sur la durée de séjour dans les communautés thérapeutiques. Leur cahier des charges prévoit actuellement que cette durée ne peut excéder deux ans. Mais les expériences étrangères font état de durées de séjour parfois sensiblement plus élevées : ainsi, au centre San Patrignano, le parcours des résidents dure-t-il entre trois et quatre ans ; la durée de séjour dans la communauté des Rives du Rhône dans le canton du Valais est de deux à trois ans.
On devrait sans doute s'inspirer des exemples étrangers les plus couronnés de succès pour parvenir à une offre suffisante permettant de couvrir les besoins des toxicomanes en recherche d'un traitement résidentiel visant le sevrage et l'abstinence.
Vos rapporteurs proposent donc de multiplier les communautés thérapeutiques et de conforter les communautés existantes, en fixant pour objectif que chaque région soit dotée d'au moins une telle structure, en s'inspirant des exemples étrangers qui ont montré leur efficacité .
* (137) Audition du 11 mai 2011.
* (138) Fédération française d'addictologie, Livre blanc de l'addictologie française - 100 propositions pour réduire les dommages des addictions en France, juin 2011.
* (139) Rapport n° 2468 de M. Jacques Guyard au nom de la commission d'enquête sur les sectes, enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 22 décembre 1995.
* (140) Audition du 9 février 2011.
* (141) Giorgio Manfré, Giuliano Piazzi et Aldo Polettini, Multidisciplinary study of retention in treatment and follow-up on former residents of San Patrignano, FrancoAngeli, 2005 .
* (142) Dr Jean-Michel Delile, M. Jean-Pierre Couteron, « Réflexions sur le traitement résidentiel des addictions », Alcoologie et addictologie, 2009, tome 31 (1), pp. 27-35.
* (143) Circulaire DGS/MILDT/SD6B n ° 2006/462 du 24 octobre 2006 relative à la mise en place des communautés thérapeutiques.